Un récent rapport du gouvernement espagnol le formule sans ambages : la pornographie induit, chez les enfants, une « distorsion de leur perception de la sexualité », elle implique un « risque sérieux d’addiction », peut conduire à des « comportements sexuels inappropriés » et « normalise la violence contre les femmes » — qu’elle « objectifie et déshumanise ». Or la consommation de pornographie revêt un caractère épidémique : « un jeune de moins de 12 ans sur quatre a eu ou a accès à du matériel pornographique et en consomme. Près de la moitié des jeunes de moins de 15 ans en consomment. » (Source)
La même situation dramatique s’observe un peu partout. En Inde, par exemple, il était estimé, en 2020 (la situation a probablement empiré entre-temps), que « neuf garçons sur dix et six filles sur dix, âgé·es de moins de 18 ans, sont exposé·es à des contenus pornographiques facilement accessibles sur l’internet ». En Inde comme ailleurs, la consommation croissante de pornographie, de plus en plus précoce, induit toutes sortes de problèmes humains, psychologiques, relationnels, sexuels, et favorise les agressions sexuelles et les violences commises contre les femmes en général.
Au Royaume-Uni : « La police et des experts en maltraitance infantile avertissent que l’accès à une pornographie de plus en plus extrême est à l’origine d’une augmentation des comportements sexuels préjudiciables chez les jeunes, qu’il s’agisse de sextos ou de visionnage de viols d’enfants en ligne. » (Source) Un rapport a récemment révélé que « plus de 6 800 viols » avaient été « commis par des jeunes âgés de 10 à 17 ans en un an ». Aujourd’hui, « plus de la moitié des délits sexuels commis sur des enfants sont le fait d’autres jeunes ». En effet, « les chiffres montrent que 52 % des 106 984 abus sexuels sur des enfants signalés à 42 services de police en Angleterre et au Pays de Galles en 2022 ont été commis par d’autres jeunes, ce que les agents ont qualifié de “tendance croissante et préoccupante” ». Il s’agit « d’une augmentation de 400 % par rapport à 2013, où l’on estimait que les abus entre enfants représentaient un tiers de ces infractions ». Ian Critchley, le responsable national de la protection des enfants contre la maltraitance, estime « que ce phénomène est exacerbé par la facilité d’accès des garçons à de la pornographie violente, qui les amène à croire qu’il s’agit d’un comportement normal ». (Source) Et selon une importante clinique spécialisée dans la santé mentale et la toxicomanie, le centre Paracelsus Recovery, basé à Londres et à Zurich, « près de deux tiers des jeunes sont aujourd’hui dépendants de la pornographie en ligne ». (Source)
En Irlande :
« Tous les mardis, dans le cadre de son cours de 80 minutes sur l’égalité des sexes, Eoghan Cleary demande à ses élèves comment ils et elles pensent devoir se comporter lors de leurs futures relations sexuelles. Les réponses données par les jeunes de 15 et 16 ans sont presque toujours les mêmes.
Les garçons disent qu’ils doivent être dominants, qu’ils doivent être agressifs, étouffer, gifler, jeter leur partenaire dans tous les sens. Qu’ils doivent exiger une fellation, supposer qu’elle veut une sodomie, et qu’ils doivent éjaculer sur son visage. Ils doivent avoir le contrôle, savoir ce qu’ils veulent et coucher avec le plus grand nombre possible de partenaires sexuels.
Les filles disent qu’elles doivent être soumises, qu’elles doivent faire ce que leur partenaire veut : qu’elles doivent se laisser étrangler, gifler, qu’elles doivent pratiquer du sexe oral et anal. Qu’elles doivent paraître innocentes mais “savoir tout faire”. Qu’elles doivent être perverses et faire des bruits sexuels. Ne pas avoir de poils pubiens et être “mince et épaisse” — avoir une petite taille et un ventre tonique, de gros seins et des fesses galbées. Avoir un orgasme, ou du moins faire semblant d’en avoir un.
Les réponses des élèves sont constantes depuis que le programme d’éducation aux médias et à la pornographie, un bloc de leçons enseignées pendant six semaines, a été créé à l’école Temple Carrig de Greystones, Co Wicklow, il y a cinq ans.
Cleary, professeur d’anglais et de théâtre qui coordonne les départements d’éducation sociale, personnelle et à la santé (SPHE) et de bien-être de l’école, n’invite pas les élèves à s’exprimer. Il ouvre la discussion à l’ensemble de la salle. Ce ne sont pas les réponses elles-mêmes qui le choquent. C’est que le langage utilisé est exactement le même dans tous les groupes, garçons et filles, année après année.
“Ils et elles en parlent comme s’il s’agissait de préparer un sandwich, comme si c’était la chose la plus normale au monde”, explique-t-il. “La terminologie qu’ils et elles utilisent pour exprimer leurs attentes supposées en raison de leur sexe est clairement influencée par le porno. Et il ne s’agit pas seulement d’un problème hétérosexuel, c’est aussi un problème massif au sein de la communauté LGBTI”.
Cleary demande aux adolescent·es où ils et elles ont appris ces choses sur le sexe et l’image du corps. Ce n’est pas auprès de leurs parents ou de leurs professeur·es. La réponse : le porno sur internet. […]
Une enquête anonyme qu’il a menée en 2017 auprès d’un peu moins de 800 élèves adolescent·es a révélé que presque tous avaient été exposé·es à du porno, dont plus d’un tiers à l’école primaire. La moitié d’entre ont déclaré regarder du porno et plus d’un quart des garçons ont déclaré en regarder plus d’une fois par jour.
Selon Cleary, il s’agit d’une épidémie d’exposition à des contenus violents, dégradants et misogynes qui déforment les attentes des jeunes en matière de sexualité. » (Source)
Dans le même temps, en Corée du Sud, on observe « une épidémie de caméras espionnes » : « Des caméras cachées filment des femmes — et parfois des hommes — en train de se déshabiller, d’aller aux toilettes ou même dans les vestiaires des magasins de vêtements, des salles de sport et des piscines. Les vidéos sont mises en ligne sur des sites pornographiques. Des militants de Séoul avertissent aujourd’hui que, si rien n’est fait pour l’empêcher, ce type de crime risque de s’étendre à d’autres pays et s’avérera difficile à enrayer. Plus de 6 000 cas de pornographie par caméra espionne sont signalés à la police chaque année, et 80 % des victimes sont des femmes. […] Certaines des femmes apparaissant dans les vidéos ont mis fin à leurs jours. » (Source)
Au Pakistan, pays dont la consommation de pornographie est possiblement la plus élevée au monde, on constate une « épidémie de revenge porn » (le « revenge porn », soit la « vengeance pornographique », désigne un phénomène qui consiste à se venger d’une personne, souvent une femme, en rendant publics des contenus pornographiques où elle figure). Épidémie qui conduit également de nombreuses femmes au suicide.
Et nous pourrions continuer, encore et encore. La rencontre entre internet, les hautes technologies en général et les désirs sexuels masculins dans les sociétés patriarcales, dans les sociétés où les hommes oppriment et exploitent les femmes, produit des effets dévastateurs. Comme le note le rapport « Porno : l’enfer du décor » réalisé par la délégation aux droits des femmes et publié en septembre 2022 en France, « le porno construit une érotisation de la violence et des rapports de domination, érigés en normes. Il multiplie et encourage les stéréotypes sexistes, racistes et homophobes. » Le rapport souligne en quoi le porno constitue une « machine à broyer les femmes », à commencer par celles qui sont exploitées dans la production de contenu pornographique, et les liens qu’il entretient avec l’industrie de la prostitution.
Le désastre que constitue la pornographie, Robert Jensen en discute dans un excellent livre que nous venons de publier aux Éditions LIBRE, intitulé La Fin de la masculinité, que vous pouvez commander en cliquant ici. Jensen n’y traite pas seulement de pornographie. Il examine le problème plus général de la masculinité. De la manière dont, dans notre société, encore largement patriarcale, les hommes sont socialisés en vue d’objectifier et de tenter de dominer (les femmes), y compris, si besoin, en employant la violence, la force, l’agressivité. La plupart des catastrophes qui ont cours aujourd’hui, des ravages de la nature aux nombreuses injustices sociales, sont directement liées à la socialisation masculine patriarcale : course à la puissance, concurrence capitaliste de tous contre tous, guerres. Voilà à quel point ce livre importe.
Nicolas Casaux
Source: Lire l'article complet de Le Partage