L’auteur est finissant au baccalauréat en science politique à l’UQÀM)
Dans son rapport du 27 novembre 2024, le Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la fédération canadienne recommandait que le Québec adopte une constitution codifiée. Le Comité consultatif reconnaît qu’il répète une proposition déjà formulée ou tentée à maintes reprises. Voici quelques exemples. En 1968, l’Assemblée nationale avait un Comité de la constitution. En 2007, Daniel Turp, alors député du Parti québécois, a déposé deux projets de loi constitutionnels la même année. Plus récemment, en 2024, le comité de relance du Parti libéral du Québec proposait au parti de proposer une nouvelle constitution du Québec. Ces démarches visaient ou visent l’adoption d’une « Constitution du Québec » dans le Canada. Dans le contexte politique actuel, la proposition de codifier la constitution du Québec sans faire la souveraineté ni convoquer d’assemblée constituante citoyenne est largement dépassée. Il est plutôt grand temps que le Québec convoque une assemblée constituante citoyenne.
La constitution du Québec est dite coutumière. Même si les députés de l’Assemblée nationale jurent serment de la respecter, selon Daniel Turp (et feu Jacques-Yvan Morin) la constitution du Québec ne serait pas une vraie constitution car elle n’est pas codifiée. Par constitution codifiée, on entend généralement une constitution modelée sur celle des États-Unis, laquelle contient une seule loi fondamentale (en plus des conventions constitutionnelles non-textuelles). Même si le modèle états-unien est populaire dans le monde, aucune règle n’oblige le Québec à l’adopter.
D’abord, la distinction entre constitution codifiée proche de la constitution des États-Unis et constitution coutumière proche de la constitution du Royaume-Uni (qui ne fait aucune distinction juridique entre lois fondamentales et lois non-fondamentales) est une fausse dichotomie. La constitution fédérale du Canada contient environ 30 lois fondamentales.
En France, la Constitution du 4 octobre 1958 n’est que le texte principal (mais pas le seul) de la constitution réelle que le droit français appelle le « bloc de constitutionnalité » (le contenu du bloc de constitutionnalité étant surtout textuel, contrairement aux conventions constitutionnelles des États-Unis). De plus, il est contestable que la constitution du Royaume-Uni soit un mauvais modèle pour le Québec; des experts constitutionnels britanniques considèrent que la constitution du Royaume-Uni est un modèle indémodable car elle s’accommode bien des réformes de contenu.
En recommandant que le Québec ait une loi fondamentale nommée «Constitution» reconnaissant l’existence de conventions constitutionnelles non-textuelles, le Comité consultatif tend grosso-modo vers le modèle états-unien (mais le modèle français répond aussi aux attentes du Comité consultatif).
Selon le Comité consultatif, cette nouvelle loi devrait inclure « les caractéristiques spécifiques de la nation québécoise ». Mais la codification elle-même semble contraire à l’une de ces caractéristiques; la forme de constitution est justement un élément qui distingue le droit civil québécois du droit jurisprudentiel canadien et états-unien.
Pour réaffirmer les particularités du Québec en Amérique du nord, il semble plus utile de changer le contenu de la constitution que d’en américaniser la forme. Dans sa recommandation 3, le Comité consultatif recommande une «modernisation» des lois québécoises par l’abrogation des références monarchiques et des expressions coloniales.
Cette modernisation peut se faire sans changer la forme de la constitution du Québec, c’est-à-dire le nombre de lois qu’elle contient. Aucune forme de constitution (codifiée, coutumière, ou peu importe ce qu’on choisit d’appeler les modèles constitutionnels canadien et français) n’est en soi « moderne » ou bien « monarchique ».
À quels moments un État se prononce-t-il sur la forme de sa constitution? C’est généralement après sa fondation ou son indépendance (comme aux États-Unis), ou bien quand vient le temps de légitimer un nouveau système de gouvernement (autocratie vers régime électoral ou l’inverse) ou encore de tenter de résoudre une crise politique chronique. Le mouvement souverainiste québécois soutient que faire partie du Canada est une crise politique chronique pour le Québec.
Il n’est pas surprenant qu’historiquement, les propositions de refonte de la constitution du Québec émanent ou émanaient surtout de partis souverainistes (Parti québécois, Québec solidaire…) ou du moins non-fédéralistes (Action démocratique du Québec, Union nationale…). Le Bloc québécois a aussi fait l’exercice de proposer une constitution pour un Québec souverain en 2018, dans le cadre de la Proposition principale coécrite par Gilbert Paquette et Denis Monière.
À l’inverse, changer la forme de la constitution du Québec, sans revisiter son contenu, n’est pas en soi « un moyen de nourrir le sentiment d’appartenance de l’ensemble de la population aux éléments constitutifs de la nation québécoise » (pour citer le rapport du Comité consultatif).
Imaginons de manière absurde que l’Assemblée nationale du Québec choisisse le modèle constitutionnel français (plutôt que le modèle états-unien) et se contente de donner à une loi existante, par exemple la Loi sur l’Assemblée nationale (A-23.1), le nom de « Constitution du Québec ». Cela ne changerait rien au quotidien ou aux droits politiques de la population, pas plus que l’abrogation de la Loi sur les shérifs (S-7), dont tous les articles sont inopérants.
Une telle révision serait administrative et dépourvue de caractère solennel. C’est donc une démarche de façade de vouloir changer la forme de la constitution du Québec sans vouloir changer le quotidien ou les droits politiques de la population. Cela pourrait par exemple impliquer l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel, l’élection du premier ministre au suffrage universel ou bien l’extension du droit de vote aux résidents permanents.
Les partis politiques n’ont pas à décider seuls ce qui serait un bon changement au quotidien ou aux droits politiques de la population. D’où la pertinence de convoquer une assemblée constituante citoyenne! L’Institut du Nouveau Monde, l’Alliance pour une constituante citoyenne du Québec, mais aussi Québec solidaire ont défendu cette idée.
Le 29 mai 2019, Catherine Fournier avait déposé à l’Assemblée nationale le texte rédigé par les 42 membres participants de l’activité Constituons! lancée par l’Institut du Nouveau Monde, le Théâtre Carte Blanche et le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (activité coprésidée par Daniel Turp et Claudia Prémont).
Certes, la démarche Constitutions! avait de nombreux défauts méthodologiques. Le Québec ne peut pas simplement adopter le texte déposé en 2019. Même quand une assemblée constituante est officielle, son travail n’aboutit pas toujours à une révision constitutionnelle, car l’électorat pourrait simplement rejeter le texte proposé (les référendums constitutionnels chiliens de 2022 et 2023 sont de bons exemples).
Mais que la proposition d’une assemblée constituante citoyenne soit adoptée ou non, l’intérêt de la démarche est de faire faire les consultations politiques par des personnes qui ne seraient généralement pas élues députées, peut-être parce que leurs atouts ne sont pas les atouts les plus désirés à l’investiture d’un parti politique (renommée, loyauté et charisme).
Les membres d’une assemblée constituante citoyenne peuvent exprimer leur opinion sans craindre de dépasser la ligne de parti ou de ruiner leur réélection. Cet avantage serait réduit ou perdu si une assemblée constituante citoyenne se faisait dicter d’avance la forme ou le contenu d’un projet de révision constitutionnelle (par exemple, si l’assemblée constituante se faisait imposer de proposer une loi unique ou bien de soumettre un texte conforme à la constitution fédérale canadienne).
Ultimement, c’est à l’électorat d’accepter ou de refuser (par référendum) le projet de révision constitutionnel déposé par une assemblée constituante citoyenne. Si plusieurs questions référendaires sont soumises au vote, l’électorat pourrait décider de retenir des éléments du projet et d’en rejeter d’autres.
Si les partis politique de l’Assemblée nationale se mettaient d’accord pour convoquer une assemblée constituante citoyenne, l’étape suivante serait de débattre de la manière de procéder. Selon la Loi de Conway, toute organisation chargée de développer une structure finit par reproduire sa propre structure de fonctionnement.
C’est d’autant plus vrai pour l’écriture de constitutions. L’activité Constituons! comptait 42 membres participants tirés au sort, ce qui semble peu. L’Alliance pour une constituante citoyenne du Québec propose qu’une assemblée constituante québécoise compte 102 ou bien 132 membres tirés au sort. L’assemblée constituante chilienne de 2021-2022 comptait 155 membres élus de manière non-partisane.
Faut-il faire un tirage au sort, faire des élections non-partisanes ou bien réunir des membres issus de sources mixtes? Comment impliquer les nations autochtones dans le processus? Quelles ressources faut-il allouer à l’assemblée constituante? L’assemblée constituante devrait-elle travailler davantage en comités ou en plénière? Sera-t-elle présidée et si oui par qui? La méthodologie retenue devrait de préférence permettre la pluralité des opinions exprimées, car la recherche de consensus, c’est avant tout la recherche de points de vue multiples.
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