Une valise aux souvenirs obsédants

Une valise aux souvenirs obsédants

Dans des scènes ciselées, l’écrivain Donald Alarie nous propose une œuvre aussi brève que frappante, Sa Valise ne contient qu’un seul souvenir, aux Éditions de la Pleine Lune.

Depuis La Rétrospection (Pierre Tisseyre, 1977), Donald Alarie a publié des romans, recueils de poésie, recueils de nouvelles, des articles dans des revues ainsi qu’un essai (Écrire comme on joue du piano, Éditions Trois-Pistoles, 2010). Son répertoire comporte une trentaine d’ouvrages conçus loin des fanfares médiatiques et autres modes passagères. Avec Sa valise, l’auteur s’adonne à la novella, genre littéraire entre la longue nouvelle et le court roman. « Je m’étais posé la question : comment doit-on qualifier ce livre constitué de textes brefs reliés par une histoire. »

Des années auparavant, Donald Alarie avait amorcé une première ébauche laissée en suspens. Or, la pandémie actuelle lui a donné le temps et le désir de produire divers textes, dont un recueil de poèmes, Ce nouveau territoire de ma vie ou La Beauté du doute, qu’il a autoédité et envoyé à ses proches et connaissances (« J’ai reçu davantage de commentaires que pour toute autre de mes réalisations antérieures »). L’artiste a eu l’intuition de montrer une version remaniée d’une soixantaine de pages (« avec bien de nettoyage ») à son éditrice à la Pleine Lune (où il a publié les recueils de nouvelles Puis nous nous sommes perdus de vue (2017) et Le Hasard des rencontres (2016).

Le style de l’écrivain se caractérise par un ton dépouillé, sans fioritures. Comme un peintre minimaliste, quelques traits nous font croire à l’existence de ses personnages. Le défunt chroniqueur de littérature au quotidien La Presse, Réginald Martel (« qui a parlé à la fois en bien et en mal de certains de mes ouvrages ») lui a déjà lancé un commentaire élogieux, « comme quoi écrire de façon simple, ce n’est pas si simple que cela ».    

Loin des velléités de l’autobiographie, Sa valise ne contient qu’un souvenir puise toutefois dans un souvenir d’enfance de l’homme de lettres. Par contre, l’événement réel n’a pas eu des répercussions « aussi tragiques » et obsédantes que pour le narrateur. « J’avais environ trois ou quatre ans. J’habitais avec ma famille à Montréal dans un appartement au long couloir. Je jouais à l’intérieur un jour de pluie. Tout à coup, je vois, sur le balcon, un homme venu se protéger de l’orageJ’ai eu peur, je me suis demandé si c’était un méchant. » La progression de l’intrigue demeure de la pure fiction. Elle gravite autour d’un traumatisme qui hantera un être dont le nom ne nous ait jamais mentionné.    

En exergue du bouquin, nous lisons une citation du poète et critique littéraire français Jean-Michel Maulpoix : « Je voudrais retrouver l’œil du gamin qui joue avec sa voiture rouge, qui observe et s’interroge, les yeux sur les gens, sur les choses… » Une telle phrase a « frappé » Donald Alarie. Cette petite « entrée en matière » donnait le ton pour un récit qui va droit à l’essentiel. « Je n’ai gardé que le nécessaire. Je ne voulais pas tout divulguer, mais garder le mystère », confie l’admirateur des réputés pianistes de jazz Bill Evans, Keith Jarrett, Brad Mehldau et Kenny Barron.      

Parmi les références de l’auteur qui a enseigné de 1971 à 1997 la littérature au Cégep de Joliette (sa ville de résidence depuis des décennies), nous croisons des références dans le style de la brièveté et de l’intimiste, notamment Jacques Poulin, Gabrielle Roy ou encore Gilles Archambault. « Certains écrivains changent de style d’un livre à l’autre, d’autres poursuivent dans le même sillon. Je m’inscris dans ce dernier groupe. »   

Au fil des pages, des allusions surgissent, dont une à Stefan Zweig, influence majeure pour l’écrivain. « À 18 ans, j’ai lu La Confusion des sentiments (longue nouvelle publiée en 1927), auteur autrichien exilé après l’émergence du nazisme dans son pays et qui s’est suicidé au moment de la Seconde Guerre mondiale. Cette œuvre inégalable, que je lis tous les dix ans, fut une introduction à la complexité de la vie. Même si le contexte semble loin de notre réalité immédiate, nous saisissons que nos existences ne sont jamais arrêtées et que la complexité se cache derrière chacun de nos gestes. »

Donald Alarie poursuit la conversation autour de l’univers singulier d’une autre figure importante à ses yeux, le Français Patrick Modiano (prix Nobel de littérature, 2014) « par sa constante recherche du passé où tout est un peu flou, un peu vague ». Cette confusion entre le monde antérieur et de maintenant trouve des échos chez le protagoniste de Sa valise. Par ailleurs, l’histoire ne s’amorce-t-elle pas sur ce présent qui n’aurait « aucun sens sans ce retour en arrière, sans ce coup d’œil dans l’immense rétroviseur de la vie, comme un tableau ancien qu’il doit revoir, un moment d’existence sauvé de l’oubli ».   

Si les mondes dépeints dans les livres d’Alarie semblent à des années-lumière d’une littérature politique ou revendicatrice, sa plus récente parution expose en sourdine un portrait rude d’une société qu’il espère révolue. Les faits évoqués remontent aux années 1950 (avec des clins d’œil à Frank Sinatra, Léo Ferré, Alys Robi, sans oublier le célèbre Survenant de Germaine Guèvremont) et dressent le portrait « d’une époque où la religion dominait tout. Les réponses à nos questions venaient de Dieu. Comparativement à aujourd’hui, c’était un autre monde, plus rigide, entouré de nombreux interdits. Rien n’était clairement expliqué, notamment la maladie ».  

En plus de la révision de Sa valise ne contient qu’un seul souvenir, les soubresauts causés par la Covid depuis un an et demi lui ont permis de s’adonner encore avec plus d’élan à sa créativité. « J’ai travaillé à un roman, un recueil de nouvelles et un de poésie. J’ai offert gratuitement ce dernier par courriel. Des artistes, dont des sculpteurs, m’ont confié avoir plongé dans la création parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Mais même si je discutais avec des amis ou mes petits-enfants sur Facetime, cela ne remplace jamais la rencontre humaine. » 

Depuis cet élan prolifique, des commentaires élogieux ont souligné la force de Sa valise (notamment sur le blogue littéraire de l’écrivaine Dominique Blondeau). À quoi aspire Donald Alarie pour la suite des événements ? « Pour l’instant, je n’ai aucun projet concret. Ai-je le goût de me rembarquer dans un projet de publication? Je ne veux pas me répéter, mais sentir que j’apporte quelque chose de nouveau. »  

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