Contre le technomonde végan et décarboné (par Philippe Oberlé)

Contre le technomonde végan et décarboné (par Philippe Oberlé)

Avant toute chose, pour évi­ter de contra­rier la ges­ta­po verte into­lé­rante à toute cri­tique de Sainte Gre­ta et de sa parole divine « neutre en car­bone », j’insiste sur le fait que je ne rsuis nul­le­ment cli­ma­tos­cep­tique et que cet article n’a abso­lu­ment pas l’objectif de nier l’existence du chan­ge­ment cli­ma­tique, qui d’ailleurs n’est pas d’origine « anthro­pique », ni « humaine »ré, encore moins cau­sé par les « acti­vi­tés humaines » en géné­ral. Il a pour ori­gine la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle qui s’est révé­lée être une catas­trophe pour les ter­riens humains et non-humains. Le dis­cours englo­bant et culpa­bi­li­sant, qui fait por­ter le far­deau à « l’humanité » tout entière, est une insulte à l’intelligence humaine. Il affiche éga­le­ment un violent mépris pour les peuples autoch­tones pro­té­geant 80 % de la bio­di­ver­si­té res­tante[1] ain­si que pour l’ensemble des com­mu­nau­tés rurales des pays du Sud qui n’y sont pour rien dans l’hécatombe éco­lo­gique mon­diale.

Ce n’est pas « l’humanité » qui est res­pon­sable, comme on peut le lire un peu par­tout, mais une seule et unique forme d’organisation sociale, une seule et unique culture humaine, un seul et unique mode de vie par­mi les mil­liers d’autres qui ont exis­té – et existent encore – en ce monde. Cette culture mépri­sant la vie, qui octroie plus de valeur au télé­phone ou à l’ordinateur qu’à la vie d’un enfant congo­lais ou gha­néen ; cette culture dont l’éthique place la bagnole et l’autoroute avant le cerf élaphe et sa forêt, c’est la civi­li­sa­tion indus­trielle née en Europe, pro­duit du bien mal nom­mé siècle des Lumières. Cette civi­li­sa­tion euro­péenne s’est répan­due comme une lèpre à l’ensemble du globe, colo­ni­sant des pay­sages vivants – prai­ries, forêts, maré­cages, man­groves, mon­tagnes, plaines allu­viales, rivières – d’une beau­té qui dépas­sait autre­fois l’entendement, y exter­mi­nant par la même occa­sion leurs habi­tants humains et non-humains. Pour enlai­dir et asser­vir le monde libre, la civi­li­sa­tion dis­sé­mine par­tout les ver­rues de son pro­grès – mines d’extraction, puits de pétrole et de gaz, oléo­ducs et gazo­ducs, méga­lo­poles et centres com­mer­ciaux, zones urbaines et péri­ur­baines, écrans et pan­neaux publi­ci­taires, zones indus­trielles et entre­pôts, mono­cul­tures et éle­vages indus­triels, auto­mo­biles et auto­routes, routes et par­kings, bar­rages et canaux, via­ducs et tun­nels, remon­tées méca­niques et télé­phé­riques, cen­trales éner­gé­tiques et lignes à haute ten­sion, trans­for­ma­teurs et câbles sous-marins, décharges à ciel ouvert et sites d’enfouissement de déchets toxiques/nucléaires, usines d’incinération et décharges sau­vages, plan­ta­tions indus­trielles et scie­ries, sta­tions d’épuration et centres de sto­ckage, etc.

Cette folie doit ces­ser.

Quelques-uns des thèmes abor­dés dans ce long texte :

  • Décryp­tage du dis­cours de Gre­ta Thun­berg et de la mise en scène dans la vidéo par­ta­gée sur son compte Twit­ter le 22 mai 2021, une vidéo spon­so­ri­sée par l’ONG Mer­cy For Ani­mal ;
  • Pour­quoi végé­ta­risme et/ou végé­ta­lisme ne chan­ge­ront rien à la dévas­ta­tion des forêts ;
  • L’uniformisation des pra­tiques ali­men­taires à l’échelle glo­bale est une aubaine pour l’industrie agroa­li­men­taire ;
  • Der­rière la cam­pagne pour la nature se cache un mou­ve­ment d’accaparement des terres gigan­tesque, prin­ci­pa­le­ment dans les pays du Sud ;
  • Stop­per l’élevage ne va pas auto­ma­ti­que­ment « libé­rer » de l’espace pour la vie sau­vage, cette inter­pré­ta­tion pro­vient d’une mécon­nais­sance de la méca­nique capi­ta­liste ;
  • Domes­ti­quer la nature sau­vage au nom du bien-être ani­mal ;
  • Le pas­to­ra­lisme est essen­tiel à la bio­di­ver­si­té et à la sur­vie de cen­taines de mil­lions de per­sonnes sur Terre, prin­ci­pa­le­ment en Afrique ;
  • Les petits pro­duc­teurs nour­rissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agri­coles.

« Un business plan pour le monde »

« En réa­li­té, [le chan­ge­ment cli­ma­tique] est la plus extra­or­di­naire oppor­tu­ni­té de tous les temps pour sti­mu­ler la crois­sance éco­no­mique et faire croître le nombre d’opportunités. C’est une occa­sion fan­tas­tique qui se pré­sente juste devant nous. La réponse au chan­ge­ment cli­ma­tique ne sup­prime pas seule­ment les sérieux dom­mages envi­ron­ne­men­taux pro­vo­qués durant les cent der­nières années en rai­son de la façon dont nous uti­li­sons l’énergie : cette réponse per­met de démo­cra­ti­ser l’énergie. Parce que, ce que nous avons fait depuis un siècle, fran­che­ment, c’est d’en limi­ter l’accès. Regar­dez qui a et qui n’a pas accès à l’énergie. Nous ne pou­vons pas nous per­mettre de lais­ser un mil­liard de per­sonnes sans accès à l’énergie, car elles res­tent en dehors du mar­ché ! En plus des consé­quences morales à cela. Donc nous devons démo­cra­ti­ser l’énergie. Nous devons sup­pri­mer les impacts néga­tifs et assu­rer la conti­nui­té et la crois­sance du busi­ness, c’est le trio gagnant. Cela nous per­met­trait de réa­li­ser ce que nous vou­lons vrai­ment en tant qu’être humain : réali­gner har­mo­nieu­se­ment notre bous­sole morale avec notre bous­sole pour le busi­ness et l’économie. Que pour­rait-il y a voir de repous­sant dans cette immense oppor­tu­ni­té ?! Donc, mes amis, col­lec­ti­ve­ment, nous rédi­geons un busi­ness plan pour le monde. C’est ce que nous fai­sons ensemble. Hier, 310 000 per­sonnes [mar­chaient pour le cli­mat dans les rues], la socié­té civile est au ren­dez-vous. Le sec­teur pri­vé est ici [dans la salle], les gou­ver­ne­ments seront avec nous demain pour col­lec­ti­ve­ment écrire un busi­ness plan pour le monde[2]. »

– Chris­tia­na Figueres, ancienne secré­taire exé­cu­tive de la Conven­tion-cadre des Nations Unies (ONU) sur le chan­ge­ment cli­ma­tique (en poste de 2010 à 2016) et membre de la B Team du mil­liar­daire Richard Bran­son[3], extrait d’un dis­cours pro­non­cé à New York en sep­tembre 2014 lors de la Cli­mate Week NYC.

Dans une vidéo publiée sur You­tube par la chaîne de l’ONG Mer­cy For Ani­mals avec le hash­tag For­Na­ture[4], l’influenceuse Gre­ta Thun­berg, confor­ta­ble­ment ins­tal­lée sur son cana­pé IKEA aux côtés de son chien qu’elle caresse ten­dre­ment, sou­haite par­ler de « quelque chose » à son public. Par­ta­gée par Gre­ta Thun­berg sur Twit­ter le 22 mai 2021, jour­née mon­diale de la bio­di­ver­si­té, la vidéo a été vue plus de 835 000 fois et tota­lise 8 400 ret­weets[5]. Sur la page Face­book de la jeune Sué­doise, la vidéo tota­lise 37 000 men­tions « j’aime » et 18 000 par­tages. En grat­tant la sur­face, on a vite fait de s’apercevoir que cette cam­pagne « pour la nature » ciblant la jeu­nesse n’émane pas du peuple mais des sphères du pou­voir. Objec­tif : déclen­cher un mou­ve­ment popu­laire du même type que le Mou­ve­ment Cli­mat des der­nières années et obte­nir le sup­port de la plèbe pour les déci­sions qui seront prises à huis clos et sans aucun débat démo­cra­tique lors de la pro­chaine COP 15 sur la bio­di­ver­si­té, une confé­rence qui se tien­dra en Chine à Kum­ming en octobre 2021[6].

Quelques indices attestent de la puis­sance de frappe inves­tie dans cette cam­pagne : le compte Twit­ter de la Conven­tion sur la bio­di­ver­si­té uti­lise le hash­tag For­Na­ture[7] ; les Nations Unies ont spé­cia­le­ment créé un site satel­lite (fornature.undp.org) pour inci­ter les jeunes à se mobi­li­ser afin de sup­plier leurs maîtres d’agir pour la pla­nète ; les Nations Unies invitent la jeu­nesse à signer un mani­feste pour la nature[8] ; l’International Cli­mate Ini­tia­tive, éma­na­tion du minis­tère fédé­ral alle­mand de l’Environnement, de la Pro­tec­tion de la nature et de la Sécu­ri­té nucléaire, a relayé éga­le­ment cette cam­pagne avec le même hash­tag[9] ; la Bio­di­ver­si­ty Finance Ini­tia­tive, éma­na­tion des Nations Unies visant à mieux « valo­ri­ser » finan­ciè­re­ment la nature, a publié sur le sujet[10] ; la vidéo de Gre­ta a été par­ta­gée par la page Face­book du pro­gramme des Nations Unies pour l’environnement (UN Envi­ron­ment Pro­gramme[11]) ; Nico­las Hulot, escro­lo­giste en chef du Mou­ve­ment Cli­mat en France, avec sa fon­da­tion finan­cée par des entre­prises d’État (RTE et SNCF[12]), le groupe Renault, l’industrie agroa­li­men­taire (Léa Nature et la fon­da­tion de Daniel Caras­so, fon­da­teur de Danone), la fon­da­tion de l’aristocrate Prince Albert II de Mona­co, sans oublier Domor­row (famille Rous­set, le père Bru­no « pèse » 750 mil­lions d’euros d’après Chal­lenges[13]), appa­raît dans une vidéo pos­tée par la chaîne You­tube de l’UN Envi­ron­ment Pro­gramme avec le hash­tag For­Na­ture[14] ; le média Green Mat­ters (Plus d’un mil­lion de fans sur Face­book) a relayé la vidéo de Mer­cy For Ani­mal et de Gre­ta[15] ; sur l’application Tik­Tok, les conte­nus pos­tés avec le hash­tag For­Na­ture, notam­ment à l’occasion de la jour­née mon­diale de l’environnement, comp­ta­bi­lisent plus de 24 mil­lions de vues, prin­ci­pa­le­ment en Inde d’après les conte­nus les plus popu­laires pré­sents en haut de page[16] (faut-il y voir une stra­té­gie déli­bé­rée sachant que le pays compte 20 à 40 % de végé­ta­riens sur plus d’un mil­liard d’habitants[17] ?) ; sur Ins­ta­gram, on compte plus de 82 000 publi­ca­tions dans le fil For­Na­ture[18] ; d’après Face­book, au moins 46 000 per­sonnes publient à ce sujet[19] ; le compte Twit­ter New Deal for Nature and People, sui­vi par 33 000 per­sonnes, publie éga­le­ment en uti­li­sant le hash­tag For­Na­ture (ce « New Deal » pour la nature, c’est la déno­mi­na­tion en termes mar­ke­ting de l’accord qui sera signé à la COP 15 Bio­di­ver­si­té, un accord vive­ment atta­qué par qua­si­ment toutes les asso­cia­tions locales et ONG inter­na­tio­nales de défense des peuples autoch­tones dont Sur­vi­val Inter­na­tio­nal[20]).

Il est néces­saire de rap­pe­ler quelques autres faits pour mieux com­prendre la puis­sance finan­cière der­rière cette cam­pagne pour le busi­ness gros­siè­re­ment maquillée en cam­pagne pour la nature. Inger Ander­sen, ancienne direc­trice de l’Union Inter­na­tio­nale pour la Conser­va­tion de la Nature (UICN), aujourd’hui direc­trice exé­cu­tive du pro­gramme des Nations Unies pour l’environnement, a annon­cé sur son compte Twit­ter qu’elle par­ti­ci­pe­rait le 8 juin 2021 à une dis­cus­sion inti­tu­lée Inves­ting in Nature – Buil­ding a glo­bal bio­di­ver­si­ty fra­me­work and clo­sing the finance gap (« Inves­tir dans la nature – Construire un cadre mon­dial pour la bio­di­ver­si­té et com­bler le défi­cit de finan­ce­ment ») orga­ni­sée par le Finan­cial Times. Dans un tweet mar­qué avec le hash­tag For­Na­ture, elle pré­sente la chose ain­si : « Heu­reuse de joindre cette dis­cus­sion FTLive qui détaille­ra com­ment le ver­dis­se­ment des plans de relance suite au COVID19 vont béné­fi­cier aux gens et à la pla­nète. » Le compte du Finan­cial Times Live a quant à lui insis­té dans son tweet sur « com­ment inves­tis­seurs et finan­ciers peuvent jouer un rôle clé en réa­li­sant une tran­si­tion vers une éco­no­mie res­pec­tueuse de la nature[21]. » Le Natio­nal Geo­gra­phic, qui pro­duit et héberge des conte­nus pour Bayer-Mon­san­to (par exemple ce mini-site Ques­tions for a bet­ter life[22]), et la Wyss Cam­pai­gn For Nature, sont tous les deux par­te­naires de l’événement.

La Wyss Cam­pai­gn for Nature « est un inves­tis­se­ment de 1 mil­liard de dol­lars pour aider les com­mu­nau­tés, les peuples indi­gènes, et les nations à conser­ver 30 % de la pla­nète dans son état natu­rel d’ici 2030[23]. » Ici, pré­ci­sons que Hanswörg Wyss est un mil­liar­daire phi­lan­thrope hel­vé­ti­co-états-unien, fon­da­teur de la Wyss Foun­da­tion, qui a récem­ment fait un don de 65 mil­lions de dol­lars à l’ONG Afri­can Parks[24]. Fon­dée selon le Monde Diplo­ma­tique par un mil­liar­daire néer­lan­dais en 1999, héri­tier d’une « richis­sime famille d’industriels » qui « com­mer­çait avec le régime d’apartheid » en Afrique du Sud, cette puis­sante ONG a obte­nu la délé­ga­tion de ges­tion d’une quin­zaine de parcs natio­naux en Afrique. Au pro­gramme : construc­tion de clô­tures élec­tri­fiées pour limi­ter la cir­cu­la­tion des popu­la­tions locales et des ani­maux sau­vages, trans­lo­ca­tion de dizaines d’animaux d’Afrique du Sud vers les parcs en conces­sion pour aug­men­ter la valeur du « capi­tal natu­rel », ges­tion sur un « modèle mili­taire », per­sé­cu­tions à répé­ti­tion des com­mu­nau­tés locales, et autres joyeu­se­tés. En 2018, dans le parc de la Pend­ja­ri au Bénin, les ran­gers employés par Afri­can Parks ont abat­tu 350 têtes de bétail sans concer­ta­tion avec les ber­gers Peuls, un peuple autoch­tone de pas­teurs nomades de la région sahé­lienne[25]. Notons qu’African Parks compte par­mi ses « par­te­naires stra­té­giques » la Com­mis­sion Euro­péenne, The Natio­nal Geo­gra­phic Socie­ty, la fon­da­tion de la richis­sime famille Wal­ton (fon­da­trice du géant Wal­mart), le WWF, les banques de déve­lop­pe­ment alle­mande (GIZ) et états-unienne (USAID), ain­si que la fon­da­tion de l’ultrariche Howard Buf­fett, fils de War­ren, qui finance par ailleurs des pro­jets plus que dis­cu­tables en Répu­blique Démo­cra­tique du Congo[26]. Pour ter­mi­ner là-des­sus, le Finan­cial Times, dans sa rubrique How To Spend It, fait la réclame pour Afri­can Parks afin d’attirer les tou­ristes for­tu­nés en manque d’aventure sau­vage (Tchad[27], Rwan­da[28], etc.).

Sans sur­prise, le WWF marque aus­si ses publi­ca­tions avec le hash­tag For­Na­ture, comme par exemple cette vidéo du Forum Éco­no­mique Mon­dial par­ta­gée sur Face­book par le pan­da éco-capi­ta­liste[29]. Elle explique le plus sérieu­se­ment du monde que la syl­vi­cul­ture indus­trielle est éco­lo­gi­que­ment sou­te­nable :

« Cette forêt écos­saise est à la fois un ter­rain de jeu, une usine et un foyer pour la faune sau­vage. Elle pro­duit du bois durable de façon à ce que les arbres, les ani­maux sau­vages et les gens res­tent en bonne san­té. Cela nous per­met de lais­ser en place les forêts anciennes et natu­relles qui absorbent du car­bone de l’atmosphère. »

Une femme de la com­mis­sion des forêts écos­saises fait ensuite un dis­cours de VRP sur un ton qui se veut ration­nel et prag­ma­tique :

« En réa­li­té, nous avons besoin du bois si nous vou­lons réduire le plas­tique dans l’environnement. Si nous vou­lons construire des mai­sons, nous avons besoin d’utiliser du bois. C’est une res­source par­fai­te­ment durable. Le bois sent bon, c’est beau, il isole bien et sti­mule l’imagination des gens. »

Quand les forêts auront lais­sé place au désert, on ira la cher­cher où l’ins­pi­ra­tion ? Une telle argu­men­ta­tion ne laisse place à aucune autre alter­na­tive, il faut exploi­ter indus­triel­le­ment les forêts pour régler le pro­blème du plas­tique. Pas le choix. Du green­wa­shing pur et dur, d’autant que la pro­duc­tion de plas­tique va aug­men­ter de 40 % d’ici 2030[30].

Dans la suite de la vidéo, on apprend que :

« Les reve­nus de l’industrie du bois créent des emplois et financent les soins por­tés à la plan­ta­tion et aux ani­maux sau­vages. Le bois des forêts écos­saises est uti­li­sé pour fabri­quer des mai­sons, des palis­sades, du papier et du bio­car­bu­rant. Le bois est une alter­na­tive bas car­bone en com­pa­rai­son du béton et du métal. »

D’un cynisme sans limite, ces gens uti­lisent main­te­nant le chan­tage à l’emploi pour jus­ti­fier la des­truc­tion de la forêt. Sur les images, on aper­çoit d’énormes engins fores­tiers mani­pu­ler des arbres de plu­sieurs dizaines de mètres de hau­teur comme de vul­gaires mika­do, leur arra­chant toutes leurs branches avec une rapi­di­té effrayante. Les mêmes machines sont uti­li­sées pour « opti­mi­ser l’exploitation » des forêts, his­toire de faire de belles coupes rases en un temps record. Éco­no­mistes et ingé­nieurs ont appe­lé ça « l’efficacité ». L’objectif de la vidéo est clair : faire ava­ler au grand public que l’exploitation indus­trielle et à très grande échelle du bois peut être sou­te­nable éco­lo­gi­que­ment. Rien n’est plus éloi­gné de la véri­té.

Cou­tu­miers du green­wa­shing à grande échelle, WWF et Forum Éco­no­mique Mon­dial omettent de citer l’un des débou­chés majeurs du bois en Europe et en Amé­rique du Nord. En 2020, un article du média Mon­ga­bay révé­lait que près de 60 % de la pro­duc­tion d’énergie dite « renou­ve­lable » dans l’Union Euro­péenne ne pro­vient pas des éoliennes ni des pan­neaux solaires, mais de la com­bus­tion de bio­masse dont la plus grosse par­tie est consti­tuée de gra­nu­lés de bois[31]. En rai­son de la direc­tive des Nations Unies éta­blie lors du pro­to­cole de Kyo­to en 1997 consi­dé­rant l’énergie issue de la bio­masse fores­tière comme « neutre en car­bone », les grands groupes éner­gé­tiques ont obte­nu des sub­ven­tions pour déve­lop­per des cen­trales à bio­masse et conver­tir les cen­trales à char­bon en cen­trale bio­masse. Pour­tant, ce pro­cé­dé pré­ten­du­ment « propre » émet plus de CO2 que l’usage du char­bon. À cause de cette poli­tique, l’exploitation fores­tière indus­trielle explose en Europe. Une étude publiée en juillet 2020 dans la revue Nature a révé­lé une aug­men­ta­tion de 49 % de la super­fi­cie fores­tière exploi­tée et une hausse de 69 % de la perte en bio­masse pour la période 2016–2018 par rap­port à 2011–2015, avec des pertes impor­tantes dans la pénin­sule ibé­rique, dans les pays baltes et nor­diques. Les cou­pables : « L’augmentation du taux de récolte fores­tière est le résul­tat de l’expansion récente des mar­chés du bois, comme le sug­gèrent les indi­ca­teurs éco­no­mé­triques sur la fores­te­rie, la bio­éner­gie à base de bois et le com­merce inter­na­tio­nal[32].

Pire encore, l’entreprise bri­tan­nique Drax sub­ven­tion­née annuel­le­ment à hau­teur de plus d’un mil­liard de dol­lars est en pleine crois­sance. Pre­mier consom­ma­teur au monde de gra­nu­lés de bois pour la pro­duc­tion d’énergie, Drax indi­quait dans un com­mu­ni­qué en mars qu’elle allait enta­mer les démarches pour ins­tal­ler la pre­mière usine de cap­ture du car­bone basée sur la tech­no­lo­gie BECCS (Bioe­ner­gy with Car­bon Cap­ture and Sto­rage). Les tra­vaux devraient com­men­cer en 2024. Aupa­ra­vant, en 2019, elle avait annon­cé avoir réus­si à cap­ter son CO2 pour la pre­mière fois. Suite à cela, elle a éta­bli un par­te­na­riat avec Mit­su­bi­shi Hea­vy Indus­tries pour indus­tria­li­ser le pro­cé­dé. Enfin, Drax envi­sage d’acquérir le pro­duc­teur cana­dien de gra­nu­lés de bois Pin­nacle Rene­wable Ener­gy afin de sécu­ri­ser son appro­vi­sion­ne­ment en bio­masse.[33]

Anéan­tir les forêts pour cap­tu­rer et sto­cker du CO2, il fal­lait y pen­ser.

L’immonde cen­trale de Drax au Royaume-Uni. D’après Wiki­pé­dia, c’était la plus grande cen­trale au char­bon d’Europe avant d’être recon­ver­tie en cen­trale ther­mique à bois grâce à l’argent des contri­buables.
Entre les men­songes du Forum Éco­no­mique Mon­dial et la réa­li­té, il y a un gouffre. Les coupes rases se mul­ti­plient dans les forêts cana­diennes (ici dans le com­té de Hali­fax). Même chose en France où l’exploitation indus­trielle s’ac­cé­lère.

Greta Thunberg défend le consumérisme végan

« “Votez avec votre argent” est deve­nu le slo­gan de l’environnementalisme domi­nant. À par­tir des années 1950, les êtres humains furent davan­tage qua­li­fiés de consom­ma­teurs que de citoyens. En per­sua­dant les gens que leur prin­ci­pal moyen d’action sociale et poli­tique se fait à tra­vers la consom­ma­tion, alors leurs choix de résis­tance se réduisent à ache­ter ou ne pas ache­ter. En réa­li­té, les humains dis­posent d’un éven­tail bien plus vaste de tac­tiques. »

– Julia Barnes, réa­li­sa­trice du docu­men­taire Bright Green Lies, 2021.

Docu­men­taire dis­po­nible sur Vimeo.

Main­te­nant que le décor est plan­té, reve­nons à Gre­ta Thun­berg et à ce « quelque chose » dont elle veut par­ler.

« Notre rela­tion avec la nature est bri­sée. Mais les rela­tions peuvent chan­ger. Les crises cli­ma­tiques, éco­lo­giques et sani­taires sont liées les unes aux autres. Mais nous ne voyons plus ces liens, notre vision est limi­tée. Alors, qu’allons-nous faire ? »

Après cette rapide intro­duc­tion depuis son cana­pé, Gre­ta se pré­sente, puis on l’aperçoit en exté­rieur, dans ce qui semble être un enclos. En arrière-plan, trois chèvres gam­badent joyeu­se­ment en direc­tion de la jeune sué­doise, comme pour saluer et remer­cier leur bien­fai­trice. On devine aisé­ment une per­sonne appâ­tant les ani­maux der­rière la camé­ra, même Gre­ta se laisse décon­cen­trée un ins­tant et détourne le regard de la camé­ra à la 27ème seconde. Tout ou presque dans cette vidéo a bien enten­du été scru­pu­leu­se­ment scé­na­ri­sé en amont.

Gre­ta pour­suit :

« Parce que, avouons-le, si nous ne chan­geons pas, nous sommes bai­sés. »

Tout au long de la vidéo, Gre­ta emploie­ra le « nous » pour qua­li­fier toute « l’humanité ».

La cita­tion célèbre d’Antonio Guterres, secré­taire géné­ral des Nations Unies, est éga­le­ment men­tion­née :

« Pen­dant trop long­temps, nous avons mené une guerre insen­sée et sui­ci­daire contre la nature. »

Pour­quoi « NOUS » ?!

VOUS – les Nations Unies, le Forum Éco­no­mique Mon­dial, la Banque Mon­diale, le FMI, l’Union Euro­péenne, les États, les think tanks et autres groupes de lob­bying pro-indus­trie, toute la mafia bureau­cra­tique locale, natio­nale et glo­bale, sans oublier les ultra­riches, les grandes firmes, leurs PDG et action­naires –, VOUS menez une guerre contre la nature au nom du « pro­grès » de l’humanité ! VOUS avez fait usage de la force par le pas­sé, VOUS l’usez encore, et VOUS l’userez tou­jours pour impo­ser cette culture mor­ti­fère et son mode de vie débi­li­tant presque par­tout sur Terre. VOUS êtes les uniques res­pon­sables du désastre socio-éco­lo­gique pla­né­taire. Ajou­tons en prime qu’Amina J. Moham­med, vice-pré­si­dente géné­rale de l’ONU, a été accu­sée en 2017 par l’ONG Envi­ron­men­tal Inves­ti­ga­tion Agen­cy d’avoir col­la­bo­ré acti­ve­ment à l’une des plus grandes opé­ra­tions de blan­chi­ment de bois cou­pé illé­ga­le­ment de l’histoire lorsqu’elle était ministre de l’environnement du Nigé­ria[34]. La mafia chi­noise du bois de rose aurait ver­sé plus d’un mil­lion de dol­lars de pots-de-vin à des hauts res­pon­sables et offi­ciels du gou­ver­ne­ment nigé­rian pour auto­ri­ser l’entrée en Chine de plus de 10 000 contai­ners de bois dit « kos­so » d’une valeur totale esti­mée à au moins 300 mil­lions de dol­lars. L’affaire a semble-t-il rapi­de­ment été étouf­fée. Aujourd’hui, cette dame est tou­jours en poste et pré­side, tenez-vous bien, le « Groupe des Nations Unies pour le déve­lop­pe­ment durable[35] ».

Cette tech­nique dis­cur­sive façonne l’inconscient col­lec­tif de la masse et sug­gère insi­dieu­se­ment que « nous » serions tous dans le même bateau, avec une res­pon­sa­bi­li­té par­ta­gée équi­ta­ble­ment entre tous les humains. Si les effets de telles pra­tiques paraissent indis­cer­nables au pre­mier abord, ils n’en sont pas moins dévas­ta­teurs. Les innom­brables cultures rurales tra­di­tion­nelles et les peuples autoch­tones de par le monde sont ren­dus invi­sibles par ce dis­cours essen­tia­liste. Les inéga­li­tés béantes inhé­rentes au capi­ta­lisme et, dans une plus grande mesure, à toute civi­li­sa­tion[36], dis­pa­raissent elles-aus­si. Insul­tant la plu­part des habi­tants du Sud glo­bal qui ne portent aucune res­pon­sa­bi­li­té dans ce meurtre pré­mé­di­té de la pla­nète, ces pro­pos sont symp­to­ma­tiques de la vio­lence quo­ti­dienne de la culture domi­nante. Voi­là com­ment, grâce à la mani­pu­la­tion des méca­nismes psy­cho­lo­giques du cer­veau humain (ou mar­ke­ting), à la puis­sance tech­no­lo­gique offerte par Inter­net et les réseaux sociaux, l’on fabrique de toutes pièces une iden­ti­té et une culture uniques pour l’humanité tout entière. L’emploi du nous a un effet ras­sem­bleur sur le bétail humain, chose essen­tielle pour gui­der le trou­peau et « enga­ger » les pros­pects dans la voie du pro­grès, pour réem­ployer un angli­cisme à la mode chez les tech­no-ahu­ris de la star­tup nation. Nous serions tous res­pon­sables du désastre glo­bal mais, fort heu­reu­se­ment, nous pou­vons faire des choix dif­fé­rents. Nous pou­vons chan­ger notre façon de consom­mer ! Diantre, mais pour­quoi n’y avons-nous pas pen­sé plus tôt !? Outre le peu de consi­dé­ra­tion pour la vie humaine réduite à l’achat – ou non – d’une mar­chan­dise ou d’une expé­rience sur un mar­ché, ce dis­cours laisse croire aux gens qu’ils ont le choix, donc qu’ils sont libres. Et dans le même temps, il limite dras­ti­que­ment leurs moyens d’action en fixant le cadre, en limi­tant l’individu à son sta­tut de consom­ma­teur. C’est une insulte à la digni­té humaine. Êtes-vous un consom­ma­teur décé­ré­bré, un por­te­feuille sur pattes, un dis­tri­bu­teur de billets ambu­lant ? Ou êtes-vous un être humain ?

Comme sou­vent dans les pres­ta­tions théâ­trales de Gre­ta Thun­berg, la peur est lar­ge­ment ins­tru­men­ta­li­sée. Dans cette vidéo, on dis­cerne une insis­tance par­ti­cu­lière sur les mala­dies infec­tieuses pour capi­ta­li­ser sur la para­noïa géné­rale. La stra­té­gie du choc théo­ri­sée par l’économiste ultra­li­bé­ral Mil­ton Fried­man est appli­quée avec assi­dui­té par le monde des affaires[37]. Rap­pe­lons ici que Klaus Schwab, fon­da­teur et pré­sident du Forum Éco­no­mique Mon­dial, a décla­ré que la pan­dé­mie repré­sen­tait une « fenêtre d’opportunité rare mais étroite pour repen­ser, réin­ven­ter et réini­tia­li­ser notre monde[38]. »

Covid-19, Zika, Ebo­la, fièvre du Nil occi­den­tal, SRAS, MERS, Sida, Gre­ta Thun­berg ratisse large dans l’éventail des agents patho­gènes. S’il est vrai que la plu­part des nou­velles mala­dies infec­tieuses pro­viennent d’animaux sau­vages, les asso­cier toutes à l’élevage dans une vidéo pro­mou­vant l’abandon de la viande s’avère fal­la­cieux, pour ne pas dire mal­hon­nête. Dans le cas du Covid-19, cer­tains scien­ti­fiques pré­tendent que rien ne per­met d’écarter défi­ni­ti­ve­ment la thèse d’une fuite de labo­ra­toire, comme l’écrivait déjà fin 2020 le jour­nal du CNRS[39]. En mars 2021, un repor­tage de l’émission Envoyé Spé­cial en rajou­tait une couche[40]. Et d’après un article daté du 27 mai 2021 paru dans le jour­nal bri­tan­nique The Guar­dian, Face­book a récem­ment sus­pen­du sa poli­tique de modé­ra­tion qui consis­tait à ban­nir les uti­li­sa­teurs sou­te­nant que le virus était le pro­duit du génie humain, intro­dui­sant cette déci­sion de la manière sui­vante :

« À la lumière des enquêtes en cours sur l’o­ri­gine du Covid-19 et en consul­ta­tion avec des experts en san­té publique, nous ne sup­pri­me­rons plus de nos appli­ca­tions l’al­lé­ga­tion selon laquelle le Covid-19 a été fabri­qué par l’homme[41] ».

Face­book pré­ten­dait donc défendre la véri­té sans connaître la véri­té. Le tech­no-fas­cisme, nous y sommes déjà.

Gre­ta cite éga­le­ment le VIH dans la vidéo. Sauf que le virus n’a stric­te­ment rien à voir avec l’élevage. Wiki­pé­dia détaille son ori­gine :

« L’o­ri­gine du virus de l’im­mu­no­dé­fi­cience humaine (VIH) est simienne. Il existe une diver­si­té de VIH qui ont été trans­mis à l’homme par dif­fé­rents types de singe. Depuis le début de la pan­dé­mie, 99% des infec­tions au VIH sont une infec­tion au VIH‑1 de type M. Le type M a été trans­mis à l’homme par un chim­pan­zé du sud du Came­roun (Pan tro­glo­dytes tro­glo­dytes), pro­ba­ble­ment entre 1915 et 1941. Cela a pu se pro­duire à la suite d’une mor­sure par un chim­pan­zé infec­té, ou par une écor­chure à l’oc­ca­sion du dépe­çage. Le “patient zéro” du VIH‑1 type M à par­tir duquel la pan­dé­mie de VIH s’est déclen­chée est un Came­rou­nais ou un colon. Ce patient zéro a dis­sé­mi­né le virus dans un autre pays, le Congo belge, actuelle Répu­blique démo­cra­tique du Congo. Dans les années 1940 à 1960, la capi­tale du Congo belge, Léo­pold­ville (l’ac­tuelle Kin­sha­sa) a été l’épicentre de la pan­dé­mie de VIH.

Clas­si­que­ment, l’o­ri­gine de la pan­dé­mie de VIH est expli­quée par le déve­lop­pe­ment de l’ur­ba­ni­sa­tion, la pau­pé­ri­sa­tion, la pros­ti­tu­tion, les dépla­ce­ments de popu­la­tions, les chan­ge­ments de com­por­te­ment sexuel et l’ap­pa­ri­tion des drogues injec­tables. D’a­près Jacques Pépin, selon toute vrai­sem­blance, le VIH s’est sur­tout pro­pa­gé dans des dis­pen­saires ou centres de san­té. En Afrique, une seringue passe d’un malade à l’autre, tout en conser­vant par­fois des petites quan­ti­tés de sang conta­gieux, les­quelles quan­ti­tés sont suf­fi­santes pour trans­mettre le virus. Le VIH a pu être trans­mis à des patients de tout âge, à la suite d’in­jec­tions intra­vei­neuses lut­tant contre la syphi­lis, le pian, la mala­die du som­meil, la lèpre, la tuber­cu­lose ou encore le palu­disme[42]. »

L’émergence et la pro­pa­ga­tion du VIH ont pour ori­gine les pul­sions expan­sion­nistes de la civi­li­sa­tion indus­trielle euro­péenne. Il s’en est sui­vi la colo­ni­sa­tion de l’Afrique par les Euro­péens, la fameuse « mis­sion civi­li­sa­trice » défen­due avec verve par tous les puis­sants de l’époque, y com­pris des intel­lec­tuels de gauche dont Vic­tor Hugo[43].

Le pro­grès tue.

Concer­nant Ébo­la, selon l’OMS, l’origine du virus reste incon­nue et n’a vrai­sem­bla­ble­ment aucun lien avec l’élevage :

« Elle est appa­rue pour la pre­mière fois en 1976, lors de deux flam­bées simul­ta­nées, l’une à Yam­bu­ku, un vil­lage près de la rivière Ebo­la en Répu­blique démo­cra­tique du Congo, et l’autre dans une zone iso­lée du Sou­dan.

On ignore l’origine du virus mais les don­nées dis­po­nibles actuel­le­ment semblent dési­gner cer­taines chauves-sou­ris fru­gi­vores (Pté­ro­po­di­dés) comme des hôtes pos­sibles.

L’être humain s’infecte par contact soit avec des ani­maux infec­tés [ou viande de brousse, Ndr] (en géné­ral en les dépe­çant, en les cui­sant ou en les man­geant), soit avec des liquides bio­lo­giques de per­sonnes infec­tées. La plu­part des cas sur­viennent à la suite de la trans­mis­sion inter­hu­maine qui se pro­duit lorsque du sang, des liquides bio­lo­giques ou des sécré­tions (selles, urine, salive, sperme) de sujets infec­tés pénètrent dans l’organisme d’une per­sonne saine par l’intermédiaire d’une lésion cuta­née ou des muqueuses[44]. »

D’après des tra­vaux de recherche cités dans un article du média Mon­ga­bay, il y aurait un lien entre le déve­lop­pe­ment durable de la mono­cul­ture indus­trielle d’huile de palme et l’émergence d’Ébola en Afrique de l’ouest[45]. La Soc­fin, socié­té luxem­bour­geoise déte­nue à près de 39 % par le groupe Bol­lo­ré, est un acteur majeur de la culture indus­trielle de pal­miers à huile et d’hévéas, acca­pa­rant des terres aux com­mu­nau­tés locales en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud-Est[46]. La famille du Belge Hubert Fab­bri est l’autre action­naire majo­ri­taire de la Soc­fin qui exploite, sous forme de conces­sions, près de 130 000 hec­tares au Libe­ria, 73 000 hec­tares au Came­roun, ou encore 48 000 hec­tares en Indo­né­sie. Vous serez heu­reux d’apprendre que la Soc­fin a ver­sé près de 30 mil­lions d’euros à ses pour­ri­tures d’actionnaires en 2018[47].

Au sujet du virus Nipah, qui n’est pas cité par Gre­ta dans la vidéo, l’article de Mon­ga­bay pré­cise que « les cher­cheurs ont aus­si remar­qué qu’au Ban­gla­desh, les chauves-sou­ris fru­gi­vores trans­mettent le virus Nipah aux humains en uri­nant sur les fruits des pal­miers à huile[48] ».

Encore une fois, rien à voir avec l’élevage.

Si Gre­ta Thun­berg se garde bien de tom­ber dans le piège qui serait d’associer expli­ci­te­ment l’élevage à Ébo­la ou au VIH, citer l’ensemble de ces patho­gènes dans une vidéo ponc­tuée d’images d’immenses éle­vages indus­triels, d’abattoirs indus­triels, de défo­res­ta­tion mas­sive, de mono­cul­tures indus­trielles et d’incendies de forêts, sème assu­ré­ment la confu­sion dans l’esprit du public. Après avoir pré­pa­ré le spec­ta­teur en le bom­bar­dant de menaces poten­tiel­le­ment létales, d’images mon­trant la souf­france et le chaos struc­tu­rels à cette civi­li­sa­tion, il ne peut que se sen­tir impuis­sant face à la magni­tude de la catas­trophe, face à l’ampleur de la tâche. Son esprit est sub­mer­gé par les émo­tions. Objec­tif atteint, il suf­fit alors de sor­tir la « solu­tion » du cha­peau – le régime végé­ta­lien –, et le tour est joué. Gre­ta ne par­ti­cipe peut-être pas à la dif­fu­sion de fake news, mais elle contri­bue bel et bien à l’abrutissement des masses et, en défi­ni­tive, à ren­for­cer l’idiocratie déjà bien en place.

Plus loin, Gre­ta Thun­berg pour­suit :

« À cause de la façon dont nous culti­vons et dont nous trai­tons la nature, en défo­res­tant et en détrui­sant les habi­tats, nous créons les condi­tions par­faites pour que les mala­dies se trans­mettent d’un ani­mal à un autre et à nous. »

Il s’agit d’une méca­nique com­mune à toute civi­li­sa­tion, appa­rue avec la civi­li­sa­tion il y a envi­ron 10 000 ans, une seule culture humaine (par­mi des mil­liers d’autres) carac­té­ri­sée par la pro­li­fé­ra­tion et la crois­sance de centres urbains, ain­si que par la mono­cul­ture inten­sive de céréales. Rien à voir donc avec une sorte de loi qui s’appliquerait à l’humanité entière, l’espèce humaine étant âgée elle d’au moins 300 000 ans.

Dans un article du Time, Kyle Har­per, pro­fes­seur d’histoire à l’Université de l’Oklahoma, évoque l’origine de la rou­geole :

« […] l’histoire cachée des mala­dies humaines est gra­duel­le­ment mise au jour par des preuves géné­tiques. L’arbre généa­lo­gique du virus de la rou­geole, par exemple, est élo­quent : il révèle que la rou­geole actuelle est issue d’une mala­die des ron­geurs qui s’est pro­pa­gée au bétail, puis à l’homme. Des méthodes mathé­ma­tiques sophis­ti­quées per­mettent d’estimer l’échelle de temps de ces rela­tions évo­lu­tives. Dans le cas de la rou­geole, une nou­velle étude (à laquelle j’ai contri­bué) sug­gère que la rou­geole a diver­gé de la peste bovine, un virus bovin aujourd’hui dis­pa­ru qui est son plus proche parent, à la fin du pre­mier mil­lé­naire avant Jésus-Christ. Cette esti­ma­tion cor­res­pond presque exac­te­ment au moment de l’histoire de l’humanité où les plus grandes villes ont dépas­sé “l’effectif cri­tique de popu­la­tion” néces­saire à la pro­li­fé­ra­tion du virus de la rou­geole.

Ce que cette concor­dance sug­gère — de manière assez trou­blante — c’est que l’un des virus res­pi­ra­toires les plus dan­ge­reux et les plus dis­tinc­te­ment humains est appa­ru avec l’essor de la civi­li­sa­tion elle-même[49]. »

Dans son excellent ouvrage Homo Domes­ti­cus, l’anthropologue James C. Scott détaille les liens entre le pro­grès de la civi­li­sa­tion et l’émergence à répé­ti­tion de nou­veaux patho­gènes :

« On ne sur­es­ti­me­ra jamais assez l’importance de la séden­ta­ri­té et de la concen­tra­tion démo­gra­phique qu’elle a entraî­née. Cela signi­fie que presque toutes les mala­dies infec­tieuses dues à des micro-orga­nismes spé­ci­fi­que­ment adap­tés à Homo sapiens ne sont appa­rues qu’au cours des der­niers dix mil­lé­naires et nombre d’entre elles depuis seule­ment cinq mille ans. Elles consti­tuent donc un “effet civi­li­sa­tion­nel”, au sens fort du terme. Ces mala­dies his­to­ri­que­ment inédites – cho­lé­ra, variole, oreillons, rou­geole, grippe, vari­celle et peut-être aus­si palu­disme – n’ont émer­gé qu’avec les débuts de l’urbanisation et, comme nous allons le voir, de l’agriculture. […] »

Il ajoute aus­si que les popu­la­tions humaines non-civi­li­sées, non-urbaines, non-domes­ti­quées par l’État, connais­saient pro­ba­ble­ment très bien les pro­ces­sus éco­lo­giques et les consé­quences sani­taires pou­vant résul­ter d’une grande concen­tra­tion d’humains et d’animaux patau­geant en per­ma­nence dans leurs excré­ments :

« Avant que les humains ne com­mencent à voya­ger loin et en nombre, ce sont peut-être les oiseaux migra­teurs nichant ensemble qui, parce qu’ils com­bi­naient forte den­si­té démo­gra­phique et longues tra­ver­sées, consti­tuaient le prin­ci­pal vec­teur de pro­pa­ga­tion à dis­tance des mala­dies. L’association entre concen­tra­tion démo­gra­phique et pro­pen­sion aux infec­tions était connue bien avant que l’on ne découvre les vec­teurs effec­tifs de la trans­mis­sion des mala­dies. Chas­seurs et cueilleurs en savaient suf­fi­sam­ment pour se tenir à l’écart des grandes concen­tra­tions humaines et la dis­per­sion fut long­temps per­çue comme un moyen d’éviter de contrac­ter une mala­die épi­dé­mique. […] »

Chez cer­tains peuples autoch­tones, par exemple aux Phi­lip­pines dans la Cor­dillère, une région mon­ta­gneuse située dans le nord du pays, des pra­tiques tra­di­tion­nelles visant à iso­ler la com­mu­nau­té en cas de dan­ger (catas­trophe, épi­dé­mie, etc.), durant une période limi­tée, existent depuis des temps immé­mo­riaux[50].

D’après le site Our World in Data, la popu­la­tion urbaine mon­diale a seule­ment dépas­sé la popu­la­tion rurale en 2007 et, jusqu’au XIXe siècle, époque mar­quée par la pre­mière révo­lu­tion indus­trielle, les urbains repré­sen­taient une part anec­do­tique de la popu­la­tion mon­diale[51]. L’industrialisation dopée par les car­bu­rants fos­siles n’a pas seule­ment accé­lé­ré comme jamais l’extraction de maté­riaux et de bio­masse, ain­si que la crois­sance des villes, elle a ren­du ces objec­tifs attei­gnables sur le plan socio­tech­nique. Selon toute logique, les grands ensembles urbains modernes sont nés de la dévas­ta­tion éco­lo­gique et cli­ma­tique, et ne peuvent être main­te­nus qu’en per­pé­tuant indé­fi­ni­ment cette dévas­ta­tion. On voit d’ailleurs assez mal com­ment main­te­nir en état de marche un envi­ron­ne­ment ayant atteint un tel niveau d’artificialisation sans recou­rir à davan­tage de tech­no­lo­gies et de crois­sance éco­no­mique, c’est un cercle vicieux sans fin.

Évo­lu­tion de la popu­la­tion mon­diale urbaine (en rouge) et rurale (en bleu) au cours des 500 der­nières années (Source : Our World in Data).

Libérer la terre ou optimiser sa destruction ?

« La meilleure chose que vous puis­siez faire pour l’Amazonie, c’est de bom­bar­der toutes les routes. »

– Eneas Sala­ti, scien­ti­fique bré­si­lien.

Plus loin dans la vidéo, la jeune acti­viste sué­doise pour­suit son argu­men­ta­tion :

« Nous avons indus­tria­li­sé la vie sur Terre. Si nous conti­nuons à pro­duire de la nour­ri­ture de cette manière. Nous allons aus­si détruire l’habitat de la plu­part des plantes et des ani­maux sau­vages, condui­sant d’innombrables espèces vers l’extinction. Ça craint vrai­ment pour nous aus­si. Ces sys­tèmes garan­tissent notre sur­vie. Si nous les per­dons, nous serons per­dus aus­si. »

Les apôtres du véga­nisme ont vite com­pris qu’instrumentaliser la bio­di­ver­si­té pour convaincre les masses por­tait ses fruits. Ils serinent à lon­gueur de jour­nées que l’abandon de la viande contri­bue­rait gran­de­ment à stop­per la défo­res­ta­tion, par­ti­cu­liè­re­ment en Ama­zo­nie. Or il n’y a rien de plus faux. Un consom­ma­teur euro­péen n’a pra­ti­que­ment aucun pou­voir sur un pro­prié­taire ter­rien bré­si­lien habi­tant à des mil­liers de kilo­mètres de là, de l’autre côté de l’océan Atlan­tique. Encore moins sur l’État bré­si­lien et son sec­teur pri­vé. Mais essayons tout de même d’imaginer ce monde féé­rique vou­lu par Gre­ta Thun­berg, Milo Runkle, le Forum Éco­no­mique Mon­dial et les Nations Unies, un Meilleur des mondes où le tech­no­vé­ga­nisme régne­rait en maître. Inutile d’avoir un doc­to­rat en agro­no­mie pour com­prendre qu’à l’élevage exten­sif, déjà peu ren­table à l’hectare, ou à la culture de soja, suc­cè­de­rait un autre type de culture ou, dans tous les cas, une autre forme d’exploitation indus­trielle de la terre. Le Bré­sil exploite par exemple des plan­ta­tions indus­trielles de canne à sucre pour fabri­quer de l’éthanol, d’eucalyptus pour four­nir son indus­trie sidé­rur­gique en char­bon de bois, et accé­lère sa pro­duc­tion d’huile de palme pour concur­ren­cer l’Asie du Sud-Est. Pré­ci­sons éga­le­ment que la défo­res­ta­tion en Europe, en Amé­rique du Nord, en Afrique et en Asie du Sud-Est n’a pas grand-chose à voir avec l’élevage. Nous ne revien­drons pas en détails là-des­sus. Pour en savoir plus à ce sujet, lire l’article « Le végé­ta­risme ne sau­ve­ra pas l’Amazonie de la défo­res­ta­tion[52] ». Et d’après un article paru dans le maga­zine Yale Envi­ron­ment 360 écrit par le scien­ti­fique aus­tra­lien William Lau­rance, spé­cia­liste des forêts tro­pi­cales, c’est la construc­tion de routes en forêt qui accroît de manière expo­nen­tielle l’extraction de res­sources fores­tières et du sous-sol – viande, bois, mine­rais, gaz, pétrole, etc[53].

Gre­ta Thun­berg col­porte ce mythe gro­tesque selon lequel vie sau­vage et civi­li­sa­tion auraient une des­ti­née com­mune. Un autre men­songe, bien évi­dem­ment. Selon l’écologue Carl Safi­na, titu­laire d’une chaire à la Sto­ny Brook Uni­ver­si­ty de New York et auteur de plu­sieurs ouvrages, les espèces sau­vages sont, pour la civi­li­sa­tion et le main­tien de la vie moderne, maté­riel­le­ment inutiles :

« Il n’y a pas une seule espèce dont la dis­pa­ri­tion ait cau­sé beau­coup de désa­gré­ments à la civi­li­sa­tion, pas une seule espèce sau­vage qui soit indis­pen­sable, moins encore dont l’éradication serait remar­quée, sauf par une poi­gnée de conser­va­tion­nistes ou de scien­ti­fiques irré­duc­tibles. L’inutilité de la vie sau­vage pour la socié­té civile est la rai­son pour laquelle les espèces mena­cées n’apparaissent jamais dans les son­dages par­mi les grandes prio­ri­tés du public. Je ne peux pas nom­mer une seule espèce sau­vage dont la dis­pa­ri­tion totale serait maté­riel­le­ment res­sen­tie par qui que ce soit (vous pou­vez faci­le­ment fonc­tion­ner sans avoir accès aux élé­phants, mais si vous per­dez votre télé­phone pen­dant une jour­née entière, c’est le chaos). Mais je peux sans effort énu­mé­rer diverses espèces, des tigres aux mous­tiques, dont l’anéantissement a été assi­dû­ment pour­sui­vi. L’annihilation est facile pour Homo sapiens. Ce qui nous inté­resse peu, c’est la coexis­tence.

[…]

Les ser­vices natu­rels dont les humains ont réel­le­ment besoin pour conser­ver la vie moderne pro­viennent des micro-orga­nismes décom­po­seurs, de quelques insectes pol­li­ni­sa­teurs, du planc­ton réa­li­sant la pho­to­syn­thèse dans les océans et de choses non vivantes comme l’eau et l’atmosphère. À terme, nous pour­rions bien sim­pli­fier le monde pour le limi­ter à l’essentiel, et il pour­ra sup­por­ter des mil­liards de per­sonnes sup­plé­men­taires. En effet, c’est la seule manière d’y par­ve­nir[54]. »

D’autres scien­ti­fiques abondent en ce sens[55]. L’idée selon laquelle la civi­li­sa­tion indus­trielle repo­se­rait sur des « ser­vices éco­sys­té­miques » est une fable, comme l’explique lon­gue­ment le scien­ti­fique R. David Simp­son qui a étu­dié les liens entre éco­no­mie et éco­sys­tèmes durant plus de 25 ans[56]. Selon lui, cette fièvre sou­daine pour les « ser­vices » de la nature pour­rait au contraire accé­lé­rer la colo­ni­sa­tion de la terre nour­ri­cière par le béton, le métal et le bitume. Et à la limite, qui a réel­le­ment besoin d’un doc­to­rat en bio­lo­gie pour réa­li­ser qu’une ville, dépen­dante d’un appro­vi­sion­ne­ment en eau et en nour­ri­ture tota­le­ment arti­fi­cia­li­sé repo­sant sur de gigan­tesques infra­struc­tures et des machines (trai­te­ment, pom­page, trans­port, routes, etc.), ne repose en rien sur la bonne san­té des éco­sys­tèmes alen­tours ? Ajou­tons qu’en Europe, pro­ba­ble­ment l’une des régions les plus urba­ni­sées et frag­men­tées par les infra­struc­tures de trans­port dans le monde[57], les éco­sys­tèmes sont dans un état cala­mi­teux. La civi­li­sa­tion, de son côté, se porte à mer­veille.

Si l’industrialisation de la vie sur Terre a cau­sé tant de dégâts, la logique vou­drait qu’on déman­tèle le sys­tème indus­triel. Pas seule­ment pour la pro­duc­tion de nour­ri­ture, mais pour tout le reste, l’écrasante majo­ri­té des pro­duits et objets dis­po­nibles sur les mar­chés n’étant aucu­ne­ment indis­pen­sable pour mener une vie digne de ce nom. Mais, chose éton­nante, la solu­tion avan­cée est tout autre. Les puis­sants capi­ta­lisent sur les crises sani­taire, cli­ma­tique et éco­lo­gique pour uni­for­mi­ser le régime ali­men­taire de leur chep­tel humain, et passent par l’intermédiaire de l’innocente Gre­ta pour dif­fu­ser leurs men­songes :

« Si nous nous tour­nons vers une ali­men­ta­tion végé­tale, nous pour­rions éco­no­mi­ser 8 mil­liards de tonnes de CO2 chaque année. Nous pour­rions nous nour­rir en uti­li­sant beau­coup moins de terres [76 % d’après une étude citée, NdT], et la nature pour­rait se régé­né­rer. »

Il est inté­res­sant de noter que Gre­ta n’utilise à aucun moment les termes « régime végé­ta­rien » ou « régime végé­ta­lien ». Aucune réfé­rence non plus au véga­nisme ni à l’antispécisme. Elle leur pré­fère l’expression plant-based diet, plus neutre, moins cli­vante. Mais une ali­men­ta­tion uni­que­ment à base de plantes, c’est un régime végé­ta­lien.

Plus loin, Gre­ta Thun­berg fait la liste des fléaux pla­né­taires et se réap­pro­prient le lan­gage des éco­lo­gistes radi­caux pour indi­quer à l’audience qu’un chan­ge­ment de sys­tème serait pos­sible en sui­vant ses conseils :

« Pan­dé­mies, déclin de la bio­di­ver­si­té, per­tur­ba­tion cli­ma­tique, aci­di­fi­ca­tion des océans, inéga­li­tés, perte de sol fer­tile. Ce sont juste des symp­tômes. Ils ne font que sym­bo­li­ser la manière dont nous trai­tons la nature et la valeur que nous lui attri­buons. Notre sys­tème doit chan­ger. Mais nous pou­vons remé­dier à ce pro­blème, parce que nous fai­sons par­tie de la nature. Quand nous pro­té­geons la nature, nous sommes la nature veillant à sa propre pro­tec­tion. »

En véri­té, il n’y aucun chan­ge­ment de sys­tème en vue. Il n’est ni ques­tion d’un déman­tè­le­ment des firmes de la pétro­chi­mie, ni de la grande dis­tri­bu­tion, ni des géants agro-indus­triels, encore moins de la socié­té tech­no-indus­trielle capi­ta­liste pros­pé­rant sur un extrac­ti­visme et des pol­lu­tions démen­tiels. Les esclaves-sala­riés-consom­ma­teurs sont sim­ple­ment culpa­bi­li­sés puis som­més de chan­ger leur régime ali­men­taire. D’autre part, les slo­gans du type « On ne se bat pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend » étaient à l’origine uti­li­sés par une frange plu­tôt anti­sys­tème de l’écologisme, notam­ment par les zadistes de NDDL[58].

Autre élé­ment notable, le pas­sage sur la « valeur » attri­buée à la nature. Ce qu’il y a de drôle avec les inter­ven­tions de Gre­ta Thun­berg, c’est que la plu­part des pré­ten­dues « solu­tions » sor­tant de sa bouche existent déjà ou, du moins, leur cadre régle­men­taire est en cours de déve­lop­pe­ment. Mais nous avons le choix, nous dit-on, parce que nous aurions l’immense pri­vi­lège de vivre en démo­cra­tie ! Qui peut encore croire à cette fumis­te­rie ?

La Com­mis­sion Euro­péenne publiait par exemple le 11 mars 2021 un article titrant « Bio­di­ver­si­té : un chan­ge­ment révo­lu­tion­naire dans les rap­ports éco­no­miques pour tenir compte de la contri­bu­tion de la nature à l’économie ».

Frans Tim­mer­mans, vice-pré­sident exé­cu­tif de la com­mis­sion :

« Pour faire face aux crises du cli­mat et de la bio­di­ver­si­té, nous devons trans­for­mer notre modèle éco­no­mique. Ce nou­veau cadre sta­tis­tique va au-delà du PIB et prend mieux en compte la bio­di­ver­si­té et les éco­sys­tèmes dans la pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique natio­nale. Il s’agit d’une évo­lu­tion majeure dans le chan­ge­ment de notre façon de conce­voir la pros­pé­ri­té et le bien-être. »

Vir­gi­ni­jus Sin­ke­vičius, com­mis­saire dédié à l’environnement, aux océans et à la pêche :

« Alors que la nature apporte une contri­bu­tion sub­stan­tielle à notre éco­no­mie, elle est lar­ge­ment invi­sible dans nos sta­tis­tiques éco­no­miques. Nous devons trans­for­mer notre façon de voir et de valo­ri­ser la nature et faire en sorte que sa contri­bu­tion à notre vie fasse par­tie de l’équation éco­no­mique. Pour cela, nous avons besoin de méthodes solides pour suivre les inves­tis­se­ments, les impacts et les dépen­dances vis-à-vis de la nature. Le nou­veau cadre consti­tue un pas impor­tant dans cette direc­tion, car il pour­rait réorien­ter fon­da­men­ta­le­ment la pla­ni­fi­ca­tion éco­no­mique et poli­tique vers le déve­lop­pe­ment durable[59]. »

Autre indi­ca­teur de cette ten­dance à la finan­cia­ri­sa­tion de la nature, l’organisation à but non lucra­tif CFA Ins­ti­tute publiait quant à elle sur son blog une nou­velle réjouis­sante :

« Le capi­tal natu­rel est la pro­chaine dis­rup­tion du mar­ché dont vous n’avez pas encore enten­du par­ler. Mais ça va venir[60]. »

Cet ins­ti­tut délivre les diplômes CFA et CIPM. Le pre­mier est une accré­di­ta­tion « mesu­rant et cer­ti­fiant les com­pé­tences et l’intégrité des ana­lystes finan­ciers » d’après le site Inves­to­pe­dia ; le second a pour rôle de « for­mer les pro­fes­sion­nels à cal­cu­ler et à com­mu­ni­quer avec pré­ci­sion les chiffres rela­tifs à la per­for­mance des inves­tis­se­ments[61]. »

Les ten­dances à suivre : mar­ché des PES (Paie­ments pour les ser­vices éco­sys­té­miques) ; mar­ché de la com­pen­sa­tion éco­lo­gique (une entre­prise peut détruire un éco­sys­tème, par exemple une zone humide, à condi­tion de « com­pen­ser » ailleurs, peut-être en construi­sant une pis­cine olym­pique, allez savoir) ; mar­ché des green bonds ou obli­ga­tions vertes ; inté­gra­tion de la bio­sphère dans la comp­ta­bi­li­té des entre­prises ; par­te­na­riats publics-pri­vés ; etc.

La dif­fu­sion de cette vidéo de Gre­ta Thun­berg sur­vient quelques mois après la publi­ca­tion d’un docu­ment recom­man­dant une méta­mor­phose du sys­tème ali­men­taire mon­dial. Publié en février 2021 par Cha­tham House, « l’un des think tanks les plus influents du monde » d’après le jour­nal Les Echos[62], le rap­port indique que « la conver­gence de la consom­ma­tion ali­men­taire mon­diale vers des régimes à base de plantes est l’élé­ment le plus cru­cial » de cette réforme du sys­tème agro-indus­triel. Les Nations Unies « sou­tiennent » les conclu­sions du rap­port d’après le quo­ti­dien bri­tan­nique The Guar­dian[63].

Le Forum Éco­no­mique Mon­dial reprend quant à lui dans un article les conclu­sions du rap­port en ajou­tant ceci :

« Par exemple, si le régime ali­men­taire de la popu­la­tion mon­diale était rem­pla­cé par des ali­ments d’o­ri­gine végé­tale, 75 % des terres culti­vées dans le monde pour­raient être uti­li­sées à d’autres fins. »

Ce refrain revient régu­liè­re­ment. L’abandon de l’élevage et la pro­duc­tion indus­trielle de sub­sti­tuts végé­taux ultra-trans­for­més à des­ti­na­tion des cla­piers urbains va libé­rer de l’espace, mais les docu­ments res­tent assez éva­sifs sur ces « autres fins ».

Plus loin :

« La demande d’a­li­ments d’o­ri­gine végé­tale pour­rait connaître une crois­sance annuelle de près de 12 %, et le mar­ché pour­rait peser 74 mil­liards de dol­lars d’i­ci 2027 selon les pré­vi­sions de Meti­cu­lous Research. Si la demande d’a­li­ments d’o­ri­gine végé­tale aug­mente sur la plu­part des mar­chés mon­diaux, l’A­sie-Paci­fique devrait dépas­ser les autres mar­chés régio­naux.

L’é­vo­lu­tion des aspi­ra­tions des consom­ma­teurs et l’ap­pé­tit crois­sant des inves­tis­seurs pour les pro­duits à base de plantes sont par­mi les moteurs de la crois­sance du mar­ché mon­dial des pro­duits à base de plantes, selon l’é­tude. Il reste à voir jus­qu’où, à quelle vitesse et dans quelle mesure la demande d’a­li­ments d’o­ri­gine végé­tale aug­men­te­ra dans les années à venir, mais l’a­ve­nir d’une mul­ti­tude d’es­pèces dépend de la rapi­di­té de cette évo­lu­tion[64]. »

En effet, il se pro­duit déjà une « révo­lu­tion végane » en Chine, tou­jours selon le jour­nal bri­tan­nique The Guar­dian[65]. Le gou­ver­ne­ment chi­nois a adop­té un plan en 2016 pré­voyant de réduire la consom­ma­tion de viande de 50 %, offi­ciel­le­ment pour réduire ses émis­sions de CO2, mais pro­ba­ble­ment davan­tage pour deve­nir, grâce à son immense mar­ché inté­rieur, un acteur majeur de l’industrie des sub­sti­tuts à base de plantes sur la scène inter­na­tio­nale.

D’après le Mou­ve­ment Mon­dial pour les Forêts Tro­pi­cales, une « ini­tia­tive inter­na­tio­nale qui vise à contri­buer aux luttes, aux réflexions et aux actions poli­tiques des peuples autoch­tones, des pay­sans et des com­mu­nau­tés du Sud qui dépendent des forêts », les « solu­tions fon­dées sur la nature » servent à faire diver­sion :

« Les solu­tions fon­dées sur la nature prô­nées par les entre­prises regroupent une grande par­tie de ce contre quoi les com­mu­nau­tés [rurales] luttent depuis des décen­nies : plan­ta­tions indus­trielles d’arbres, aires pro­té­gées, pro­jets REDD, cré­dits car­bone et com­pen­sa­tions de la bio­di­ver­si­té, plan­ta­tions des­ti­nées aux bio­car­bu­rants, etc. Ces “solu­tions” ont éga­le­ment en com­mun le fait de per­mettre la pour­suite d’un autre ensemble d’activités qui se sont aus­si heur­tées à des résis­tances dans les ter­ri­toires : mines, extrac­tion de pétrole et de gaz, infra­struc­tures à grande échelle, agro-indus­tries, etc.

L’idée que la “nature” est une “solu­tion” pousse encore plus loin ces des­truc­tions et spo­lia­tions. Presque tous les mois, un nou­veau grand pol­lueur annonce son inten­tion de rendre ses acti­vi­tés “neutres en car­bone”, prin­ci­pa­le­ment en inves­tis­sant dans les solu­tions dites “fon­dées sur la nature[66]”. »

Du green­wa­shing sous sté­roïdes, voi­là ce que sont en réa­li­té la neu­tra­li­té car­bone, les solu­tions fon­dées sur la nature et le chan­ge­ment du sys­tème ali­men­taire.

Le think tank Cha­tham House parle d’un besoin impé­rieux « de pro­té­ger davan­tage de terres et les mettre en réserve pour la nature », et pré­co­nise que « l’in­ves­tis­se­ment res­pon­sable, le chan­ge­ment de régime ali­men­taire et les solu­tions d’at­té­nua­tion du chan­ge­ment cli­ma­tique fon­dées sur la nature seront néces­saires pour gui­der les plans d’ac­tion au niveau natio­nal qui peuvent col­lec­ti­ve­ment appor­ter un chan­ge­ment trans­for­ma­teur au sys­tème ali­men­taire mon­dial[67]. »

Le réseau mon­dial d’aires pro­té­gées (AP) couvre déjà envi­ron 15 % de la sur­face des terres émer­gées et la créa­tion d’AP n’a ces­sé d’accélérer durant les der­nières décen­nies, ce qui n’a en rien ralen­ti le déclin de la nature[68]. Peut-être parce que les AP servent bien sou­vent à légi­ti­mer l’expulsion des popu­la­tions pour lais­ser place aux indus­tries extrac­tives. C’est la démons­tra­tion impla­cable faite par Mark Dowie dans son livre Conser­va­tion Refu­gees (« Les réfu­giés de la conser­va­tion ») publié en 2011 chez MIT Press. On ne compte plus les exemples de réserves natu­relles où sont auto­ri­sées l’extraction de pétrole, de gaz, de mine­rais, de char­bon, d’uranium ou même la construc­tion de méga-bar­rages comme dans l’immense réserve du Selous en Tan­za­nie[69]. D’après le jour­nal La Croix, Total vient de signer pour « le plus grand pro­jet pétro­lier au monde » en Ougan­da et en Tan­za­nie, un chan­tier à 10 mil­liards de dol­lars[70]. Au pro­gramme, forages dans les envi­rons du Lac Albert et dans le parc natio­nal des Mur­chi­son Falls, avec en prime la construc­tion du plus long oléo­duc chauf­fé au monde frag­men­tant réserves natu­relles et terres pay­sannes sur 1 500 km. Ce pro­jet viole les droits de plus de 100 000 per­sonnes et va très pro­ba­ble­ment rui­ner leurs moyens de sub­sis­tance[71]. Mais gar­dons espoir, car le groupe pétro­lier assure que « les émis­sions de gaz à effet de serre des deux pro­jets seront réduites à envi­ron 13 kilo­grammes de CO2 par baril, en des­sous de la moyenne du groupe ». La major pétro­lière compte en outre « mettre en œuvre des plans d’action pour pro­duire un impact posi­tif net sur la bio­di­ver­si­té ». Ouf, voi­là qui est récon­for­tant. Un autre gise­ment pétro­lier et gazier poten­tiel­le­ment énorme est en cours d’exploration dans le nord-est de la Nami­bie, dans la plus impor­tante zone de conser­va­tion trans­fron­ta­lière pour la bio­di­ver­si­té en Afrique, non loin d’un joyeux natu­rel – le del­ta de l’Okavango[72]. La zone d’exploration couvre un ter­ri­toire habi­té par 200 000 per­sonnes et inclut des routes migra­toires impor­tantes pour la faune sau­vage encore très abon­dante dans la région. Insis­tons encore, de nom­breuses ONG de défense des peuples pre­miers cri­tiquent vive­ment le pro­jet des Nations Unies vou­lant por­ter les AP à 30 % de la sur­face ter­restre d’ici 2030. Selon Sur­vi­val Inter­na­tio­nal, plus de 300 mil­lions de per­sonnes pour­raient être tou­chées, leur culture et leur mode de vie anéan­tis[73]. C’est un géno­cide. Une aber­ra­tion de plus sachant que ces cultures comptent par­mi les plus sou­te­nables éco­lo­gi­que­ment, leurs terres concen­trant 80 % de la bio­di­ver­si­té mon­diale res­tante[74].

Comme déjà évo­qué plus haut, un argu­ment mas­sue de cette cam­pagne – et des anti­spé­cistes en géné­ral – consiste à sug­gé­rer que l’abandon de l’élevage libé­re­rait beau­coup d’espace. Comme ça, en un cla­que­ment de doigt. En appa­rence, cela a du sens, mais en appa­rence seule­ment. Gre­ta rap­pelle par exemple que 83 % des terres agri­coles sont acca­pa­rées pour pro­duire la nour­ri­ture des­ti­née aux ani­maux de ferme. Mais rien sur les pertes et le gas­pillage ali­men­taires. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime pour­tant qu’un tiers de la nour­ri­ture pro­duite annuel­le­ment dans le monde est per­due ou jetée :

« Le volume mon­dial de gas­pillages et pertes ali­men­taires est esti­mé à 1,6 mil­liard de tonnes d’é­qui­va­lents pro­duits de base. Les gas­pillages totaux pour la par­tie comes­tible s’é­lèvent à 1,3 mil­liard de tonnes.

L’empreinte car­bone des gas­pillages ali­men­taires est esti­mée à 3,3 mil­liards de tonnes de CO2 équi­valent de gaz à effet de serre reje­tés dans l’at­mo­sphère chaque année.

Le volume total d’eau uti­li­sé chaque année pour pro­duire de la nour­ri­ture per­due ou gas­pillée (250 km³) équi­vaut au débit annuel du fleuve Vol­ga (Rus­sie), ou trois fois le volume du Lac Léman.

De même, 1,4 mil­liard d’hec­tares de terres – soit 28 pour cent des super­fi­cies agri­coles du monde –servent annuel­le­ment à pro­duire de la nour­ri­ture per­due ou gas­pillée[75]. »

Et la FAO pré­cise qu’il ne s’agit que de la nour­ri­ture pour la consom­ma­tion humaine[76]. Quid des pertes et du gas­pillage de la nour­ri­ture des­ti­née aux ani­maux d’élevages indus­triels ? Dif­fi­cile de mettre la main sur des chiffres. Dans tous les cas, cette gabe­gie est le résul­tat de l’industrialisation du sys­tème ali­men­taire et n’a rien à voir avec l’élevage en géné­ral, qui varie gran­de­ment dans sa nature en fonc­tion des régions du monde, des bio­topes et du cli­mat. Par ailleurs, l’économiste décrois­sant Niko Paech cri­tique dans son excellent livre Se libé­rer du super­flu – vers une éco­no­mie de post-crois­sance cette légende urbaine de l’efficience éner­gé­tique et maté­rielle ven­due par le monde cor­po­ra­tiste. Selon lui, la socié­té indus­trielle prise dans son ensemble, en rai­son de sa struc­ture et de sa com­plexi­té, ne peut être éco­nome en éner­gie, maté­riaux et gas­pillages.

Repre­nant une étude parue dans la revue Science, Mer­cy For Ani­mal et Gre­ta Thun­berg pré­tendent donc que l’adoption à l’échelle mon­diale du régime végé­ta­lien pour­rait réduire de 76 % la sur­face ter­restre dédiée à l’alimentation du chep­tel humain, et Gre­ta d’ajouter « la nature pour­rait se régé­né­rer ». Compte tenu des dyna­miques à l’œuvre au sein de la civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle, la pos­si­bi­li­té qu’un tel conte de fée devienne réa­li­té relève davan­tage du miracle que de la science der­rière laquelle Gre­ta se retranche constam­ment. Comme par enchan­te­ment, les grands céréa­liers mul­ti­mil­lion­naires, en Amé­rique du Nord, en Europe et en Amé­rique du Sud, aban­don­ne­raient leurs terres à la vie sau­vage après avoir été rui­nés par l’effondrement du mar­ché mon­dial pour l’alimentation des ani­maux de ferme. Dif­fi­cile à croire. En fait, il existe un autre scé­na­rio bien plus pro­bable : la conver­sion d’une grande par­tie de ces terres en cultures indus­trielles de bio­masse, pour pro­duire élec­tri­ci­té et bio­car­bu­rants dont le sys­tème tech­no­lo­gique a déses­pé­ré­ment besoin pour assu­rer sa sur­vie.

L’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie dit ceci au sujet des bio­car­bu­rants :

« La pro­duc­tion mon­diale de bio­car­bu­rants a aug­men­té de 10 mil­liards de litres en 2018 pour atteindre le chiffre record de 154 mil­liards de litres. Dou­blant la crois­sance réa­li­sée en 2017, cette aug­men­ta­tion de 7 % en glis­se­ment annuel est la plus éle­vée depuis cinq ans. La pro­duc­tion devrait aug­men­ter de 25 % jus­qu’en 2024, une révi­sion à la hausse par rap­port à 2018 en rai­son de meilleures pers­pec­tives de mar­ché au Bré­sil, aux États-Unis et sur­tout en Chine[77]. »

Plus de 90 000 navires mar­chands[78] sillonnent les océans (28 000 navires de fret dépassent les 100 mètres[79]) et des dizaines de mil­liers d’avions com­mer­ciaux et pri­vés volent simul­ta­né­ment chaque jour dans le monde (200 000 vols en une jour­née enre­gis­trés le same­di 29 juin 2018, et près de 38 mil­lions de vols sur l’année[80]). En 2017, près de 4 mil­liards de pas­sa­gers ont sillon­né les aires, un chiffre qui devrait presque dou­bler à 7,8 mil­liards en 2036. Un boeing 777 de 350 tonnes[81] ou un immense porte-contai­ners de 400 mètres à l’image du Bou­gain­ville de la CMA-CGM (52 000 tonnes à vide, 240 000 tonnes à charge maxi­male, consom­ma­tion s’élevant à 330 tonnes de fioul lourd/jour[82]) pour­ront dif­fi­ci­le­ment être conver­tis à la puis­sance élec­trique en rai­son des pro­blèmes tech­niques posés par les besoins en sto­ckage pour dépla­cer de telles masses. À moins peut-être que des ingé­nieurs soient assez tim­brés pour s’atteler à la concep­tion de navires mar­chands et d’avions com­mer­ciaux équi­pés de réac­teurs nucléaires minia­tu­ri­sés. Il faut res­ter sur ses gardes avec l’élite tech­ni­cienne, ces bougres d’ingénieurs pro­mettent tou­jours le meilleur mais pré­parent sou­vent le pire. Dans tous les cas, élec­tri­fier des dizaines de mil­liers d’avions et de navires mar­chands, ce n’est pas pour tout de suite. Et pour main­te­nir ces mas­to­dontes en mou­ve­ment dans un monde où le pétrole se raré­fie et la demande aug­mente, il faut bien mettre quelque chose dans le réser­voir. Sans oublier qu’il reste encore le trans­port rou­tier, les voi­tures indi­vi­duelles, les trains régio­naux rou­lant sou­vent au gasoil, les auto­cars, etc.

Pour ce qui est de la pro­duc­tion d’électricité à par­tir de bio­masse, comme indi­qué plus haut, celle-ci a pro­vo­qué une très forte aug­men­ta­tion des pré­lè­ve­ments de bois en Europe ces der­nières années d’après une étude publiée dans la revue Nature en 2020[83]. Aux États-Unis éga­le­ment, c’est un désastre pour les forêts – de plan­ta­tion et anciennes – où les coupes rases se mul­ti­plient, comme on peut le consta­ter dans les excel­lents docu­men­taires Pla­net of the Humans (Jeff Gibs, Michael Moore et Ozzie Zeh­ner) et Bright Green Lies (Julia Barnes).

Industrialiser le monde, toujours et encore

« L’humanité s’installe dans la mono­cul­ture ; elle s’apprête à pro­duire la civi­li­sa­tion en masse, comme la bet­te­rave. Son ordi­naire ne com­por­te­ra plus que ce plat. »

– Claude Lévi-Strauss, Tristes Tro­piques, 1955.

Fon­dée en 1999 par Milo Runkle, l’ONG Mer­cy For Ani­mal (MFA), qui a pos­té cette vidéo de Gre­ta sur You­tube, fait un lob­bying agres­sif pour l’adoption du véga­nisme à tra­vers les réseaux sociaux (plus de 2,5 mil­lions de fans sur Face­book), des vidéos, un maga­zine et des res­sources en ligne. Elle a tra­vaillé avec des géants de l’agro-industrie dont Per­due, Wal­mart et Nest­lé[84]. D’après le pro­fil Lin­ke­din de Milo Runkle, MFA est « l’organisation de défense des ani­maux de ferme et de pro­mo­tion du véga­nisme la plus impor­tante au monde[85] ». En 2016, il a créé Circle V, le pre­mier fes­ti­val de musique végan. Qui n’a pas déjà enten­du par­ler de cette mode ridi­cule des fes­ti­vals éco­lo­giques ? Citons We Love Green en France, un exemple par­mi d’autres. Un fes­ti­val de musique ras­sem­blant des mil­liers de fes­ti­va­liers imbi­bés d’éthanol braillant un dia­lecte incom­pré­hen­sible pour le com­mun des mor­tels, qui pié­ti­ne­ront une prai­rie durant plu­sieurs jours d’affilés, lais­sant der­rière eux leurs tentes Que­chua jetables et des tonnes de déchets, le tout accom­pa­gné de lumières sur­puis­santes et d’un volume sonore proche de celui d’un avion au décol­lage, sera tou­jours un désastre éco­lo­gique ain­si qu’une tor­ture visuelle et audi­tive pour les ani­maux sau­vages des envi­rons.

Autre exemple de la gigan­tesque mas­ca­rade incar­née par le mou­ve­ment ani­ma­liste deve­nu aujourd’hui glo­bal, en par­ti­cu­lier grâce aux capi­taux qui ruis­sellent dans les poches des ONG et des asso­cia­tions anti­spé­cistes, le col­lec­tif Ani­mal Rebel­lion, pen­dant ani­ma­liste d’Extinction Rebel­lion, a blo­qué quatre McDonald’s en mai au Royaume-Uni. D’après un article de la BBC, James Ozden, porte-parole d’Animal Rebel­lion, a décla­ré que l’industrie de l’élevage (viande et lait) « détrui­sait notre pla­nète ». Selon lui, elle pro­voque « une défo­res­ta­tion mas­sive de la forêt tro­pi­cale, émet de grandes quan­ti­tés de gaz à effet de serre et tue des mil­liards d’a­ni­maux chaque année. »

Quelle est sa solu­tion ?

« Le seul moyen durable et réa­liste pour nour­rir 10 mil­liards de per­sonnes est un sys­tème ali­men­taire à base de plantes. Les éle­vages bio­lo­giques en plein air et ‘’durables’’ d’a­ni­maux ne sont tout sim­ple­ment pas suf­fi­sants. »

Il a rai­son sur un point, l’élevage indus­triel, de même que l’élevage exten­sif pra­ti­qué à grande échelle, sont des cala­mi­tés sociales et envi­ron­ne­men­tales. Mais au lieu d’exiger le ren­ver­se­ment de McDonald’s et de son monde, au lieu d’exiger des sys­tèmes ali­men­taires locaux, fami­liaux, à petite échelle, il somme l’humanité d’adopter un unique régime ali­men­taire à base de plantes. C’est une aubaine pour les géants de l’industrie agroa­li­men­taire qui pros­pèrent sur l’uniformisation cultu­relle et l’effacement de la diver­si­té humaine. De plus, en bon Occi­den­tal abru­ti par des décen­nies de fièvre consu­mé­riste, James Ozden ignore pro­ba­ble­ment tout – ou se moque éper­du­ment – des cen­taines de mil­lions de per­sonnes réel­le­ment libres et auto­nomes qui ne sont pas encore condam­nées à la stra­té­gie de sub­sis­tance Car­re­four, Leclerc ou Auchan, et qui dépendent direc­te­ment des res­sources de leur habi­tat natu­rel pour sur­vivre. Grain est une « petite orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale » sou­te­nant « la lutte des pay­sans et des mou­ve­ments sociaux pour ren­for­cer le contrôle des com­mu­nau­tés sur des sys­tèmes ali­men­taires fon­dés sur la bio­di­ver­si­té ». Elle œuvre prin­ci­pa­le­ment aux côtés des pay­sans du Sud glo­bal ciblés par les firmes de l’agroalimentaire et affirme que les « les petits pro­duc­teurs nour­rissent le monde avec moins d’un quart de l’ensemble des terres agri­coles[86] ». En consul­tant l’excellent tra­vail d’investigation réa­li­sé par Grain, on constate que le car­tel agro-indus­triel livre une guerre impi­toyable à la pay­san­ne­rie dans les pays du Sud :

« […] l’accès à la terre des popu­la­tions rurales est atta­qué de toutes parts. Du Hon­du­ras au Kenya, de la Pales­tine aux Phi­lip­pines, les gens sont évin­cés de leurs fermes et de leurs vil­lages. Ceux qui résistent sont empri­son­nés ou tués. Grèves agraires géné­ra­li­sées en Colom­bie, mani­fes­ta­tions des chefs com­mu­nau­taires à Mada­gas­car, marches dans tout le pays par des sans-terres en Inde, occu­pa­tions en Anda­lou­sie, la liste des actions et des luttes est longue. Ce qu’il faut rete­nir de tout cela, c’est que la pos­ses­sion des terres est de plus en plus concen­trée aux mains des riches et des puis­sants, et non pas que les petits pro­duc­teurs pros­pèrent. »

En 2020, le think tank Oak­land Ins­ti­tute publiait un rap­port au titre élo­quent (Dri­ving Dis­pos­ses­sion – The glo­bal push to “unlock the eco­no­mic poten­tial of land” ou « Acca­pa­re­ment en cours – le mou­ve­ment mon­dial pour déver­rouiller le poten­tiel éco­no­mique de la terre ») décri­vant en détails ce mou­ve­ment des enclo­sures à échelle mon­diale et d’une ampleur inéga­lée :

« […] les gou­ver­ne­ments, les entre­prises et les ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales “redoublent d’effort” pour exploi­ter plus de terres par le biais d’un dis­cours basé sur des euphé­mismes. Il s’agit de conver­tir ces terres à un “usage pro­duc­tif”, le tout au nom du pro­grès éco­no­mique et du “déve­lop­pe­ment”. Pour atti­rer les inves­tis­se­ments pri­vés, les gou­ver­ne­ments com­mer­cia­lisent ain­si des cen­taines de mil­lions d’hectares de terres en les pré­sen­tant comme étant “dis­po­nibles” sans se sou­cier de ceux dont les moyens de sub­sis­tance en dépendent[87]. »

Pour en savoir plus à ce sujet, lire « Au nom du déve­lop­pe­ment, un assaut mon­dial contre les com­muns[88]. »

En 2019, on dénom­brait dans le monde en tout entre 200 et 500 mil­lions de per­sonnes pra­ti­quant le pas­to­ra­lisme, et des com­mu­nau­tés pas­to­rales existent dans 75 % des pays du monde[89]. Le rap­port Pas­to­ra­lism in Africa’s dry­lands (« Le pas­to­ra­lisme dans les zones arides d’Afrique ») publié en 2018 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) déclare la chose sui­vante :

« S’é­ten­dant sur les terres arides de l’A­frique, de l’Ouest sahé­lien jus­qu’aux pâtu­rages de l’A­frique de l’Est et de la Corne de l’A­frique ain­si qu’aux popu­la­tions nomades de l’A­frique aus­trale, le pas­to­ra­lisme est le prin­ci­pal mode de sub­sis­tance pour envi­ron 268 mil­lions de per­sonnes. C’est l’une des options de sub­sis­tance les plus viables, et par­fois la seule conve­nable dans les zones arides. Il contri­bue énor­mé­ment au bien-être social, envi­ron­ne­men­tal et éco­no­mique dans les zones arides et au-delà. Le pas­to­ra­lisme pos­sède une capa­ci­té unique à créer de la valeur et conver­tir des res­sources natu­relles dis­po­nibles en quan­ti­tés limi­tées, en viande, lait, reve­nus et moyens de sub­sis­tance[90]. »

D’après une récente étude parue dans la revue PNAS, les socié­tés indi­gènes ou tra­di­tion­nelles, la plu­part du temps non-éta­tiques et rurales, ont habi­té, façon­né et uti­li­sé de manière éco­lo­gi­que­ment sou­te­nable la majeure par­tie de la sur­face ter­restre durant au moins 12 000 ans.

D’un côté, un dis­cours idéo­lo­gique, s’apparentant à du fana­tisme reli­gieux, qui condamne l’élevage sous toutes ses formes pour sa consom­ma­tion d’eau, ses émis­sions de CO2 ou la défo­res­ta­tion qu’il entraî­ne­rait sys­té­ma­ti­que­ment. De l’autre, la réa­li­té : le pas­to­ra­lisme est une stra­té­gie de sub­sis­tance sécu­laire adap­tée aux zones arides afri­caines. Les pas­teurs nomades afri­cains qui, comme le révèle le jour­na­liste Fred Pearce dans un excellent article publié dans la revue Yale Envi­ron­ment 360, font paître leur bétail depuis des mil­lé­naires dans des pâtu­rages par­ta­gés avec la faune sau­vage[91]. En effet, avant la colo­ni­sa­tion occi­den­tale et l’implantation de l’industrie du safa­ri tou­ris­tique au Kenya et en Tan­za­nie, un para­si­tage qui béné­fi­cie uni­que­ment aux classes domi­nantes – des­cen­dants de colons blancs, agences de voyage, hôtels, com­pa­gnies aériennes, tou­ristes occi­den­taux, sans oublier l’élite noire kenyane –, les ber­gers Maa­saï sui­vaient les mêmes cou­loirs de migra­tion que la faune sau­vage. Désor­mais, les Maa­saï n’ont plus accès à leurs terres ances­trales en rai­son de la pro­li­fé­ra­tion des aires dites « pro­té­gées », ain­si ils deviennent peu à peu des citoyens de seconde zone sur leurs propres ter­ri­toires. À la dif­fé­rence des socié­tés civi­li­sées orga­ni­sées autour de centres urbains et admi­nis­trées par un État, les socié­tés pas­to­rales ont lar­ge­ment démon­tré leur capa­ci­té à pou­voir coexis­ter avec les autres espèces vivantes. Sou­hai­ter les voir dis­pa­raître au nom de la cause ani­male, de la neu­tra­li­té car­bone et de l’écologie est d’une stu­pi­di­té sans limite. L’antispécisme affiche un violent mépris pour la diver­si­té humaine, et c’est pro­ba­ble­ment pour cette rai­son qu’il s’accorde si bien avec le pro­gres­sisme supré­ma­ciste et raciste de la civi­li­sa­tion indus­trielle. Une der­nière chose au sujet du pas­to­ra­lisme. Dans son livre Zomia ou l’art de ne pas être gou­ver­née, l’anthropologue James C. Scott s’intéresse aux der­niers peuples auto­nomes – c’est-à-dire non assi­mi­lés et accul­tu­rés par l’État – des régions mon­ta­gneuses d’Asie du Sud-Est. Il y décrit le « colo­nia­lisme interne » propre à la méca­nique de l’État :

« La notion de colo­nia­lisme interne, au sens large du terme, décrit par­fai­te­ment ce pro­ces­sus [d’affaiblissement et de nor­ma­li­sa­tion des com­mu­nau­tés rela­ti­ve­ment auto­nomes et indé­pen­dantes] : elle ren­voie à l’absorption, au dépla­ce­ment et/ou à l’extermination des habi­tants d’une région don­née. Le colo­nia­lisme interne impli­qua une « colo­ni­sa­tion bota­nique » qui per­mit de trans­for­mer le pay­sage – défo­res­ta­tion, drai­nage, irri­ga­tion, construc­tion de digues – afin d’adapter les cultures, les formes d’implantation et les sys­tèmes d’administration à l’État et aux colo­ni­sa­teurs. Une manière d’évaluer l’effet de cette colo­ni­sa­tion consiste à l’envisager comme un affai­blis­se­ment mas­sif de tous les élé­ments de type ver­na­cu­laire : langues ver­na­cu­laires, peuples mino­ri­taires, tech­niques agri­coles ver­na­cu­laires, régimes fon­ciers ver­na­cu­laires, tech­niques de chasse, de récolte et d’exploitation fores­tière ver­na­cu­laires, reli­gion ver­na­cu­laire, et ain­si de suite. La ten­ta­tive pour nor­ma­li­ser la péri­phé­rie est consi­dé­rée par les repré­sen­tants de l’État « par­rain » comme une manière d’apporter civi­li­sa­tion et pro­grès – le pro­grès étant par consé­quent envi­sa­gé comme la dif­fu­sion impor­tune des pra­tiques lin­guis­tiques, agri­coles et reli­gieuses du groupe eth­nique domi­nant : les Hans, les Kinh, les Bir­mans ou les Thaïs. »

L’État exècre la diver­si­té humaine, elle consti­tue une menace pour sa sur­vie et un frein à son déve­lop­pe­ment. Pour mon­ter en puis­sance, depuis tou­jours l’État a dû homo­gé­néi­ser les sujets habi­tant sa péri­phé­rie car celle-ci abri­tait des « popu­la­tions fugi­tives et mobiles dont les modes de sub­sis­tance – cueillette, chasse, agri­cul­ture iti­né­rante, pêche et pas­to­ra­lisme – étaient fon­da­men­ta­le­ment inap­pro­priables par l’État. » Tou­jours d’après James C. Scott, pour un « État agraire adap­té à une agri­cul­ture séden­taire, ces régions ingou­ver­nées et leurs popu­la­tions étaient sté­riles sur le plan fis­cal. » Ce même pro­ces­sus colo­nial contri­bue tout autant à l’expansion du mar­ché mon­dial dans les zones vierge non encore infec­tée par la pan­dé­mie mar­chande.

Afin d’étendre constam­ment leur emprise sur leurs res­sources humaines, les classes domi­nantes dis­posent de puis­sants alliés – les célé­bri­tés. Les grandes firmes uti­lisent constam­ment le capi­tal sym­pa­thie et la noto­rié­té des influen­ceurs, des vedettes du ciné­ma, de la télé­vi­sion, des man­ne­quins et des ath­lètes dans leur guerre idéo­lo­gique contre la popu­la­tion. Pour vendre des pro­duits, des pro­grammes poli­tiques ou un cer­tain type d’écologie bien par­ti­cu­lier – le capi­ta­lisme vert. Le nombre de célé­bri­tés com­mu­ni­quant – ou inter­viewées – sur leur régime végé­ta­lien ou végé­ta­rien atteste de la puis­sance finan­cière à l’œuvre en arrière-plan. L’un des pre­miers à avoir com­pris l’immense pou­voir de per­sua­sion des célé­bri­tés sur les masses fut le consul­tant en rela­tions publiques états-uniens Edward Ber­nays, neveu de Sig­mund Freud. D’après Wiki­pé­dia, « il est consi­dé­ré comme le père de la pro­pa­gande poli­tique et d’entreprise, ain­si que de l’industrie des rela­tions publiques, qui ont for­te­ment contri­bué à déve­lop­per le consu­mé­risme amé­ri­cain. »

Depuis quelques années, on voit fleu­rir dans les médias des décla­ra­tions de célé­bri­tés en faveur de la cause ani­male et d’un chan­ge­ment des habi­tudes ali­men­taires :

« Si je devais choi­sir entre la musique et la cause ani­male, j’opterais pour la deuxième. […] Il y a tant de rai­sons de deve­nir végan, la san­té humaine en fait par­tie[92]. »

– Moby, Huf­fing­ton Post, 2018.

« Je suis végan depuis l’âge de 3 ans[93] »

– Joa­quin Phoe­nix, France TV Info, 2019.

« J’essaye de deve­nir végane main­te­nant quand je suis à la mai­son. Je peux être plus ou moins entiè­re­ment végane. »

– Jane Goo­dall, végé­ta­rienne depuis des décen­nies, dans LIVEKINDLY (média végan).

« Vous pou­vez déci­der de deve­nir végan pour des rai­sons de san­té, pour des rai­sons envi­ron­ne­men­tales, ou vous pou­vez déci­der comme ma fille et moi que vous ne vou­lez plus man­ger de viande[94]. »

– Forest Whi­ta­ker, cité dans un tweet de PETA, 2019.

« Au cas où vous l’au­riez man­qué, Beyon­cé et Jay‑Z ont offert des billets de concert gra­tuits à vie (enfin, pen­dant au moins 30 ans) aux fans qui s’en­gagent à deve­nir végé­ta­liens (ou, du moins, à adop­ter un régime plus végé­tal)[95]. »

– Maga­zine Women’s Health, 2020.

« Nata­lie Port­man se sent tel­le­ment inves­tie par son véga­nisme qu’elle a pro­duit et nar­ré un docu­men­taire sor­ti en 2018 inti­tu­lé Eating Ani­mals[96]. »

– Maga­zine Women’s Health, 2020.

« Je suis deve­nue végé­ta­rienne[97] »

– Méla­nie Laurent, Le jour­nal du dimanche, 2015.

« Les Gol­den Globes 2020 seront 100 % végans (et DiCa­prio est ravi)[98] »

Huf­fing­ton Post, 2020.

Il existe même des listes de célé­bri­tés véganes ou végé­ta­riennes mises en avant par la presse people : Lewis Hamil­ton, Venus et Sere­na Williams, Novak Djo­ko­vic, James Came­ron, Mike Tyson, Ellen Page, San­dra Oh, Jared Leto, Reese Withers­poon, Chris Mar­tin, Jes­si­ca Chas­tain, Pame­la Ander­son, Toby Maguire, Lam­bert Wil­son, Mylène Far­mer, etc[99].

La liste est sans fin.

Ajou­tons au sujet de James Came­ron qu’il a copro­duit le court métrage docu­men­taire Aka­shin­ga : la guerre de l’ivoire racon­tant le quo­ti­dien d’une uni­té anti-bra­con­nage exclu­si­ve­ment fémi­nine dans la brousse du Zim­babwe[100]. Damien Man­der, aus­tra­lien blanc, vété­ran de la guerre en Irak et végan, impose un régime végé­ta­lien à ses recrues, ou com­ment conta­mi­ner sour­noi­se­ment le conti­nent afri­cain avec l’idéologie anti­spé­ciste[101] ; hymne gran­diose à l’impérialisme occi­den­tal en Afrique, ce film a été dif­fu­sé en par­te­na­riat avec Natio­nal Geo­gra­phic. Dans sa confé­rence TEDx au sto­ry­tel­ling bien léché, usant d’un ton lar­moyant à faire pleu­rer dans les chau­mières occi­den­tales, Man­der évoque lon­gue­ment sa Révé­la­tion ani­ma­liste[102]. En revanche, rien sur la souf­france des 40 mil­lions d’esclaves humains et des 152 mil­lions d’enfants tra­vaillant dans le monde, dont beau­coup en Afrique[103]. Rien non plus sur l’insécurité ali­men­taire chro­nique du Zim­babwe ni sur la cor­rup­tion attei­gnant des niveaux stra­to­sphé­riques dans ce pays[104]. En éclip­sant peu à peu les dys­fonc­tion­ne­ments majeurs de la socié­té humaine et la souf­france bien réelle qui en résulte pour les humains, l’antispécisme s’avère très com­mode pour les classes domi­nantes.

Pour une ana­lyse appro­fon­die de l’influence nui­sible de cette « culture de la célé­bri­té », lire le texte « Les célé­bri­tés, leurs fon­da­tions et ONG, sont le masque sou­riant de la machine cor­po­ra­tiste[105] ». Dans ce contexte, il est navrant de voir tant de gens à gauche, même par­mi les forces anti­ca­pi­ta­listes, sous­crire à cet idéal absurde et tota­li­taire d’une socié­té anti­spé­ciste et végane.

« Je suis tou­jours gêné quand on parle de l’animal avec un A majus­cule, parce qu’il y a tel­le­ment d’espèces d’animaux et que les défen­seurs de la cause ani­male n’englobent impli­ci­te­ment sous ce terme que les ani­maux de com­pa­gnie et d’élevage les plus com­muns ou cer­tains ani­maux emblé­ma­tiques, du chim­pan­zé à la baleine en pas­sant par le pan­da. On n’entend jamais par­ler d’une iden­ti­fi­ca­tion au ténia ou au hareng ! Il est vrai qu’avec les ani­maux de com­pa­gnie ou d’élevage, une coévo­lu­tion de mil­liers d’années a per­mis la construc­tion avec les humains d’un envi­ron­ne­ment par­ta­gé qui favo­rise l’empathie par la fami­lia­ri­té. Quant aux ani­maux emblé­ma­tiques, ils ont des qua­li­tés par­ti­cu­lières qui favo­risent l’identification, notam­ment l’usage de sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tion com­plexes, l’inventivité tech­nique ou des com­por­te­ments sociaux qui res­semblent à ceux des humains. Au fond, la gamme des ani­maux aux­quels un urbain moderne s’identifie est rela­ti­ve­ment res­treinte. Ce doit être une ving­taine ou une tren­taine d’espèces peut-être, au grand maxi­mum. L’idée finit par s’imposer que l’on peut com­mu­ni­quer avec ces espèces par-delà la bar­rière du lan­gage arti­cu­lé ; mais cela reste à démon­trer car on ne sait au fond jamais véri­ta­ble­ment s’il n’y a pas mal­en­ten­du. C’est le cas de presque toute situa­tion inter­sub­jec­tive de toute façon, mais aug­men­té du fait qu’aucune véri­fi­ca­tion n’est ici pos­sible. C’est cette situa­tion par­ti­cu­lière qui a don­né nais­sance à l’idée que cer­taines espèces étaient proches des humains, dans tous les sens du terme – parce qu’ils vivaient dans leur milieu, dans leur dépen­dance, et qu’ils avaient cer­taines dis­po­si­tions ana­logues – et qu’il était donc légi­time qu’on leur donne des droits. Je pense que nous sommes dans une situa­tion où il fau­drait prendre en compte le plus grand nombre pos­sible de non-humains qui jouent un rôle dans notre vie sociale, du cli­mat aux virus. Je pense que don­ner des droits à quelques-uns parce qu’ils nous res­semblent ne fait que recon­duire la concep­tion moderne, fon­dée sur la dis­tinc­tion entre nature et culture, en éten­dant un petit peu à des repré­sen­tants choi­sis de la nature les pri­vi­lèges dont jouissent les êtres de culture. Or, recon­duire la situa­tion moderne, fon­dée sur l’idée d’un sujet humain déten­teur de droits, l’individualisme pos­ses­sif tel que l’a défi­ni Craw­ford Brough Mac­pher­son par exemple, et étendre cela à cer­tains types de non-humains, me semble intel­lec­tuel­le­ment pares­seux et pas du tout à la hau­teur des cir­cons­tances[106]. »

– Phi­lippe Des­co­la, anthro­po­logue.

Au fond, l’antispécisme, c’est un truc d’urbain pro­gres­siste, indi­vi­dua­liste et nar­cis­sique au pos­sible, le pur pro­duit d’une exis­tence hors-sol com­plè­te­ment décon­nec­tée de la nature sau­vage. Plu­tôt que d’élever l’humanité vers l’animalité, l’antispécisme détruit l’animalité. Autre­fois cette culture arro­gante se lan­çait dans une mis­sion civi­li­sa­trice des sau­vages humains au nom de leur bien-être, bien­tôt elle civi­li­se­ra les ani­maux sau­vages au nom du bien-être ani­mal. Il s’en sui­vra une domes­ti­ca­tion totale du monde sau­vage, ou du moins ce qu’il en res­te­ra. Ce che­min, cette civi­li­sa­tion l’a déjà bien emprun­té.

Domestiquer la nature sauvage au nom du bien-être animal

« Les sanc­tuaires pour ani­maux ne sont guère plus qu’une dis­trac­tion. »

– Pride Lion Conser­va­tion Alliance, Mon­ga­bay, 2021.

La domes­ti­ca­tion de la vie sau­vage s’accélère. C’est le constat mal­heu­reux fait en Afrique par une équipe de six femmes – Amy Dick­man, Col­leen Begg, Shi­va­ni Bhal­la, Alayne Cot­te­rill, Ste­pha­nie Dol­ren­ry, and Lee­la Haz­zah –, toutes conser­va­tion­nistes de ter­rain, qui ont ras­sem­blé leurs forces au sein de la Pride Lion Conser­va­tion Alliance. Selon elles, « les sanc­tuaires pour ani­maux ne sont guère plus qu’une dis­trac­tion » mena­çant le main­tien des équi­libres éco­sys­té­miques et la diver­si­té bio­lo­gique, aus­si bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des aires pro­té­gées. La pres­sion crois­sante exer­cée par la socié­té du spec­tacle (télé­vi­sion, réseaux sociaux, célé­bri­tés, ONG), capi­ta­li­sant sur des images émou­vantes pour abê­tir l’audience, neu­tra­li­ser toute réflexion cri­tique et sur­tout faire ouvrir le porte-mon­naie, conduit à « asep­ti­ser la nature », à veiller au bien-être indi­vi­duel des ani­maux au détri­ment de la conser­va­tion des pro­ces­sus éco­lo­giques glo­baux :

« Si des ani­maux sau­vages sont bles­sés ou souffrent de causes natu­relles – même dans des zones sup­po­sées sau­vages comme les parcs natio­naux – on a de plus en plus ten­dance à se pré­ci­pi­ter pour les soi­gner, sans doute pour évi­ter de contra­rier les tou­ristes ou de ris­quer une condam­na­tion sur les médias sociaux.

Des ani­maux jeunes ou bles­sés peuvent être « sau­vés » par des per­sonnes, des actes de bon­té pou­vant les condam­ner à une vie (sou­vent misé­rable) en cap­ti­vi­té. Cela n’a pas seule­ment un impact sur ces ani­maux, mais aus­si sur l’écosystème et la sélec­tion natu­relle.

Il est alar­mant de consta­ter que les centres de « sau­ve­tage » sont de plus en plus per­çus par le public comme jouant un rôle impor­tant dans la conser­va­tion : cette idée est ampli­fiée par les médias, où de belles images mon­trant des humains aux petits soins avec des ani­maux sau­vages sug­gèrent que cela contri­bue à la sau­ve­garde des espèces. Cepen­dant, ces lieux néces­sitent des fonds impor­tants de la part des dona­teurs et peuvent ampli­fier les conflits, car les popu­la­tions locales voient le bien-être des ani­maux sau­vages pas­ser avant leurs besoins.

Il existe éga­le­ment un risque de voir les « orphe­li­nats » et autres éta­blis­se­ments de ce type deve­nir des entre­prises viables. Des ani­maux sau­vages pour­raient alors être accueillis sans rai­son valable, ce qui por­te­rait atteinte à la vie sau­vage. Et si les « sanc­tuaires » peuvent jouer un rôle dans le bien-être des ani­maux, il est rare (et sou­vent peu judi­cieux) que des espèces comme les lions soient relâ­chées dans la nature après avoir été en cap­ti­vi­té, par­ti­cu­liè­re­ment en rai­son du risque de conflit homme-ani­mal avec des ani­maux habi­tués à un contact rap­pro­ché avec les humains. En fin de compte, ces lieux ne sont guère plus qu’une dis­trac­tion : si nous vou­lons sau­ver les espèces sau­vages de grands félins, nous devons nous concen­trer sur la conser­va­tion des ani­maux sau­vages et des lieux sau­vages avec les per­sonnes qui par­tagent leurs pay­sages[107]. »

Les inter­ven­tions intem­pes­tives en faveur du bien-être ani­mal se mul­ti­plient par­tout dans le monde en rai­son de la tyran­nie des médias sociaux. En 2019, le centre afri­cain de jour­na­lisme d’investigation envi­ron­ne­men­tale Oxpe­ckers racon­tait com­ment le gou­ver­ne­ment nami­bien, sous la pres­sion média­tique, avait pro­cé­dé à l’abattage et au dépla­ce­ment de plu­sieurs hyènes s’attaquant à des che­vaux semi-sau­vages intro­duits par l’humain il y a un siècle[108]. Dans une tri­bune parue en 2020 dans la revue scien­ti­fique The Conver­sa­tion, plu­sieurs cher­cheurs dénon­çaient la « conser­va­tion com­pas­sion­nelle » qu’ils défi­nissent de cette manière :

« Ce mou­ve­ment vise à accroître les niveaux de com­pas­sion et d’empathie dans le pro­ces­sus de ges­tion, en trou­vant des solu­tions de conser­va­tion qui mini­misent le mal fait aux ani­maux sau­vages [pris indi­vi­duel­le­ment]. Par­mi leurs idées, les défen­seurs de la conser­va­tion com­pas­sion­nelle affirment qu’au­cun ani­mal ne devrait être tué au nom de la conser­va­tion[109]. »

Bien enten­du, la com­pas­sion n’est pas mau­vaise en soi, mais force est de consta­ter que cer­taines per­sonnes oppor­tu­nistes ins­tru­men­ta­lisent l’empathie du public pour en tirer divers avan­tages – noto­rié­té, dons, publi­ci­té, etc. Les inquié­tudes de la Pride Lion Conser­va­tion Alliance sont par­fai­te­ment fon­dées, il suf­fit de lire les pro­pos du célèbre conser­va­tion­niste Richard Lea­key dans un entre­tien paru début 2020 dans le maga­zine Ame­ri­can Scien­tist :

« Les humains ont pra­ti­qué l’élevage de volailles, de mou­tons, de chèvres et de bovins depuis des temps anciens, et il n’y a aucune rai­son pour que nous ne puis­sions pas consi­dé­rer la faune sau­vage comme quelque chose qui doit être géré de manière inten­sive. Nous devons contrô­ler la diver­si­té géné­tique et la san­té des ani­maux. Nous devons gérer la pos­sible inter­rup­tion de la rela­tion pré­da­teur-proie. Il y a beau­coup de choses que nous devons faire. Et nous sommes for­cés de le faire.

Éthi­que­ment cela ébranle l’histoire de la conser­va­tion, mais je crains que si nous vou­lons gar­der cer­tains de ces parcs, il va fal­loir s’occuper des ani­maux conve­na­ble­ment, et cela veut dire inves­tir de l’argent dans la ges­tion et réduire les pro­blèmes qu’ils causent. La pré­sence de la faune sau­vage en dehors des parcs va deve­nir très dis­cu­table. »

Se des­sine alors une syner­gie poten­tielle entre l’élite tra­di­tion­nelle de la conser­va­tion et le mou­ve­ment ani­ma­liste fai­sant pas­ser le bien-être indi­vi­duel avant celui de la com­mu­nau­té ani­male. On recon­naît là les pro­ces­sus à l’œuvre au sein du capi­ta­lisme libé­ral agis­sant comme une sorte de machine à extraire les indi­vi­dus de leur milieu natu­rel pour les pri­ver de leur auto­no­mie et les iso­ler les uns des autres en cloi­son­nant. Ces cloi­sons sont à la fois phy­siques (murs, clô­tures) et imma­té­rielles (indi­vi­dua­lisme, nar­cis­sisme). Détruire le tis­su social et l’autonomie d’une com­mu­nau­té est une condi­tion néces­saire au main­tien de la crois­sance éco­no­mique, car l’économie croit en pha­go­cy­tant de nou­velles res­sources vivantes. Elle se com­porte tel un para­site, vam­pi­ri­sant la vie de ses hôtes, suçant leur fluide vital jusqu’à la der­nière goutte. Vidés de leur essence pri­mor­diale, pri­vés de leur ani­ma­li­té, les indi­vi­dus ain­si domes­ti­qués et recra­chés à la chaîne par le sys­tème mar­chand sont inaptes à faire socié­té. Le résul­tat mène irré­mé­dia­ble­ment à la des­truc­tion de la com­mu­nau­té vivante, qu’elle soit humaine ou non-humaine.

Reve­nons un ins­tant sur Richard Lea­key, car son pro­fil est inté­res­sant à plus d’un titre. Né au Kenya, des­cen­dant d’un colon mis­sion­naire, Richard Lea­key a construit sa renom­mée inter­na­tio­nale grâce à ses décou­vertes archéo­lo­giques et en tant que grand défen­seur de la faune afri­caine. Il fut pré­sident du Kenya Wild­life Ser­vice, l’organisme en charge de la ges­tion des parcs natio­naux kenyans. En 1989, il a fait la une des médias de masse dans le monde entier pour avoir pris la déci­sion de brû­ler les stocks d’ivoire de l’Etat kenyan. Ce fut aus­si l’un des prin­ci­paux avo­cats de l’interdiction du com­merce inter­na­tio­nal d’ivoire, un ban­nis­se­ment qui n’a en rien endi­gué l’hécatombe chez les pachy­dermes afri­cains mas­sa­crés à un rythme de 10 000 à 15 000 indi­vi­dus par an d’après le jour­nal The Guar­dian[110]. Selon les sources, ce chiffre peut mon­ter annuel­le­ment à plus de 30 000 élé­phants (l’African Wild­life Foun­da­tion parle de 35 000[111]), preuve qu’en véri­té, per­sonne ne connaît le nombre exact.

Richard Lea­key enseigne aujourd’hui l’anthropologie à la Sto­ny Brooke Uni­ver­si­ty de New York. En 2004, il a fon­dé l’ONG Wild­life Direct[112] pour « édu­quer » la jeu­nesse kényane qui méprise aujourd’hui la faune grâce au fabu­leux tra­vail des orga­ni­sa­tions phi­lan­thro­piques et des grandes ONG occi­den­tales œuvrant à la conser­va­tion de la nature depuis plus d’un siècle, un tra­vail com­pre­nant l’expulsion sys­té­ma­tique des popu­la­tions locales de leurs terres ances­trales, l’interdiction de pra­ti­quer la chasse tra­di­tion­nelle, le pas­to­ra­lisme, la cueillette, et la pri­va­ti­sa­tion d’immenses espaces réser­vés à l’industrie tou­ris­tique occi­den­tale. Mor­de­cai Oga­da, conser­va­tion­niste kenyan et consul­tant pour Sur­vi­val Inter­na­tio­nal, s’attaque régu­liè­re­ment à cette ONG, en par­ti­cu­lier à sa patronne Pau­la Kahum­bu pour sa stig­ma­ti­sa­tion des popu­la­tions rurales qui refusent le modèle conser­va­tion­niste domi­nant impo­sé à l’époque colo­niale par les blancs. Voi­là à quoi servent la construc­tion d’écoles et, de manière géné­rale, l’éducation en Afrique – à domes­ti­quer les popu­la­tions pour leur faire accep­ter doci­le­ment spo­lia­tions et per­sé­cu­tions durables héri­tées de la colo­ni­sa­tion. Les élites noires du pays n’ont en effet nul­le­ment l’intention d’abandonner la manne tou­ris­tique qui s’élève à plus d’1,5 mil­liard de dol­lars chaque année, soit « l’une des prin­ci­pales sources de devises exté­rieures » du pays selon Reu­ters[113]. Pour ter­mi­ner sur ce bon vieux Richard Lea­key, sachez qu’il compte par­mi les « Par­rains de la Nature » de la mafia nom­mée Union Inter­na­tio­nale pour la Conser­va­tion de la Nature (UICN) dont nous avons déjà par­lé plus haut. Il trône aux côtés de la ver­mine aris­to­cra­tique (Prince Albert II de Mona­co, Sa majes­té la reine Noor Al Hus­sein, le prince Carl Phi­lip de Suède) et d’ultrariches tels Andrew For­rest, fon­da­teur et pré­sident du géant minier Fores­cue Metals Group dont les acti­vi­tés consistent entre autres à détruire la vie des abo­ri­gènes aus­tra­liens, ou encore Frank Mars, héri­tier de la richis­sime famille pro­prié­taire du groupe épo­nyme, géant mon­dial de l’industrie agroa­li­men­taire[114].

Peut-on encore vrai­ment par­ler d’animaux « sau­vages » dans le cas des parcs décrits par Richard Lea­key ? Pas vrai­ment. Des ani­maux pri­vés de liber­té de mou­ve­ment et dépen­dants des humains pour assu­rer leur sur­vie, cela res­semble for­te­ment à des ani­maux domes­tiques, voire à des ani­maux de ferme exploi­tés pour en extraire une valeur ajou­tée. Cette domes­ti­ca­tion du monde sau­vage, c’est ce que prône par exemple le mou­ve­ment RWAS pour Redu­cing Wild Ani­mal Suf­fe­ring (« Réduc­tion de la souf­france des ani­maux sau­vages »). C’est éga­le­ment une idée défen­due par l’antispéciste notoire Tho­mas Lepel­tier dans une confé­rence inti­tu­lée « Faut-il sau­ver la gazelle du lion[115] ? ». Croyez-le ou non, cet hur­lu­ber­lu veut faire man­ger des steaks végans aux lions de la savane afri­caine. Les indus­triels se frottent déjà les mains.

Tho­mas Lepel­tier défend une inter­pré­ta­tion radi­cale de l’antispécisme et, bien qu’il ne fasse pas l’unanimité au sein de la sphère ani­ma­liste, ses idées s’accordent à mer­veille avec le tech­no­ca­pi­ta­lisme de la Sili­con Val­ley. Il pré­tend par exemple que « pour un anti­spé­ciste, se dire éco­lo­giste revien­drait un peu à se tirer une balle dans le pied[116] », car une espèce, une forêt, une rivière, une mon­tagne, ou même la pla­nète, ne sont pas des êtres doués de sen­si­bi­li­té. Leur des­truc­tion ne pose par consé­quent aucun pro­blème selon lui. Il défend éga­le­ment dans un article inti­tu­lé « Se sou­cier des ani­maux sau­vages » un inter­ven­tion­nisme for­ce­né dans les habi­tats natu­rels pour stop­per la souf­france chez les ani­maux sen­tients[117]. Tou­jours dans la revue anti­spé­ciste L’Amorce, il a publié en 2018 un article titrant « Pour en finir avec la vie ! » où il détaille pour­quoi « défendre les ani­maux au nom du res­pect de la vie, du vivant et de la pla­nète est pro­blé­ma­tique[118]. » On ne remer­cie­ra peut-être jamais assez Tho­mas Lepel­tier de révé­ler le vrai visage de l’antispécisme, une idéo­lo­gie déri­vée du néo­li­bé­ra­lisme qui s’apparente furieu­se­ment à une néga­tion du vivant. Le sys­tème tech­no­lo­gique ayant pour enne­mi prin­ci­pal la vie sur Terre, on devine aisé­ment la suite.

Pour finir là-des­sus, exa­mi­nons ce qu’un Lepel­tier publie sur Face­book :

« Patrick Brown, le pdg de “Impos­sible Foods”, a un objec­tif : mettre fin aux indus­tries de la viande et du pois­son d’i­ci 2035, en rem­pla­çant leurs pro­duits par de la viande et du pois­son à base de plantes géné­ti­que­ment modi­fiées. Finis donc l’é­le­vage et la pêche. 😀 Voi­là le genre de beaux pro­jets que l’on peut déve­lop­per en misant sur des inno­va­tions tech­no­lo­giques, du capi­ta­lisme finan­cier et des mar­chés en crois­sance. 🍾 À côté de cela, il y a les Auré­lien Bar­rau, Pablo Ser­vigne et autres col­lap­so­logues qui invitent la popu­la­tion à rejoindre les Zad, à jouer de la gui­tare autour d’un feu de camp et à réci­ter de la poé­sie pour être en com­mu­nion avec la nature. ☹️ Je ne sais pas pour­quoi, mais le pro­jet de Patrick Brown me paraît plus pro­met­teur pour “pro­té­ger la pla­nète”. 😂[119] »

D’après un article de Reu­ters publié au mois d’avril 2021, Impos­sible Foods se pré­pare à entrer en bourse. Sa valo­ri­sa­tion anti­ci­pée par les ana­lystes ? 10 mil­liards de dol­lars[120]. Par­mi les inves­tis­seurs déjà aux manettes, on trouve le fonds Khos­la Ven­tures spé­cia­li­sé dans les bio­tech­no­lo­gies, l’Internet et la robo­tique, le fonds Hori­zons Ven­tures se concen­trant sur des star­tups de rup­ture axées sur la tech­no­lo­gie, ain­si que Sere­na Williams et Jay‑Z, la star du ten­nis et le rap­peur déjà évo­qués plus haut pour leur pro­pa­gande en faveur des alter­na­tives végé­tales. Mais là n’est peut-être pas le plus fou dans cette his­toire. Les anti­spé­cistes, ces pro­gres­sistes por­tant fiè­re­ment l’étendard de la libé­ra­tion ani­male, tra­vaillent en réa­li­té à l’asservissement total du monde ani­mal par le sys­tème tech­no­lo­gique, pour une exploi­ta­tion durable. Un comble.

Cause animale, le catalyseur de la transition agro-industrielle

Cette pro­pa­gande bien hui­lée en faveur de la cause ani­male ne suf­fi­ra pas à elle seule pour modi­fier des habi­tudes cultu­relles bien ancrées comme la consom­ma­tion de viande, d’œufs et de pois­son. Les entre­pre­neurs végans ont lon­gue­ment étu­dié la chose, à l’image d’Ethan Brown, fon­da­teur de Beyond Meat, une firme indus­trielle végane cotée au NASDAQ dont la capi­ta­li­sa­tion bour­sière s’élève à 9 mil­liards de dol­lars :

« Nous avons com­men­cé par recon­naître que la viande fait par­tie de notre culture, et puis nous nous sommes deman­dés : est-ce que la viande a vrai­ment besoin de pro­ve­nir des ani­maux ? La réponse à cette ques­tion est non, vous pou­vez l’obtenir à par­tir des plantes et cela vous donne une oppor­tu­ni­té fan­tas­tique pour inno­ver. C’est vrai­ment exci­tant. Pre­nez par exemple votre Iphone qui tient dans la poche, c’est tou­jours un télé­phone. Sauf qu’il est très dif­fé­rent du télé­phone fixe, il est fabri­qué et uti­li­sé dif­fé­rem­ment, mais cela reste un télé­phone. Et il a rem­pla­cé le télé­phone fixe. Pou­vons-nous avoir ce type d’impact avec la viande végé­tale ? […] Si les gens ont gran­di en se réga­lant de sau­cisses, nous vou­lons être cer­tains de les abor­der avec amour et res­pect, en leur pro­po­sant un pro­duit au goût déli­cieux. Il y a lit­té­ra­le­ment plus de 1 000 molé­cules don­nant à la viande sa saveur carac­té­ris­tique, alors le jeu consiste à trou­ver des molé­cules simi­laires ou les mêmes molé­cules chez les plantes, puis de les com­bi­ner d’une cer­taine manière pour copier le goût de la viande. Chaque année, nous nous rap­pro­chons de l’objectif[121]. »

On en salive déjà.

Dans un article titrant « Pour­quoi le prix et non la gen­tillesse vont mettre fin à l’élevage » paru sur le site Plant Based News, Alex Lock­wood éclaire notre lan­terne. La pro­duc­tion des sub­sti­tuts végé­taux à très grande échelle, ain­si que les déve­lop­pe­ments bio­tech­no­lo­giques régu­liers, vont per­mettre aux indus­triels de pro­po­ser une viande végé­tale au-des­sous du prix de la viande ani­male. La tyran­nie du mar­ché s’apprête à por­ter le coup de grâce à l’élevage sous toutes ses formes, indus­triel et pay­san. Ceux qui souf­fri­ront le plus des consé­quences de cette guerre ali­men­taire seront comme tou­jours les petits pro­duc­teurs locaux. Il sub­sis­te­ra pro­ba­ble­ment une pro­duc­tion de viande arti­sa­nale, mais les prix risquent très cer­tai­ne­ment d’exploser, si bien que seuls les riches y auront accès. Ce sujet a déjà été abor­dé en détails dans l’article « L’avenir sera végan, que ça vous plaise ou non[122] ». Nous ne revien­drons donc pas ici en détails sur la « seconde domes­ti­ca­tion » des plantes et des ani­maux ren­due pos­sible par le déve­lop­pe­ment des bio­tech­no­lo­gies.

Le site Plant Based News indique par ailleurs que les lob­bys de l’agroalimentaire euro­péen – notam­ment l’industrie lai­tière – résistent à l’invasion des rayons des super­mar­chés par les sub­sti­tuts végé­taux :

« C’est éga­le­ment la rai­son pour laquelle le lob­by lai­tier euro­péen tente d’empêcher la vente de pro­duits d’o­ri­gine végé­tale dans des embal­lages “lai­tiers”. Si les four­nis­seurs de pro­duits d’o­ri­gine végé­tale doivent uti­li­ser des embal­lages dif­fé­rents, cela pour­rait rendre les alter­na­tives végé­tales plus dif­fi­ciles à pro­duire et, sur­tout, plus chères à ache­ter[123]. »

Et devi­nez sur qui se sont appuyés les indus­triels végans pour contre-atta­quer ? Sur leur com­mu­nau­té de fana­tiques ! La marque Oat­ly a ain­si fait tour­ner une péti­tion, relayée en sui­vant par d’autres marques véganes. En jan­vier, la péti­tion avait recueilli 16 000 signa­tures. Le 8 juin, ce chiffre s’élevait à plus de 450 000[124]. Comme le rap­pelle à juste titre Der­rick Jen­sen, cofon­da­teur de Deep Green Resis­tance, dans le docu­men­taire Bright Green Lies, le monde des affaires a réa­li­sé un véri­table tour de force mar­ke­ting en cap­tu­rant les aspi­ra­tions des gens, chose gran­de­ment faci­li­tée par le para­si­tage tech­no­lo­gique de la vie humaine – écrans, Inter­net et réseaux sociaux :

« Des cen­taines de mil­liers de per­sonnes défilent dans les rues de Washing­ton, New York ou Paris. Et si vous leur deman­dez : pour­quoi mani­fes­tez-vous ? Elles vous diront : nous vou­lons sau­ver la pla­nète. Si vous leur deman­dez leurs reven­di­ca­tions, elles vous diront : nous vou­lons des sub­ven­tions pour les indus­tries éolienne et solaire. C’est extra­or­di­naire. Je ne connais aucun autre exemple his­to­rique de mou­ve­ment de masse aus­si inté­gra­le­ment détour­né et chan­gé en lob­by pro-indus­trie. »

À cause du matra­quage cré­ti­ni­sant des ONG, des influen­ceurs et des médias, le même sketch pathé­tique se déroule à nou­veau sous nos yeux entre d’un côté des indus­tries mon­trées du doigt (char­bon, pétrole, gaz), et de l’autre, les indus­tries éolienne et solaire éri­gées en bien­fai­trices du monde et de l’humanité. Dans l’arène ali­men­taire, l’élevage a pris la place des car­bu­rants fos­siles en tant que bouc émis­saire. Mais cette oppo­si­tion est fac­tice, elle n’existe que dans l’imaginaire des consom­ma­teurs, les domi­nants l’ont construite de toutes pièces. Tout le sec­teur agro-indus­triel – dont les géants de la viande indus­trielle – inves­tissent mas­si­ve­ment dans les bio­tech­no­lo­gies afin de pro­duire à terme des sub­sti­tuts végé­taux à la viande et de la viande arti­fi­cielle. La même chose se pro­duit chez les majors du pétrole. Total inves­tit par exemple mas­si­ve­ment dans la cap­ture du car­bone pour « décar­bo­ner l’industrie » et sto­cker 2,4 mil­liards de tonnes de CO2 d’ici 2040[125]. Et d’après le maga­zine Capi­tal, « Total conti­nue d’accélérer dans l’énergie pho­to­vol­taïque ! Le géant du pétrole et des éner­gies renou­ve­lables a ache­té au groupe indien Ada­ni 20% dans Ada­ni Green Ener­gy Limi­ted (AGEL), pre­mier déve­lop­peur solaire au monde[126]. » Même scé­na­rio pour l’industrie agroa­li­men­taire. L’Empire Uni­le­ver a par exemple inves­ti 85 mil­lions d’euros pour construire un centre de recherche sur les alter­na­tives à base de plantes dans la « Sili­con Val­ley of Food », à Wage­nin­gen aux Pays-Bas[127]. Des mas­to­dontes états-uniens de la viande indus­trielle comme Tyson Foods et Car­gill ont inves­ti dans Mem­phis Meat, une star­tup fabri­quant de la viande à par­tir de cel­lules culti­vées en machine. Tyson a éga­le­ment inves­ti dans Beyond Meat (déjà évo­quée plus haut) et Future Meat Tech­no­lo­gies Ltd. Même chose pour Per­due Farms qui cherche à diver­si­fier ses acti­vi­tés. L’ensemble du sec­teur agro-indus­triel a déjà bien enta­mé sa muta­tion[128]. Klaus Schwab, patron du Forum Éco­no­mique Mon­dial, parle de « qua­trième révo­lu­tion indus­trielle[129] ».

Dans sa conclu­sion, un article du média Vox enfonce le clou sur la col­la­bo­ra­tion fruc­tueuse entre géants de la viande indus­trielle et star­tups véganes :

« Dans l’en­semble, […] les entre­prises spé­cia­li­sées dans les pro­duits alter­na­tifs à la viande ont bien accueilli leurs nou­veaux alliés impro­bables. Il s’a­git d’un signe sup­plé­men­taire signi­fiant que le mou­ve­ment ani­ma­liste est en train de com­prendre com­ment se démo­cra­ti­ser : en construi­sant une coa­li­tion autour de tous les pro­blèmes de l’é­le­vage indus­triel et en s’en­ga­geant de manière flexible dans tous les par­te­na­riats qui ont un sens pour un ave­nir sans viande[130]. »

Au risque de déce­voir les lec­teurs qui espé­raient naï­ve­ment voir les indus­triels végans suivre une quel­conque éthique, rap­pe­lons la chose sui­vante : le monde des affaires est amo­ral. L’éthique sert seule­ment d’appât dans une stra­té­gie mar­ke­ting bien fice­lée pour faire cra­cher le pognon au cha­land. Si col­la­bo­rer avec les cra­pules de la pire espèce – tueurs de masse, vio­leurs, dic­ta­teurs, escla­va­gistes – peut aider une firme à accroître son pou­voir, elle le fera sans aucune hési­ta­tion. Les exemples ne manquent pas.

Selon le socio­logue états-unien Charles Der­ber, la socié­té indus­trielle, ses règles et ses valeurs, sont socio­pa­thiques :

« Une socié­té socio­pathe est une socié­té qui déve­loppe des règles de com­por­te­ment anti-socié­tal. L’ensemble de notre struc­ture est conçue pour nous concen­trer sur la bio­lo­gie et les per­son­na­li­tés, et non sur les ins­ti­tu­tions. Nous voyons des indi­vi­dus, nous ne voyons pas de sys­tèmes.

[…]

Dans mon livre, Socio­pa­thic Socie­ty, je sou­tiens que la dif­fu­sion intense et effrayante du com­por­te­ment socio­pa­thique pro­vient des grandes entre­prises, qui sont fon­da­men­ta­le­ment des socio­pathes dans leur ADN, leurs sta­tuts, sur le mar­ché au sens plus large et dans l’économie poli­tique dans laquelle elles opèrent.

[…]

Le com­por­te­ment socio­pa­thique ne pro­vient pas d’une chi­mie céré­brale qui aurait mal tour­né, mais du triomphe d’un sys­tème socio­pa­thique d’institutions et d’élites qui ont réécrit les normes sociales, réécrit la loi, recon­fi­gu­ré l’arène du pou­voir ins­ti­tu­tion­nel de manière si extrême qu’elles ont créé une socié­té dans laquelle les normes de com­por­te­ment domi­nantes exigent une conduite de socio­pathe pour sur­vivre[131]. »

Retour aux alter­na­tives végé­tales à la viande pen­sées et fabri­quées par d’authentiques socio­pathes. Ces der­nières sont actuel­le­ment 200 % plus oné­reuses par rap­port à la viande, et cela consti­tue un frein impor­tant au déve­lop­pe­ment de l’industrie végane. Bill Gates, qui a lui aus­si inves­ti dans Beyond Meat, a encou­ra­gé récem­ment les gens à se tour­ner vers des pro­duits à base de plantes :

« Réduire vos propres émis­sions de car­bone n’est pas la chose avec le plus d’impact vous puis­siez faire. Vous pou­vez éga­le­ment envoyer un signal au mar­ché indi­quant que les gens veulent des alter­na­tives sans car­bone et sont prêts à payer pour cela.

[…]

Lorsque vous payez plus cher pour une voi­ture élec­trique, une pompe à cha­leur ou un ham­bur­ger à base de plantes, c’est comme de dire “il y a un mar­ché pour ces pro­duits. Nous allons les ache­ter.” »

Plus loin, le mil­liar­daire pour­suit :

« Si un nombre suf­fi­sant de per­sonnes envoie le même signal, les entre­prises réagi­ront – assez rapi­de­ment, d’a­près mon expé­rience. Elles consa­cre­ront plus d’argent et de temps à la fabri­ca­tion de pro­duits à faibles émis­sions, ce qui fera bais­ser les prix de ces pro­duits, ce qui les aide­ra à être adop­tés en grand nombre. »

Et les inves­tis­seurs – dont Bill Gates – seront tout natu­rel­le­ment heu­reux d’accumuler davan­tage d’argent et de pou­voir grâce à votre impli­ca­tion pour la super­che­rie du siècle qu’est la neu­tra­li­té car­bone :

« Les inves­tis­seurs seront plus confiants dans le finan­ce­ment des nou­velles entre­prises qui réa­lisent les per­cées qui nous aide­ront à atteindre la neu­tra­li­té car­bone[132]. »

Neutralité carbone ou comment achever la biosphère

En consom­mant végan ou « neutre en car­bone », la seule chose dont vous pou­vez être cer­tain, c’est d’engraisser Bill Gates et ses copains ultra­riches – Jeff Bezos, Xavier Niel, Richard Bran­son, Peter Thiel, Elon Musk, Reid Hoff­man et bien d’autres – qui ont tous inves­ti dans des star­tups véganes[133]. Pour ce qui est de sau­ver la pla­nète, rien n’est moins sûr. Ser­vant admi­ra­ble­ment l’accélération du déve­lop­pe­ment tech­no­ca­pi­ta­liste, la neu­tra­li­té car­bone a déclen­ché une course à l’extraction de métaux sans pré­cé­dent dans l’histoire. Selon la Banque Mon­diale, pour répondre à la demande inter­na­tio­nale, il fau­dra extraire 550 mil­lions de tonnes de cuivre dans les 25 pro­chaines années, soit une quan­ti­té équi­va­lente à la pro­duc­tion des 5 000 ans pas­sés[134]. Et il ne s’agit que du cuivre. La pro­duc­tion de lithium devra croître de 965 % d’ici 2050 pour satis­faire la demande ; celle de cobalt de 585 % ; celle de gra­phite de 383 % ; celle d’indium de 241 % ; quant à la pro­duc­tion de nickel, cette crois­sance est esti­mée à 108 %, prin­ci­pa­le­ment en rai­son du sto­ckage de l’énergie (74 % de la demande en 2050), mais le nickel est aus­si indis­pen­sable à la pro­duc­tion de nom­breux alliages, à com­men­cer par cer­tains aciers.

Pour rem­plir leurs objec­tifs et sécu­ri­ser l’approvisionnement des métaux indis­pen­sables à la crois­sance du sys­tème tech­no­lo­gique, les fêlés au pou­voir sont déter­mi­nés à miner les fonds marins de l’Océan Paci­fique (deep-sea mining). Selon l’UICN, ce car­nage est jus­ti­fié, puisqu’il s’agit de déve­lop­per des tech­no­lo­gies dites « vertes » :

« Les gise­ments miné­raux des grands fonds sus­citent un inté­rêt crois­sant. Cela est dû en grande par­tie à l’é­pui­se­ment des gise­ments ter­restres de métaux tels que le cuivre, le nickel, l’a­lu­mi­nium, le man­ga­nèse, le zinc, le lithium et le cobalt, ain­si qu’à la demande crois­sante de ces métaux pour pro­duire des appli­ca­tions de haute tech­no­lo­gie telles que les smart­phones et les tech­no­lo­gies vertes comme les éoliennes, les pan­neaux solaires et les bat­te­ries de sto­ckage élec­trique. »

Les connais­sances scien­ti­fiques sur les plaines abys­sales situées entre 3 500 et 6 000 mètres de pro­fon­deur sont anec­do­tiques, ce qui rend dif­fi­cile d’évaluer l’impact poten­tiel de ces extrac­tions :

« Comme les grands fonds marins res­tent peu étu­diés et mal connus, notre com­pré­hen­sion de leur bio­di­ver­si­té et de leurs éco­sys­tèmes pré­sente de nom­breuses lacunes. Il est donc dif­fi­cile d’é­va­luer de manière appro­fon­die les impacts poten­tiels de l’ex­ploi­ta­tion minière en eaux pro­fondes et de mettre en place des mesures de sau­ve­garde adé­quates pour pro­té­ger le milieu marin. »

Les engins raclant le plan­cher pour­raient détruire des habi­tats, éra­di­quer des espèces dont ne connaît pas l’existence, ou encore conduire à une frag­men­ta­tion ou à une perte de struc­ture et de fonc­tion­na­li­té de l’écosystème. Cer­taines tech­niques d’extraction vont créer d’immenses panaches de par­ti­cules en sus­pen­sion qui pour­raient se dis­per­ser bien au-delà de la zone d’extraction. Per­sonne ne sait com­bien de temps ils met­tront à se redé­po­ser, ni s’ils pour­raient étouf­fer les espèces vivantes qui dépendent d’une eau claire et propre pour se nour­rir (krill, requins-baleines). Et l’UICN d’ajouter :

« Les espèces telles que les baleines, les thons et les requins pour­raient être affec­tées par le bruit, les vibra­tions et la pol­lu­tion lumi­neuse cau­sés par les équi­pe­ments miniers et les navires de sur­face, ain­si que par les fuites et déver­se­ments poten­tiels de car­bu­rant et de pro­duits toxiques. »

Mais les consé­quences du deep-sea mining ne vont pas se limi­ter au niveau local. Inter­viewé dans le docu­men­taire La ruée vers les fonds marins du Paci­fique, Mat­thias Hae­ckel, cher­cheur au centre GEOMAR Helm­holtz pour la recherche océa­nique, déclare :

« Le plan­cher océa­nique, sur­tout celui des abysses qui repré­sente une immense sur­face, est le moteur prin­ci­pal du cycle mon­dial du car­bone. C’est lui qui équi­libre notre cli­mat à une échelle tem­po­relle d’environ 100 000 ans. À cela s’ajoute un 2ème cycle que l’exploitation des nodules [poly­mé­tal­liques] risque éga­le­ment de per­tur­ber, qui est celui de l’oxygène. Les sédi­ments marins régulent le taux d’oxygène, et là, il s’agit d’un cycle sur plus de deux mil­lions d’années. »

Rien de suf­fi­sam­ment alar­mant là-dedans pour tout stop­per selon l’UICN :

« Des éva­lua­tions des inci­dences sur l’en­vi­ron­ne­ment, une régle­men­ta­tion effi­cace et des stra­té­gies d’at­té­nua­tion sont néces­saires pour limi­ter les effets de l’ex­ploi­ta­tion minière pro­fondes[135]. »

L’U­nion inter­na­tio­nale pour la conser­va­tion de la pègre pré­cise en outre qu’il faut encou­ra­ger un meilleur desi­gn des pro­duits, recy­cler, répa­rer et réuti­li­ser les appa­reils. L’é­co­no­mie cir­cu­laire, c’est impor­tant pour laver dura­ble­ment le cer­veau des consom­ma­teurs. Les res­pon­sables de l’UICN sont plei­ne­ment conscients des désastres à venir, mais il faut quand même y aller. Le pro­grès de la civi­li­sa­tion, ça ne se dis­cute pas ! D’après Reu­ters, l’exploitation minière du pla­teau conti­nen­tal nor­vé­gien est immi­nente[136]. Selon le site Mining Tech­no­lo­gy, l’entreprise Deb­ma­rine Nami­bia, pos­sé­dée à parts égales par le gou­ver­ne­ment et le conglo­mé­rat dia­man­taire sud-afri­cain De Beers, extrait déjà des dia­mants au large des côtes nami­biennes depuis 2002[137]. Charles Der­ber avait vu juste, les ins­ti­tu­tions et leurs diri­geants sont des psy­cho­pathes. Ajou­tons que l’attention concen­trée sur la tran­si­tion car­bone et la pro­duc­tion éner­gé­tique éclipse aus­si les besoins annuels en sable et gra­vier de la civi­li­sa­tion indus­trielle. D’après l’ONU, la demande se situe­rait entre 40 et 50 mil­liards de tonnes par an, un chiffre en aug­men­ta­tion annuelle de 5,5 % en rai­son de l’urbanisation galo­pante et du déve­lop­pe­ment des infra­struc­tures[138].

Navire minier de l’entreprise De Beers. Cinq bateaux de ce type sillonnent les côtes nami­biennes, pom­pant jusqu’à 60 tonnes de sédi­ments par heure. Les tech­niques d’extraction varient selon la nature du plan­cher océa­nique, l’un des navires uti­lise par exemple un col­lec­teur de 280 tonnes pour dra­guer le fond. Les dia­mants décou­verts sont ensuite éva­cués par héli­co­ptère.
Les machines sont prêtes à exter­mi­ner la vie dans les abysses grâce à nos amis scien­ti­fiques et ingé­nieurs. À gauche, deux hommes en gilet jaune se tenant à côté de l’engin donnent une idée des dimen­sions du monstre.
Une carte de la zone de Cla­rion Clip­per­ton dans le centre de l’océan Paci­fique. Les fonds marins y regorgent de métaux indis­pen­sables à la qua­trième révo­lu­tion indus­trielle (man­ga­nèse, zinc, cuivre, or, cobalt, nickel, molyb­de­num, yttrium, tel­lu­rium, etc.).
Sché­ma de fonc­tion­ne­ment du minage des fonds marins.

Le rap­port Pers­pec­tives des res­sources mon­diales de l’ONU publié en 2019 ajoute au sujet des miné­raux non métal­liques (sable, gra­vier et argile) :

« Entre 1970 et 2017, l’utilisation s’est accrue, pas­sant de 9 à 44 mil­liards de tonnes, et repré­sente un dépla­ce­ment impor­tant de l’extraction mon­diale de la bio­masse vers les miné­raux. »

Sur l’eau :

« Les pré­lè­ve­ments d’eau au niveau mon­dial pour l’agriculture, l’industrie et les com­munes ont aug­men­té à un rythme plus rapide que celui de la popu­la­tion humaine dans la seconde moi­tié du XXe siècle. Entre 1970 et 2010, le taux de crois­sance des pré­lè­ve­ments a ralen­ti, mais aug­mente tou­jours de 2 500 à 3 900 km³ par an. Entre 2000 et 2012, 70 pour cent des pré­lè­ve­ments d’eau au niveau mon­dial ont ser­vi à l’agriculture, prin­ci­pa­le­ment à l’irrigation, tan­dis que les indus­tries ont pré­le­vé 19 pour cent et les com­munes 11 pour cent. »

Près de 90 % de l’eau pillée dans le monde l’est donc pour l’agriculture indus­trielle et les indus­tries.

Sur les métaux :

« Une crois­sance annuelle de 2,7 pour cent de l’utilisation des mine­rais métal­liques depuis 1970 reflète l’importance des métaux dans la construc­tion, les infra­struc­tures, la fabri­ca­tion et les biens de consom­ma­tion. »

Sur les com­bus­tibles fos­siles :

« L’utilisation du char­bon, du pétrole et du gaz natu­rel est pas­sée de 6 mil­liards de tonnes en 1970 à 15 mil­liards de tonnes en 2017, mais la part de l’extraction totale au niveau mon­dial a dimi­nué de 23 à 16 pour cent. »

Les États-Unis, la Nor­vège, la Fin­lande, la Chine, la Rus­sie, tous les États indus­tria­li­sés n’attendent qu’une chose : la fonte de l’Arctique pour aller y cher­cher les gigan­tesques res­sources pétro­lières et gazières esti­mées res­pec­ti­ve­ment à 13 % (90 mil­liards de barils) et 25 % des réserves mon­diales[139].

Sur la bio­masse :

« La demande totale de bio­masse a aug­men­té, pas­sant de 9 mil­liards de tonnes en 1970 à 24 mil­liards de tonnes en 2017, sur­tout dans les caté­go­ries récolte et pâtu­rage. »

Au total, l’extraction de maté­riaux a été mul­ti­pliée par trois en quelques décen­nies seule­ment :

« Entre 1970 et 2017, l’extraction annuelle de matières au niveau mon­dial a tri­plé, pas­sant de 27 à 92 mil­liards de tonnes, et conti­nue d’augmenter. Depuis l’an 2000, la crois­sance des taux d’extraction s’est accé­lé­rée, attei­gnant 3,2 pour cent par an, impu­table en grande par­tie à d’importants inves­tis­se­ments dans les infra­struc­tures et à l’amélioration du niveau de vie maté­riel dans les pays en déve­lop­pe­ment et en tran­si­tion, notam­ment en Asie[140]. »

Ils font bien de pré­ci­ser niveau de vie « maté­riel », car la cor­ré­la­tion posi­tive éta­blie par les tech­no­crates entre niveau de bien-être et accu­mu­la­tion maté­rielle est un men­songe ; elle ne se maté­ria­lise pas dans la vie réelle. Si les gens étaient heu­reux dans l’Occident civi­li­sé, l’industrie du déve­lop­pe­ment per­son­nel ne pèse­rait pas 38 mil­liards de dol­lars aux États-Unis[141], et la consom­ma­tion d’antidépresseurs n’exploserait pas dans tous les pays pro­gres­sistes[142]. La plu­part des socié­tés non civi­li­sées com­battent à rai­son l’accumulation maté­rielle, par exemple les Had­zabe de Tan­za­nie[143].

Deve­nus hégé­mo­niques avec une capi­ta­li­sa­tion bour­sière cumu­lée qui a dépas­sé les 5 000 mil­liards de dol­lars en 2020 (« la capi­ta­li­sa­tion seule d’Apple [2 256 mil­liards de dol­lars] dépasse la valeur cumu­lée des entre­prises de la place bour­sière fran­çaise » annonce le maga­zine LSA[144]), les GAFA se parent de toutes les ver­tus quand il s’agit de décar­bo­ner la socié­té tech­no-indus­trielle. Et pour­tant, « le numé­rique car­bure au char­bon » d’après Le Monde Diplo­ma­tique. L’industrie numé­rique repré­sente déjà 4 % de la consom­ma­tion d’énergie pri­maire mon­diale, et cette consom­ma­tion croît à un rythme de 9 % par an. Les data­cen­ters d’Amazon situés en Vir­gi­nie, où tran­site envi­ron 70 % du tra­fic Inter­net mon­dial, car­burent prin­ci­pa­le­ment au char­bon des mon­tagnes Appa­laches extrait en écrê­tant les som­mets à l’explosif. À cette expan­sion de la gan­grène tech­no­lo­gique va s’ajouter une forte hausse des émis­sions de GES, car « un pro­jet stan­dard d’apprentissage auto­ma­tique émet aujourd’hui, pen­dant l’ensemble de son cycle de déve­lop­pe­ment, envi­ron 284 tonnes de CO2, soit cinq fois les émis­sions d’une voi­ture de sa fabri­ca­tion jusqu’à la casse. »

D’après le cher­cheur Car­los Gomez-Rodrigues :

« La majo­ri­té des recherches récentes en intel­li­gence arti­fi­cielle négligent l’efficacité éner­gé­tique, parce qu’on s’est aper­çu que de très grands réseaux de neu­rones [plus éner­gi­vores] sont utiles pour accom­plir une diver­si­té de tâches, et que les entre­prises et les ins­ti­tu­tions qui ont accès à d’abondantes res­sources infor­ma­tiques en tirent un avan­tage concur­ren­tiel[145]. »

Les GAFAM n’ont par consé­quent aucun inté­rêt à mettre au point des tech­no­lo­gies sobres. Pour conclure sur ce point, pré­ci­sons que Micro­soft, Ama­zon et Google ont pour clientes la plu­part des majors pétro­lières (Total, Che­vron, BP, Exxon, etc.).

L’ablation des Appa­laches au nom du pro­grès de la civi­li­sa­tion indus­trielle.

La socié­té indus­trielle consume lit­té­ra­le­ment notre pla­nète vivante pour exé­crer en fin de chaîne de la matière inerte, morte. D’après une étude publiée le 9 décembre 2020 dans la revue Nature, la masse « anthro­po­gé­nique », ou plu­tôt indus­trielle puisque décou­lant exclu­si­ve­ment de l’appareil pro­duc­tif indus­triel – construc­tions et infra­struc­tures prin­ci­pa­le­ment –, est aujourd’hui équi­va­lente à la bio­masse ter­restre vivante esti­mée à 1,1 téra­tonne, soit 1 100 mil­liards de tonnes. Dans les deux cas, il s’agit de la masse « sèche », c’est-à-dire excluant l’eau. Selon les auteurs, la masse anthro­po­gé­nique « est défi­nie comme la masse incor­po­rée dans les objets solides inani­més fabri­qués par l’homme (qui n’ont pas été démo­lis ou mis hors ser­vice, que nous défi­nis­sons comme “déchets de masse anthro­pique”) ». On y trouve l’ensemble des maté­riaux uti­li­sés par le sec­teur du BTP et l’industrie : béton, agré­gats, briques, métaux, bois uti­li­sé pour l’industrie pape­tière, ou encore verre et plas­tique. Les auteurs de l’étude estiment éga­le­ment que la seule masse du plas­tique sur Terre (déchets com­pris) excède celle de tous les ani­maux ter­restres et marins.

La crois­sance expo­nen­tielle de la masse dite « anthro­po­gé­nique », ou plus pré­ci­sé­ment indus­trielle, puisque résul­tant exclu­si­ve­ment de l’appareil pro­duc­tif de la socié­té indus­trielle, en com­pa­rai­son de la bio­masse. D’après les auteurs de l’étude, cette der­nière est res­tée stable en rai­son d’une inter­ac­tion com­plexe entre la défo­res­ta­tion, le reboi­se­ment et l’effet crois­sant de fer­ti­li­sa­tion par le CO2.

Cette démence nom­mée pro­grès ne s’ar­rê­te­ra pas d’elle-même. Il fau­dra inter­ve­nir, puis­qu’un autre objec­tif dis­si­mu­lé der­rière cette volon­té de conver­tir au végé­ta­lisme l’humanité entière est de libé­rer du pou­voir d’achat grâce à l’innovation tech­no­lo­gique, pour sti­mu­ler la crois­sance, donc extraire plus de maté­riaux et accé­lé­rer la dévas­ta­tion du monde. Selon le think tank RethinkX, auteur du rap­port Repen­ser l’alimentation et l’agriculture 2020–2030 – La seconde domes­ti­ca­tion des plantes et des ani­maux, la dis­rup­tion de la vache, et l’effondrement de l’élevage indus­triel :

« La famille amé­ri­caine moyenne éco­no­mi­se­ra plus de 1 200 dol­lars par an en frais d’a­li­men­ta­tion. Cela per­met­tra aux Amé­ri­cains de conser­ver 100 mil­liards de dol­lars sup­plé­men­taires par an dans leurs poches d’i­ci 2030[146]. »

Le sur­plus ain­si déga­gé pour les ménages peut être dépen­sé pour consom­mer plus.

Consommer ou combattre

« Ils veulent nous faire croire que nos choix de consom­ma­tion sont le seul moyen que nous avons de chan­ger les choses. Si nous accep­tons cela, ils gagnent. Nous voi­là réduits au sta­tut de consom­ma­teurs. On ne devrait pas se lais­ser faire. Parce que, oui, on consomme. Dans cette socié­té, dans cette culture, je suis obli­gé d’acheter des choses pour sur­vivre. Mais cela ne me défi­nit en rien, pas plus que mon pou­voir d’ac­tion dans ce monde. Fon­da­men­ta­le­ment, je suis un ani­mal doté de mains et de pieds. Je peux aller me bala­der dans des endroits, je peux faire des choses. J’ai une voix, la capa­ci­té de par­ler avec d’autres, de construire une rela­tion avec eux, de m’organiser, et de me battre si néces­saire. Tout cela importe bien plus que ma capa­ci­té à ache­ter ou ne pas ache­ter quelque chose. »

– Max Wil­bert, auteur et membre du mou­ve­ment Deep Green Resis­tance, inter­viewé dans le docu­men­taire Bright Green Lies.

À l’instar d’Extinction Rebel­lion, le mou­ve­ment Ani­mal Rebel­lion ins­crit sur son site à plu­sieurs endroits, en gras et sur­li­gné de rouge que leur « phi­lo­so­phie est la déso­béis­sance civile non vio­lente ». Ils pré­tendent que seule la mobi­li­sa­tion de masse non vio­lente peut chan­ger le sys­tème poli­tique et éveiller les consciences et, de manière assez pathé­tique, s’excusent par avance pour les désa­gré­ments cau­sés par leurs actions de blo­cage[147]. Bref, des rebelles en car­ton, voire des col­la­bos si l’on se réfère aux pro­pos de George Orwell sur le paci­fisme. Il est déjà loin le temps où José Bové démon­tait le McDonald’s de Mil­lau en com­pa­gnie d’autres agri­cul­teurs. Pen­sez-vous qu’Hitler aurait pu être vain­cu par la non-vio­lence ? Aveu­glé par son idéo­lo­gie paci­fiste, Gand­hi sem­blait le croire puisqu’il a envoyé deux lettres à Hit­ler pour lui deman­der gen­ti­ment de ces­ser ses bêtises[148]. Pen­sez-vous que les Viet­na­miens auraient pu battre les colons fran­çais puis repous­ser l’invasion amé­ri­caine en leur deman­dant gen­ti­ment d’arrêter ? Bien sûr que non. Ajou­tons en sus que l’influence de Gand­hi sur le départ des bri­tan­niques a été « mini­male », dixit le pre­mier ministre bri­tan­nique de l’époque Sir Cle­ment Attlee, l’homme qui a octroyé à l’Inde son indé­pen­dance[149].

« Le paci­fisme est ouver­te­ment pro-fas­ciste. Cela relève du bon sens le plus élé­men­taire. Quand on entrave l’effort de guerre d’un camp, on aide auto­ma­ti­que­ment le camp adverse. Par ailleurs, il n’est pas vrai­ment pos­sible de faire preuve de neu­tra­li­té dans une guerre comme celle-ci. […] D’autres s’imaginent que l’on pour­rait « venir à bout » de l’armée alle­mande en se cou­chant sur le dos ; qu’ils conti­nuent à la croire, mais qu’ils se demandent aus­si de temps en temps s’il ne s’agit pas là d’une illu­sion née d’un sou­ci de sécu­ri­té, d’un excès d’argent et d’une simple mécon­nais­sance de la manière dont les choses se pro­duisent réel­le­ment. […] Les gou­ver­ne­ments des­po­tiques peuvent endu­rer la ‘’force morale’’ indé­fi­ni­ment ; ce qu’ils craignent, c’est la force phy­sique. »

– George Orwell

« Il est impos­sible d’introduire dans la phi­lo­so­phie de la guerre un prin­cipe de modé­ra­tion sans com­mettre une absur­di­té. »

– Carl von Clau­se­witz, De la guerre, 1832.

Confor­ta­ble­ment ins­tal­lées dans leurs bun­kers, les classes domi­nantes n’ont nul­le­ment l’intention d’introduire un prin­cipe de modé­ra­tion dans leur guerre mon­diale contre la nature. Der­rick Jen­sen résume bien la chose dans la pré­face du livre Le paci­fisme comme patho­lo­gie de Ward Chur­chill, un Indien métis Creek/Cherokee :

« Ceux au pou­voir sont insa­tiables. Ils feront tout — men­tir, tri­cher, voler, tuer — pour accroître leur pou­voir.

Le sys­tème récom­pense cette accu­mu­la­tion de pou­voir. Il la requiert. Le sys­tème lui-même est insa­tiable. Il requiert la crois­sance. Il requiert l’exploitation sans cesse crois­sante des res­sources, y com­pris des res­sources humaines.

Il ne s’arrêtera pas parce que nous le deman­dons gen­ti­ment ; autre­ment, il se serait arrê­té il y a déjà long­temps, lorsque les Indiens et d’autres peuples autoch­tones deman­dèrent gen­ti­ment aux membres de cette culture de bien vou­loir arrê­ter de leur voler leurs terres. Il ne s’arrêtera pas parce que c’est la chose juste à faire, sinon il n’aurait jamais com­men­cé.

Il ne s’arrêtera pas tant qu’il res­te­ra quelque chose à exploi­ter. Il ne peut pas[150]. »

L’ensemble des mesures les plus popu­laires aujourd’hui pour solu­tion­ner la crise éco­lo­gique et cli­ma­tique glo­bale – éner­gie décar­bo­née, régime végétarien/végétalien, com­pen­sa­tion car­bone, etc. – le sont parce qu’elles ne remettent aucu­ne­ment en cause le mode de vie des humains urba­no-indus­triels. Il s’agit tout au plus de quelques ajus­te­ments cos­mé­tiques ayant pour prin­ci­pal objec­tif de relan­cer le capi­ta­lisme en perte de vitesse, d’optimiser la « rési­lience » de la socié­té indus­trielle pour réem­ployer le vocable à la mode. Aucun déman­tè­le­ment de la socié­té indus­trielle n’est envi­sa­gé, ni même dis­cu­té. Les poli­ti­ciens, les oli­garques et les tech­no­crates veulent main­te­nir le plus long­temps pos­sible la méga­ma­chine en état de marche dans un envi­ron­ne­ment à l’instabilité crois­sante – per­tur­ba­tions cli­ma­tiques, mon­tée des eaux, insta­bi­li­té géo­po­li­tique, effon­dre­ments éco­sys­té­miques, accé­lé­ra­tion des flux migra­toires, etc.

Plu­sieurs siècles de recul per­mettent désor­mais de juger de la capa­ci­té de la civi­li­sa­tion indus­trielle à coha­bi­ter avec le vivant. Comme toutes les autres qui ont pré­cé­dé, cette civi­li­sa­tion asser­vit, mani­pule, domes­tique, exploite, détruit et tue. À la dif­fé­rence des civi­li­sa­tions pré­cé­dentes, la civi­li­sa­tion indus­trielle, pro­pul­sée par les car­bu­rants fos­siles et l’électricité nucléaire, menace dans un futur proche d’anéantir les condi­tions pro­pices au main­tien sur Terre de formes de vie com­plexes – mam­mi­fères, oiseaux, rep­tiles, et bien d’autres.

« […] si le déve­lop­pe­ment du sys­tème-monde tech­no­lo­gique se pour­suit sans entrave jusqu’à sa conclu­sion logique, selon toute pro­ba­bi­li­té, de la Terre il ne res­te­ra qu’un caillou déso­lé — une pla­nète sans vie, à l’exception, peut-être, d’organismes par­mi les plus simples — cer­taines bac­té­ries, algues, etc. — capables de sur­vivre dans ces condi­tions extrêmes. »

– Theo­dore Kac­zyns­ki, célèbre mathé­ma­ti­cien, extrait du livre Anti-Tech Revo­lu­tion (2016).

« Ceci est mon mes­sage pour l’Occident – votre civi­li­sa­tion est en train de tuer la vie sur Terre[151]. »

– Nemonte Nen­qui­mo, acti­viste Wao­ra­ni de la pro­vince de Pas­ta­za (Équa­teur), cofon­da­trice de la Cei­bo Alliance, titre d’une tri­bune publiée par le jour­nal bri­tan­nique The Guar­dian en octobre 2020.

Nemonte Nen­qui­mo

Il faut stop­per la civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle et la déman­te­ler par tous les moyens pos­sibles et ima­gi­nables – mais sur­tout effi­caces. À ce stade, la ques­tion que vous devriez vous poser est la sui­vante : dans quel camp vous situez-vous ?

Êtes-vous du côté de la civi­li­sa­tion, pour ses pri­sons urbaines, pour une exis­tence ser­vile cal­quée sur le rythme infer­nal des machines et des usines, pour la sou­mis­sion à la dic­ta­ture tech­nos­cien­tiste et au des­po­tisme consu­mé­riste ? Avez-vous envie de tolé­rer encore long­temps l’humiliation quo­ti­dienne que vous font subir la ver­mine poli­ti­cienne et l’aristocratie média­tique, toutes deux aux bottes d’une petite caste d’ultrariches fous à lier ?

Ou êtes-vous pour la vie, c’est-à-dire du côté des mil­liards d’humains – peuples pre­miers et com­mu­nau­tés rurales du Sud glo­bal – déjà en résis­tance contre cette civi­li­sa­tion depuis plu­sieurs siècles, pour pré­ser­ver leurs terres, leur iden­ti­té, leur culture, leur mode de vie et leur digni­té ? Êtes-vous prêt à com­battre ? Êtes-vous prêt à sacri­fier votre exis­tence pour le cerf élaphe, le loup gris, le renard roux, l’ours brun, la mésange char­bon­nière, la coro­nelle lisse, le ham­ster géant, la ber­ge­ron­nette des ruis­seaux et l’hirondelle ?

« On ne peut pas mar­cher dans la rue et voir un enfant se faire mal­trai­ter sans inter­ve­nir, ni res­ter à regar­der les baleines mou­rir sans inter­ve­nir. Les océans sont en train de mou­rir, nous avons déjà anéan­ti 90 % des pois­sons et nous conti­nuons à exploi­ter la res­source. Je ne crois pas aux mani­fes­ta­tions. Mani­fes­ter, c’est se sou­mettre : « S’il vous plaît, ne faites pas ça ». Ils le font quand même ! C’est humi­liant. Ce n’est pas mani­fes­ter qu’il faut, c’est inter­ve­nir. »

– Paul Wat­son, fon­da­teur de Sea She­pherd, pro­pos recueillis dans le docu­men­taire Les Insur­gés de la Terre.

Phi­lippe Ober­lé


  1. https://www.worldbank.org/en/topic/indigenouspeoples#1
  2. https://youtu.be/igEVbV586Ww
  3. https://bteam.org/who-we-are/leaders. Voi­ci quelques-uns des autres membres de la B Team, pour la plu­part anciens PDG, PDG en exer­cice, ou mil­liar­daires : Paul Pol­man (ancien pré­sident de Proc­ter & Gamble), Ajay Ban­ga (pré­sident exé­cu­tif Mas­ter­card), Marc Benioff (fon­da­teur et PDG Sales­force), Jes­per Bro­din (PDG IKEA), Emma­nuel Faber (ancien PDG Danone), André Hoff­mann (mil­liar­daire héri­tier du fon­da­teur du labo­ra­toire Roche, géant mon­dial des bio­tech­no­lo­gies), Yolan­da Kaka­badse (ancienne pré­si­dente WWF), Isa­belle Kocher (ancienne PDG Engie), Indra Nooyi (ancienne PDG Pep­si­Co), Andrew Live­ris (ancien PDG Dow Che­mi­cals), Fran­çois-Hen­ri Pinault (pro­prié­taire et PDG du groupe de luxe Kering).
  4. https://youtu.be/7WvehTbuvIo
  5. https://twitter.com/GretaThunberg/status/1396058911325790208
  6. https://www.actu-environnement.com/ae/news/biodiversite-cop15-octobre-2021-kunming-chine-37276.php4
  7. https://twitter.com/UNBiodiversity
  8. https://www.unmgcy.org/for-nature
  9. https://www.international-climate-initiative.com/en/news/article/fornature_international_day_for_biological_diversity
  10. https://www.biodiversityfinance.net/news-and-media/fornature-world-biodiversity-day-2021
  11. https://www.facebook.com/watch/?v=315349456740038
  12. https://www.fondation-nicolas-hulot.org/ils-nous-soutiennent/
  13. https://www.challenges.fr/classements/fortune/bruno-rousset_531
  14. https://youtu.be/4KRBgVYEvNA
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À propos de l'auteur Le Partage

« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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