La Russie et l’Inde réagissent les premiers alors que la Pax Americana prend fin

La Russie et l’Inde réagissent les premiers alors que la Pax Americana prend fin

Par M.K. Bhadrakumar – Le 10 novembre 2024 – Source Indian Punchline

La visite de travail du Premier Vice-Premier ministre russe Denis Manturov à Mumbai et Delhi les 11 et 12 novembre est dans les cartons depuis un certain temps. Elle revêt un intérêt accru aujourd’hui car, par une délicieuse coïncidence, elle chevauche le début de la fin de la Pax Americana en politique internationale.

Manturov, 55 ans, est l’une des étoiles les plus brillantes de la nouvelle génération de dirigeants du firmament politique russe avec un brillant bilan d’économiste et de technocrate dans le complexe énergétique et militaro-industriel, deux secteurs clés de l’économie.

Le président Vladimir Poutine lui a confié des responsabilités qui vont bien au-delà du portefeuille de ministre du Commerce et de l’Industrie, poste qu’il a occupé pendant 12 ans jusqu’en mai 2024, date à laquelle il a été promu Premier Vice-Premier ministre. Manturov est maintenant un visage familier à la table haute lorsque Poutine prend des réunions sur la guerre en Ukraine, ce qui montre qu’il porte plusieurs chapeaux.

Manturov est le coprésident de la commission mixte russo-indienne, aux côtés du ministre des Affaires étrangères S. Jaishankar. Certes, Jaishankar aura de vastes discussions avec Manturov. Qui d’autre Manturov rencontrera à Delhi sera une indication des remous dans l’air de la coopération russo-indienne.

Le moment de la visite est remarquable puisque les néoconservateurs qui ont dominé l’administration Biden — le secrétaire d’État Antony Blinken, le directeur de la CIA William Burns, etc. — sont sur le départ et qu’un nouveau monde courageux se dessine à Washington, DC.

L’influent PDG du Chicago Council on Global Affairs, Ivo Daalder, qui était l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Otan, a succinctement capturé le changement de pouvoir imminent à Washington lorsqu’il a écrit dans Politico ce week-end : “Trump a gagné largement. Il a aidé les Républicains à prendre le contrôle du Sénat et pourrait bien les aider à garder la Chambre (d’ailleurs, les Républicains ont également renversé la Chambre) — assurant un contrôle à parti unique dans les trois branches du gouvernement. Il peut à juste titre revendiquer un mandat pour mettre en œuvre toutes les politiques qu’il a vantées… Tout en étant protégé par la Cour suprême.”

Bien sûr, l’ambassadeur Daalder est un acolyte de “l’ordre fondé sur des règles” et un fervent partisan de la destinée manifeste de l’Amérique à diriger le monde. Il a écrit dans sa chronique intitulée « La fin de la Pax Americana » : “Je m’inquiète aussi de ce que cela signifie pour le reste du monde. Au cours de son premier mandat, Trump a clairement indiqué qu’il n’adhérait pas au rôle de leadership mondial de Washington comme l’ont fait ses prédécesseurs. Il ne croit pas au leadership — il croit en la victoire… Moscou et Pékin se sont longtemps irrités contre le leadership de Washington et, au cours de la dernière décennie, ils ont cherché à le contrer et à le saper. Elles peuvent maintenant obtenir ce qu’elles souhaitent. Trump n’est pas intéressé à soutenir la Pax Americana de la même manière que ses 14 prédécesseurs l’étaient… La fin de la Pax Americana aura de profondes conséquences. Elle se terminera officiellement le 20 janvier 2025, lorsque les États-Unis inaugurent Donald J. Trump en tant que 47e président. Le pays et le monde seront très différents à cause de cela.”

Nous avons déjà un aperçu de ce tournant historique. Bien que se déroulant dans les conditions des sanctions, l’agenda des discussions de Manturov à Delhi aura une dimension futuriste. Le fait est que, bien que les sanctions contre la Russie puissent prendre un certain temps à être abandonnées, leur tranchant — le fanatisme, le son et la fureur avec lesquels Blinken et la Secrétaire au Trésor Janet Yellen appliquaient cet outil diplomatique intrusif pour dicter les relations économiques et militaires des autres pays avec la Russie — peut maintenant devenir émoussé, cela en parallèle à tous les signes pointant déjà vers un engagement russo-américain.

La partie indienne devrait être consciente de cette transition dans la dynamique du pouvoir pour accélérer la coopération économique et militaro-technique avec la Russie dans une perspective à moyen et long terme. C’est une chose.

Deuxièmement, nous nous dirigeons vers une conversation entre Trump et Poutine. Ne soyez pas surpris s’ils décident de se rencontrer à une date rapprochée. Historiquement parlant, il n’y a rien de tel que les sommets pour dynamiser les systèmes politiques avec une culture descendante comme les États-Unis et la Russie.

Autant dire que nous approchons d’un point où la Cour pénale internationale, qui a lancé un mandat d’arrêt contre Poutine, ne saura plus où se cacher. De notre point de vue, cela ouvre la porte menant à la roseraie pour une visite d’État de Poutine en Inde ; peut-être, en tant qu’invité principal aux célébrations marquant le 75e anniversaire de la République indienne le 26 janvier 2025.

Poutine est un grand ami de l’Inde. Il y a seulement deux jours, il a décrit l’Inde comme sans précédent sur la scène mondiale et a poursuivi en disant que la Russie renforçait ses relations avec l’Inde sur plusieurs fronts, avec un haut niveau de confiance sous-tendant leurs relations bilatérales. Poutine a fait l’éloge de l’ascension de l’Inde en disant “L’Inde devrait sans aucun doute être ajoutée à la liste des superpuissances, avec sa population d’un milliard et demi, la croissance la plus rapide de toutes les économies du monde, une culture ancienne et de très bonnes perspectives de croissance future.”

Certes, l’Inde se trouve dans une position véritablement privilégiée sur la scène politique internationale avec la consolidation du partenariat indo-russe, avec des perspectives s’ouvrant pour une poussée permettant aux liens américano-indiens d’atteindre de nouveaux sommets en profitant de la bonne volonté de Trump, et, en effet, avec les signes naissants d’un dégel apparaissant dans les relations sino-indiennes troublées ; et, bien sûr, en tant que grande économie à la croissance la plus rapide au monde.

L’objectif optimal de l’Inde devrait être de créer une synergie à partir des trois relations qui se déroulent sur des voies parallèles, avec la Russie, les États-Unis et la Chine respectivement. Quelles que soient les complexités de leurs relations mutuelles, l’Inde devrait aspirer à une confluence des trois courants pour faire progresser son développement national global.

Il y a une bouffée d’espoir dans l’air pour un réchauffement des relations bilatérales entre Moscou et Washington sous Trump, qui sont en chute libre. Mais la russophobie est profondément ancrée dans les élites américaines et la Russie restera un problème toxique. Pourtant, Trump a souligné à plusieurs reprises de bonnes relations avec Poutine, ainsi que le respect mutuel. Et Poutine est un politicien très talentueux qui comprend Trump.

En ce qui concerne les relations Russo-chinoises, Moscou et Pékin sont à un sommet de partenariat sans précédent dans leur histoire. Cette relation est ancrée dans la grande camaraderie entre Poutine et le président chinois Xi Jinping. Elle est solide comme le roc et le restera malgré la fluidité de l’environnement international.

Bien sûr, il y a des doutes sur la trajectoire des relations américano-chinoises à l’avenir. Mais, là encore, le nœud du problème est la rivalité économique des États-Unis avec la Chine dans la mentalité américaine. En soi, la Chine ne représente aucune menace pour les États-Unis. La Chine n’est pas non plus une puissance expansionniste. Certes, c’est un acteur dans un environnement mondial stable et prévisible où la mission primordiale de créer de la richesse devient durable sans interruption. Et la Chine, contrairement à la Russie, ne conteste même pas la puissance, l’influence et les intérêts américains directement ou intentionnellement. C’est la pure vérité qui coupe à travers les shibboleths des récits égoïstes des détracteurs de la Chine.

Le fait est qu’une confrontation militaire entre les États-Unis et la Chine ne se produira pas sous la surveillance de Trump. Aucun camp n’est intéressé à mener une guerre. Trump a promis cela comme une promesse solennelle dans son discours de victoire mercredi. D’ailleurs, la stratégie indo-Pacifique elle-même patauge. Le dernier signe en est que l’Indonésie, le plus grand pays d’Asie du Sud-Est, tourne le dos aux systèmes d’alliance dirigés par les États-Unis et cherche à devenir membre des BRICS à la suite des pas de la Malaisie, un autre pays important de l’ASEAN.

La présence du PDG de Tesla, Elon Musk, dans le cercle restreint de Trump peut être considérée comme un facteur de stabilisation des relations américano-chinoises. Surtout, seule la Chine peut être un interlocuteur significatif pour aider Trump à réaliser l’ambitieux projet MAGA.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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