Le mythe avéré du Lac Saint-Jean créatif

Le mythe avéré du Lac Saint-Jean créatif

L’auteur est artiste pour la paix

  1. Maria Chapdelaine

L’immense œuvre de cinéma Maria Chapdelaine par Sébastien Pilote représente un film comparable dans son ambition aux grands westerns américains ou aux chefs d’œuvres récompensés par un Prix Nobel de littérature de John Steinbeck. Trop longtemps englués dans les histoires de curés d’Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon exploitées à plus soif à la télé dans diverses moutures des Belles Histoires des Pays d’en Haut, les spectateurs découvrent émerveillés un nouveau Louis Hémon. Magnifié par la direction du Chicoutimien qui nous a donné le vendeur et la disparition des lucioles, le jeu sobre d’Hélène Florent, de Sébastien Ricard et de Sara Montpetit nous offre une véritable épopée de deux heures et demie tournée sur quatre saisons au Lac St-Jean, en hommage à nos pionniers et en éloge de leur humble travail et de leurs amours ascétiques. Une œuvre majeure artistique se reconnaît par sa capacité de hanter l’imaginaire d’un consommateur culturel pendant des semaines, voire pendant des mois pour les spectateurs occasionnels.

Ce film chichement critiqué possède hélas deux dénominateurs communs avec les oiseaux ivres : Hélène Florent et Philippe Brault, musicien. Cela ne suffit pas pour donner quelqu’éclat à ce navet confus, choix multiculturally canadian pour représenter le Canada aux Oscars. Si on avait deux ans plus tôt applaudi Nahéma Ricci jouant Antigone, héroïne expulsée du Canada par la police et les bureaucrates de l’immigration mais révérée par la jeunesse du Québec, quelle amère déception face aux rôles unidimensionnels de Claude Legault comme père et mari frustré sexuel et du mexicain J. A. Guerrero comme amoureux transi d’une starlette mafiosa, puis martyre de propriétaires agricoles québécois racistes, en un maladroit scénario attaché avec de la broche à foin qui ne sait pas conclure. Vivement l’autonomie culturelle du Québec pour des choix éclairés : j’aurais cent fois voté pour Bootlegger de la géniale métis bretonne-anichinabée Caroline Monnet.[i]
 

  1. Michel-Marc Bouchard

Famille, religion, violence, rédemption… Embrasse, une pièce de théâtre issue de la pandémie, a fait l’objet en septembre de la grande première longtemps espérée du Théâtre du Nouveau-Monde à laquelle assistait le gratin artistique montréalais totalement séduit. Ses acteurs vedettes Théodore Pellerin, Anne-Marie Cadieux et Yves Jacques vivent des moments dramatiques, alternant avec des instants de drôlerie qui font baisser la tension : saluons aussi l’acteur Anglesh Major personnifiant un policier venant maladroitement au secours d’Alice Pascual. On courra aux représentations du mois de novembre à Terrebonne, Saint-Jérôme, Gatineau, Sherbrooke, Rimouski et Drummondville.

L’auteur de Tom à la ferme, porté au cinéma – sans doute son chef d’œuvre le plus troublant – par Xavier Dolan, estime avoir fait la paix avec le climat lourd de son passé au Lac Saint-Jean. « Oui, la violence a fait partie de ma vie, elle a fait partie d’une partie de mon enfance, et l’écriture a été un long, long cheminement, je dirais, de réconciliation. »  Comme la pièce de Larry Tremblay qui sera commentée plus loin, un des grands thèmes d’Embrasse rend hommage à la mère, source d’amour, de conflit, de douleur et d’admiration éperdue.  Autre parenté étonnante, la première œuvre de Michel-Marc Bouchard les feluettes a aussi été portée à l’opéra, sur la grande scène de l’Opéra de Montréal avec le chanteur Étienne Dupuis interprétant la musique de Kevin March, dans une mise en scène signée Serge Denoncourt.
 

  1. L’orangeraie, oratorio-kathakali?

En une saison musicale qui tente désespérément d’accéder à la normale, Le Monument National accueillait le 19 octobre au cœur de Montréal l’organisme Chants Libres dans ce que le livret de la soirée nous annonçait pudiquement comme la dernière grande aventure au sein de cette compagnie lyrique de création, de Pauline Vaillancourt, sa directrice artistique et membre fondateur en 1990, à qui le gouvernement du Québec avait attribué le prix Albert-Tessier 2019. Cette annonce nous a stupéfaits, malgré notre confiance en la soprano uqamienne Marie-Annick Béliveau pour prendre une relève inspirée.

Chant libre est sans aucun doute une meilleure expression qu’opéra pour décrire l’œuvre à laquelle le public, où prenait place notre grand Michel Tremblay, a réservé un accueil d’abord stupéfait, puis une ovation méritée, vu le travail accompli au cours de deux années par ses différents artisans. Rendons d’abord hommage à la scénographe Dominique Blain avec ses âpres déserts, montagnes hostiles et ciels étoilés qui favorisent la méditation. Rappelons son prix Paul-Émile Borduas, après l’hommage officiel que lui avait rendu en 2014 le philosophe Hervé Fischer alors au C.A. des Artistes pour la Paix.

Lorraine Vaillancourt dirige le Nouvel ensemble moderne où s’illustrent pour la cause deux percussionnistes. Le seul véritable moment opératique mélodramatique fut celui de la grande soprano Nathalie Paulin personnifiant la mère (stabat mater) des deux fils (Arthur Tanguay-Labrosse et Nicholas Burns) dont l’un sera choisi pour porter la ceinture qui l’explosera au sein des ennemis pour venger la mort des grands-parents.

Bien structurée, la composition de Zad Moutalka né au Liban en 1967, cherche néanmoins sa voie pour la trouver, épurée, dans l’immense coda allongée d’un fascinant bourdon où la mélopée du chœur répète désespérée, comme au début de l’œuvre, consacrant ainsi un huis-clos d’enfermement :

« Nous forgeons des dieux, petits comme nos yeux, et nous les prions de nous fermer le cœur. Nos dieux, nous les prions de nous donner des pieux pour les planter dans la gorge de nos voisins. »

Les moments de silence, d’échanges de voix a capella en hétérophonie orientale, les monologues en Sprechgesang où les voix de Jean Maheux qui se fait trop rare et de Michel Ducharme résonnent dramatiquement, nous font ardemment souhaiter une renaissance de cette œuvre nécessaire, dénonciatrice de l’esprit traditionnel de vengeance qui empoisonne l’humanité entière, pas uniquement au Moyen-Orient et au Pakistan, une œuvre qui durerait idéalement quatre heures, avec de grandes plages de silence dansé, en respect de la tradition indienne kathakali que connaît bien Larry Tremblay.

Car il est temps de terminer ce long article en saluant bien bas mon collègue respecté à l’UQAM et dans la communauté artistique, auteur d’un des livres favoris de l’animateur radio-canadien Patrice Roy, l’Orangeraie. Le spectacle qui en est tiré me l’a révélé plutôt comme un oratorio, grâce à son caractère méditatif auquel j’avoue avoir été peu réceptif avant sa mise en forme par Zad Moutalka et Pauline Vaillancourt, elle dont la première intuition fut sensible à ce « plaidoyer pour la paix » de son compatriote du Saguenay. Le libretto simplifié par Larry Tremblay confirme ce jugement :

« Ton père Mounir a fait pousser des oranges là où il n’y avait que du sable et des pierres. Seul un homme de justice a pu transformer cette terre sans visage en un paradis. Je récitais ces mots de notre grand poète Nahal : Le paradis est fait d’eau, de sol, de ciel et d’un regard que rien n’arrête. Celui qui a le courage de s’élever embrasse d’un seul coup d’œil toute sa vie. Et aussi toute sa mort. Pourquoi faut-il vivre dans un pays où le temps ne peut pas faire son travail? »

« Toutes ces voix, elles veulent exister pour de bon, pas seulement comme des fantômes dans ta tête. Mets-les au monde avec de vrais mots, de vraies phrases. Sinon, elles vont pourrir en toi. C’est toi qui vas devenir un fantôme. »

« Comme toi, mes vêtements sont sales et déchirés, mon cœur, cassé comme un caillou. Et je pleure des larmes qui me déchirent le visage.

Mais j’ai une voix calme.  Une voix paisible.

Je te parle avec de la paix dans ma bouche. L’entends-tu? »

En conclusion, ces trois œuvres pourtant identitaires me semblent illustrer l’autonomie culturelle avancée du Lac St-Jean qui inspire le Québec tout entier.

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