Le 5 mai 2021 se tenait, à Lisbonne, au Portugal, une « conférence européenne sur l’exploitation minière verte (‘green mining’) ». Cette conférence constituait un « événement international de haut niveau dans le secteur des ressources minières ». Y participaient « des entités et des organismes nationaux et internationaux, des entreprises, des universités, des associations de l’industrie et d’autres parties intéressées jouant un rôle pour le secteur des ressources minières ».
Afin de manifester leur opposition aux prétentions avancées lors de cette conférence, et aux projets qui en découlent, 14 organisations et associations populaires se sont rendues dans la capitale portugaise. Beaucoup d’entre elles venaient de la communauté de Covas do Barroso, dans le nord du Portugal, où des conflits sévissent autour d’un projet de mine de lithium.
Le lithium est un des métaux les plus convoités pour la production des batteries des véhicules électriques et le stockage des énergies renouvelables. Malheureusement, le « Green Deal » européen vise à intensifier l’exploitation minière au sein de l’Union Européenne. Au-delà des tensions à Covas do Barroso, à travers toute l’Europe, des conflits de plus en plus visibles et de plus en plus nombreux se forment autour de l’exploitation des matières premières. Le « Green Deal » européen, fondé sur l’idée absurde et nuisible de « croissance verte », souhaite perpétuer un extractivisme infini en vue de garantir la continuation du fonctionnement de la civilisation industrielle. Une partie de la stratégie qu’il propose consiste à rapprocher l’exploitation minière du territoire national – l’idée étant de faire d’une pierre deux coups : une aubaine pour l’autonomie stratégique de l’UE en matière de ressources, et une occasion de superviser les projets de manière plus durable.
Bien entendu, la seule solution saine, décente, souhaitable, consiste à démanteler l’intégralité de la civilisation industrielle, fondamentalement insoutenable. Bien entendu, on peut toujours courir. Cela ne sera jamais l’objectif des classes et institutions dirigeantes. Cela ne constitue même pas l’objectif des mouvements écologistes les plus en vus (les plus médiatiques, subventionnés). Quoi qu’il en soit, les 14 organisations et associations portugaises ayant manifesté leur opposition à la conférence l’ont formulée dans un texte, intitulé « Manifesto de repúdio à narrativa Green Mining » (Manifeste contre l’exploitation minière prétendument « verte » ou « durable »), également signé par d’autres associations et organisations, au niveau européen. En voici une traduction.
Manifeste contre l’exploitation minière prétendument « verte » ou « durable »
Lisbonne, 5 mai 2021
Les associations et mouvements signataires, qui s’opposent aux exploitations minières existantes ou en projets, présentent dans ce document leur opposition au discours sur l’exploitation minière verte, objet de cette conférence européenne.
L’exploitation minière « verte » est présentée par l’industrie minière, la Commission européenne (CE) et les gouvernements des États membres comme une exploitation minière responsable et durable. Une exploitation minière reposant sur une efficacité maximale en ce qui concerne l’utilisation de l’eau, de l’énergie et des minerais extraits, et qui prétend assurer la conservation des ressources naturelles et minérales pour les générations futures. Dans le même temps, elle promet une minimisation des impacts sociaux, environnementaux et matériels causés par l’exploitation.
Nous affirmons que la réalisation de tous ces objectifs est une impossibilité. La plupart des projets proposés impliquent l’exploitation de gisements de moins en moins rentables, une importante production de déchets et le recours à la méthode d’exploitation à ciel ouvert, dans une optique de réduction des coûts et d’augmentation des profits.
Depuis la crise économique de 2008, l’Europe se trouve confrontée à la nécessité de sécuriser son approvisionnement en matières premières considérées comme critiques en anticipant les problèmes géopolitiques et financiers qui pourraient entraver leur obtention auprès de ses fournisseurs habituels. En parallèle, reconnaissant l’impact de l’utilisation des combustibles fossiles dans les transports sur l’accumulation des gaz à effet de serre – principale cause du réchauffement climatique – l’Europe élabore des plans et des objectifs de décarbonisation basés sur le remplacement des véhicules à moteur à combustion par des véhicules électriques (s’engageant auprès de l’industrie automobile). En conséquence, la nécessité de développer la production de batteries, dont les principaux composants proviennent de l’exploitation minière, est désormais affirmée. À l’heure de la « décarbonisation » des « besoins énergétiques », davantage encore de batteries seront nécessaires pour stocker l’énergie obtenue à partir de centrales dont la production énergétique est intermittente (solaire, éolienne). Même au risque que ce modèle ne nous permette ni d’être autosuffisant ni compétitif par rapport à l’industrie minière asiatique et sud-américaine, le développement de ce secteur a été considéré comme une nécessité stratégique dans le contexte européen (European Battery Alliance, 2017), avec la création de divers clusters et alliances stratégiques au sein des États membres, et entre eux.
Nous sommes donc confrontés à un grave conflit entre écologie et économie, puisqu’en vue d’atteindre un objectif supposément bénéfique pour l’environnement, fondé sur une hypothétique réduction des gaz à effet de serre, il nous faudrait sacrifier de vastes zones à l’exploitation minière. Une véritable économie, une gestion appropriée de la planète et de ses ressources finies, se doit d’être écologiquement durable, ce qui est incompatible avec l’existence d’une industrie minière. Conscients qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir l’approbation de la société et des populations directement concernées, les promoteurs de cette nouvelle vague d’extractions minières ont élaboré un récit selon lequel il s’agirait d’une exploitation minière verte. Au moyen de ce récit, aussi appelé « exploitation minière durable », il s’agit de dissimuler les faits suivants :
- Que l’exploitation minière ne peut pas être durable, étant donné que les ressources minérales ne sont pas renouvelables – ce qui entre en contradiction avec le slogan selon lequel ils agissent de manière responsable envers les générations futures ;
- Que selon le Global Resources Outlook 2019 [« Perspectives des ressources mondiales 2019 » : un rapport élaboré par le Groupe international d‘experts sur les ressources], l’extraction et le traitement des ressources sont globalement responsables de 90 % de la perte de biodiversité, de l’augmentation du stress hydrique et d’environ la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre ;
- Que les impacts de l’exploitation minière à ciel ouvert, de même que l’exploitation minière souterraine, génèrent inéluctablement d’immenses quantités de déchets et de boues, de résidus qui causent de graves dommages dans les zones adjacentes, dommages qui, par effet de ruissellement, affectent des régions plus étendues, nuisant fortement à l’utilisation ultérieure de ces terres en vue de pratiquer des activités soutenables ;
- L’altération, potentiellement permanente, du fonctionnement hydrogéologique du sous-sol jusqu’à la limite de profondeur de l’exploitation. Non seulement à cause de la pollution de l’eau utilisée dans les phases d’extraction, de lavage et de concentration du minerai, mais aussi à cause de sa consommation extrêmement élevée qu’ils prétendent justifier en évoquant une utilisation prétendument efficace de l’eau dans un circuit fermé. Ce qui pose problème, c’est l’autorisation d’utiliser l’eau potable en vue de générer des profits pour des entreprises privées. L’eau, bien commun de plus en plus rare, est essentielle à la pérennité des territoires et de la vie ;
- Nombre de régions où des activités extractives sont en place et où d’autres sont en projets souffrent d’une sécheresse importante, voire extrême, pendant la majeure partie de l’année. Cette sécheresse est associée au phénomène global du changement climatique, principalement induit par le phénomène de l’industrialisation du monde, qui débute au 18e siècle. L’impact de l’industrialisation a été démultiplié par les politiques de production et de consommation excessives qui se sont imposées au cours du siècle dernier. L’extermination des écosystèmes indigènes au profit de l’agriculture et de l’élevage intensifs, massifs, les monocultures de la foresterie industrielle et l’éradication de la forêt indigène, l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles, la massification de l’utilisation de la voiture individuelle, l’impact du tourisme mondial low-cost, etc. sont les caractéristiques du modèle économique actuel, qui use et abuse des ressources de la planète sous la bannière du profit et de la croissance économique infinie – modèle voué à se perpétuer avec la réindustrialisation de l’Europe et une action climatique à courte vue.
- La consommation énergétique incalculable des opérations d’extraction, de lavage, de concentration et de transport des minerais implique, pour nombre d’entre elles, l’utilisation de combustibles fossiles – un état de fait qui contredit la prétention d’efficacité dans l’utilisation des ressources énergétiques ;
- La nécessité d’extraire d’immenses quantités de roche pour atteindre les filons ; l’impossibilité, tant sur le plan technologique qu’en raison de coûts élevés, de récupérer les nombreux minerais présents dans les résidus en raison de leur faible concentration ; la lixiviation des sulfures présents dans les terrils et les remblais, qui réagissent avec l’eau pour générer de l’acide sulfurique, qui s’écoule dans les cours d’eau alentour, y déposant des métaux lourds, de l’arsenic, etc., menaçant la santé publique et les écosystèmes ; l’existence de demandes d’exploration dans des zones uranifères, qui, si elles étaient exploitées, génèreraient une pollution radioactive sur site et dans les zones environnantes ; le stockage de déchets radioactifs menaçant la santé publique et les écosystèmes ; le dépôt de poussières (contenant par exemple de fortes concentrations de micas et de fluorures) sur de longues distances en raison de l’action du vent, avec pour conséquence la détérioration des conditions des pratiques agricoles et la démultiplication du nombre de régions impactées – les promoteurs de l’exploitation minière verte opposent à cela l’efficacité prétendue de l’utilisation des minerais et quelque minimisation des impacts environnementaux ;
- Un besoin limité en main-d’œuvre en raison de la mécanisation presque totale des opérations minières actuelles et de leur spécialisation croissante, qui ne se traduira donc pas par la création promise de nombreux emplois au niveau local étant donné que les quelques emplois créés seront précaires et temporaires ; un bouleversement profond des traditions et de la qualité de vie de la population dû aux diverses formes de pollution et au bruit constant causé par l’extraction et le transport ; la perturbation du tissu actuel de micro et petites entreprises liées à l’agriculture et au tourisme local et naturel ; un impact direct sur la santé de la population ; une diminution de la valeur du marché immobilier, tant urbain que rural, en raison de la proximité des exploitations minières ; une augmentation inévitable de la désertification après la fermeture – autant de faits qui exposent la vérité derrière la prétention illusoire à quelque « minimisation des impacts » sociaux ;
- Malgré le récit selon lequel l’industrie contemporaine serait suffisamment réglementée et sûre, l’Europe a été désignée comme le deuxième continent ayant le plus grand nombre d’incidents liés aux digues à résidus ou aux défaillances critiques d’autres infrastructures. Pour exemple, mentionnons les évènements d’Aznalcóllar (1998), Baia Mare et Borşa (2000), Aitik (2000), Sasa (2003), Malvési (2004), Ajka (2010), Talvivaara (2012), Mont Neme (2014) et Cobre Las Cruces (2019). D’autres infrastructures de stockage de déchets, à travers l’Europe, semblent être sur le point de s’effondrer de manière catastrophique : Riotinto et San Finx en Espagne, et Cabeço do Pião au Portugal.
- L’impossibilité de réutiliser les terres exploitées. La formation de discontinuités territoriales irréversibles rend impossible la compensation fonctionnelle de la perte de zones d’écosystèmes et de patrimoine protégés par la loi ; empêche la reprise des activités agricoles, forestières ou pastorales dans les zones ciblées pour l’exploitation et leurs environs ; ne permet pas la récupération du tissu social affecté et réduit la probabilité de récupération de la population perdue ; favorise les foyers de pollution, les changements irréversibles dans les cours d’eau et les eaux souterraines et affecte l’utilisation des sources d’eau potable par les populations. On remarque également une absence systématique de prise en compte des graves impacts de la pollution sur la santé, de la prise en charge des pertes de valeur du patrimoine des populations directement ou indirectement touchées et de l’impact réel sur l’équilibre du pays avec la fermeture du projet – autant de réalités qui contredisent les arguments fallacieux de « mitigation des impacts post-exploitation » avancés par les promoteurs.
- La réglementation fondamentale de la chaîne d’approvisionnement, tant en Europe qu’au-delà, est imparfaite et insuffisante. En outre, les administrations sont souvent incapables de faire appliquer les réglementations existantes. Les initiatives internationales servant de modèle aux objectifs européens en matière d’exploitation minière verte ne fixent pas non plus de critères stricts. Parmi celles-ci, on retrouve des programmes tels que Mining, Minerals and Sustainable Development (« Extraction minière, minerais et développement durable ») ou l’Extractive Industries Transparency Initiative (« Initiative pour la transparence dans les industries extractives »), ainsi que les cadres nationaux et d’entreprise existants pour les « industries extractives durables » (Australian Mineral Industry Framework, South African Mining Charters, Finnish Mining Act, Netherlands Responsible Mining Index, TSM Canada, Anglo American’s Sustainable Mining Plan, World Bank Climate Smart Mining, etc.) De même, les initiatives européennes les plus récentes, telles que la norme CERA 4in1 ou le réseau finlandais pour une exploitation minière durable, font preuve d’un sérieux manque de transparence et de respect des populations, étant dirigées par l’industrie. Ces initiatives ne s’inscrivent pas dans une législation en mesure de sanctionner les infractions ou de rendre la participation civique obligatoire.
- La participation civique, sous l’égide de concepts industriels comme le permis social d’exploitation (SLO, Social License to Operate), est systématiquement réduite à des consultations multipartites ou à d’autres protocoles non contraignants établis avec les communautés concernées. Dans le même temps, l’implication de certaines ONG au niveau national et européen, dans les clusters, les alliances industrielles et les groupes de travail, par exemple dans la nouvelle législation européenne sur les batteries, n’est pas transparente et n’est pas toujours en phase avec les intérêts et les perspectives du public concerné au niveau régional et local.
Les associations et mouvements signataires demandent donc la suppression de l’euphémisme « exploitation minière verte » et du greenwashing qui lui est associé, ainsi que l’accès à une information vraie, claire et transparente, dont il est urgent de disposer concernant les opérations de développement minier impliquant le Portugal et l’Union européenne. En regardant vers l’avenir, nous demandons l’adoption d’un modèle de développement intrinsèquement durable, basé sur la valorisation du territoire, la préservation de l’environnement et l’implication de la population, facteurs qui favorisent la qualité de vie, le bien-être social et le respect des valeurs naturelles, patrimoniales et culturelles comme éléments fondateurs de la société que nous entendons transmettre aux générations futures. L’exploitation minière ne sera jamais verte !
Signataires :
- Associação Montalegre Com Vida
- Associação Unidos em Defesa de Covas do Barroso
- Associação Povo e Natureza do Barroso
- Associação Guardiões da Serra da Estrela
- Associação Ambiental Petón do Lobo (Galicia)
- Associação SOS SERRA da GROBA (Espanha)
- Associação Portuguesa para a Conservação da Biodiversidade (FAPAS)
- Corema — Associação de Defesa do Património
- Movimento de Defesa do Ambiente e Património do Alto Minho
- ContaMINAacción (Galiza)
- Em Defesa da Serra da Peneda e do Soajo
- Defesa Y Conservción Ecológica de Intag (Ecuador)
- Fundação Montescola
- Greve Climática Estudantil Portugal
- Kansalaisten kaivosvaltuuskunta (MiningWatch Finland)
- Movimento Minas Não
- Movimento ContraMineração Beira Serra
- Movimento Contramineração Sátão e Penalva
- Movimento Estrela Viva
- Movimento Não às Minas — Montalegre
- Movimento SOS Serra d’Arga
- Movimento de Defesa do Património Natural das Serras de Melres e Rio Mau
- Movimento SOS Terras do Cávado
- Observatorio Plurinacional de Salares Andinos OPSAL
- Plataforma Veciñal Mina Touro — O Pino NON (Espanha)
- SOS — Serra da Cabreira — BASTÕES ao ALTO!!
- IRIS — Associação Nacional de Ambiente
- UIVO — Por uma Reserva da Biosfera Meseta Ibérica livre de minas
Traduction : Nicolas Casaux
Relecture : Martha Coelho
Source: Lire l'article complet de Le Partage