Dans un livre intitulé Premières secousses, paru chez La Fabrique le mois dernier, les représentants des Soulèvements de la Terre nous accusent – nous, cette « part non négligeable de l’écologie radicale » qui ciblerait « les personnes trans et les nouvelles pratiques reproductives » – d’être des « éco-fascistes » et des « transphobes ». Je savais déjà que ce mouvement n’était pas dirigé par des flèches, mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils fassent étalage de leurs pires idées dans ce manifeste, ni à ce qu’ils leur attribuent une place cruciale dans leur programme politique.
Dans un passage qui vaut son pesant de cacahuètes (pages 157 à 165), les auteurs des Soulèvements affirment comprendre l’importance du fait de tolérer l’existence d’« opinions politiques variées, parfois opposées » au sein de la « lutte contre les infrastructures de la dépossession », mais ajoutent immédiatement qu’il importe néanmoins de rejeter toutes celles et ceux qui n’adhèrent pas à un ensemble d’idées et de revendications relatives au phénomène trans et à la reproduction artificielle de l’humain. Ces idées correspondent apparemment à la ligne de démarcation qu’ils tiennent à tracer – et donc au cœur de leur programme. Selon eux, il y aurait d’un côté les personnes acceptables, c’est-à-dire celles et ceux qui approuvent le phénomène trans et soutiennent les « nouvelles pratiques reproductives » (on imagine qu’ils font référence à la GPA et à la PMA, notamment), et, de l’autre, les méchants (les affreux, les éco-fascistes, l’extrême droite, les éco-nazis, les réactionnaires, les transphobes, etc.).
Sans surprise, on ne trouve aucune explication du concept de « transidentité » et de tout ce qui s’y rapporte dans le livre, et rien non plus sur les « nouvelles pratiques reproductives » auxquelles il est apparemment intolérable de s’opposer. On ne sait donc pas à quoi, au juste, nous sommes sommé·es d’adhérer sous peine de se voir considérer comme des ennemi·es.
Le discours des caciques des Soulèvements correspond au verbiage habituel des militants trans. On y trouve les mensonges et amalgames dont ils sont coutumiers. Selon eux, nous (nous les écologistes « transphobes » et opposé·es aux « nouvelles pratiques reproductives » et, pour cette raison semble-t-il, « écofascistes »), aurions « en commun » avec tous les partisans de l’extrême droite, les fascistes, nazis, etc., « de faire l’éloge d’une virilité agressive » et de partager « une vision figée du genre » (qu’ils nomment « binarisme de genre »), ainsi que des « idées de naturalité des genres ». Eux, par opposition, représenteraient les « dissidences de genre » et seraient en « lutte pour nos genres ». Qu’entendent-ils par « genre(s) » dans toutes ces propositions ? Allez savoir. Ils ne l’expliquent jamais.
L’extrême droite défend des idées détestables (et grotesques) en ce qui concerne le sexe, le genre, la nature humaine. J’en ai récemment parlé dans un billet sur le dernier livre de Laurent Obertone. Mais elle a au moins le mérite de tenir un discours relativement compréhensible, lisible. La gauche transidentitaire est enfermée dans un univers sans queue ni tête dans lequel il est normal de tenir des discours incompréhensibles, vagues, confus, presque mystiques, d’invoquer des termes étranges sans jamais les définir, de formuler des affirmations majeures à partir de ceux-là et d’excommunier toutes celles et ceux qui objectent. Dans les propos de la gauche transidentitaire, le « genre », souvent invoqué mais rarement défini, désigne tout et rien, une chose et son contraire, une chose à combattre et une chose à défendre, une chose particulièrement floue, quelque part entre le Schmilblick et le dahu. Et non contents de promouvoir des idées aberrantes, les idéologues trans n’ont aucun scrupule à mentir comme des arracheurs de dents en ce qui concerne les positions, les idées et les arguments de celles et ceux qui ne partagent pas leur perspective. Clarifions donc quelques points.
I.
Contrairement à ce qu’affirment les têtes pensantes des Soulèvements de la Terre, les écologistes radicaux qui critiquent le phénomène trans ne défendent pas quelque « binarisme de genre ». Nous affirmons qu’il existe deux sexes, et donc une binarité du sexe pour ce qui concerne l’espèce humaine (les phénomènes appelés « différences du développement sexuel » ou « désordres du développement sexuel », les prétendues « intersexuations », sont simplement des variations inhérentes au cadre binaire de la reproduction sexuée ; aucun type de « désordre du développement sexuel » ne représente un troisième sexe, un troisième rôle reproductif produisant un troisième type de gamète).
II.
Contrairement aux ambassadeurs des Soulèvements, semble-t-il, nous distinguons « sexe » et « genre ». Et contrairement à ce qu’ils prétendent, nous ne défendons pas la « naturalité des genres » et n’avons jamais fait « l’éloge d’une virilité agressive ». Nous nous opposons, avec les féministes depuis la deuxième vague, au virilisme, et nous nous opposons au « genre », c’est-à-dire au « système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin) », selon une définition commune du terme (Introduction aux études sur le genre, De Boeck, 2012). C’est d’ailleurs entre autres parce que nous nous opposons au genre que nous nous opposons au phénomène trans – et pas du tout parce que nous considèrerions « la nature » comme une « norme pour bannir les corps minoritaires » (que signifie d’ailleurs ce charabia ? Qu’est-ce qu’un « corps minoritaire » ?).
III.
Le mouvement trans repose sur des idées fausses, sexistes et homophobes, particulièrement dangereuses pour les enfants et les femmes. Il repose d’abord sur un dualisme corps/esprit selon lequel corps et esprit font deux et peuvent être en « inadéquation », ou en « incongruence ». L’« incongruence de genre » (expression plus ou moins synonyme de « transidentité ») est en général définie comme « une incongruence marquée et persistante entre le genre vécu par un individu et le sexe qui lui a été assigné » (ICD-11), autrement dit comme une « incongruence marquée » entre le psychisme d’un individu et son corps sexué. La « transidentité » est souvent définie comme le « Fait d’avoir une identité de genre qui n’est pas en adéquation avec le sexe assigné à la naissance » (Larousse), ce qui signifie peu ou prou la même chose. Ces concepts, ces idées, impliquent que chacun des deux sexes (chacun des deux types de corps sexués qui existent) est seulement compatible avec certaines « identités de genre » (quoi qu’on entende par là, mais j’y reviendrai), et pas avec d’autres. Autrement dit, qu’à un type de corps sexué doit correspondre un type d’identité de genre. Ce qui paraît terriblement normatif (en plus d’irrationnel).
IV.
Le système de croyances transidentitaire prétend ensuite que les termes « fille », « femme », « garçon » et « homme » ne désignent pas les réalités matérielles de corps sexués, mais des « identités de genre » nébuleuses (le « genre vécu » dans la définition susmentionnée de l’« incongruence de genre »). « Identités de genre » qui renvoient toujours, en fait, aux stéréotypes sexistes que produit le genre (au sens évoqué plus haut du système de bicatégorisation). L’« identité de genre » femme renvoie par exemple, selon l’idéologie trans, à la « féminité ». Autrement dit, selon l’idéologie trans, être une femme, c’est être une personne dotée d’une affinité pour les stéréotypes auxquels correspond la féminité dans notre société, et c’est tout. Et c’est en raison de tout cela que des enfants et des adultes en viennent à croire et à dire qu’ils sont « nés dans le mauvais corps ».
V.
Et pourquoi peut-on parler d’homophobie ? Parce que le système de croyances transidentitaire suggère à des filles qu’une culture sexiste qualifie de « garçons manqués » qu’elles sont littéralement des garçons manqués, et à des garçons qu’une culture sexiste dit « efféminés » qu’ils sont littéralement des filles. Quand l’idéologie trans s’empare d’un garçon homosexuel, elle prétend qu’il s’agit d’une fille hétérosexuelle. Quand l’idéologie trans s’empare d’une fille lesbienne, elle prétend qu’il s’agit d’un garçon hétérosexuel. Elle convertit donc des personnes homosexuelles en personnes hétérosexuelles (plusieurs statistiques indiquent qu’une grande partie des jeunes traité·es pour « incongruence » ou « dysphorie » de genre, voire une majorité, sont homosexuel·les).
L’idéologie transidentitaire leur propose ensuite de se médicaliser et de mutiler leurs corps pour tenter d’inscrire ces mensonges dans leur chair : elle encourage la mutilation chirurgicale et la médicalisation à vie comme moyen de résoudre un conflit (imaginaire), appelé « incongruence », entre un corps sexué et une « identité de genre » ; comme moyen de conformer un corps sexué jugé inadapté à un esprit supposément doté d’une essence du sexe/genre opposé. Ou quelque chose comme ça, personne ne sait vraiment. Il existe plusieurs théorisations différentes et contradictoires de la « transidentité », portées par différentes personnes qui se disent « trans ». Le plus souvent, cependant, ces théorisations constituent des variations sur le thème que j’expose ici, toujours plus ou moins absurdes, illogiques, et presque toujours fondées sur l’idée — dualiste, sexiste et irrationnelle — selon laquelle à un type de corps sexué devrait correspondre un type d’esprit, un type d’« identité de genre », c’est-à-dire un ensemble de goûts, d’attitudes, de préférences, d’attirances, un type de personnalité, en fait.
VI.
Si bien que sous couvert de lutte contre les stéréotypes, l’idéologie trans renforce en réalité lesdits stéréotypes en adhérant de manière particulièrement forcenée aux idées sexistes selon lesquelles les femmes sont comme ci et les hommes comme ça. Les termes « fille », « femme », « garçon » et « homme » désignent, au sens propre, des réalités matérielles et biologiques relatives au sexe (une fille est un être humain enfant de sexe féminin, une femme un être humain adulte de sexe féminin, un garçon est un être humain enfant de sexe masculin, un homme un être humain adulte de sexe masculin). Mais par extension, et par sexisme, au sens figuratif, ces termes désignent aussi des manières de se comporter, des rôles sociaux, des stéréotypes (sexistes). Comme lorsqu’on dit à un homme de ne pas se comporter « comme une femme ». L’idéologie trans rejette le sens propre – le seul sens logique et non sexiste – des termes fille, femme, garçon et homme pour le remplacer par leurs sens figuratifs (sexistes), et appelle ça progrès.
Les pionniers du phénomène trans, les premiers hommes qui se disaient « femme trans », le déclaraient clairement ainsi, comme nous le montrons dans notre livre (Né(e)s dans la mauvaise société : Notes pour une critique féministe et socialiste du phénomène trans). Un individu comme Marie Cau, un homme qui se dit femme et qui est aussi le « premier maire transgenre » de France, l’affirme d’ailleurs assez ouvertement. Selon lui, « être une femme » c’est être « une conscience, une âme, une culture et un rôle social ». Béatrice (anciennement Bruno) Denaes, un autre représentant important du mouvement trans en France, affirme avoir « toujours été une femme » et que cela se manifestait au travers de « beaucoup de [s]es comportements ». Par exemple, « au lycée », son « esprit féminin » lui posait « des problèmes, notamment dans les cours d’éducation physique où les sports collectifs priment ». Eh oui, « l’esprit féminin » n’est pas fait pour le sport. Bonjour le sexisme. Les deux hommes qui ont fondé l’association Trans Aide, qui deviendra ensuite l’Association Nationale Transgenre (ANT), écrivent dans un livre paru en 2006 qu’une « femme transgenre » est « une personne de sexe mâle » qui « se sent plus à l’aise dans le rôle social féminin », que « le rôle féminin s’apprend » et que « les Trans [les “femmes transgenres”] l’apprennent juste un peu plus tard ». Autrement dit, « femme », pour l’idéologie trans, c’est un rôle social, un ensemble de stéréotypes — faire la vaisselle, porter du maquillage, des talons, être soumise, douce, etc.
Comme nous l’écrivons dans notre livre :
« Le but d’un véritable mouvement d’émancipation aurait dû — et devrait — être de détacher les réalités matérielles et biologiques que désignent les mots fille/femme et garçon/homme des stéréotypes (respectivement la féminité et la masculinité) et des rôles sociaux auxquels la société patriarcale les a associés, plutôt que de détacher ces mots desdites réalités matérielles et biologiques pour ne leur faire signifier que lesdits stéréotypes et rôles sociaux. »
*
Désolé pour ces explications un peu fastidieuses, mais vu que nos détracteurs mentent sur nos positions, il est toujours nécessaire de les exposer un minimum. Celles et ceux qui veulent en savoir plus peuvent consulter notre ouvrage.
Comme on peut le constater, contrairement à ce que prétendent les auteurs du livre des Soulèvements, notre critique ne « cible » pas « les personnes trans » au prétexte « de leur dépendance aux industries médicale et pharmaceutique ». Nous avons toutes et tous été rendu·es dépendant·es de nombreuses industries. C’est un problème, un problème majeur, mais ce n’est pas la raison de notre opposition au phénomène trans. Notre critique ne vise pas non plus les « personnes trans » au nom « d’une vision très étriquée de la nature ». D’ailleurs, notre critique ne cible pas des personnes. Elle cible un système de croyances qui encourage inutilement — au nom de motifs absurdes, sexistes et homophobes — la médicalisation et la mutilation de personnes souvent homosexuelles et souffrant de divers troubles psychologiques (une majorité des adolescent·es souffrant de « dysphorie de genre » présentent au moins un type de comorbidité psychiatrique ; les plus courants étant les troubles anxieux, les troubles de l’humeur, la dépression, les troubles de l’alimentation, les troubles du spectre autistique, les troubles dissociatifs de l’identité, la toxicomanie ou encore les traumatismes infantiles).
(Pour toutes les raisons qui précèdent, il est également absurde d’assimiler, comme le font les auteurs des Soulèvements, le phénomène trans aux « personnes qui prennent la pilule contraceptive ou de l’insuline ». Ça n’a strictement à voir. Faut-il être idiot.)
Concernant l’écologie au sens large, la lutte « contre les infrastructures de la dépossession », contre la « voracité industrielle », contre le capitalisme industriel, je partage certaines idées des Soulèvements (certaines seulement, leur croyance en la possibilité d’une civilisation techno-industrielle écologique et démocratique, je ne partage pas). Mais il est navrant de constater qu’ils promeuvent, comme le gros de la gauche actuellement, les absurdités trans à la mode ; qu’ils en font, comme le gros de la gauche actuellement, un point central de leur programme ; et qu’ils recourent, comme le gros de la gauche actuellement vis-à-vis des idées trans, à des pelletés de mensonges pour discréditer leurs opposants politiques.
Ce week-end, on a vu François Ruffin, Ian Brossat, Mélanie Vogel, Sandrine Rousseau, Manon Aubry, Mathilde Panot, tout LFI, le PCF, le PS, EELV, le NPA, bref, une très large partie des crapules qui représentent actuellement la gauche et l’extrême gauche exprimer leur soutien ardent au mouvement transidentitaire, à grand renfort des slogans insensés habituels, comme « les droits trans sont des droits humains » (mais bien sûr, « les droits des scientologues » aussi, et « les droits des raëliens », etc.). Et aussi à grand renfort des appels au meurtre habituels (un tag « une terf, une balle » place de la République, un chant « Dora Moutot au fond du Rhin », des dessins où Marguerite Stern est égorgée, une élue LFI, Nina Yasmine, qui écrit « Les TERF au bûcher » sous une publication d’une camarade communiste, et j’en oublie sûrement bien d’autres). C’est démentiel. La discussion honnête et respectueuse est délibérément empêchée, les appels à la violence contre celles (notamment) et ceux qui n’adhèrent pas aux idées trans, qui objectent, sont tolérés voire encouragés.
Je n’écris pas ces lignes à l’attention des auteurs du livre des Soulèvements, qui manifestent, par leur écrit, l’étendue de leur malhonnêteté et leur refus de la logique du débat contradictoire. Je m’adresse plutôt à celles et ceux qui sont encore capables de faire preuve d’esprit critique et de probité. Que vous ne soyez pas d’accord avec nos analyses, avec nos positions, très bien. C’est évidemment votre droit. Mais si vous souhaitez exprimer un désaccord, dénoncer nos positions, nos idées, ayez la décence de les présenter honnêtement.
Nicolas Casaux
P.-S. : Si les pontes des Soulèvements de la Terre se soucient réellement de la montée de l’extrême droite, ils devraient prendre en compte le théorème d’Orwell (« Quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires, c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger »). La gauche qui promeut les insanités constitutives du phénomène trans donne des billes à la droite et à l’extrême droite, pour la raison très simple que la plupart des gens, y compris nombre de personnes de gauche, voient bien que quelque chose cloche avec ce phénomène. Promouvoir des idées manifestement absurdes, interdire le débat, recourir à la calomnie, au mensonge, aux injures, quoi de mieux pour pousser des gens vers la droite ou l’extrême droite.
Source: Lire l'article complet de Le Partage