« Banlieues Climat » ou comment embrigader les jeunes des quartiers au service du capitalisme vert (par Nicolas Casaux)

« Banlieues Climat » ou comment embrigader les jeunes des quartiers au service du capitalisme vert (par Nicolas Casaux)

De nom­breux médias, y com­pris ceux de l’éco-bourgeoisie cultu­relle (Libé­ra­tion, Vert, Le Pari­sien, Poli­tis, etc.) célèbrent « Ban­lieues Cli­mat », une asso­cia­tion créée en 2022 par Féris Bar­kat, qui « fait par­tie des 35 lea­ders posi­tifs repé­rés par Les Echos START et Posi­tiv pour l’an­née 2024 ». L’association « Ban­lieues Cli­mat », qui « vise à fédé­rer, sen­si­bi­li­ser, ins­pi­rer les popu­la­tions des quar­tiers popu­laires sur les ques­tions envi­ron­ne­men­tales et cli­ma­tiques afin de faire émer­ger leurs voix et des pro­jets locaux dans le débat public et déve­lop­per leur pou­voir d’agir », pro­pose notam­ment « une for­ma­tion recon­nue par l’É­tat aux métiers de la tran­si­tion, en huit heures, pour les jeunes de 16 à 25 ans. En un an, 100 en sont déjà certifiés. »

L’association Ban­lieues Cli­mat est aus­si finan­ciè­re­ment sou­te­nue par la Fon­da­tion « la France s’engage », une ini­tia­tive lan­cée en 2014 par Fran­çois Hol­lande, de concert avec une coa­li­tion d’en­tre­prises (Tota­lE­ner­gies, BNP Pari­bas, Andros, Arté­mis et le Groupe La Poste).

Elle béné­fi­cie éga­le­ment du sou­tien de la Euro­pean Cli­mate Foun­da­tion (ECF, Fon­da­tion euro­péenne pour le cli­mat) et de la Fon­da­tion de France. La Euro­pean Cli­mate Foun­da­tion fait par­tie des prin­ci­pales fon­da­tions qui dominent le sec­teur du « phi­lan­thro­ca­pi­ta­lisme » consa­cré à l’« éco­lo­gie », c’est-à-dire consa­cré à pro­mou­voir une concep­tion de l’écologie de type « déve­lop­pe­ment durable », ou capi­ta­lisme vert, pour le dire plus sim­ple­ment. La Euro­pean Cli­mate Foun­da­tion, qui est une des plus riches fon­da­tions pré­ten­du­ment « phi­lan­thro­piques », est finan­cée, entre autres, par la William and Flo­ra Hew­lett Foun­da­tion, la Bloom­berg Fami­ly Foun­da­tion, le Rocke­fel­ler Bro­thers Fund, la IKEA Foun­da­tion, la Cli­ma­te­Works Foun­da­tion (elle-même finan­cée par la William and Flo­ra Hew­lett Foun­da­tion, mais aus­si par la Fon­da­tion David et Lucile Packard, le Bezos Earth Fund, Bloom­berg Phi­lan­thro­pies, la fon­da­tion Ford, la IKEA Foun­da­tion, etc.). Le poli­to­logue Edouard More­na en parle bien dans son très bon livre Fin du monde et petits fours : Les ultra-riches face à la crise cli­ma­tique (La Décou­verte, 2023) :

« Au niveau euro­péen, George Polk et une poi­gnée de mil­liar­daires phi­lan­thropes ont créé la Fon­da­tion euro­péenne pour le cli­mat (ECF) fin 2007. Son but : “Pro­mou­voir des poli­tiques cli­ma­tiques et éner­gé­tiques qui réduisent les émis­sions de gaz à effet de serre de l’Europe et aider l’Europe à jouer un rôle de lea­der­ship inter­na­tio­nal en matière d’atténuation du chan­ge­ment cli­ma­tique.” Par “poli­tiques cli­ma­tiques et éner­gé­tiques”, il faut entendre “poli­tiques inci­ta­tives (et peu contrai­gnantes) favo­rables aux entre­prises et aux inves­tis­seurs”. Compte tenu de leur très forte homo­gé­néi­té, il n’est pas éton­nant que la plu­part – sinon la tota­li­té – des grandes fon­da­tions cli­ma­tiques par­tagent une même approche de l’activité phi­lan­thro­pique ; une approche “stra­té­gique”, “gui­dée par les don­nées” et “axée sur l’impact”. Plu­tôt que de finan­ce­ments, elles se sont mises à par­ler d’“investissements”, cen­sés pro­duire un “retour social” mesu­rable. L’adoption des pra­tiques et du voca­bu­laire mana­gé­riaux à tous les niveaux de l’activité phi­lan­thro­pique, “des pre­mières idées aux éva­lua­tions finales”, a par­ti­ci­pé un peu plus à nor­ma­li­ser la culture entre­pre­neu­riale au sein du débat cli­ma­tique, et par là même à légi­ti­mer les entrepreneurs. »

Ban­lieues Cli­mat pro­pose par exemple, dans le cadre de sa for­ma­tion, des inter­ven­tions du farouche révo­lu­tion­naire anti­ca­pi­ta­liste Jean-Marc Jan­co­vi­ci. Plus sérieu­se­ment, tout cela montre bien que la concep­tion de l’écologie que dif­fuse Ban­lieues Cli­mat, c’est celle des domi­nants, celle du capi­ta­lisme vert, celle d’un ingé­nieur poly­tech­ni­cien, membre du Haut Conseil pour le cli­mat, young lea­der de la Fon­da­tion fran­co-amé­ri­caine, fon­da­teur d’un cabi­net de conseil aux entre­prises qui compte par­mi ses clients des com­pa­gnies comme Bouygues, EDF, Engie, Lafarge, Orange, TF1, Total et Veolia.

« J’étais déjà sen­si­bi­li­sé à l’écologie, mais Ban­lieues Cli­mat m’a appor­té des connais­sances concrètes et des oppor­tu­ni­tés, j’ai pu inté­grer le Bache­lor Act, une for­ma­tion sur la tran­si­tion éco­lo­gique à l’Essec », explique Kha­dim à Vert, le nou­veau média de l’éco-bourgeoisie. Un jeune de ban­lieue dans une for­ma­tion à l’ESSEC Busi­ness School. Le capi­ta­lisme tremble. « Cet après-midi, on parle jus­te­ment d’alimentation lors des acti­vi­tés orga­ni­sées à l’étage de la petite école. Sel­ma vient de ter­mi­ner un ate­lier cui­sine avec deux amies : “on a dis­cu­té de notre sur­con­som­ma­tion de viande et de son impact éco­lo­gique, du fait qu’on pou­vait trou­ver des pro­téines dans les amandes et le soja aus­si. J’avoue, je n’avais pas de connais­sances sur ce sujet-là avant.” »

Rem­pla­cer la viande du régime ali­men­taire des jeunes de ban­lieue par des amandes et du soja. Voi­là un objec­tif qui devrait cer­tai­ne­ment nous aider à mettre un terme au ravage du monde par la civi­li­sa­tion industrielle.

Féris Bar­kat est aus­si un des membres fon­da­teurs de la Cli­mate House, « une mai­son qui ras­semble des entre­pre­neurs, entre­prises, inves­tis­seurs, asso­cia­tions, acti­vistes, cher­cheurs, scien­ti­fiques, étu­diants… Ces archi­tectes de demain, quels que soient les freins aux­quels ils sont confron­tés — finan­ce­ment, visi­bi­li­té, tech­no­lo­gie ou régle­men­ta­tion — pour­ront, s’ins­pi­rer les uns les autres, et ensemble maxi­mi­ser et accé­lé­rer leur impact. » Du cha­ra­bia que l’on peut tra­duire par : un ras­sem­ble­ment d’entreprises visant à faire du fric avec le « déve­lop­pe­ment durable », c’est-à-dire le capi­ta­lisme vert.

Rien d’étonnant à ce qu’une asso­cia­tion visant à inté­grer les jeunes des ban­lieues à la « tran­si­tion éco­lo­gique », qui ne désigne rien d’autre que la risible ten­ta­tive du capi­ta­lisme de se ver­dir (ou en tout cas de s’a­dap­ter au réchauf­fe­ment cli­ma­tique, aux chan­ge­ments cli­ma­tique, et de revoir son modèle tech­no-indus­triel en élec­tri­fiant tout ce qu’il est pos­sible d’élec­tri­fier), béné­fi­cie du sou­tien de l’État, des fon­da­tions pri­vées, des entre­prises et des médias de la bour­geoi­sie culturelle.

Et bien enten­du, dans une socié­té où la plu­part des consciences sont mys­ti­fiées par les pro­ces­sus retors qu’emploie la domi­na­tion pour se per­pé­tuer (même si là, fran­che­ment, l’arnaque n’a rien de bien sor­cier), il n’est pas non plus éton­nant que Féris Bar­kat dénonce « le dis­cours embour­geoi­sé de l’écologie » tout en le diffusant.

Les ban­lieues com­prennent cer­tai­ne­ment un poten­tiel révo­lu­tion­naire impor­tant, étant don­né qu’elles hébergent des popu­la­tions aux­quelles l’État et le capi­ta­lisme infligent de lourdes injus­tices, et qui ont donc de nom­breuses rai­sons de vou­loir que les choses changent. Mais les ini­tia­tives comme Ban­lieues Cli­mat ne sti­mulent clai­re­ment pas ce poten­tiel révo­lu­tion­naire, au contraire, elles le neu­tra­lisent en rame­nant les jeunes de ban­lieues dans le droit che­min de la for­mi­dable et consen­suelle « tran­si­tion éco­lo­gique », appe­lée de leurs vœux par Macron, Jan­co­vi­ci, etc.

S’ils ne sou­haitent pas par­ti­ci­per à la grande mas­ca­rade de l’impossible ver­dis­se­ment de l’État-capitalisme, on encou­rage donc les fon­da­teurs et membres de Ban­lieues Cli­mat à s’intéresser davan­tage à la pers­pec­tive anar­chiste, à la cri­tique du capi­ta­lisme et à la pro­blé­ma­tique de la récu­pé­ra­tion de l’écologie.

Nico­las Casaux

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« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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