De nombreux médias, y compris ceux de l’éco-bourgeoisie culturelle (Libération, Vert, Le Parisien, Politis, etc.) célèbrent « Banlieues Climat », une association créée en 2022 par Féris Barkat, qui « fait partie des 35 leaders positifs repérés par Les Echos START et Positiv pour l’année 2024 ». L’association « Banlieues Climat », qui « vise à fédérer, sensibiliser, inspirer les populations des quartiers populaires sur les questions environnementales et climatiques afin de faire émerger leurs voix et des projets locaux dans le débat public et développer leur pouvoir d’agir », propose notamment « une formation reconnue par l’État aux métiers de la transition, en huit heures, pour les jeunes de 16 à 25 ans. En un an, 100 en sont déjà certifiés. »
L’association Banlieues Climat est aussi financièrement soutenue par la Fondation « la France s’engage », une initiative lancée en 2014 par François Hollande, de concert avec une coalition d’entreprises (TotalEnergies, BNP Paribas, Andros, Artémis et le Groupe La Poste).
Elle bénéficie également du soutien de la European Climate Foundation (ECF, Fondation européenne pour le climat) et de la Fondation de France. La European Climate Foundation fait partie des principales fondations qui dominent le secteur du « philanthrocapitalisme » consacré à l’« écologie », c’est-à-dire consacré à promouvoir une conception de l’écologie de type « développement durable », ou capitalisme vert, pour le dire plus simplement. La European Climate Foundation, qui est une des plus riches fondations prétendument « philanthropiques », est financée, entre autres, par la William and Flora Hewlett Foundation, la Bloomberg Family Foundation, le Rockefeller Brothers Fund, la IKEA Foundation, la ClimateWorks Foundation (elle-même financée par la William and Flora Hewlett Foundation, mais aussi par la Fondation David et Lucile Packard, le Bezos Earth Fund, Bloomberg Philanthropies, la fondation Ford, la IKEA Foundation, etc.). Le politologue Edouard Morena en parle bien dans son très bon livre Fin du monde et petits fours : Les ultra-riches face à la crise climatique (La Découverte, 2023) :
« Au niveau européen, George Polk et une poignée de milliardaires philanthropes ont créé la Fondation européenne pour le climat (ECF) fin 2007. Son but : “Promouvoir des politiques climatiques et énergétiques qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre de l’Europe et aider l’Europe à jouer un rôle de leadership international en matière d’atténuation du changement climatique.” Par “politiques climatiques et énergétiques”, il faut entendre “politiques incitatives (et peu contraignantes) favorables aux entreprises et aux investisseurs”. Compte tenu de leur très forte homogénéité, il n’est pas étonnant que la plupart – sinon la totalité – des grandes fondations climatiques partagent une même approche de l’activité philanthropique ; une approche “stratégique”, “guidée par les données” et “axée sur l’impact”. Plutôt que de financements, elles se sont mises à parler d’“investissements”, censés produire un “retour social” mesurable. L’adoption des pratiques et du vocabulaire managériaux à tous les niveaux de l’activité philanthropique, “des premières idées aux évaluations finales”, a participé un peu plus à normaliser la culture entrepreneuriale au sein du débat climatique, et par là même à légitimer les entrepreneurs. »
Banlieues Climat propose par exemple, dans le cadre de sa formation, des interventions du farouche révolutionnaire anticapitaliste Jean-Marc Jancovici. Plus sérieusement, tout cela montre bien que la conception de l’écologie que diffuse Banlieues Climat, c’est celle des dominants, celle du capitalisme vert, celle d’un ingénieur polytechnicien, membre du Haut Conseil pour le climat, young leader de la Fondation franco-américaine, fondateur d’un cabinet de conseil aux entreprises qui compte parmi ses clients des compagnies comme Bouygues, EDF, Engie, Lafarge, Orange, TF1, Total et Veolia.
« J’étais déjà sensibilisé à l’écologie, mais Banlieues Climat m’a apporté des connaissances concrètes et des opportunités, j’ai pu intégrer le Bachelor Act, une formation sur la transition écologique à l’Essec », explique Khadim à Vert, le nouveau média de l’éco-bourgeoisie. Un jeune de banlieue dans une formation à l’ESSEC Business School. Le capitalisme tremble. « Cet après-midi, on parle justement d’alimentation lors des activités organisées à l’étage de la petite école. Selma vient de terminer un atelier cuisine avec deux amies : “on a discuté de notre surconsommation de viande et de son impact écologique, du fait qu’on pouvait trouver des protéines dans les amandes et le soja aussi. J’avoue, je n’avais pas de connaissances sur ce sujet-là avant.” »
Remplacer la viande du régime alimentaire des jeunes de banlieue par des amandes et du soja. Voilà un objectif qui devrait certainement nous aider à mettre un terme au ravage du monde par la civilisation industrielle.
Féris Barkat est aussi un des membres fondateurs de la Climate House, « une maison qui rassemble des entrepreneurs, entreprises, investisseurs, associations, activistes, chercheurs, scientifiques, étudiants… Ces architectes de demain, quels que soient les freins auxquels ils sont confrontés — financement, visibilité, technologie ou réglementation — pourront, s’inspirer les uns les autres, et ensemble maximiser et accélérer leur impact. » Du charabia que l’on peut traduire par : un rassemblement d’entreprises visant à faire du fric avec le « développement durable », c’est-à-dire le capitalisme vert.
Rien d’étonnant à ce qu’une association visant à intégrer les jeunes des banlieues à la « transition écologique », qui ne désigne rien d’autre que la risible tentative du capitalisme de se verdir (ou en tout cas de s’adapter au réchauffement climatique, aux changements climatique, et de revoir son modèle techno-industriel en électrifiant tout ce qu’il est possible d’électrifier), bénéficie du soutien de l’État, des fondations privées, des entreprises et des médias de la bourgeoisie culturelle.
Et bien entendu, dans une société où la plupart des consciences sont mystifiées par les processus retors qu’emploie la domination pour se perpétuer (même si là, franchement, l’arnaque n’a rien de bien sorcier), il n’est pas non plus étonnant que Féris Barkat dénonce « le discours embourgeoisé de l’écologie » tout en le diffusant.
Les banlieues comprennent certainement un potentiel révolutionnaire important, étant donné qu’elles hébergent des populations auxquelles l’État et le capitalisme infligent de lourdes injustices, et qui ont donc de nombreuses raisons de vouloir que les choses changent. Mais les initiatives comme Banlieues Climat ne stimulent clairement pas ce potentiel révolutionnaire, au contraire, elles le neutralisent en ramenant les jeunes de banlieues dans le droit chemin de la formidable et consensuelle « transition écologique », appelée de leurs vœux par Macron, Jancovici, etc.
S’ils ne souhaitent pas participer à la grande mascarade de l’impossible verdissement de l’État-capitalisme, on encourage donc les fondateurs et membres de Banlieues Climat à s’intéresser davantage à la perspective anarchiste, à la critique du capitalisme et à la problématique de la récupération de l’écologie.
Nicolas Casaux
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