Pierre Conesa : “ Avec Dieu, on ne discute pas ! ” — Bernard GENSANE

Pierre Conesa : “ Avec Dieu, on ne discute pas ! ” — Bernard GENSANE

Les radicalismes religieux : désislamiser le débat. Paris : Robert Laffont, 2020.

« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ». Si cette phrase ne figure dans aucune des œuvres publiées de Malraux, elle a fondé une part de la série télévisée qui lui a été consacrée par Claude Santelli et Françoise Verny : “ La Légende du siècle (1972-1973) ”. Il s’agissait d’un espoir prophétique et visionnaire. Malraux laissait entendre qu’entre le retour du religieux, la vogue des sectes, la quête de sens et d’éternité, toutes les voies, individuelles ou collectives, seraient possibles comme antidote au matérialisme sous toutes ses formes.

Le problème est que nous n’en sommes plus là : le XXIe siècle n’est pas religieux : il est radicalement religieux car l’extrémisme a imposé ses paradigmes. Dans un monde qui s’est dangereusement radicalisé, seuls les athées et les agnostiques sont silencieux, réfléchis, ouverts, non dogmatiques. Les religieux, pour leur part, n’y sont jamais allés avec le dos de la cuiller, ce depuis des siècles. Les Français se souviennent à juste titre de la Saint-Barthélémy, mais cela les empêche de conserver en mémoire le plus grand massacre de tous les temps, qu’aucun livre d’histoire n’aborde au collège ou en lycée, celui de 80 millions d’Indiens par des musulmans entre l’an 1000 et le XVIe siècle, le premier génocide de l’histoire de l’Humanité perpétré par Mahmoud de Ghaznî et ses successeurs.

Plus tard, les historiens diront s’il y a eu parfaite concomitance entre la prise de pouvoir par le capitalisme transnational financier et le retour en force du religieux, si la prolifération des sectes fut un contre-poison au matérialisme ou si, au contraire, les spiritualités débridées et mortifères accompagnèrent et confortèrent le bouleversement politico-économique commencé au début des années 1980. Le paradoxe étant que le monde est à la fois unifié par le “ libéralisme ” et éclaté par des identités religieuses de plus en plus hostiles et antinomiques. Pour Régis Debray, la volonté d’affirmer sa différence, de ne se référer qu’à des repères identitaires, répond au vide d’un monde uniforme, technique, où tout est interchangeable.

Dans un ouvrage remarquablement documenté – quoi qu’en ait son sévère préfacier Farhad Khosrokhavar – Pierre Conesa décortique tous les fanatismes identitaires qui ont ravagé les solidarités entre les groupes et, même, à l’intérieur des groupes. Désormais, le radicalisme religieux instrumentalise le politique. L’auteur en donne d’innombrables exemples, de George Bush aux fanatiques Israéliens, en passant par l’inénarrable Pakistan, vraisemblablement champion en la matière.

Á l’époque du colonialisme, puis à celle des indépendances, l’Occident s’est complètement désintéressé du radicalisme religieux. Selon l’auteur, il eût été fructueux d’observer et de se demander pourquoi le salafisme qui a aujourd’hui envahi la planète – d’États puissants aux arrière-cours des banlieues européennes – est né à l’époque de Voltaire. On a également tardé à réfléchir au fait qu’aujourd’hui 150 millions de personnes pratiquent une religion qui n’existait pas il y a deux siècles : les mormons (selon l’appellation officielle – ce qui fait un peu peur, – l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours) qui sont 11 millions, les témoins de Jéhovah (6 millions), les pentecôtistes (280 millions), mouvement fondé au début du XXe siècle. En France, pays dont la tradition est fermement catholique, les radicaux se retrouvent dans des sectes (500 000 adeptes dont au moins 60 000 enfants). Dans les pays arabes, les fondamentalistes ont emporté toutes les élections consécutives au “ Printemps ” tandis que Donald Trump fut élu en 2016 grâce au vote de 80 % des évangéliques blancs.

Certains mouvements ont une vraie vocation impérialiste, d’autres pas. Les témoins de Jéhovah, les Amish sont non-violents et n’ont aucune ambition géopolitique. Ce qui n’est pas le cas des néo-évangéliques, des radicaux juifs, des bouddhistes du Myanmar et du Sri Lanka, du parti de droite nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party ou BJP (Parti indien du peuple). Ce dernier s’est lancé dans une politique de suppression des lieux de mémoire. Lors de la campagne pour les élections législatives de 1989, le BJP a fait de la destruction de la mosquée Babri, à Ayodha, un thème central de campagne. Cette mosquée est en effet supposée être érigée sur le lieu de naissance du dieu hindou Rama. Un rassemblement organisé par le parti, en 1992, aboutit à sa destruction par une foule d’environ 150 000 personnes. Cet événement conduira à une nouvelle flambée de violence, 2 000 personnes, majoritairement musulmanes, seront tuées à travers toute l’Inde.

Peu importe si les grandes figures, de la religion ou de la spiritualité, n’ont jamais écrit une ligne : ni Moïse, ni Jésus, ni Mahomet, ni Siddhartha le bouddha n’ont laissé aucune trace écrite. C’est sûrement pour cela que toutes les interprétations, jusqu’aux plus délirantes, sont permises. Et c’est aussi pour cela que les figures les plus détestées sont les gens de paix et de tolérance, comme Sadate et Rabin (anciens militaires), signataires des accords d’Oslo, assassinés par les fous de Dieu de leur propre religion. L’ennemi numéro 1 restant le laïc. Raison pour laquelle, par exemple, les États-Unis ont soutenu les Frères musulmans contre Nasser, les religieux chiites contre Mossadegh en Iran, et le wahhabisme contre l’armée rouge en Afghanistan. Le monde entier s’en mord les doigts encore aujourd’hui. Et l’on se souvient que le premier gouvernement Rabin est tombé en 1976 pour une livraisons d’avions de combat un jour de Shabbat.

Nous en sommes aujourd’hui à un moment clé de l’histoire de l’humanité, quand on pense, par exemple, que la majorité des Étasuniens souhaitent, avec Leo Strauss, revenir à des législation de type religieux parce que les malheurs du monde – comme les deux Guerres mondiales – sont dûs à la laïcité et à la Révolution française. Pour ce philosophe d’origine allemande, juif orthodoxe, la Géhenne provient de l’acceptation des Lumières en ce qu’elles ont relégué la foi au rang de superstition, ainsi que du positivisme et de l’historicisme dans les pas de Hegel et d’Auguste Comte. Ces démarches auraient nourri un nihilisme ayant débouché sur la Première Guerre mondiale, puis le militarisme allemand qui a porté Hitler au pouvoir. Le vide évoqué plus haut par Debray a laissé le champ libre à la radicalisation religieuse si bien qu’il y a une islamisation de la radicalité, une forte évangélisation ainsi qu’une forte judaïsation aux États-Unis, et une virulente bouddhaïsation en Asie. Les évangéliques constituent environ 30% de la population des États-Unis (70 millions de personnes). Les neo-évangéliques en Amérique latine comptent aujourd’hui pour près de 40 % de la population au Guatemala, 25 % au Chili, 22 % au Salvador, sans doute plus de 23 % au Brésil (entre 60 et 70 millions de pratiquants si on intègre l’ensemble des charismatiques évangéliques et des pentecôtiste). Globalement, dans le monde, 500 millions d’individus adhèrent au pentecôtisme. Pour l’auteur, une des raisons pour laquelle ce mouvement a pris aux États-Unis est que la société de ce pays s’est construite sans mémoire. Sa virginité historique est ainsi continuellement renouvelée. Il n’y a pas de ministère de l’Éducation nationale à Washington. La référence populaire par excellence est donc le récit d’Hollywood et le recours à un passé biblique lointain. L’ennemi c’est Darwin, véritable ante-Christ dont l’État de l’Oklahoma, pour ne citer que celui-là, se protégea en votant une loi anti Darwin et en imposant la lecture quotidienne de la Bible dans les écoles. Il faut dire que les États-Unis sont friands de ce type de loi. Ces dix dernières années, 70 projets de loi sur l’enseignement des théories de la création ont été présentés à travers le pays. Le créationnisme a de très nombreux partisans outre-Atlantique : selon une étude de 2014 de l’institut américain Gallup, 42 % des États-Uniens croient que l’homme a été créé tel qu’il existe aujourd’hui. 38% d’entre eux estiment que Dieu a créé l’homme et la terre il y a moins de 10 000 ans.

Avec le fanatisme religieux, le Christ business rapporte beaucoup. Selon Conesa, le prédicateur le plus riche des États-Unis dispose d’une fortune d’environ 760 millions de dollars. Celle du plus riche rabbin d’Israël est d’au moins 300 millions de dollars. On ne connaît malheureusement pas celle des prédicateurs musulmans. L’argent et la religion peuvent rendre fou. On se souvient du rire effrayant de Kenneth Copeland, soutien de Trump, refusant la victoire de Joe Biden. En avril 2020, il avait détruit le Covid, en bon exorciste halluciné : « Covid-19 ! Je souffle le vent de Dieu sur toi. Pfffffffff. Tu es détruit pour toujours et tu ne reviendras jamais. Merci, notre Dieu. » . Mais sachant de quel côté sa tranche de pain est beurré, il exigeait de ses ouailles qu’elles lui payent ses déplacement en jet privé afin de ne pas voler en compagnie de démons.

D’autres télévangélistes étasuniens nous ont offert des prédictions d’une rigueur exemplaire : la mort de Fidel Castro en 1990 (bel exemple de ce que les anglophones appellent “ wishful thinking ”), la destruction par Dieu de la communauté homosexuelle de San Francisco (pas celle de Villeneuve-sur-Lot, notez-le bien), l’apparition de Jésus dans diverses églises du monde, la signature par Hafez el-Assad d’un traité de paix avec les Israéliens. Par ailleurs, les radicaux juifs ont vu la victoire éclair de l’armée israélienne en 1967 comme l’intervention de la main de Dieu et l’échec de la guerre du Kippour en 1973 par la culpabilité des hommes. Ces mêmes radicaux estiment que la sainteté d’Israël ou du peuple juif sont irréfragables car relevant du divin, et que la terre appartenant aux Juifs de par une décision divine, les humains ne peuvent en négocier la moindre parcelle tandis que la colonisation, les nouvelles implantations (aujourd’hui le nombre de colons israéliens varie entre 400 000 et 500 000), semblent ne jamais devoir cesser. Pour Conesa, les extrémismes religieux sont devenus « la forme licite d’une ghettoïsation des croyants qui se traduit en racisme et sectarisme à base théologique ». Comme quand, en Israël, des parents ashkénazes n’acceptent pas des enfants séfarades dans leurs écoles ou quand, en 2018, un pope pro-russe refuse de célébrer la messe des morts pour une fillette tuée dans un accident parce que cette dernière avait été baptisé par l’église de Kiev.

La poussée religieuse fondamentalistes parvient désormais à rendre acceptable des règles qui ne pourraient jamais être tolérées venant de laïques, comme l’interdiction du mariage hors de la secte, des pratiques alimentaires excluant le contact avec l’autre, tout cela sous couvert de liberté de conscience. Alors, on tente en Israël d’exclure les femmes de l’espace public on les reléguant à l’arrière des autobus. Des hommes juifs orthodoxes interdisent certains trottoirs de Londres à des femmes de leur communauté ou à des mères de conduire leurs enfants à l’école en voiture (il faut les protéger car elles sont des pierres précieuses). On efface leurs images des magazines. Le journal orthodoxe Hamevasser a même gommé la présence d’Angela Merkel et d’Anne Hidalgo au premier rang aux côtés de François Hollande dans le défilé international de soutien à la France après l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015.


Quant aux Juifs orthodoxes de Londres, ils se permettent tout : selon The Times of Israel, malgré le danger du coronavirus, les shul (synagogues) sont pleines, les mikvaot (bains rituels) sont bondés. La plus importante organisation-cadre des Juifs ultra-orthodoxes du Royaume-Uni, l’Union of Orthodox Hebrew Congregations, a refusé d’ordonner à ses congrégations de fermer leurs synagogues. Elle a statué que les « hommes en bonne santé » pouvaient continuer à s’y rendre tandis que les femmes et les enfants devaient s’en abstenir.

Le sectarisme balaye tout sur son passage. En 2017, 71 pays du monde étaient dotés d’une loi réprimant le blasphème et la conversion, la solution la plus aisé pour donner satisfaction à la poussée fondamentalistes. La condamnation à mort pour blasphème semble une spécialité limitée à l’Arabie Saoudite. Les athées et les convertis sont considérés comme des terroristes et passibles de la peine de mort. En Birmanie, une loi de 2015 pour le contrôle de la population imposait aux couples musulmans un délai de 36 mois entre deux naissances. Depuis 1993, 10 000 Algériennes au moins ont été assassinées par des extrémistes religieux. Deux tiers des femmes françaises musulmanes qui sont parties en Syrie l’ont fait de leur propre chef et non pour suivre leur mari. L’Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army), secte chrétienne du nord de l’Ouganda, aurait enlevé près de 25 000 enfants entre 1986 et 2005 pour en faire des soldats ou bien des esclaves sexuelles. Environ 2 millions de personnes ont été déplacées et, au plus fort du conflit, jusqu’à 1,7 million d’entre elles ont vécu dans des camps où elles dépendaient de l’aide humanitaire. En Côte d’Ivoire Simone Gbagbo (professeur de linguistique à l’Université d’Abidjan, épouse de l’ancien président ivoirien) s’appuie pour éliminer les opposants sur Kakou Willy, une femme référent qui déclarait : « ma mission se situe dans le cadre de la mobilisation de mes frères et sœurs pour notre frère en Christ Laurent Gbagbo – [qu’on a connu autrefois beaucoup plus motivé par le socialisme que par la religion, en particulier lorsqu’il était le seul opposant véritable au président Houphouët-Boigny, BG]. J’ai décidé de faire une médiation entre le corps du Christ et le chef de l’État dans les discours politique ou religieux. » On vit Simone Gbagbo mener « la lutte du bien contre le mal pour diaboliser les Français » qu’elle accusait de préparer en Côte d’Ivoire un génocide comparable à celui du Rouanda.

Le radicalisme religieux offre la gloire aux combattants. Un très bon exemple est celui de Daech qui a attiré non seulement les exclus du système mais aussi des membres des classes moyennes, bloqués dans leur ascension par des élites souvent corrompues. Plus près de chez nous, les attentats, ou tentatives d’attentat de 2004, 2005 et 2007 à Londres et à Glasgow furent en partie l’œuvre de musulmans d’origine indienne ou de citoyens d’origine africaine, pères de familles, médecins, employés, naturalisés sans casier judiciaire. Le fait que les kamikazes de Londres du 7 juillet 2005 (56 morts et 784 blessés) soit des musulmans d’origine britannique a obligé à s’interroger sur la nature des ghettos au Royaume-Uni.

Il faut revenir sur ce pays forcené (au sens propre du terme) qu’est devenu le Pakistan (le “ Pays des purs ”). Cette ancienne colonie – dont l’existence fut parsemée de coups d’État – fut transformée lors de la partition de l’Inde en 1947 en un État laïque. Les violences qui suivirent la partition firent quelques centaines de milliers à un million de morts. 12,5 millions de personnes furent déplacées. Le pays changea de nom en 1956 pour devenir la République islamique du Pakistan. La charia y fut instituée en 1986. Le blasphème fut interdit cette même année, prévoyant la peine de mort pour les personnes dénigrant Mahomet. Au Pakistan, les chrétiens sont principalement des descendants d’hindous issus de basses castes convertis par des missionnaires étrangers, surtout Britanniques, entre 1757 et 1947. Ces convertis espéraient gravir les échelons sociaux, mais les chrétiens aujourd’hui sont voués le plus souvent à la pauvreté et aux métiers les plus ingrats. La chrétienne Asia Bibi, ouvrière agricole, fut condamnée à mort pour blasphème en 2010 (elle avait bu de la même eau que des musulmanes), et heureusement acquittée en 2018 (elle s’est exilée au Canada par la suite). Un gouverneur et un ministre furent assassinés pour l’avoir soutenue. Le 13 octobre 2016 devait se tenir le procès en appel par la Cour suprême du Pakistan qui devait déterminer si Asia Bibi était finalement libre ou condamnée à mort par pendaison. Mais, deux jours avant l’audience, 150 muftis édictèrent une fatwa exigeant sa pendaison et menaçant de mort quiconque porterait assistance aux « blasphémateurs ». De sorte que, le 13 octobre, l’un des juges se récusa et le procès fut reporté à une date indéterminée. Le Pakistan est un allié des États-Unis, il entretient des relations cordiales avec la Chine et il dispose de l’armement nucléaire. Actuellement, aucun condamné à mort pour blasphème n’a été exécuté dans ce pays mais les couloirs de la mort des prisons renferment 8000 condamnés. Plus d’un millier le sont pour des affaires de blasphème. Au moins 65 personnes ont été lynchées à mort ou assassinées depuis 1990. Le 27 mars 2016, un kamikaze à visé des familles dans un parc public, faisant 78 morts (54 musulmans et 24 chrétiens) et 300 blessés.

Le fait, la ferveur religieuse se développent partout. Au Kirghizistan, il n’y avait plus que 39 mosquées en 1991. On en compte aujourd’hui plus de 2000. Aux États-Unis, la religion est continuellement présente dans la vie politique contemporaine comme le montre le remplacement en 1956 de la devise nationale E pluribus unum forgée en 1776 (un seul à partir de plusieurs) par In God we trust (En Dieu nous croyons). En 1999, la communauté évangélique, en partenariat avec les groupes catholiques conservateurs très engagés dans la lutte contre l’avortements pousse le président Clinton a subordonner le paiement de l’intégralité des quelques 926 millions de dollars d’arriérés étasuniens à l’ONU (600 millions de dollars de moins que le 1,52 milliard que les Etats-Unis devaient) à la suspension des aides accordées par l’ONU aux associations engagées dans la mise en place de programme de planning familial dans les pays du Sud.

Au Canada, la justice islamique est en train de l’emporter face à la justice laïque sous le regard passif du Premier ministre Trudeau. Mumtaz Ali, président de la Société canadienne des musulmans, a fondé en 2004 l’Institut islamique de justice civile, censé régir des tribunaux islamiques (il fut le premier musulman au Canada à avoir prêté son serment d’avocat sur le Coran). Sept arbitres sont à ce jour formés en droit canadien et islamique. Des arbitres ont été formés en droit canadien et islamique pour intervenir dans des contentieux commerciaux ou professionnels et des conflits familiaux. Ils peuvent obtenir auprès de théologiens des conseils en matière de charia. Selon Mumtaz Ali, l’idée est de donner aux gens la possibilité de devenir de meilleurs musulmans en vivant plus en accord avec la charia et de parvenir à l’autonomie judiciaire pour les quelques 600 000 musulmans du Canada : « La vie doit se dérouler en accord avec la loi divine, nous devons pouvoir nous gouverner selon nos propres lois ». « Nous le faisons déjà de manière informelle, ajoute-t-il, mais un peu chaotique. Je veux formaliser cela et introduire discipline et éthique. » Bien avant de mourir en 2013, le rabbin Ovadia Yosef, fondateur du parti ultra-orthodoxe Shass et “ faiseur de rois ” en Israël, avait toujours marqué la prééminence des tribunaux rabbiniques sur les autres : « Un avocat juif n’a pas le droit selon la Halacha de défendre devant un tribunal civil un homme juif qui réclame de l’argent à un autre juif car, en agissant ainsi, il porte main forte à ceux qui transgressent la Torah, puisque les tribunaux civils rendent dès jugements qui ne sont pas ceux de la Torah. Cependant, il lui est permis de représenter une personne poursuivie, forcée de se défendre devant un tribunal civil parce que le poursuivant a refusé de se présenter devant un tribunal rabbinique pour régler le litige ».

En septembre 1984 Pat Robertson, richissime évangélique charismatique, affirme que « Le féminisme encourage les femmes à quitter leur mari, à tuer leurs enfants, à pratiquer la sorcellerie et à devenir lesbiennes ! » En 2001, Robertson assure que Dieu a puni l’Amérique lors des attentats du 11 septembre à cause des homosexuels et des avortements. En 2005, à propos du président vénézuélien Hugo Chavez, il déclare finement, avant de se rétracter vaguement : « Vous savez (…) s’il pense que nous essayons de l’assassiner, je pense que nous devrions vraiment y aller et le faire. Cela revient moins cher que de commencer une guerre ». Robertson avait affirmé dès 1999 que l’Écosse était menacée de devenir une « terre des ténèbres », envahie chaque jour un peu plus par de « puissants homosexuels ».

Ces 20 dernières années, des attentats très violents ont été commis aux États-Unis contre des cliniques, des centres de planning familial ou des médecins pratiquant des avortement, dont le coût est de 500 dollars non remboursés : fusillades, bombes incendiaires, attaques à l’acide entre autres. Depuis 1993, huit employés de clinique ont été assassinés par des extrémistes anti avortement. Ces assassinats furent justifiés par les militants du mouvement suprémaciste blanc Christian Identity comme « le meurtre d’assassins d’enfants » (ce mouvement estime que seuls les peuples celtiques et germaniques, ou encore les peuples aryens ou les peuples de même sang sont les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, donc les descendants des anciens Israélites).

Le séculier doit être définitivement recouvert par le régulier. Le parti du premier ministre indien Modi est lancé depuis des années dans un projet de réécriture de l’histoire indienne visant à faire passer la mythologie hindou pour des faits historiques. La similitude est grande entre l’organisation des bouddhistes du dalaï-lama et celle de l’Iran des mollahs : un chef religieux émanation de Dieu sur Terre choisi parmi par d’autres religieux et un parlement sous tutelle. Depuis toujours, la France a eu pour le dalaï-lama les yeux de Chimène. En 2009, la municipalité (socialiste) de Paris a fait citoyen d’honneur le 13e Dieu vivant sur Terre.

Opérant dans l’espace, mais aussi dans le temps, la radicalisation mine l’assimilation dans toutes les classes de la société. Ainsi, en France, elle ne concerne pas que les enfants de la deuxième ou troisième génération victimes de marginalisation mais aussi des membres des classes moyennes parfois bien intégrés, tout comme les communautés indiennes aux États-Unis, au Canada, ou en Grande-Bretagne. L’objectif des radicaux est un bouleversement de la planète : changer l’organisation sociale et politique des États, affirmer le primat du religieux en neutralisant les “ mécréants ”, punir les pratiquants un peu mous. Nier l’autre spirituellement et, s’il le faut, physiquement, voilà ce qui redevient banal, au nom de la religion, depuis une quarantaine d’années. En 2016-17 en Cisjordanie, les Israéliens ont rasé de nombreuses demeures appartenant à des Palestiniens. En août ils ont démoli pour la 133ème fois le village Al-Araqeeb dans le Néguev, pendant le Ramadan (malgré le jeune) et la propagation du coronavirus. Ils ont exilé les habitants pour la 113ème fois, ces mêmes habitants ayant reçu l’ordre de verser 100 000 $ à l’État en compensation du coût de la démolition et des frais d’avocat. Or l’organisation Zochrot, qui réunit des militants israéliens (juifs et arabes) et dresse une chronique historique de la Nakba palestinienne depuis 1948, a déclaré que le village d’Al-Araqib a été construit pour la première fois pendant la période ottomane sur des terres achetées par les résidents palestiniens.

Á deux heures d’avion de Paris, l’épuration ethnique a été porté à son comble après la chute du Rideau de fer lors de la guerre entre Serbes orthodoxes et Croates catholiques, tous revendiquant les Bosniaques musulmans comme des convertis de force à l’islam. Cette guerre a fait 150 000 morts dont deux tiers de civils. Quatre millions de personnes ont été déplacées.

Nous subissons donc un radicalisme qui oblitère le politique au nom d’une légitimité divine supérieure aux lois humaines. Pour Pierre Conesa, « le paradigme religieux a fait irruption dans les décombres de la guerre froide qui lui avait laissé le champ libre ».

Dans ce fort ouvrage, on regrettera quelques scories, avec une certaine soumission au langage politiquement correct (“ défenseure ”) et aux anglicismes (“ prison à vie ”, “ dédié ”). Mais on regrette surtout que l’auteur ait accepté pour argent comptant l’apport d’Adrien Zenz, “ sociologue ” évangélique de la mouvance “ Nouvelle naissance ” (comme George Bush) qui déclarait en 2019 qu’il se sentait guidé par Dieu dans ses recherches sur les autorités chinoises, les musulmans et les autres groupes minoritaires. Ce charlatan condamne l’égalité des sexes et l’homosexualité comme étant l’œuvre de Satan et se déclare favorable aux châtiments corporels pour les enfants. Il soutient qu’une « vraie fessée biblique est une discipline d’amour » (« true scriptural spanking is loving discipline »). L’extrême droite comme on n’ose même plus la fantasmer.

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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