Industries à faible empreinte : quand ça va mal à ‘shop!

Marc Brullemans, Ph.D. Biophysique, membre du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et enjeux énergétiques au Québec
Jacques Benoit, D.E.S.S. Développement économique communautaire

 

DES UNIVERSITAIRES / (10 de 15) À en croire l’industrie minière québécoise, le développement durable serait une priorité et elle «innoverait sans cesse pour réduire son empreinte environnementale» (1). Il en serait de même pour les cimenteries (2).

D’autres industries recourent à la biomasse ou se déclarent «neutres en carbone», en compensant par l’achat de crédits carbone ou la plantation d’arbres. Grâce à l’influence de leurs lobbyistes, leurs vocables évoluent : droits d’émissions, développement durable,  écosystème d’entreprise, économie circulaire, symbiose industrielle, «responsabilité sociale» de l’entreprise (RSE), etc.

Un rapport récent révèle pourtant que l’économie mondiale n’est qu’à 8,6 % «circulaire» et que cela ne va pas en s’améliorant. Pour avoir un effet notable sur le climat, il faudrait que cette économie circulaire dispose d’infrastructures et de technologies encore hors de portée.

De même, la séquestration du carbone, bien qu’ultimement nécessaire, relève de ces solutions technologiques. Si elle est devenue le Graal des pays producteurs d’hydrocarbures, c’est uniquement parce qu’elle leur permet de continuer leur production d’énergies fossiles. D’ailleurs, le Canada pourrait gagner à nouveau le prix fossile «colossal» décerné par les ONG à la prochaine COP

Beaucoup de beaux concepts pour nous faire oublier que le «développement durable» ne peut être le fait d’une seule espèce sans qu’il n’y ait effondrement de nombreux écosystèmes; alors que la «responsabilité sociale» la plus importante est, au contraire, de les préserver. 

Alors même que nous disposons d’une électricité bas carbone, les 100 plus grands pollueurs du Québec émettent près de 20 mégatonnes de GES par année, et leurs émissions n’ont pas diminué depuis 2010. Ils les émettent via leur consommation d’énergie fossile (GES énergétiques), mais aussi via leurs procédés (GES non énergétiques), qu’il faut additionner pour calculer leur impact climatique. 

QUELS SONT LES FAITS?

Au Québec

En 2017, 38 % de l’énergie consommée était liée au secteur industriel. C’est plus que les secteurs résidentiel, commercial et institutionnel combinés. Cette énergie est à 43% d’origine fossile (gaz, pétrole et charbon) alors que la part électrique est de 50 %. Près de 60 % de l’énergie consommée est perdue (chaleur, inefficacité, etc.).

La plupart des industries, sinon toutes, utilisent une certaine quantité d’énergie fossile. Les raffineries, les mines, les aciéries et fonderies, les cimenteries et les manufactures consomment plus de 50 % d’énergie fossile dans leur mix énergétique. 

Du fait de leur nombre et de leur intensité énergétique, les alumineries et les papetières consomment beaucoup d’énergie fossile, en données absolues.

Le secteur industriel est le second plus grand émetteur de GES au Québec après celui du transport. Dans les inventaires, ses émissions sont évaluées à 35 mégatonnes ou à 24 mégatonnes d’équivalent CO2 par année, selon qu’on tienne compte ou non des émissions liées à la biomasse (bois, résidus, etc.). 

L’utilisation de cette biomasse, dépendant des sources et des quantités, peut être préjudiciable aux écosystèmes. A fortiori, il en est de même des centrales énergétiques à la biomasse et des bioraffineries.

L’hydrogène

Bien que nous puissions avoir besoin d’hydrogène pour des applications particulières, comme l’acier, le taux de retour énergétique (énergie tirée en retour de l’énergie investie) de la filière «verte» de l’hydrogène est inférieur à 1! En comparaison, celui de l’hydroélectricité est supérieur à 80.  

Ajouter de l’hydrogène dans les canalisations de gaz naturel peut réduire l’intensité carbone de ce dernier, mais prolonge, dans les faits, cette filière fossile. Or, même l’Agence internationale de l’énergie recommande de cesser d’investir dans ces énergies.

Le secteur numérique

En 2021, on estime à 2600 TWh la consommation énergétique mondiale du secteur numérique, fabrication, installation et utilisation comprises. Plus d’une gigatonne d’équivalent CO2 (GtCO2e) serait générée par ce secteur en forte croissance.

Quant à la seule monnaie Bitcoin, un article évalue en 2021 sa consommation électrique à 184 TWh par an, équivalent à la consommation annuelle du Québec. De plus, le minage du Bitcoin génère 90 mégatonnes équivalent CO2, soit plus que les 85 mégatonnes officielles du Québec! 

La 5G et les nouveaux objets connectés, par leur nombre et le nombre d’octets échangés, pourraient entraîner une hausse appréciable des quantités d’électricité et de matière consommées, générant son lot de déchets.

Selon le Rapport Dedryver, la fabrication de tous les appareils du secteur numérique et leur fonctionnement représentaient en 2017 au niveau mondial «3,4 % des émissions totales de GES (1,8 GtCO2e) et devraient représenter 7,6 % en 2025 (3,7 GtCO2e)». 

Tenant compte du développement actuel et accéléré du secteur, lequel inclut le streaming, l’animation 3D, le jeu en ligne, etc., une sobriété numérique s’impose.

Les incertitudes des bilans 

Les émissions de GES du secteur industriel sont estimées et non pas mesurées. Elles sont faites à partir des déclarations des émetteurs eux-mêmes. Le fédéral et le provincial ne collectent pas les mêmes données, et n’incluent pas les plus petits émetteurs, nécessairement nombreux.

Dans tous les secteurs, les inventaires de GES doivent être réalisés avec plus de rigueur : on doit mettre un terme au principe de l’autodéclaration des émetteurs, et les émissions doivent être mesurées et vérifiables de façon indépendante, en utilisant les données récentes de la science.

Conséquemment… (tiré de la Fiche C-DUC 8 du Plan de la DUC)

Nos gouvernements doivent, par exemple, 

  • Adopter une loi qui détermine les objectifs de réduction (de GES) année après année pour chacun des grands émetteurs afin d’atteindre l’objectif zéro émission avant 2031.
  • Réglementer l’ensemble du secteur industriel et manufacturier par une politique bas carbone.
  • Soumettre tous les contrats, investissements gouvernementaux et projets industriels majeurs à un test climat.

… Nos municipalités devraient, notamment,

S’abstenir d’inviter et d’offrir tout support à des industries fortement émettrices de GES sur le territoire.

La population, quant à elle, peut, entre autres

  • S’opposer à tout projet d’usine, de mine et autre infrastructure utilisant comme combustible ou comme intrant des énergies fossiles.
  • Réclamer des analyses complètes de cycle de vie pour la filière hydrogène et pour tout projet industriel d’envergure.

Marc Brullemans et Jacques Benoit sont membres du regroupement Des Universitaires

Questions ou commentaires?

Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître le Plan de la DUC, élaboré par l’équipe de GroupMobilisation (GMob) dans le cadre de la «Déclaration citoyenne universelle d’urgence climatique», qui a été reconnue par 525 municipalités représentant 80% de la population québécoise.

NOTE:

(1) https://www.ledevoir.com/non-classe/599862/industrie-miniere-quebecoise-le-developpement-durable-dans-la-mire

(2) https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1530966/reduction-emissions-co2-ciment-mcinnis-port-daniel

La semaine prochaine : Sols en santé

Adblock test (Why?)

Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

À propos de l'auteur L'aut'journal

« Informer c’est mordre à l’os tant qu’il y reste de quoi ronger, renoncer à la béatitude et lutter. C’est croire que le monde peut changer. » (Jacques Guay)L’aut’journal est un journal indépendant, indépendantiste et progressiste, fondé en 1984. La version sur support papier est publiée à chaque mois à 20 000 exemplaires et distribuée sur l’ensemble du territoire québécois. L'aut'journal au-jour-le-jour est en ligne depuis le 11 juin 2007.Le directeur-fondateur et rédacteur-en-chef de l’aut’journal est Pierre Dubuc.L’indépendance de l’aut’journal est assurée par un financement qui repose essentiellement sur les contributions de ses lectrices et ses lecteurs. Il ne bénéficie d’aucune subvention gouvernementale et ne recourt pas à la publicité commerciale.Les collaboratrices et les collaborateurs réguliers des versions Internet et papier de l’aut’journal ne touchent aucune rémunération pour leurs écrits.L’aut’journal est publié par les Éditions du Renouveau québécois, un organisme sans but lucratif (OSBL), incorporé selon la troisième partie de la Loi des compagnies.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You