“Réactionnaires!”
De par Vésinier1 nous voilà – à treize – classés au Conseil comme « réactionnaires », et cela à propos des élections complémentaires qui viennent d’avoir lieu pour remplacer les démissionnaires, ainsi que Flourens et Duval, assassinés par les Versaillais.
Assez mal à propos, à mon avis, le Comité central, d’abord, et ensuite la Commune, faisant appel aux électeurs, ont cru devoir établir le scrutin d’après les termes de la loi électorale exigeant, pour valider l’élection, qu’elle ait obtenu au premier tour le huitième au moins des électeurs inscrits.
Le scrutin qui vient d’avoir lieu n’ayant pas donné à certains des nouveaux élus le chiffre proportionnel de voix spécifié par la loi, nous avons, à treize, voté contre leur validation.
En cela nous nous trouvons d’accord avec deux invalidés – les citoyens Rogeard et Briosne – qui d’avance ont, par lettres publiques, déclaré qu’eux-mêmes ne considéraient pas comme valable leur élection obtenue dans de telles conditions.
Que cette façon de voir soit discutable, qu’on puisse soutenir, comme l’a fait Varlin2, qu’en tenant ainsi compte de la loi on permet à la majorité, systématiquement abstentionniste, de supprimer le droit de la minorité d’être représentée à la Commune et qu’on doit passer outre en validant quand même les élus, cela peut s’admettre.
Mais que pour avoir envisagé autrement la question et voté en conséquence, le citoyen Vésinier, appelé à bénéficier de la thèse soutenue par Varlin, traite les opposants de « réactionnaires », c’est aller un peu loin.
On passe bien des choses à ce citoyen, en raison de l’indulgence toute naturelle qu’inspirent certains maltraités de la nature. Il est vrai que trop souvent ceux-ci abusent de leur « malheur », comme l’a fait spirituellement, remarquer autrefois Vallès3 dans son humoristique article : « Le bonheur des infirmes ».
On a dit depuis longtemps aussi qu’on est toujours le réactionnaire de quelqu’un.
Il faudra nous consoler d’être les réactionnaires de Vésinier. Le mal n’est pas irréparable.
Mais il y a dans cette affaire quelque chose de plus grave que les niaises qualifications d’un déséquilibré : c’est que la Commune n’ait pas compris qu’on ne peut être à la fois légal et révolutionnaire.
La Commune avait parfaitement le droit d’avertir les électeurs convoqués que, vu l’urgence et le système d’obstruction pratiqué par certains arrondissements presque entièrement acquis à la réaction, le scrutin serait valable quel que fût le nombre des votants.
Électeurs et candidats sachant alors à quoi s’en tenir eussent agi en conséquence et personne n’eût eu le droit de récriminer.
Mais puisqu’il n’en avait pas été ainsi et qu’on prétendait demeurer dans la légalité, il fallait ne s’en point écarter et ne point courir le risque d’être accusé de déloyauté.
Or, et quoi que puissent dire les malins et les habiles, la loyauté dans toutes les circonstances, sera toujours la principale force des révolutionnaires.
Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un révolutionnaire, De juin 1848 à la Commune
1 Pierre Vésinier (1826-1902): journaliste, franc-maçon, membre de l’Internationale et de la Commune.
2 Eugène Varlin (1839-1871): ouvrier relieur, militant socialiste, syndicaliste, coopérateur, un des dirigeants de l’Internationale en France, membre de la Commune. Pendant la Semaine sanglante, il tentera en vain de s’opposer à une exécution d’otages, rue Haxo, et participera aux derniers combats à Belleville. Le 28 mai 1871, il sera lynché, éborgné par la foule, et finalement fusillé par les soldats versaillais près de l’endroit où avaient été fusillés les généraux Lecomte et Clément-Thomas. Il avait 31 ans.
3 Jules Vallès (1832-1885): journaliste et écrivain, membre de la Commune. Il écrira, après la Commune, la célèbre trilogie Jacques Vingtras: Mémoires d’un révolté (L’Enfant, Le Bachelier, L’Insurgé).
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