Les Patriotes, modèles inspirants de notre temps

Les Patriotes, modèles inspirants de notre temps

L’auteur est avocat constitutionnaliste 
 

Bonjour à toutes et à tous,

Je remercie M. Luc Guay, professeur retraité d’histoire de l’Université de Sherbrooke et président du Comité estrien de la Journée nationale des Patriotes, pour son invitation. M. Guay, j’ai eu le grand avantage de visionner votre exposition virtuelle sur votre site Internet. Je la recommande vivement à toute personne désireuse de bien comprendre ce qui s’est réellement passé en 1837. Je vous remercie, en particulier, pour avoir souligné le rôle crucial des femmes Patriotes, la fonction de commandant militaire tenue par des anglophones à la tête des Patriotes dans la plupart de leurs batailles, ainsi que la position honteuse de Mgr Lartigue, évêque de Montréal, qui prêchait la soumission aux autorités britanniques et à l’injustice.

J’ajouterai seulement une information historique pertinente. Le général Colborne, surnommé le Brûlot parce qu’il pratiquait la politique de la terre brûlée comme Poutine aujourd’hui, celui qui a fait pendre le chevalier de Lorimier et plusieurs autres qui voulaient notre indépendance et notre liberté, était un vétéran de la bataille de Waterloo, l’ultime défaite de Napoléon en Belgique, qui avait eu lieu une vingtaine d’années plus tôt. Il a même joué un rôle déterminant dans cette bataille, sous les ordres du duc de Wellington, à qui l’histoire britannique attribue la victoire. Wellington a déclaré que cette victoire fut très serrée et acquise par la peau des dents. Elle fut obtenue à l’arraché lorsqu’il lança le régiment commandé par Colborne, qu’il avait gardé en réserve pour le moment ultime, contre la garde personnelle de l’empereur français, la faisant fléchir pour la première fois. 

Colborne était un dur de dur, un professionnel faisant partie de l’élite de l’armée britannique venu ici pour mater définitivement notre peuple, alors que ce dernier osait prendre le régime parlementaire britannique au sérieux en se mettant dans la tête qu’un peuple conquis pouvait s’en prévaloir. De son côté, Wellington, héros national à vie, a ajouté une carrière politique à sa vie militaire. Il a été premier ministre du Royaume-Uni de 1828 à 1830 et en novembre et décembre 1834. Il a vécu jusqu’en 1852. Je suggère à nos historiens d’examiner de plus près sa relation avec Colborne dans la décennie 1830 et l’influence qu’il a pu avoir sur l’intransigeance britannique. Il est clair que Wellington et Colborne étaient des hommes des grandes occasions, et que pour l’empire britannique le soulèvement de 1837-38 en faisait partie.   

Je souligne que le Parlement du Canada est situé sur la rue Wellington à Ottawa. Dans la perspective canado-britannique, Waterloo et Saint-Denis font partie du même continuum historique. 

C’est la première grande leçon à retirer des Patriotes. Il est impossible de comprendre notre histoire en la détachant de celle du monde occidental des deux côtés de l’Atlantique. C’est vrai de tous les temps forts de l’histoire du Québec depuis 1534.

Vous savez qu’il y a eu un soulèvement parallèle au Haut-Canada au même moment, conduit par William Lyon Mackenzie, le grand-père du premier ministre fédéral Mackenzie King. Papineau était le grand-père d’Henri Bourassa, un illustre homme politique fédéral qui a fondé Le Devoir. Les insurgés de Mackenzie s’appelaient aussi les Patriots et ils étaient aussi républicains. Colborne a fait pendre deux fois plus de gens à Toronto qu’à Montréal. Il aurait justifié la différence en disant qu’il était compréhensible qu’un peuple conquis se révolte, mais pas des hommes d’origine britannique. Le Québec se souvient parfois de ses héros, mais l’Ontario les a effacés. 

Avant d’entreprendre sa carrière politique, notre premier ministre actuel a joué dans une reconstitution historique à la CBC dans laquelle il incarnait un autre petit-fils de Papineau devenu anglophone, le major Talbot Mercer Papineau, né à Montebello en 1883 et mort sur un champ de bataille de la première guerre mondiale. C’est ainsi que le Canada préfère se souvenir du nom de Papineau. Pour lui, la réconciliation ne peut avoir lieu que par l’assimilation.  

En 2017, pour le centenaire de la bataille de Verdun en France et du décès de Mercer Papineau, le premier ministre s’est rendu sur ce champ de bataille et a déclaré que c’est là que la nation canadienne était née. Cette déclaration est étrange pour deux raisons : la nation canadienne serait née un demi-siècle après la Confédération, et elle serait née en France et non au Canada. Non, monsieur le premier ministre, ma nation n’est pas la vôtre. Ma nation est née plus d’un siècle plus tôt.  Ma nation n’a jamais été reconnue par la vôtre. C’est pourquoi elles doivent se séparer. Ma nation est celle de Louis-Joseph Papineau et non celle de Talbot Mercer Papineau. 

Il y a quelques années, j’ai eu l’immense fierté d’apprendre que mon aïeul Joseph Binette, cultivateur dans ce qui était alors la paroisse Ste-Geneviève près de l’ile Bizard, a participé à l’assemblée des Patriotes de Saint-Laurent. De plus, mon homonyme, un certain André Binette, âgé de 18 ans, aurait pris part à la bataille de St-Eustache, à laquelle il a heureusement survécu. Mon ami Yvan Bombardier, qui m’accompagne aujourd’hui, compte parmi ses ancêtres un Patriote, Lucien Gagnon, qui a dû s’exiler de longues années de l’autre côté de la frontière, causant une tragédie pour son épouse Sophie Régnier et leurs enfants. Je suis certain que plusieurs d’entre vous ont des histoires semblables à raconter. Puisque la devise du Québec est Je me souviens, souvenons-nous des familles des combattants qui ont perdu leur vie, leur santé, leurs biens, leur réputation et leur liberté. Leur crime aux yeux des Britanniques et des Canadiens anglophones était de croire que nous formions une nation. 

Il y a une quinzaine d’années, j’ai eu le grand privilège de remercier personnellement M. Bernard Landry, ancien premier ministre du Québec, d’avoir institué la Journée des Patriotes. Je crois savoir que l’idée de cette journée est venue de l’un d’entre vous, M. Alcide Clément, que vous venez à juste titre d’honorer et que je salue avec une vive reconnaissance. J’ai rencontré M. Landry dans un dîner en tête-à-tête dans un restaurant de Montréal où il était un habitué et où il m’avait invité pour discuter calmement. Ça ne s’oublie pas. 

Vous savez toute l’importance qu’il attachait aux Patriotes. À l’époque, j’en avais une connaissance plus approximative, mais je savais d’instinct que sa décision était importante non seulement pour notre mémoire collective défaillante, mais aussi pour notre avenir. Il ne s’agissait pas seulement d’effacer le symbole monarchiste de l’affreuse Fête de la reine Victoria, qui est montée sur le trône à l’âge de 18 ans en cette même année 1837, mais de laisser un héritage qui ouvrirait la voie à une indépendance réussie.   

En 1995, M. Landry était vice-premier ministre et j’étais conseiller constitutionnel au Conseil exécutif du gouvernement du Québec. Je suis probablement le seul fonctionnaire de l’histoire du Québec à qui on a demandé de rédiger un projet de constitution d’un nouveau pays. Il va de soi que j’ai écrit à ce moment que ce pays serait une république indépendante, laïque et de langue française. Cela va de soi parce que ces idées viennent en droite ligne des Patriotes. 

La valeur pérenne de leurs idées éclairées est leur second enseignement. Les Patriotes sont nos Lumières à nous. Ils s’inscrivent dans la grande mouvance de l’ère des révolutions occidentales qui s’étend pendant un siècle de 1750 environ jusqu’à 1848. Ces révolutions n’ont pas toutes réussi. Malgré l’aide de la France révolutionnaire, le soulèvement irlandais de 1798 a lui aussi été réprimé. Les Irlandais ont persévéré malgré la grande cruauté britannique à leur endroit et ils ont finalement réussi, après plus de cent autres années de douloureux efforts, à obtenir leur république indépendante. Dans quelques années, leur île sera enfin réunifiée. Nous devons en être solidaires, et nous devons imiter leur détermination qui n’a jamais manqué. Les Patriotes avaient placé une bande verte sur leur drapeau pour rendre hommage à un peuple frère. 

Louis-Joseph Papineau et ses collègues connaissaient bien le monde de leur temps. Ils savaient que leurs pensées et leurs actions se situaient dans le sillage des grandes révolutions américaine et française. Ils savaient que l’indépendance des États-Unis n’aurait jamais eu lieu sans l’aide des forces armées de Louis XVI. Ils savaient que cette aide décisive était la vengeance française pour la perte de la Nouvelle-France. Ils savaient que dans l’ultime bataille de Yorktown, en Virginie, en 1781, l’aide-de-camp du général Washington était le jeune marquis de Lafayette, l’héritier de l’une des plus grandes fortunes de France qui est devenu son fils spirituel, que la moitié des soldats du côté américain étaient Français et que l’autre moitié était vêtue et payée par eux, que les canons français qui allaient faire la gloire de Napoléon parce qu’ils étaient les meilleurs au monde avaient été mis à la disposition de leurs alliés, et que la flotte française avait vaincu cette fois celle des Britanniques. Par la suite, les Français ont rendu possible le traité de Paris de 1783, vingt ans après le nôtre, dans lequel le Royaume-Uni reconnaissait l’indépendance des États-Unis. 

Papineau savait tout cela. Il savait qu’à peine vingt-cinq ans plus tôt, dans la guerre de 1812 causée indirectement par Napoléon, les Britanniques et les Américains s’étaient combattus jusqu’aux portes de Montréal et que dans ce conflit la Maison-Blanche avait été brûlée.

Il savait aussi que le soutien britannique avait facilité l’indépendance des nombreuses républiques sud-américaines qui se sont détachées de l’empire espagnol derrière le légendaire Simon Bolivar au cours de la décennie 1820, et que ce même soutien britannique avait aidé la Grèce à obtenir son indépendance en se détachant de l’empire ottoman vers 1830. Il savait aussi qu’au même moment la Belgique avait été créée par les puissances européennes parce que les Belges voulaient se séparer des Pays-Bas. Le monde bouillonnait à cette époque comme il bouillonne aujourd’hui.

Papineau en avait conclu à juste titre que l’indépendance de ce qui s‘appelait alors le Bas-Canada contre la principale superpuissance du moment n’était pas réalisable sans une puissante aide extérieure, qui ne pouvait provenir que de la France ou des États-Unis, mais qui n’est pas venue. C’est pourquoi il a préféré s’exiler tour à tour dans ces deux pays pour obtenir des appuis, mais il est arrivé au mauvais moment. Nul ne contestait alors à la légère la primauté de l’empire britannique au sommet de sa puissance et de sa gloire.

Papineau n’a pas voulu s’associer au second soulèvement de 1838, qu’il considérait de l’aventurisme sans issue. Il avait raison, bien sûr, mais ce second soulèvement, même s’il a échoué lui aussi, présente l’intérêt d’avoir émis une déclaration unilatérale d’indépendance bien rédigée. La Cour internationale de Justice a rappelé en 2010 dans l’Affaire du Kosovo que de telles déclarations sont légales en droit international au moins depuis celle des États-Unis du 4 juillet 1776, et ce indépendamment du droit de l’État prédécesseur. Les déclarations unilatérales des États-Unis et du Bas-Canada étaient clairement illégales en droit britannique. Ce n’était aucunement pertinent pour leur légalité en droit international à l’époque, et c’est encore moins le cas aujourd’hui. Le troisième grand enseignement des Patriotes est que nous avons le choix, pour faire l’indépendance, de nous entendre avec le Canada s’il est de bonne foi, ou d’agir unilatéralement avec un soutien extérieur s’il ne l’est pas. Les Patriotes étaient si grands que, même dans leurs erreurs et leurs échecs, ils nous montrent la voie à suivre. 

John A. MacDonald, le premier des premiers ministres du Canada, ne se considérait pas un citoyen canadien, puisque le Canada était une colonie et que la notion de citoyenneté était une idée républicaine et suspecte issue de la Révolution française. Il se considérait heureux d’être un sujet de la Couronne britannique et entendait le demeurer. C’est ce régime politique colonial que Papineau a dénoncé dans le dernier grand discours de sa vie.

Certains l’avaient accusé de lâcheté après Saint-Denis. C’était ne pas comprendre son intelligence politique et sa lucidité historique. Papineau était un grand précurseur. Le second mouvement souverainiste, celui d’aujourd’hui, ne réussira, après une pause de trente ans, qu’en se hissant au niveau de sa vision. Il ne réussira qu’en étant aussi franchement et fermement républicain que l’Irlande, la France et les États-Unis. 

Papineau avait lu Thomas Jefferson, l’auteur de la Déclaration d’indépendance des États-Unis et le troisième président de ce pays. Jefferson est décédé le 4 juillet, jour de sa fête nationale,1826, alors que Papineau était président de la Chambre depuis 1815, l’année de la bataille de Waterloo. Jefferson était un théoricien de la république. Pour lui, la république ne pouvait être dissociée de la démocratie. Ce n’est pas ce que nous voyons de nos jours en Chine et en Russie, mais on peut affirmer que grâce à Papineau c’est aussi la conception québécoise de la république. 

Le quatrième enseignement des Patriotes est l’importance incontournable de la souveraineté parlementaire. En 1832, le prédécesseur de la reine Victoria, l’un de ses oncles, avait été le dernier roi britannique à tenter d’imposer un gouvernement à la Chambre des communes à Londres, dans le Parlement de la maison-mère constitutionnelle appelé Westminster. Cette tentative a échoué parce que les députés n’acceptaient plus un Conseil des ministres qui n’avait pas le soutien de la majorité d’entre eux. L’exercice de la souveraineté britannique, qui avait été le monopole du roi pendant plusieurs siècles, puis partagé avec le Parlement à partir de la révolution anglaise de 1688, avait définitivement et entièrement basculé du côté de ce dernier. Victoria fut la première souveraine à monter sur le trône britannique sans aucun pouvoir politique au moment même où Mackenzie à Toronto et Papineau à Montréal réclamaient la même chose pour leurs colonies. Ils savaient bien que cinq ans plus tôt le régime parlementaire britannique avait été profondément transformé en faveur de la démocratie. 

Papineau était d’abord et avant tout un réformiste et un démocrate qui voulait faire profiter son peuple des avantages de la constitution britannique, tout comme Benjamin Franklin, près d’un siècle plus tôt, était allé à Londres pour plaider que la Nouvelle-Angleterre ne pouvait pas être taxée à Westminster sans y être représentée. L’un et l’autre étaient rationnels. Ils ont tout tenté à l’intérieur du régime britannique avant d’être acculés à la révolution par l’intransigeance des Anglais. L’un devait réussir et l’autre non. Ils avaient raison tous les deux.

Juste après la Conquête, les Anglais ont commis la plus grande bêtise historique du 18e siècle en rejetant les demandes de réforme justifiée des États-Uniens et ont payé extrêmement cher leur profonde erreur de jugement. Au 19e siècle, ils se sont dit que ça n’allait pas recommencer avec ce petit peuple du Bas-Canada. Ils tenaient à notre territoire pour des raisons avant tout économiques. Dix ans après les soulèvements, ils ont pourtant donné raison à Mackenzie et à Papineau, au prix d’une union forcée de leurs colonies. 

1848 a été une grande année révolutionnaire en Europe. Au Canada, ce fut celle de l’obtention du gouvernement responsable devant l’assemblée législative que Papineau avait présidée, et de la souveraineté parlementaire. C’est en exerçant cette souveraineté parlementaire, le plus grand héritage des Patriotes, que l’Assemblée nationale déclenchera, un jour pas si lointain, le processus d’accession à l’indépendance du Québec. Nous ne comprenons pas encore tout ce que nous leur devons. 

Les Britanniques et les Anglo-Canadiens ne pouvaient envisager que nous puissions bénéficier tout seuls de la souveraineté parlementaire, le joyau de leur Constitution. Il fallait nous encadrer car ils savaient que, comme Papineau, nous risquions d’être tentés par l’indépendance et la république. Les Patriotes leur ont fait peur et nous risquions de recommencer. Le matraquage de l’Église n’allait pas toujours fonctionner. 

C’est ainsi que le Canada est né à peine trente ans après les soulèvements. L’existence de ce pays a été définie par la nécessité absolue de limiter notre souveraineté parlementaire en la soumettant à celle du Parlement d’Ottawa où nous serions minoritaires parce que, sans nous consulter, on a ajouté d’autres colonies. Notre souveraineté parlementaire, qui retourne le droit canado-britannique selon notre droit à l’autodétermination, est une menace existentielle permanente pour le Canada tout en étant la clé de nos possibilités. C’est ainsi que la vision de Papineau a triomphé.

Il me reste à vous parler du cinquième enseignement des Patriotes. C’est le plus délicat car c’est un enseignement par la négative. C’est, pour le Québec, le rejet total de la violence politique. Il ne fait aucun doute à mes yeux que le général Colborne et le gouverneur Gosford, qui a mis la tête de Papineau à prix et dont une montagne près d’ici porte le nom, ont poussé délibérément les Patriotes au pied du mur par de multiples provocations afin de les écraser définitivement. Les nôtres ont cru n’avoir d’autre choix que la fuite en avant dans la gueule du loup. 

Cela me rappelle octobre 70, quand un émule de Lord Durham a utilisé l’occasion que lui procurait la futile violence felquiste pour emprisonner sans mandat 500 personnes qu’il associait au mouvement souverainiste démocratique. Le fils de l’autre, l’homme aux excuses historiques, ne s’est jamais soucié de la violence psychologique et de la campagne permanente d’intimidation de son père, qui est allé jusqu’au Congrès des États-Unis pour déclarer en 1977 que notre indépendance serait un crime contre l’humanité. Ce sulfureux et odieux personnage, père de la Constitution de 1982, a construit sa carrière sur notre abaissement. Il n’a jamais mentionné les Patriotes à ma connaissance, car un nationalisme francophone moderne et éclairé ne pouvait entrer dans son univers mental. Comme Lord Durham, il a préféré voir en nous un peuple méprisable et arriéré. 

Colborne et Pierre Elliott Trudeau, même combat. Ils ont tous les deux tenté de détruire notre aspiration légitime à la liberté collective. Ils ont tous les deux échoué parce que Louis-Joseph Papineau et René Lévesque n’ont pas bronché. Ceux-ci ont maintenu leur dignité, et la nôtre, sous les affronts innommables, et lutté tant qu’ils l’ont pu en nous transmettant leur noble flambeau. 

Ne nous méprenons pas. L’hystérie canadienne sera de retour lorsque nous voudrons mettre fin à notre relation toxique avec elle. Ce sera bien pire que pour la loi 21. Nous devrons conserver notre calme et notre sang-froid en nous disant que ce sera un moment somme toute assez bref à passer. Si la déraison canadienne devient trop forte, il faudra en appeler à la communauté internationale avec la voix maîtrisée de ceux qui savent qu’ils sont du bon côté. Il ne faudra pas céder à la colère ou au ressentiment. Nous vaincrons avec des moyens d’une qualité morale qui sont à la hauteur du pacifisme de Papineau, d’une plus haute qualité morale que ceux qui ont été employés à plus d’une reprise par le Canada contre nous. 

Je crois que le Canada et le Royaume-Uni se sont civilisés davantage depuis 1837. Les Britanniques ont résisté longuement par la force à l’indépendance de l’Irlande entre 1916 et 1920. Leur très dure répression a été menée par un certain Winston Churchill, un jeune ministre de l’Intérieur qui commençait sa carrière politique. Churchill s’est plus tard opposé à Gandhi. Cependant, il n’a pas été question de la menace d’une intervention militaire britannique lors du référendum écossais de 2014.

Plus près de nous, le général en chef des forces canadiennes a déclaré en 1995 qu’il ne prévoyait pas non plus une intervention de ses unités. Il avait vu que la base de Valcartier, près de Québec, avait voté majoritairement pour la souveraineté. Il a fait décoller ses avions chasseurs de Bagotville au moment du référendum parce qu’il savait qu’en vertu du droit international les biens fédéraux situés au Québec passeraient automatiquement au nouveau pays.

Nous avons aujourd’hui une chance que les Patriotes n’avaient pas, celle de penser pouvoir compter sur la rationalité des décisions canadiennes parce que c’est dans leur intérêt bien compris. Si nous avons le courage de vaincre notre peur et de nous respecter nous-mêmes, ils apprendront enfin à nous respecter. Comme disait le regretté Frédéric Bastien, dont j’ai commémoré avec d’autres il y a quelques jours le premier anniversaire de son départ prématuré, la peur est humaine mais le courage aussi. 

 En 1980, j’étais un étudiant en droit à l’Université Laval qui distribuait des tracts dans les rues de Québec en faveur de la souveraineté. En 1995, j’étais plus près du cœur de l’action. Je n’ai pas douté, malgré le temps écoulé, nos doutes et nos errances, que nous aurions une troisième chance, et que cette fois, notre pays, nous l’aurons. Trente ans, c’est un battement de cils dans la vie d’un peuple. 

Comme pour plusieurs d’entre vous, l’âge et l’expérience de la vie m’ont apporté, sinon un début de sagesse, au moins un peu de recul et beaucoup de cheveux blancs. Réfléchir sur les Patriotes a donné de la profondeur à ma conscience historique. Ils ont renforcé mon espoir et mes convictions. Leur esprit agit encore aujourd’hui.

Les Patriotes continuent de m’inspirer car ils sont une mine inépuisable d’inspiration. Nous n’avons aucun droit de les oublier. Nous nous déshonorons si nous ne leur rendons pas hommage au moins une fois par année. Chaque année qui passe, je me rends compte davantage de la valeur inestimable de leur contribution. Je crois qu’un jour prochain la Fête des Patriotes sera devenue la Fête de l’indépendance de la République du Québec. Le remplacement de la Fête de la Reine par la Fête des Patriotes annonce la fin de la monarchie au Québec et l’avènement prochain de la république. 

Au cours des générations, il y a eu plusieurs lectures de l’œuvre des Patriotes. Je viens de terminer l’excellent essai de la professeure Julie Guyot, publié chez Septentrion en 2016, titré Les Insoumis de l’empire, Le refus de la domination coloniale au Bas-Canada et en Irlande. Cet ouvrage fait suite au grand livre du professeur Marc Chevrier, de l’UQAM, La République québécoise, Hommages à une idée suspecte, publié chez Boréal en 2012. J’ai le plaisir de pouvoir vous dire que ces deux auteurs sont des amis avec qui j’ai le privilège de pouvoir échanger quelques idées. 

Je suis également en train de lire le tome I de Papineau l’incorruptible, l’important ouvrage d’Anne-Marie Sicotte, paru chez Carte blanche en 2022.  De tels livres, dans ce domaine et dans plusieurs autres, annoncent brillamment un renouveau de la pensée indépendantiste. Une telle ébullition intellectuelle est généralement un indicateur sûr et un signe avant-coureur de grands événements. Elle nous annonce que, bientôt, nous recommencerons à avancer. Comme disait à peu près Marx, il y a de longues années pendant lesquelles il ne se passe pas grand’ chose, et soudain l’histoire s’accélère. 

Je vous remercie de votre attention. Je serai maintenant heureux de tenter de répondre à vos questions.
 

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À propos de l'auteur L'aut'journal

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