La falsification historique : une fâcheuse tendance des militants trans
Dans la mythologie du mouvement trans, un sexologue allemand, Magnus Hirschfeld (1868–1935), occupe une place spéciale.
« Transidentité, homosexualité : Magnus Hirschfeld, médecin précurseur curieusement méconnu », titre par exemple Télérama. L’article présente Hirschfeld comme un héros pour les homosexuels et pour toute « la communauté LGBTQIA+ ». Pourquoi ? Parce qu’en 1918 Magnus Hirschfeld, qui milite pour la dépénalisation de l’homosexualité (masculine), crée l’Institut des sciences sexuelles de Berlin, où seront pratiquées les premières opérations improprement dites « de changement de sexe ». C’est aussi à Hirschfeld que l’on attribue l’invention du terme « travestisme ».
Au cours des années 1930 et 1931, avec le chirurgien Erwin Gohrbandt et le gynécologue Ludwig Levy-Lenz, Hirschfeld supervise notamment le « changement de sexe » d’Einar Wegener, alias Lili Elbe, célèbre peintre danois et pionnier du transsexualisme, élogieusement mentionné par les militants trans contemporains comme « une des premières femmes “trans” », voire comme la « première femme transgenre », ainsi que le titre une émission de France Télévisions. Un très mauvais film a même été consacré à l’histoire de Wegener : The Danish Girl, sorti en 2015.
Né en 1882 à Vejle, au Danemark, dans le sud de la péninsule du Jutland, Einar Wegener est le plus jeune de quatre enfants. Il entre à l’Académie royale des beaux-arts du Danemark en 1902. En 1904, il épouse Gerda Marie Frederikke Gottlieb, qui fréquente elle aussi l’Académie. Einar devient rapidement un peintre à succès. Gerda aussi, en particulier pour ses portraits de femmes. Son modèle préféré n’est autre que son mari, Einar Wegener, qui commence à se travestir et à se faire appeler Lili — Lili Elbe. Le couple emménage à Paris en 1912.
Plus le temps passe, plus le personnage de Lili prend de place dans la vie d’Einar, qui se travestit de plus en plus souvent. Mais en parallèle, sa santé se détériore. Estimant que les deux (son travestissement et sa mauvaise santé) sont sans doute liés, il décide de consulter. Un médecin lui dit qu’il est homosexuel. Il explique, dans son autobiographie, qu’il est alors pris d’une envie de l’étrangler. L’homosexualité était encore extrêmement mal tolérée à l’époque.
À la fin de la quarantaine, il est désespéré, au point d’envisager le suicide. Cependant, en février 1930, en Allemagne, il rencontre Magnus Hirschfeld, qui finit par lui proposer un parcours chirurgical de « réassignation sexuelle ».
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Au sujet de Hirschfeld et de Wegener, les membres de l’Église Trans omettent de nombreuses choses significatives. Par exemple que la « théorie des intermédiaires » de Hirschfeld, une variation sur le thème de la théorie du sexe comme un continuum, représente également les femmes comme naturellement inférieures et subordonnées aux hommes, et considère les stéréotypes sociosexuels comme faisant partie des éléments qui font l’homme ou la femme. D’où ses décisions concernant les opérations chirurgicales.
La double personnalité d’Einar Wegener/Lili Elbe exemplifie ce sexisme. Dans son autobiographie, Wegener/Elbe explique qu’Einar est « ingénieux, sagace et intéressé par tout — un homme réfléchi et pensant », tandis que Lili est « une femme irréfléchie, volage, à l’esprit très superficiel, qui aime s’habiller et s’amuser […] insouciante, illogique et capricieuse ». L’art, la passion d’Einar, n’intéresse pas Lili : « Je ne veux pas être une artiste, mais une femme. »
Wegener/Elbe déclare même que son désir le plus cher n’était « rien d’autre que le plein accomplissement d’une vraie femme : être protégée par l’être le plus fort, le mari ».
Il subit une ablation des testicules à Berlin, en 1930, puis trois autres opérations à Dresde. La dernière opération, en juin 1931, consiste en une greffe d’utérus, qui lui sera sans doute fatale. Trois mois après, le 13 septembre 1931, il meurt d’une insuffisance cardiaque.
(Les paragraphes ci-dessus, au sujet de Wegener/Elbe, proviennent du livre que j’ai co-écrit sur le phénomène trans avec Audrey A (en photo ci-après). Si les sources précises des citations vous intéressent, vous n’avez qu’à vous le procurer !)
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Les adeptes du mouvement trans omettent aussi de rappeler que Magnus Hirschfeld était un fervent promoteur de la stérilisation de ceux qu’il considérait comme « indignes de se reproduire ». En 1931, aux États-Unis, il rencontre deux célèbres eugénistes et suprémacistes blancs, Paul Popenoe et Ezra Seymour Gosney. Comme il le rapporte lui-même :
« J’ai étudié le problème du contrôle qualitatif des naissances à la source, à Pasadena (Californie), lorsque j’ai rendu visite à Gosney et Popenoe à la Human Betterment Foundation. Ils sont à l’avant-garde du travail d’amélioration de l’humanité par la stérilisation des hommes et des femmes indignes de se reproduire (en particulier les faibles d’esprit). Ici aussi, j’ai été accueilli comme un vieil ami [Bekannter], “dont nous étudions le travail depuis 25 ans”, comme l’a écrit Paul Popenoe dans mon carnet de voyage. » (Hirschfeld, « An die Mitglieder des Kuratoriums », 208–9).
Les travaux de Gosney et Popenoe seront par la suite mis en avant par les nazis afin de justifier leur programme eugéniste. Comme on peut le lire dans le livre du sociologue allemand Stefan Kühl, The Nazi Connection : Eugenics, American Racism and German National Socialism (Oxford University Press, 1994) :
« Les dirigeants du mouvement allemand de stérilisation déclarent à plusieurs reprises que leur législation n’a été formulée qu’après une étude minutieuse de l’expérience californienne telle que rapportée par M. Gosney et le Dr. Popenoe. Il aurait été impossible, disent-ils, d’entreprendre une telle entreprise impliquant quelque 1 million de personnes sans s’inspirer largement de l’expérience acquise ailleurs. »
Hirschfeld lui-même ne désapprouva pas entièrement l’eugénisme nazi :
« Le processus de purification qui se déroule actuellement en Allemagne est sans aucun doute, à bien des égards, ce que nous souhaitions depuis longtemps, mais les coûts de ce processus, les comportements violents et en particulier l’intolérance, sont un prix trop élevé à payer. » (Magnus Hirschfeld to George Sylvester Viereck, 30 octobre 1933 ; Hirschfeld Collection, Kinsey Institute, Bloomington, Indiana. Cité dans le livre d’Atina Grossman Reforming Sex : The German Movement for Birth Control and Abortion Reform, 1920–1950, 1995, p. 145).
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Certes, Hirschfeld fut courageux et avant-gardiste à plusieurs égards. Il soutint le droit de vote pour les femmes et fit campagne pour la décriminalisation des relations homosexuelles entre hommes, malgré le danger qu’il encourut — en tant que juif — avec l’arrivée au pouvoir des nazis.
Mais les zélateurs du mouvement trans, comme à leur habitude, occultent sans scrupules d’autres pans moins glorieux du personnage afin de se fabriquer une mythologie merveilleuse.
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Les sectateurs du mouvement trans oublient aussi de rappeler que pendant la Seconde Guerre mondiale, le chirurgien allemand Erwin Gohrbandt, qu’ils présentent comme un « pionnier du mouvement trans » parce qu’il opéra Wegener/Elbe sous la supervision de Hirschfeld, travailla sur des expériences humaines (des tortures) dans le camp de concentration nazi de Dachau. En février 1945, Gohrbandt fut même décoré de la Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuz (la croix du Mérite de guerre) sur recommandation personnelle d’Hitler. Après la guerre, il ne fut pas inquiété et recommença à exercer (il reçut même plusieurs prix liés à ses activités de professeur et de chirurgien).
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Félix Abraham, l’assistant de Magnus Hirschfeld à l’Institut des sciences sexuelles de Berlin, a consigné les enseignements de son maître dans un ouvrage paru en français sous le titre Les Perversions sexuelles au début des années 1930, puis réédité ensuite à de multiples reprises. Il est intéressant de noter que ce livre, Les Perversions sexuelles, est présenté comme le « tout premier [livre] à être jeté au bûcher par les nazis, très vite suivi par la totalité de la bibliothèque de l’Institut des sciences sexuelles » — les militants trans affirment souvent que l’incendie des livres de l’Institut de Hirschfeld fut « le premier autodafé du régime nazi » (comme le prétend aussi ce site internet). Ce qui est doublement faux.
L’Institut des sciences sexuelles de Hirschfeld à Berlin fut vandalisé et incendié par les nazis au début du mois de mai 1933. Or, comme le rapporte un site web de l’université de Potsdam consacré au sujet, le premier autodafé nazi pris place à Dresde le 7 mars 1933. L’autodafé de la bibliothèque de l’Institut de Hirschfeld n’est pas le premier commis par les nazis. Mais en outre, la bibliothèque de l’Institut ne fut pas entièrement brûlée. Une partie de son contenu fut même récupérée par Hirschfeld ultérieurement, dans l’optique de rouvrir un institut similaire, comme l’explique le livre The Scattered Library : The Various Fates of the Remnants of Magnus Hirschfeld’s Institute of Sexual Science Collection in France and Czechoslovakia, 1932–1942 (« La bibliothèque dispersée : Les différents destins des vestiges de la collection de l’Institut des sciences sexuelles de Magnus Hirschfeld en France et en Tchécoslovaquie, 1932–1942 ») de Hans P. Soetaert à paraître en mai 2024.
En lisant ce qui suit, gardez donc en tête que, selon la mythologie trans, je vous révèle ici des connaissances secrètes que les nazis ont voulu nous cacher.
Une section du livre est consacrée au « travestitisme » (c’est-à-dire au travestisme) et aux « travestis ». Hirschfeld distinguait dix types différents de « travestis ». Dans cette catégorie, Hirschfeld rangeait aussi bien les individus que nous nommons toujours « travestis » aujourd’hui que ceux qui furent ultérieurement rangés dans la catégorie « transsexuels », et que ceux que l’on dit désormais « transgenres ». Autrement dit, Hirschfeld considérait comme des « travestis » aussi bien les individus qui désiraient simplement porter les habits et adopter les rôles sociaux culturellement assignés à l’autre sexe que ceux qui désiraient en sus altérer leur apparence physique, subir une opération chirurgicale improprement dite « de changement de sexe » (« ceux qui voudraient modifier non seulement leur habit artificiel, mais aussi leur habit naturel, l’épiderme de leur corps », pour reprendre la formule du livre d’Abraham).
Toute la théorisation de Hirschfeld reposait sur une naturalisation des stéréotypes et des rôles sociosexuels que le patriarcat assigne aux mâles et aux femelles. Concernant les « travestis » qui souhaitaient être opérés, il s’agissait selon lui de faire en sorte qu’ils aient « un sexe qui corresponde à leur mentalité ». Comprendre : « femme », c’est « une mentalité », c’est la « mentalité » qui se charge de bien tenir la maison, de faire le ménage, la vaisselle, qui aime mettre des talons hauts, et ainsi de suite. Hirschfeld le dit littéralement ainsi :
« Dans beaucoup de cas, on fait aussi des travaux correspondant au sexe désiré. Le travesti masculin fait des travaux ménagers, il nettoie l’appartement, il fait la cuisine, il coud, il ravaude du linge […]. Il vit absolument selon la personnalité désirée […]. »
Préfigurant la classification qu’établira ultérieurement le sexologue Ray Blanchard, Hirschfeld décrit une catégorie de travestis appelée « travestis narcissistes » :
« Ceux-là trouvent leur pleine satisfaction à prendre la forme de l’autre sexe ; leur propre image sous les apparences de l’autre sexe (par exemple, dans la glace) déclenche en eux des sentiments de plaisir ayant un caractère érotique plus ou moins conscient. »
Ray Blanchard parle, pour qualifier cette tendance, d’« autogynéphilie ».
Il est également intéressant de relever que Hirschfeld avait remarqué le caractère extrêmement insistant, voire obsessionnel, des travestis :
« Nulle part ailleurs que chez les travestis, la réalisation n’est poursuivie aussi intensément et aussi inlassablement jusqu’au succès définitif. »
Le travesti est « enchevêtré dans sa passion ». En lui, « l’instinct de porter le vêtement féminin » est si fort qu’il tente « de le satisfaire de toutes les manières possibles ». C’est « un fait que le travesti préfère abandonner tout, sauf sa passion », « l’égoïsme illimité qui est au fond de tout travesti […] lui fait oublier tout ce qui l’entoure ».
« Rarement homme est plus conséquent et inlassable dans la poursuite de ses projets qu’un travesti ; il faut qu’il atteigne le but qu’il s’est proposé et il met en balance toute la force de sa personnalité pour obtenir la réalisation de ses désirs. Bien entendu il y a en cela une grande part d’égoïsme et, d’ailleurs, tout travesti est d’une façon générale un égoïste extrême, imbu de sa propre personnalité. »
Une description saisissante, que les agissements des travestis d’aujourd’hui (qui se disent et que l’on dit désormais « trans » ou « transgenres ») corroborent largement. On fait difficilement plus forcené et agressif qu’eux.
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Les militants trans affirment également très souvent que les nazis ciblèrent particulièrement et systématiquement les « personnes trans ». C’est également faux. D’après ce que l’on sait, moins d’une dizaine d’individus que l’on pourrait dire « trans » ont été tués par les nazis, et il est impossible d’affirmer qu’ils l’ont été parce qu’ils étaient des travestis (et pas simplement en raison de l’homophobie nazie). C’est en tout cas ce qu’il ressort d’un jugement d’un tribunal allemand en date du 20 janvier 2023.
Beaucoup de personnes juives expriment régulièrement leur outrage face à cette manie — complètement folle et irrespectueuse — qu’ont les militants trans de vouloir s’approprier l’holocauste.
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En fin de compte, tout ceci constitue une énième illustration de la malhonnêteté infinie du mouvement trans, ainsi que du caractère fondamentalement absurde et sexiste du système de croyances que constitue la « transidentité ».
Nicolas Casaux
Source: Lire l'article complet de Le Partage