Avant de passer à la seconde partie des lettres de Céline à ses parents pendant la Première Guerre mondiale, un petit détour par 2025 et les vœux de Pascal Praud.
En cette période d’avant-guerre, nous initions la publication de cette série de lettres de Louis-Ferdinand Céline à ses parents. Destouches a tout juste 20 ans ; il est engagé depuis deux ans au 12e régiment de cuirassiers et vient d’être nommé, en mai 1914, maréchal des logis — accédant ainsi au grade de sous-officier.
La lecture de Bagatelles n’a pas suffit à éviter le Massacre de 39-45 ; espérons que ces quelques lettres frappent au cœur la future chair à canon ; qu’elles lui ouvrent les yeux et fassent qu’elle refuse, par tous les moyens, la guerre à venir.
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25 septembre 1914
Chers parents,
Je crois que je n’ai jamais éprouvé d’aussi curieuse sensation que la rentrée dans cette ville encore inoccupée quoique le canon se fasse entendre à 22 kilomètres.
Nous avons enfin pu dîner à une table et il est curieux de pouvoir être dans une ville hospitalière le soir, alors que le matin même nous étions sortis avec vitesse d’un village assiégé par un régiment de fusiliers bavarois.
Nous faisons faire quelques réparations d’urgence à ce pauvre convoi qui en a grand besoin, c’est un ramassis de débris ressoudés à grand renforts de cordes et de clous.
Toutefois la bonne vie se termine, une fois notre approvisionnement terminé nous retournerons probablement jusqu’à la fin dans la région désolée ou toutes les calamités se sont abattues.
Certains endroits de la Woëvre sont transformés en véritables lacs où émergent les cadavres des hommes et des chevaux
Je me demande même jusqu’à un certain point si ce petit contact avec la vie normale ne nous aura pas fait plus de mal que de bien. J’ai essayé ainsi que beaucoup d’autres de coucher dans un lit mais cela m’a été complètement impossible, car nous ne pouvions fermer l’œil, obligés de mettre de la paille dans un fourgon pour pouvoir s’endormir. Hier 24 septembre était le jour normal de libération de la classe, comme d’usage nous avons eu un réveil en fanfare. Le 7e dragons a chargé, beaucoup de pertes. Envoyez plutôt de l’argent en billets dans une lettre recommandée, c’est beaucoup plus expéditif. (…)
Sur ce, je replonge dans les cadavres, la boue, la pluie. À la Meuse, que le chemin de la gloire est sale.
Votre fils
Louis.
27 septembre 1914
Chers parents
Je vous écris, il est 2 heures du matin, la canonnade bat son plein, cela donne un peu l’illusion du bruit que fait une grande usine à volants multiples, tellement le bruit de la canonnade est continu. Je ne sais ce qui m’a préservé mais je viens d’avoir une émotion qui fera date.
À 11 heures, j’étais en arrière des lignes que mon fourgon approvisionnait afin de rentrer en communication avec la Division qui donne le soir aux régiments leur emplacement de nuit, endroit où nous allons les approvisionner.
J’apprends que mon escadron est dans un bois aux avant-postes, tout à fait détaché des autres, je fais éteindre mes lanternes et je prends au grand trot la direction du bois. À peine 1500 mètres faits, nous sommes inondés par la lumière d’un projecteur allemand qui nous suit. Heureusement, je rentre dans mon bois sans encombre. Content d’en être quitte, j’approvisionne en vitesse et je démarre non moins vite. Mais à peine sorti, je suis inondé de lumière à nouveau, mais cette fois pas à vide car nous sommes copieusement arrosés pendant 10 minutes par des obus de tous calibres, j’accélère tant et plus et je me jette à la charge dans un fourré, les projecteurs me cherchent encore mais ne me débusquent pas. Au bout d’une heure je ressors de mon fourré, cette fois sans être arrosé et je rejoins la Division tant bien que mal. Je crois qu’un caillou ou une pierre m’a attrapé la main car j’avais la main pleine de sang en arrivant. Heureusement ce n’est qu’une simple éraflure qui ne m’empêche pas de continuer. C’est ce soir nous réapprovisionnons à nouveau mais cela peut compter comme service.
À bientôt
Destouches.
Flandres, deuxième quinzaine d’octobre 1914
Chers Parents
Je vous écris d’une petite ville belge où nous sommes pied à terre, attendant les Allemands. Quel changement avec la triste Woëvre. Ce n’est pas que le pays soit beau, mais la population est tellement accueillante que c’est presque un plaisir de combattre pour un peuple aussi aimable. Nous revoyons ici la même théorie d’émigrés que nous avons connue dans le Nord, mais cette fois je suis infiniment plus touché car ce n’est plus une horde pouilleuse qui fuit mais ce sont plutôt des gens qui ont tous l’air de petits fonctionnaires scrupuleusement propres même dans le malheur et la misère.
J’espère que nous aurons ici la victoire définitive, qui nous permettra de finir cette guerre qui commence à peser.
Hier un gros industriel de l’endroit nous a changés complètement de pied en cap en tricots chaussettes chemises.
Je t’assure qu’ils seront défendus.
Nous avons d’ailleurs commencé hier le travail.
Comment cela va à Paris ? Avez-vous des nouvelles de parents ou amis blessés ou morts ? Pendant que je vous écris nous sommes littéralement submergés de victuailles de toutes sortes, et il semble que nous sommes tombés dans un paradis, malheureusement le canon d’Anvers nous rappelle que nous ne sommes pas dans l’Éden et sur le trottoir d’en face bondé de symétriques plumeaux, défile une infinité de familles Beulmans également propres, du monsieur au même pardessus gris, à la même valise en tapisserie, au même grand monsieur Blond qui fume éternellement sa pipe, en regrettant sa chope de la place Baukere.
Votre fils affectionné
Destouches.
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