Accoucher à l’extérieur d’un hôpital demeure un choix marginal au Québec. Pourtant, les douze maisons de naissance présentes sur le territoire peinent à répondre à la demande, toujours croissante, pour des suivis de grossesse avec une sagefemme. Cet engouement, discret mais certain, n’a rien de fortuit. Lumière sur cette profession vieille comme le monde et sur la relation unique qui unit les sagefemmes à celles qu’elles accompagnent.
C’est un peu par hasard qu’Alixanne s’est retrouvée avec un suivi de sagefemme. Enceinte de son premier enfant à 21 ans, elle appelle à la maison de naissance pour obtenir un suivi de grossesse.
Un peu de hasard et un peu de chance. Alors que les sagefemmes ont habituellement une liste d’attente, une annulation permet à la future maman de visiter la maison de naissance quelques jours plus tard.
« Toutes les sagefemmes que j’ai rencontrées – et j’en ai rencontré quand même plusieurs dans mon processus – ont une capacité d’adaptation incroyable à la personne qu’elles ont devant elles. »
Alixanne
Sitôt entrée, elle tombe sous le charme. « Ça m’a vraiment plu du premier coup, comme un coup de foudre ! » L’endroit lui semble accueillant et chaleureux. « On dirait que la place a une âme. On se sent vraiment à la maison. »
La jeune femme conserve cette impression en visitant les chambres de naissance : grand lit, bain à remous, salle de bain privée. Avec aucun appareil médical en vue, Alixanne pourrait bien se croire dans sa propre chambre, si ce n’est en plus grand ! « C’est sûr et certain que je veux accoucher ici ! » s’exclame-t-elle.
Les pros de l’accouchement physiologique
Les sagefemmes suivent uniquement des grossesses à bas risque et des accouchements physiologiques. Leur pratique est ancrée dans une confiance en la capacité du corps féminin à enfanter ainsi que dans le respect de ce processus physiologique, d’où leur approche non interventionniste. Pour les sagefemmes et leurs bénéficiaires, porter des enfants et leur donner naissance est avant tout et dans la majorité des cas une fonction biologique normale, et non quelque chose de pathologique ou de risqué.
Les maisons de naissance mettent donc tout en place pour favoriser le bon déroulement des accouchements qui y ont lieu. Ce travail commence en amont par une bonne préparation à l’accouchement pendant le suivi de grossesse. Ensuite, l’aménagement des chambres de naissance recrée le confort de la maison avec en plus de l’équipement comme de grands bains, des ballons, des bancs de naissance et des trapèzes pour se suspendre. Les femmes ont une liberté de mouvement qui leur permet de mieux gérer la douleur des contractions.
Les sagefemmes ont tout le matériel nécessaire pour assurer la supervision clinique de l’accouchement et le traitement en cas de besoin. Cependant, ce matériel est beaucoup plus discret qu’à l’hôpital, ce qui a pour effet de réduire le stress de nombreuses personnes qui se sentent mal à l’aise lorsqu’elles sont entourées de machines.
L’essentiel demeure l’attitude des sagefemmes, qui savent rester calmes et effacées lorsque cela est nécessaire ou, au contraire, soutenir et encourager les femmes qui en ont besoin. « Toutes les sagefemmes que j’ai rencontrées – et j’en ai rencontré quand même plusieurs dans mon processus – ont une capacité d’adaptation incroyable à la personne qu’elles ont devant elles », résume Alixanne.
Par leur formation comme par leur expérience, les sagefemmes sont de vraies professionnelles de l’accouchement physiologique. Cela ne veut pas dire que choisir un suivi avec elles contraint les futures mamans à enfanter dans la douleur. À tout moment, une femme peut décider d’être transférée à l’hôpital pour recevoir la péridurale. De même, en cas d’apparition de facteurs de risque pendant la grossesse ou l’accouchement, la sagefemme saura détecter une situation qui sort de son champ d’expertise – la physiologie – et confiera les soins au professionnel de la santé approprié.
Changement de vision
La pratique sagefemme se situe donc dans un paradigme différent de la vision médicale, pathologique et interventionniste qui règne dans les hôpitaux comme dans la culture populaire (pensons seulement à l’accouchement hypermédicalisé de la princesse Padmé dans le troisième épisode de Star Wars, ou encore à l’accouchement sur le dos avec poussée dirigée sur l’ile déserte de la série Lost).
Pour Maxe, c’est « très triste cette peur par rapport à l’accouchement, comme si c’est devenu quelque chose de dangereux qui nécessite des interventions à tous les coups. On a fait croire que le corps est imparfait et que c’est problématique. Ça a enlevé énormément de confiance dans la physiologie du processus. »
Étudiante au baccalauréat en pratique sagefemme, Maxe partage déjà la philosophie de sa future profession. Engagée dans un parcours universitaire d’une durée de quatre ans et demi, elle souhaite participer à la transformation de la culture entourant la naissance.
Pour elle, une bonne sagefemme doit avant tout écouter sa cliente et lui donner confiance en elle-même.
Maxe a toutes les chances d’accomplir sa mission, car la pratique sagefemme est axée sur l’accompagnement plutôt que sur le traitement. Ce suivi particulier se déploie dans une relation entre la sagefemme et sa cliente. Les mots qui viennent en tête pour décrire cette relation sont confiance, respect, intimité… et même amour !
Toutes des expertes
« Moi, j’aime mes clientes ! » lance Magali, sagefemme d’expérience devenue directrice du département sagefemme à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Bien qu’une intimité et une affection se développent dans bien des cas, le lien unissant une sagefemme à sa cliente ne doit pas franchir la barrière de l’amitié, par souci de neutralité et de professionnalisme. Magali précise cependant que, bien qu’elle soit professionnelle, cette relation n’en est pas pour autant hiérarchique.
Selon elle, il s’agit plutôt d’un partage d’expertise. « La femme est experte d’elle-même, de ses choix, de ce qu’elle aime, de ce qu’elle souhaite pour sa grossesse, de la vie qu’elle a choisie. Moi, je l’accompagne avec mon expertise de professionnelle de la santé qui connait la grossesse, qui a étudié ça. »
Cette vision plus égalitaire de la relation professionnelle favorise l’élaboration et le respect de choix éclairés concernant les nombreuses décisions à prendre pendant la grossesse et l’accouchement. Qu’il s’agisse de choix du lieu de la naissance ou des personnes accompagnantes, des tests de dépistage et des interventions, la sagefemme a le devoir d’informer sa cliente et de respecter ses choix.
Le choix du lieu
Pendant le suivi de grossesse, les rendez-vous avec la sagefemme se déroulent en maison de naissance, où celles-ci sont habilitées à faire différents tests et examens, en plus de la préparation à l’accouchement. Pour ce qui est de l’accouchement lui-même, les femmes peuvent enfanter à la maison de naissance, à leur domicile ou en centre hospitalier, et ce, sous l’entière et l’unique supervision de leur sagefemme. Ce sont les seules professionnelles de la santé à offrir le choix du lieu de naissance.
En théorie, tous les professionnels de la santé sont tenus d’obtenir un consentement éclairé avant d’accomplir des gestes médicaux. Pourtant, de nombreux témoignages rapportent qu’en milieu hospitalier, les patientes ne sont pas toujours consultées, ou même averties, avant les interventions. Dans bien des cas, la routine prend le dessus. « Il y a une procédure qui est appliquée à toutes les femmes, tandis qu’il n’y a pas deux grossesses pareilles », affirme Rosalie, qui a accouché deux fois avec des médecins avant de se tourner vers les sagefemmes pour son troisième bébé. « Dans leur approche, on fait plus attention à ta dignité », conclut-elle.
Accoucher dans son salon
Esther rêvait d’un accouchement à domicile. Elle voulait revivre cette expérience qu’elle avait tant appréciée au moment de mettre au monde son troisième enfant, mais qu’elle n’avait pas pu répéter avec son quatrième. Enceinte d’un cinquième bébé à 42 ans, Esther estimait que c’était sa dernière chance. Le coronavirus en a décidé autrement.
Depuis le début de la pandémie, les accouchements à domicile sont soit interdits, soit fortement limités. On demande, par exemple, qu’il n’y ait personne d’autre que le couple dans la maison au moment où les sagefemmes sont présentes. Pour Esther, cette restriction rendait le projet moins intéressant.
« J’aurais vraiment aimé que les enfants soient là pour l’accueillir. Je voulais leur offrir cette expérience pour les éduquer un peu, savoir c’est quoi la vie, comment ça vient au monde un enfant. Les gens de nos jours ne connaissent pas ça. Ils sont coupés de ce que c’est une naissance. »
Outre le fait de vivre l’accouchement comme une expérience familiale, l’accouchement à domicile a de nombreux avantages. La femme n’a pas besoin d’être transportée au lieu de naissance pendant l’accouchement. Ce déplacement est habituellement très inconfortable pour la mère et peut même causer un ralentissement ou l’arrêt du travail. Surtout, la maison est l’endroit où la femme et le couple se sentent le plus à l’aise, le plus intimes.
Pour favoriser le bon déroulement de l’accouchement, Esther conseille : « Tu dois recréer la même ambiance que quand tu as créé ton bébé. C’est un moment d’amour, un moment d’intimité. » Magali va dans le même sens : « Quand tu accouches, tu es tellement dans une vulnérabilité qu’il faut que tu puisses te laisser aller à 100 %. Quel meilleur endroit pour ça que chez soi ? »
D’un point de vue clinique, l’accouchement à domicile n’est pas plus risqué qu’à l’hôpital ou en maison de naissance. « On voit que les issues des accouchements à domicile sont vraiment bonnes. Le fait d’être chez soi rend les issues meilleures. Nous, les sagefemmes, c’est quelque chose qu’on observe. »
Finalement, Esther a enfanté en maison de naissance, une première pour elle. La mère de cinq enfants est satisfaite de son expérience. « Je me sens vraiment en confiance quand je suis à la maison de naissance. Pour moi, c’est l’endroit où il y a les gens les plus expérimentés pour avoir une naissance naturelle. »
Seule à seule
Si les sagefemmes parviennent à fournir ce suivi personnalisé tant apprécié par leurs clientes, c’est parce que la continuité des soins et de la relation est un des piliers de leur philosophie. Offrir un tel service demande du temps, mais ce temps, elles l’ont, m’explique Josyane, la présidente du Regroupement Les Sages-femmes du Québec. « On a plus de temps parce que c’est au cœur de notre modèle de pratique. »
Ainsi, il n’est pas rare que les rencontres durent une heure ! C’est tout un changement pour celles qui, comme Rosalie, ont connu des rendez-vous médicaux qui ne durent qu’une dizaine de minutes. Les sagefemmes prennent tout le temps nécessaire pour informer leurs clientes et leur offrir des choix, et aussi pour apprendre à les connaitre et répondre à leurs questions.
Le cas d’Esther est parlant. Lors d’un accouchement à l’hôpital, elle a vu trois obstétriciens de garde se relayer à son chevet, tandis qu’elle a été accompagnée par la même sagefemme pendant ses trois dernières grossesses.
Le rapport un pour un est une autre particularité de la pratique sagefemme. Ces professionnelles travaillent généralement en équipe de deux ou trois pour alléger leurs très exigeantes périodes de garde. Les sagefemmes s’assurent cependant de rencontrer chacune de leurs bénéficiaires pendant leur grossesse. Ainsi, le grand jour venu, les femmes sont toujours accompagnées d’une personne connue. Même si le travail s’étire, la sagefemme en poste reste aux côtés de sa cliente pendant toute la durée de son accouchement.
Cliquez ici pour consulter la version papier de cet article paru dans le numéro spécial Visitation.
À cela s’ajoute la disponibilité 24/7 assurée par les équipes de sagefemmes. « Quand tu as un suivi sagefemme, tu ne te poses pas de questions. Tu sais que, s’il y arrive quelque chose à n’importe quel moment, tu es accompagnée », nous dit Alixanne, qui a déjà appelé sa sagefemme un dimanche soir. Rosalie aussi n’hésite pas à joindre son équipe de sagefemmes si elle a une inquiétude. « J’ai son numéro de cellulaire, je peux l’appeler quand je veux ! Je n’aurais pas pu avoir ça avec un médecin. »
La continuité relationnelle entre la sagefemme et son usagère se déploie non seulement à l’intérieur de chaque suivi étant donné la continuité des soins avant, pendant et après l’accouchement, mais aussi d’une grossesse à l’autre. C’est un cadeau autant pour la mère que pour la professionnelle, nous dit Magali, qui a expérimenté les deux faces de cette médaille en bénéficiant elle-même des services d’une de ses collègues. « Cette relation se poursuit dans le temps d’un enfant à l’autre. Ça, c’est extraordinaire. »
Quelque chose de sacré
La naissance est un évènement porteur d’une signification profonde pour les femmes et les familles, qui varie selon les personnes et les cultures. La philosophie des sagefemmes consiste à respecter et à embrasser cette diversité. Pour plusieurs femmes, l’accouchement sera le plus beau jour de leur vie, encore plus que leur mariage. De nombreuses mères ont pour vision de la naissance un évènement important, heureux, doux et puissant. Cette vision résonne chez les futures mères et leur donne espoir.
La venue au monde est un moment riche en émotions et en émerveillement, trouve Maxe. « Il y a un espace sacré qui se crée autour de la naissance. On sort du temps, on oublie nos autres préoccupations. C’est ça qui devient le plus important. Il y a un point de mire, une attention particulière qui arrive à ce moment-là. Je me sens privilégiée d’être témoin de ça. »
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Pour aller plus loin
L’arbre et le nid, documentaire réalisé par Valérie Pouyanne en 2013 (85 minutes).
Source: Lire l'article complet de Le Verbe