Ray Fox : un pionnier de l’écosabotage (par Nicolas Casaux)

Ray Fox : un pionnier de l’écosabotage (par Nicolas Casaux)

« J’ai alors décou­vert un micro désastre. D’une rive à l’autre, du bar­rage jus­qu’à l’é­gout, l’eau était pleine de mor­ceaux de savons. En regar­dant dans la mare, mon cœur s’est effondré.

Flot­tant la tête en bas, leurs pattes orange mor­tel­le­ment déten­dues, se trou­vaient une mère col­vert et tous ses cane­tons. Le choc d’un tel car­nage m’emplit de tris­tesse, puis de rage. En patau­geant dans la bouillie, je vis la patte d’un petit cane­ton don­ner un faible coup. Je le pris dans mes bras, ôtai les rési­dus de savon de son corps duve­teux, essayai d’ou­vrir son petit bec et de souf­fler dans ses pou­mons. Son petit corps se relâ­cha défi­ni­ti­ve­ment dans ma main tan­dis que la der­nière étin­celle de vie s’éteignait. Tout devint flou. Des larmes de cha­grin et de colère cou­laient sur mes joues.

“Salo­pards cupides. Bande de salo­pards igno­rants et cupides !”, ai-je lan­cé en ser­rant les dents. »

*

« Pour la pre­mière fois de ma vie, je com­men­çais à m’éloigner de la légion des citoyens res­pec­tueux de la loi pour entrer dans le royaume de celles et ceux qui res­sentent le besoin ins­tinc­tif de suivre un autre ensemble de lois, peut-être supé­rieures aux lois écrites. »

*

« Alors qu’ai-je fait ? Essen­tiel­le­ment, j’ai tri­ché ou joué avec la loi. Pas une fois, mais de très nom­breuses fois, déli­bé­ré­ment et avec préméditation. […] 

Qu’ai-je fait à la loi ? Cela dépend de la per­sonne à qui vous par­lez. Cer­tains diront que je sors de l’en­fer. Que je suis un dan­ge­reux, dia­bo­lique, trans­gres­seur de lois. Un enne­mi redou­table de la loi. D’autres diront que je l’ai juste un peu contour­née. Très légè­re­ment. Une déso­béis­sance civile jus­ti­fiée, un mal néces­saire. La loi de qui ? Celle de l’hu­ma­ni­té ?… Peut-être. La loi natu­relle ?… Jamais. […] 

Au cours des vingt-neuf der­nières années, j’ai bou­ché des che­mi­nées, com­blé des égouts et accro­ché des pan­cartes. [J’ai] dis­tri­bué des affiches, dété­rio­ré des mar­chan­dises et déver­sé des eaux usées et des pois­sons pour­ris dans des bureaux d’en­tre­prise. J’ai éga­le­ment dépo­sé, accro­ché, trans­por­té et déver­sé (oui déver­sé) davan­tage de mouf­fettes mortes dans des endroits par­ti­cu­liè­re­ment inha­bi­tuels que qui­conque à ma connais­sance. Je suis pro­ba­ble­ment la seule per­sonne en Amé­rique du Nord à consi­dé­rer une mouf­fette tuée sur la route comme une res­source naturelle.

Nombre de mes petites guerres n’ont duré que le temps d’un raid. D’autres ont duré plu­sieurs années. J’en ai gagné plu­sieurs, j’en ai per­du d’autres, et cer­taines ont été annu­lées par la pluie. »

— James F. Phil­lips, alias « Ray Fox » ou « The Fox » (20 novembre 1930 – 3 octobre 2001), Rai­sing Kane : The Fox Chro­nicles, 1999.

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Comme vous l’avez pro­ba­ble­ment sai­si, James F. Phil­lips, qui vivait près de Chi­ca­go, aux États-Unis, fait par­tie des figures pion­nières de l’écosabotage (ou de l’« éco-ter­ro­risme », selon ceux qui détruisent le monde). Pro­fes­seur de bio­lo­gie, James F. Phil­lips adop­ta le pseu­do­nyme The Fox, soit « le renard », en réfé­rence à une rivière locale, la rivière Fox. Son com­bat éco­lo­giste débu­ta lorsqu’il réa­li­sa qu’une entre­prise de pro­duc­tion de savons, Armour Dial, pol­luait ladite rivière, qu’il aimait tant.

L’écologie, c’est ça. Pro­té­ger les espaces et les espèces natu­relles. Pas encou­ra­ger la pro­duc­tion de machines à pro­duire de l’énergie pré­ten­du­ment « propre », « verte » ou « renou­ve­lable » (mais qui n’est jamais rien de tout ça en véri­té). Pas encou­ra­ger la pré­ten­due « décar­bo­na­tion » de telle ou telle entre­prise des­truc­trice du vivant, ou l’impossible et indé­si­rable « décar­bo­na­tion » d’un sys­tème socio-indus­triel fon­da­men­ta­le­ment des­truc­teur, tota­le­ment hors de contrôle, voué à pro­duire désastre sur désastre et des mon­tagnes d’inégalités et d’injustices.

Voi­là pour­quoi je hais tant les récu­pé­ra­teurs du mou­ve­ment éco­lo­giste, les Bon Pote, Camille Étienne, Cyril Dion, les WWF, Green­peace, etc. Tous ces gens et ces orga­ni­sa­tions passent à côté des pro­blèmes fon­da­men­taux qui se posent à nous et mentent comme des arra­cheurs de dents en pré­ten­dant qu’il est pos­sible de rendre durable, éco­lo­gique, la civi­li­sa­tion indus­trielle. Et tan­dis qu’ils passent leur temps à pro­mou­voir toutes sortes d’illusions renou­ve­lables, la civi­li­sa­tion indus­trielle ne cesse d’étendre ses ravages, de mul­ti­plier ses pol­lu­tions, d’accumuler ses déchets, de rava­ger la vie sur Terre. Y com­pris, désor­mais, AU NOM DE L’ECOLOGIE, au nom des imbé­ci­li­tés que pro­meuvent les Bon Pote, Camille Etienne, Cyril Dion, etc.

Bon Pote, entre mille exemples que l’on pour­rait don­ner, s’est réjouit du fait qu’on ouvre en France « une des plus grosses usines de bat­te­ries électriques ».

Alors que les usines et la fabri­ca­tion de bat­te­ries, ça engendre tout un tas de pol­lu­tions, ça implique tout un tas de dégra­da­tions du monde naturel.

L’écologie, ce n’est pas tro­quer un fléau indus­triel contre un autre que l’on ima­gine moins pire. C’est faire comme James F. Phil­lips. Défendre la nature contre les assauts indus­triels, qu’ils soient le fait de l’industrie chi­mique ou de l’industrie de la pro­duc­tion de bat­te­ries électriques.

Nico­las Casaux

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À propos de l'auteur Le Partage

« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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