Hommes chasseurs, femmes cueilleuses : une théorie fausse (par Cara Ocobock et Sarah Lacy)

Hommes chasseurs, femmes cueilleuses : une théorie fausse (par Cara Ocobock et Sarah Lacy)

Illus­tra­tion de femmes chas­seuses de l’An­ti­qui­té sur fond rouge et orange. Cré­dit : Saman­tha Mash

Tra­duc­tion d’un article ini­tia­le­ment publié, en anglais, sur le site du maga­zine Scien­ti­fic Ame­ri­can, le 1er novembre 2023, à l’a­dresse sui­vante.


Même si vous n’êtes pas anthro­po­logue, vous êtes pro­ba­ble­ment déjà tombé·e sur l’une des notions d’anthropologie les plus influentes connue sous l’appellation de L’Homme chas­seur (Man the Hun­ter). Selon cette théo­rie, la chasse fut l’un des prin­ci­paux moteurs de l’é­vo­lu­tion humaine auquel les hommes s’adonnèrent de manière exclu­sive, sans les femmes ; nos ancêtres éta­blirent une divi­sion du tra­vail enra­ci­née dans les dif­fé­rences bio­lo­giques entre hommes et femmes, et les hommes avaient été conçus pour chas­ser et sub­ve­nir aux besoins de la famille, tan­dis que les femmes s’oc­cu­paient des enfants et des tâches domes­tiques. Cette théo­rie sup­pose ain­si que les hommes sont phy­si­que­ment supé­rieurs aux femmes et que la gros­sesse et l’é­du­ca­tion des enfants réduisent ou annulent la capa­ci­té d’une femme à chasser.

La théo­rie de L’Homme chas­seur a régné sur les études de l’é­vo­lu­tion humaine pen­dant près d’un demi-siècle et a impré­gné la culture popu­laire. On la dif­fuse dans les dio­ra­mas des musées, dans les manuels sco­laires, dans les des­sins ani­més du same­di matin et dans les films. Le pro­blème, c’est qu’elle est erronée.

De plus en plus de don­nées issues des sciences des acti­vi­tés phy­siques et spor­tives sug­gèrent que les femmes sont phy­sio­lo­gi­que­ment mieux adap­tées que les hommes aux efforts d’en­du­rance tels que les mara­thons [et ultra­ma­ra­thons et ultra­trails]. Cet avan­tage sou­lève des ques­tions rela­tives à la chasse, car selon une hypo­thèse très répan­due, les pre­miers humains auraient pour­sui­vi leurs proies à pied sur de longues dis­tances jus­qu’à ce que les ani­maux soient épui­sés. En outre, les archives fos­siles et archéo­lo­giques, ain­si que les études eth­no­gra­phiques sur les socié­tés de chasse-cueillette modernes, indiquent que les femmes chassent le gibier depuis long­temps. Nous avons encore beau­coup à apprendre sur les per­for­mances ath­lé­tiques fémi­nines et sur la vie des femmes pré­his­to­riques. Néan­moins, les don­nées dont nous dis­po­sons nous indiquent qu’il est temps d’en­ter­rer L’Homme chas­seur une bonne fois pour toute.

La théo­rie de L’Homme chas­seur par­vint sous le feu des pro­jec­teurs en 1968, lorsque les anthro­po­logues Richard B. Lee et Irven DeVore publièrent Man the Hun­ter, un recueil d’ar­ticles scien­ti­fiques pré­sen­tés lors d’un sym­po­sium orga­ni­sé en 1966 sur les socié­tés contem­po­raines de chasse-cueillette. L’ou­vrage s’ap­puie sur des don­nées eth­no­gra­phiques, archéo­lo­giques et paléoan­thro­po­lo­giques pour sou­te­nir que la chasse fut le moteur de l’é­vo­lu­tion humaine et qu’elle pro­dui­sit des carac­té­ris­tiques sin­gu­lières chez l’homme. « La vie de l’homme en tant que chas­seur a nous a don­né tous les ingré­dients néces­saires à la civi­li­sa­tion : la varia­bi­li­té géné­tique, l’in­ven­ti­vi­té, les sys­tèmes de com­mu­ni­ca­tion vocale, la coor­di­na­tion de la vie sociale », affirme l’an­thro­po­logue William S. Laugh­lin au cha­pitre 33 de l’ou­vrage. Puisque les hommes étaient cen­sés être les seuls à chas­ser, les par­ti­sans de la théo­rie de L’Homme chas­seur ont alors sup­po­sé que les adap­ta­tions évo­lu­tives se mani­fes­taient prin­ci­pa­le­ment chez les hommes, et que les femmes n’é­taient que de pas­sives béné­fi­ciaires de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en viande et des pro­grès de l’é­vo­lu­tion masculine.

Mais les auteurs de la théo­rie de L’Homme chas­seur igno­rèrent sou­vent les preuves qui allaient à l’en­contre de leurs sup­po­si­tions, quand bien même celles-ci se trou­vaient par­fois dans leur propre cor­pus de don­nées. Par exemple, Hito­shi Wata­nabe se concen­tra sur les don­nées eth­no­gra­phiques concer­nant les Aïnous, une popu­la­tion indi­gène du nord du Japon et des régions avoi­si­nantes. Il consta­ta que les femmes Aïnous chas­saient, sou­vent avec l’aide de chiens, mais ne tint pas compte de ces don­nées dans ses inter­pré­ta­tions, en pré­sen­tant les hommes comme les prin­ci­paux four­nis­seurs de viande. C’est ain­si qu’il pro­je­ta l’i­dée de la supé­rio­ri­té mas­cu­line en matière de chasse sur les Aïnous et sur le passé.

Cette fixa­tion sur la supé­rio­ri­té mas­cu­line était dans l’air du temps, non seule­ment dans le monde uni­ver­si­taire, mais aus­si dans la socié­té en géné­ral. En 1967, l’an­née char­nière entre la confé­rence Man the Hun­ter et la publi­ca­tion du recueil épo­nyme, Kathrine Swit­zer, alors âgée de 20 ans, s’inscrivit au mara­thon de Bos­ton sous le nom de « K. V. Swit­zer » afin de dis­si­mu­ler son sexe. Aucune règle offi­cielle n’in­ter­di­sait aux femmes de par­ti­ci­per à la course ; cela ne se fai­sait tout sim­ple­ment pas. Lorsque les offi­ciels décou­vrirent que Swit­zer était une femme, le direc­teur de la course, Jock Semple [ain­si qu’un autre des orga­ni­sa­teurs], ten­ta de la chas­ser hors du par­cours manu mili­ta­ri en la poussant.

À l’é­poque, un pré­ju­gé pré­ten­dait que les femmes étaient inca­pables d’ac­com­plir une épreuve phy­sique aus­si exi­geante, et que s’y essayer ris­quait de nuire à leurs pré­cieuses capa­ci­tés repro­duc­tives. Les éru­dits qui sou­te­naient le dogme de L’Homme chas­seur s’ap­puyaient sur la croyance en des capa­ci­tés phy­siques limi­tées des femmes ain­si que sur le sup­po­sé far­deau de la gros­sesse et de l’al­lai­te­ment pour affir­mer que seuls les hommes chas­saient. Les femmes avaient des enfants à élever.

Aujourd’­hui, ces pré­ju­gés per­sistent à la fois dans la lit­té­ra­ture scien­ti­fique et dans la conscience popu­laire. Certes, des films tels que Prey, le der­nier volet de la célèbre fran­chise Pre­da­tor et des émis­sions telles que Naked and Afraid, 21 jours pour sur­vivre et Women Who Hunt montrent des femmes qui chassent. Mais les trolls des réseaux sociaux ont vio­lem­ment cri­ti­qué ces repré­sen­ta­tions, les qua­li­fiant de cli­chés poli­ti­que­ment cor­rects au ser­vice d’agendas poli­tiques fémi­nistes. Ils sou­tiennent que les créa­teurs de ces œuvres visent à réécrire l’his­toire de l’é­vo­lu­tion et les rôles socio­sexuels des hommes et des femmes afin de bou­le­ver­ser les sphères sociales « tra­di­tion­nel­le­ment mas­cu­lines ». Les spec­ta­trices et spec­ta­teurs sont en droit de se deman­der si ces repré­sen­ta­tions de femmes chas­seuses ne cher­che­raient pas à rendre le pas­sé plus inclu­sif qu’il ne l’é­tait vrai­ment, ou si les hypo­thèses paléoan­thro­po­lo­giques comme celle de L’Homme chas­seur ne seraient pas plu­tôt des pro­jec­tions sexistes sur le pas­sé. Nos récentes études sur les preuves phy­sio­lo­giques et archéo­lo­giques de l’aptitude à chas­ser et de la divi­sion sexuelle du tra­vail dans l’é­vo­lu­tion humaine répondent à cette question.

Cré­dit : Vio­let Isa­belle Frances pour Bryan Chris­tie Design

[…]

Avant d’entrer dans le vif du sujet […] rap­pe­lons que la majeure par­tie des recherches en phy­sio­lo­gie de l’exer­cice phy­sique, en paléoan­thro­po­lo­gie, en archéo­lo­gie et en eth­no­gra­phie ont his­to­ri­que­ment été menées par des hommes sur des hommes. Par exemple, Ella Smith et ses col­lègues de l’U­ni­ver­si­té catho­lique aus­tra­lienne ont consta­té que seuls 23 % des par­ti­ci­pants aux études sur la nutri­tion et les com­plé­ments ali­men­taires étaient des femmes. Emma Cow­ley, qui tra­vaillait alors à l’u­ni­ver­si­té de Caro­line du Nord à Cha­pel Hill, a consta­té avec ses col­lègues que par­mi les études publiées sur les per­for­mances ath­lé­tiques, seules 6 % por­taient exclu­si­ve­ment sur des femmes, tan­dis que 31 % por­taient exclu­si­ve­ment sur des hommes. Cette énorme dis­pa­ri­té signi­fie que nous en savons encore très peu sur les per­for­mances ath­lé­tiques, l’en­traî­ne­ment et la nutri­tion des femmes, et donc que les entraî­neurs et les pré­pa­ra­teurs spor­tifs se contentent de trai­ter les femmes comme des hommes de petit gaba­rit. Cela signi­fie éga­le­ment qu’une grande par­tie des tra­vaux sur les­quels nous devons nous appuyer pour for­mu­ler nos argu­ments phy­sio­lo­giques sur les chas­seuses pré­his­to­riques se basent sur des recherches por­tant sur de petits échan­tillons humains ou sur des études de ron­geurs. Nous espé­rons que cette situa­tion inci­te­ra la pro­chaine géné­ra­tion de scien­ti­fiques à veiller à ce que les femmes soient davan­tage repré­sen­tées dans ces études. Mais même avec les don­nées limi­tées dont nous dis­po­sons, nous pou­vons mon­trer que L’Homme chas­seur est une théo­rie biai­sée et que les femmes des pre­mières com­mu­nau­tés humaines chas­saient elles aussi.

D’un point de vue bio­lo­gique, il existe des dif­fé­rences indé­niables entre les femmes et les hommes. Lorsque nous dis­cu­tons de ces dif­fé­rences, nous nous réfé­rons géné­ra­le­ment à des moyennes, les médianes d’un groupe par rap­port à un autre. Les moyennes masquent le vaste éven­tail de varia­tions qui existent chez les êtres humains. Par exemple, si les hommes ont ten­dance à être plus grands, à avoir un cœur et des pou­mons plus gros et une masse mus­cu­laire plus impor­tante, beau­coup de femmes se situent dans la four­chette typique des mesures des hommes ; l’in­verse est éga­le­ment vrai.

Dans l’en­semble, les femmes sont méta­bo­li­que­ment mieux adap­tées aux acti­vi­tés d’en­du­rance (comme le mara­thon), tan­dis que les hommes excellent dans les acti­vi­tés courtes, explo­sives et puis­santes (comme l’haltérophilie). [NdT : Et pour­tant, Cara Oco­bock a défen­du Gavin « Lau­rel » Hub­bard, homme tran­si­den­ti­fié en caté­go­rie femme, qui était l’un des meilleurs hal­té­ro­phile de sa dis­ci­pline dans l’archipel en caté­go­rie homme, ayant éta­bli un record natio­nal à 20 ans. À 34 ans, il devient Lau­rel et suit un trai­te­ment hor­mo­nal. À 43 ans, il rem­porte la médaille d’or caté­go­rie femme aux JO de Tokyo devant une jeune samoane de 20 ans, Fea­gai­ga Sto­wers. Il sem­ble­rait que Cara Oco­bock, en dépit de la qua­li­té de ses recherches, soit une véri­table com­pé­ti­trice en dis­so­nance cog­ni­tive.] Cette dif­fé­rence semble être due en grande par­tie aux pou­voirs de l’hor­mone œstrogène.

Cré­dit : Vio­let Isa­belle Frances pour Bryan Chris­tie Design

Étant don­né que le monde du fit­ness ne jure que par les mérites de la tes­to­sté­rone, on vous par­don­ne­rait d’ignorer que les estro­gènes, géné­ra­le­ment pro­duites par les femmes en plus grande quan­ti­té que les hommes, jouent un rôle incroya­ble­ment impor­tant dans les per­for­mances ath­lé­tiques. C’est pour­tant logique d’un point de vue évo­lu­tif. Le récep­teur de l’estrogène — la pro­téine à laquelle l’estrogène se lie pour faire son tra­vail — est très ancien. Joseph Thorn­ton et ses col­lègues de l’u­ni­ver­si­té de Chi­ca­go ont esti­mé qu’il avait entre 1,2 mil­liard et 600 mil­lions d’an­nées, et qu’il était donc deux fois plus vieux que le récep­teur de la tes­to­sté­rone. En plus de contri­buer à la régu­la­tion du sys­tème repro­duc­teur, les estro­gènes influencent le contrôle de la motri­ci­té fine et la mémoire, favo­risent la crois­sance et le déve­lop­pe­ment des neu­rones et contri­buent à pré­ve­nir l’artériosclérose.

Les estro­gènes amé­liorent éga­le­ment le méta­bo­lisme des graisses. Pen­dant l’exer­cice phy­sique, ils encou­ragent l’or­ga­nisme à uti­li­ser les graisses plu­tôt que les glu­cides comme source d’énergie. La graisse contient plus de calo­ries par gramme que les glu­cides, elle brûle donc plus len­te­ment, ce qui peut retar­der la fatigue lors d’une acti­vi­té d’en­du­rance [et de résis­tance]. Non seule­ment les estro­gènes encou­ragent la com­bus­tion des graisses, mais ils favo­risent éga­le­ment un plus grand sto­ckage des graisses dans les muscles – l’aspect « per­sillé » de la viande rouge – ce qui rend l’éner­gie de ces graisses plus faci­le­ment dis­po­nible. L’a­di­po­nec­tine, une autre hor­mone géné­ra­le­ment pré­sente en plus grande quan­ti­té chez les femmes que chez les hommes, amé­liore encore le méta­bo­lisme des graisses tout en éco­no­mi­sant les glu­cides pour une uti­li­sa­tion ulté­rieure, et pro­tège les muscles de la dégra­da­tion. Anne Fried­lan­der et ses col­lègues de l’u­ni­ver­si­té de Stan­ford ont consta­té que les femmes uti­lisent jus­qu’à 70 % de plus de graisses que les hommes pour pro­duire de l’éner­gie pen­dant l’exercice.

En consé­quence, les fibres mus­cu­laires des femmes dif­fèrent de celles des hommes. Les femmes ont plus de fibres mus­cu­laires de type I, ou « à contrac­tion lente », que les hommes. Ces fibres pro­duisent de l’éner­gie len­te­ment en uti­li­sant les graisses. Elles ne sont pas très puis­santes, mais elles mettent long­temps à se fati­guer. Ce sont les fibres mus­cu­laires de l’endurance. Les hommes, en revanche, ont géné­ra­le­ment plus de fibres de type II (« à contrac­tion rapide »), qui uti­lisent les glu­cides pour four­nir une éner­gie rapide et une grande puis­sance, mais qui se fatiguent rapidement.

Ensuite, les femmes ont ten­dance à avoir un plus grand nombre de récep­teurs d’estrogène sur les muscles sque­let­tiques que les hommes. Cette dis­po­si­tion rend ces muscles plus sen­sibles aux estro­gènes, y com­pris à leur effet pro­tec­teur après une acti­vi­té phy­sique. La capa­ci­té des estro­gènes à aug­men­ter le méta­bo­lisme des graisses et à régu­ler la réponse de l’or­ga­nisme à l’in­su­line peut contri­buer à pré­ve­nir la dégra­da­tion des muscles au cours d’un exer­cice phy­sique intense. En outre, les estro­gènes semblent avoir un effet sta­bi­li­sa­teur sur les mem­branes cel­lu­laires qui, autre­ment, pour­raient se rompre en rai­son du stress sévère pro­vo­qué par la cha­leur et l’exer­cice. Les cel­lules rom­pues libèrent des enzymes appe­lées créa­tine kinases, qui peuvent endom­ma­ger les tissus.

[NdT : tout ce que nous pou­vons tirer des don­nées issues des sciences des acti­vi­tés phy­siques et spor­tives, c’est que les femmes sont mieux équi­pées pour les épreuves phy­siques d’endurance et de résis­tance. Si vous pen­sez qu’un mara­thon, voire un ultra­trail, n’est qu’affaire d’endurance, vous n’avez pro­ba­ble­ment jamais cou­ru plus de 21 km par ses­sion et cer­tai­ne­ment pas de longues mon­tées acci­den­tées. En revanche, ce que ne nous disent pas ces don­nées, c’est que les femmes peuvent encais­ser les coups de kick­boxing d’hommes entrai­nés. Au contraire, les don­nées montrent que bien que les femmes aient plus de neu­rones que les hommes dans le cor­tex fron­tal, ain­si que plus de cel­lules gliales, opti­mi­sant les connexions neu­ro­nales, la sophis­ti­ca­tion de leur sys­tème ner­veux les rend aus­si plus sus­cep­tibles d’avoir des com­mo­tions céré­brales et plus sen­sibles aux dégâts cau­sés par les chocs à la tête. C’est pour­quoi les femmes doivent avoir leur caté­go­rie spor­tive sexo-spé­ci­fique, à la fois par équi­té, les hommes ayant une phy­sio­lo­gie plus adap­tée pour les efforts explo­sifs et plus de puis­sance de frappe, et pour la sécu­ri­té des femmes. Rien n’empêche en revanche d’organiser des com­pé­ti­tions mixtes sur les ultra­courses de plus de 80 kilo­mètres (au jugé). Pour déter­mi­ner à par­tir de quelle longueur/durée d’effort, sur les ultra­courses, l’avantage phy­sio­lo­gique de résis­tance fémi­nine vient équi­li­brer les départs sur les cha­peaux de roue mas­cu­lins, encore faut-il vou­loir pro­duire ces recherches.]

Des études menées sur des femmes et des hommes pen­dant et après l’exer­cice phy­sique confirment ces affir­ma­tions. Lin­da Lamont et ses col­lègues de l’u­ni­ver­si­té de Rhode Island, ain­si que Michael Rid­dell et ses col­lègues de l’u­ni­ver­si­té York au Cana­da ont consta­té que les femmes subis­saient moins de dégra­da­tion mus­cu­laire que les hommes après les mêmes séances d’exer­cice. Fait édi­fiant, dans une autre étude, Mazen J. Hama­deh et ses col­lègues de l’u­ni­ver­si­té York ont consta­té que les hommes ayant reçu des sup­plé­ments d’estrogènes souf­fraient moins de dégra­da­tion mus­cu­laire pen­dant les épreuves cyclistes que ceux qui n’en avaient pas reçu. Dans la même veine, les recherches menées par Ron Mau­ghan de l’u­ni­ver­si­té de St. Andrews en Écosse ont mon­tré que les femmes étaient capables d’ef­fec­tuer beau­coup plus de répé­ti­tions de mou­ve­ments d’haltérophilie que les hommes à des pour­cen­tages iden­tiques de leur force maxi­male. [NdT : Et les com­pé­ti­tions d’haltérophilie ne se mesurent pas par le nombre de répé­ti­tion du geste, mais par une seule occur­rence – la mesure de la puis­sance et de l’explosivité est ce qui compte, ain­si, la phy­sio­lo­gie mas­cu­line est pri­vi­lé­giée (tout don­ner d’un seul coup), donc, en mixi­té, les femmes sont pénalisées.] 

Si les femmes uti­lisent mieux les graisses comme source d’éner­gie durable et pour main­te­nir leurs muscles en meilleure condi­tion pen­dant l’exer­cice phy­sique, elles doivent ain­si être capables de cou­rir de plus grandes dis­tances avec moins de fatigue que les hommes. En fait, une ana­lyse des mara­thons réa­li­sée par Robert Dea­ner de la Grand Val­ley State Uni­ver­si­ty a démon­tré que les femmes ont ten­dance à moins ralen­tir que les hommes au fur et à mesure de la pro­gres­sion de la course.

Si vous sui­vez les courses de longue dis­tance, vous vous dites peut-être : « Atten­dez, les hommes sont plus per­for­mants que les femmes dans les épreuves d’en­du­rance ! » Pour­tant, ce n’est que par­fois le cas. Les femmes dominent plus régu­liè­re­ment les épreuves d’ul­tra-endu­rance telles que la course à pied Mon­tane Spine de plus de 418 km à tra­vers l’An­gle­terre et l’É­cosse, la tra­ver­sée de la Manche à la nage sur 33 km et la course cycliste Trans Am de 6920 km à tra­vers les États-Unis. En 2018, la trai­leuse anglaise Sophie Power a cou­ru l’Ul­tra-Trail du Mont-Blanc (168 km) dans les Alpes tout en allai­tant son bébé de trois mois aux sta­tions de repos. [NdT : Et les mara­thons de 42 km sont bien plus popu­laires que les ultra­courses. Encore une fois, 42 km sont insuf­fi­sants pour per­mettre à l’avantage fémi­nin d’apparaitre par rap­port aux per­for­mances masculines.] 

L’i­né­ga­li­té entre les ath­lètes hommes et femmes [dans les longues courses] résulte non pas des dif­fé­rences bio­lo­giques inhé­rentes entre les sexes, mais de pré­ju­gés concer­nant leurs capa­ci­tés. Par exemple, cer­taines épreuves de course d’en­du­rance auto­risent le recours à des cou­reurs pro­fes­sion­nels appe­lés pace­set­ters [« meneurs ou coaches de cadence »] pour aider les com­pé­ti­teurs à don­ner le meilleur d’eux-mêmes. Les hommes ne sont pas auto­ri­sés à jouer le rôle de pace­set­ters dans de nom­breuses épreuves fémi­nines, car on pense qu’ils ren­dront les femmes « arti­fi­ciel­le­ment plus rapides », comme si les femmes ne cou­raient pas elles-mêmes sur leurs deux jambes.

Les preuves phy­sio­lo­giques modernes, ain­si que les exemples his­to­riques, révèlent les pro­fondes lacunes de l’hypothèse selon laquelle une infé­rio­ri­té phy­sique aurait empê­ché les femmes de par­ti­ci­per à la chasse au cours de notre évo­lu­tion. Les don­nées de la pré­his­toire viennent encore ébran­ler cette idée.

Consi­dé­rez les sque­lettes des popu­la­tions anciennes. Les dif­fé­rences de taille entre les femelles et les mâles d’une espèce, un phé­no­mène appe­lé dimor­phisme sexuel de taille, sont en cor­ré­la­tion avec la struc­ture sociale. Chez les espèces pré­sen­tant un dimor­phisme de taille pro­non­cé, les mâles les plus grands sont en concur­rence les uns avec les autres pour l’ac­cès aux femelles, et chez les grands singes, les mâles les plus grands dominent socia­le­ment les femelles. Un faible dimor­phisme sexuel de taille est carac­té­ris­tique des espèces éga­li­taires et mono­games [une mono­ga­mie non abso­lue et très variable chez ces espèces, NdT]. Les humains modernes pré­sentent un faible dimor­phisme sexuel de taille par rap­port aux autres grands singes. Il en va de même pour nos ancêtres humains des deux der­niers mil­lions d’an­nées, ce qui sug­gère que la struc­ture sociale des humains a chan­gé par rap­port à celle de nos ancêtres de type pré-chimpanzés.

Sophie Power a cou­ru les 168 km de l’Ul­tra-Trail du Mont-Blanc dans les Alpes tout en allai­tant son bébé aux sta­tions de repos. Cré­dit : Alexis Berg

Les anthro­po­logues exa­minent éga­le­ment les dom­mages subis par les sque­lettes de nos ancêtres pour trou­ver des indices sur leur façon de vivre. Les néan­der­ta­liens sont les membres éteints de la famille humaine les mieux étu­diés, car nous dis­po­sons d’un riche registre fos­sile. Les femelles et les mâles néan­der­ta­liens ne pré­sentent pas de dif­fé­rences dans leurs trau­ma­tismes, ni de dif­fé­rences entre les sexes en ce qui concerne les patho­lo­gies liées à des actions répé­ti­tives. Leurs sque­lettes pré­sentent les mêmes sché­mas d’u­sure. Cette décou­verte sug­gère qu’ils fai­saient les mêmes choses, de la chasse au gros gibier en embus­cade au trai­te­ment des peaux pour le cuir. Oui, les femmes néan­der­ta­liennes pour­chas­saient des rhi­no­cé­ros lai­neux à la lance et les hommes néan­der­ta­liens fabri­quaient des vêtements.

Les hommes du paléo­li­thique supé­rieur, la période cultu­relle située entre envi­ron 45 000 et 10 000 ans avant notre ère, au moment où pre­miers humains modernes sont entrés en Europe, pré­sentent des taux plus éle­vés de bles­sures au coude droit, connues sous le nom de « coude du lan­ceur » ; ce qui pour­rait signi­fier qu’ils étaient plus enclins que les femmes à pro­je­ter des lances. Mais cela ne signi­fie pas que les femmes ne chas­saient pas, car c’est aus­si à cette époque qu’ont été inven­té l’arc et les flèches, les filets de chasse et les hame­çons. Ces outils plus sophis­ti­qués per­met­taient aux humains d’at­tra­per une plus grande varié­té d’a­ni­maux ; ils étaient éga­le­ment plus faciles à uti­li­ser pour les chas­seurs et chas­seuses. Il est pos­sible que les femmes aient pri­vi­lé­gié des tac­tiques de chasse tirant par­ti de ces nou­velles technologies.

De plus, au Paléo­li­thique supé­rieur, les femmes et les hommes étaient enter­rés de la même manière. Leurs corps étaient inhu­més avec les mêmes types d’ar­te­facts ou d’ob­jets funé­raires, ce qui sug­gère que les groupes dans les­quels ils vivaient ne pré­sen­taient pas de [forte] hié­rar­chie sociale basée sur le sexe.

L’ADN ancien nous donne des indices sup­plé­men­taires sur la struc­ture sociale et les poten­tiels rôles socio­sexuels des hommes et des femmes. Les modèles de varia­tion du chro­mo­some Y, héri­té du père, et de l’ADN mito­chon­drial, héri­té de la mère, révèlent des dif­fé­rences dans la manière dont les femmes et les hommes se dis­per­saient après avoir atteint la matu­ri­té sexuelle. Grâce à l’a­na­lyse de l’ADN extrait de restes fos­si­li­sés, nous savons aujourd’­hui que trois groupes néan­der­ta­liens pra­ti­quaient la patri­lo­ca­li­té, c’est-à-dire que les mâles avaient ten­dance à res­ter dans le groupe qui les avait vus naître et que les femelles se dépla­çaient vers d’autres groupes, mais nous ne savons pas dans quelle mesure cette pra­tique était répandue.

L’on estime que la patri­lo­ca­li­té était une ten­ta­tive pour évi­ter l’in­ceste en échan­geant des par­te­naires poten­tiels avec d’autres groupes. [NdT : Bof. La consan­gui­ni­té est plus évi­table en matri­lo­ca­li­té lorsque les mâles se déplacent et changent de groupe, comme c’est le cas chez les babouins et les Lan­gurs.] Néan­moins, de nom­breux Néan­der­ta­liens pré­sentent des preuves géné­tiques et ana­to­miques de consan­gui­ni­té per­sis­tante chez leurs ancêtres. [CQFD.] Ils vivaient en petits groupes nomades à faible den­si­té de popu­la­tion et subis­saient de fré­quentes extinc­tions locales, ce qui pro­dui­sait des niveaux de diver­si­té géné­tique bien infé­rieurs à ceux que nous obser­vons chez les humains actuels. Il s’agit pro­ba­ble­ment de la rai­son pour laquelle leurs sque­lettes ne révèlent aucune dif­fé­rence de com­por­te­ment sexo-spé­ci­fique. [NdT : Pas très clair. On sup­pose qu’il s’agit du fait d’avoir vécu en petits groupes mobiles où tout le monde effec­tuait plu­sieurs types d’activités, avec un faible bras­sage géné­tique dû à une faible mobi­li­té inter-groupe.] 

Pour ceux qui pra­tiquent une stra­té­gie de sub­sis­tance four­ra­gère basée sur la recherche de nour­ri­ture en petits groupes fami­liaux, la flexi­bi­li­té et l’a­dap­ta­bi­li­té sont bien plus impor­tantes que des rôles rigides, liés au sexe ou non. Les indi­vi­dus se blessent ou meurent, et la dis­po­ni­bi­li­té des ali­ments d’o­ri­gine ani­male et végé­tale change au fil des sai­sons. Tous les membres du groupe doivent être en mesure d’as­su­mer n’im­porte quel rôle en fonc­tion de la situa­tion, qu’il s’a­gisse d’un rôle de chasse ou de par­te­naire de repro­duc­tion [NdT : sous-enten­du « et d’investissement parental »].

L’ob­ser­va­tion des socié­tés four­ra­gères récentes et contem­po­raines four­nit des preuves directes de la par­ti­ci­pa­tion des femmes à la chasse. Les exemples les plus cités pro­viennent du peuple Agta des Phi­lip­pines. Les femmes Agta chassent même lorsqu’elles ont leurs règles, sont enceintes ou allaitent, et elles obtiennent les mêmes taux de suc­cès à la chasse que les hommes Agta.

Elles sont loin d’être les seules. Une étude récente de don­nées eth­no­gra­phiques cou­vrant les 100 der­nières années — dont la majeure par­tie a été igno­rée par les contri­bu­teurs de Man the Hun­ter — a révé­lé que les femmes d’un large éven­tail de cultures chas­saient des ani­maux pour se nour­rir. Abi­gail Ander­son et Cara Wall-Schef­fler, alors toutes deux à l’u­ni­ver­si­té Seat­tle Paci­fic, et leurs col­lègues ont rap­por­té que 79 % des 63 socié­tés four­ra­gère ayant des des­crip­tions claires de leurs stra­té­gies de chasse comptent des femmes par­mi leurs chas­seurs. Les femmes par­ti­cipent à la chasse indé­pen­dam­ment de leur sta­tut de mère. Ces résul­tats remettent direc­te­ment en ques­tion l’hy­po­thèse de L’Homme chas­seur selon laquelle le corps des femmes et les res­pon­sa­bi­li­tés liées à l’é­du­ca­tion des enfants restreignent leurs apti­tudes à la seule col­lecte d’a­li­ments inca­pables de s’enfuir.

Il reste encore beau­coup à décou­vrir sur la phy­sio­lo­gie de l’exer­cice phy­sique des femmes et sur la vie des femmes pré­his­to­riques. Mais l’i­dée selon laquelle, par le pas­sé, seuls les hommes chas­saient, n’est abso­lu­ment pas étayée par les preuves limi­tées dont nous dis­po­sons. La phy­sio­lo­gie fémi­nine est par­ti­cu­liè­re­ment opti­mi­sée pour le type d’ac­ti­vi­tés d’en­du­rance néces­saires à la cap­ture du gibier pour l’a­li­men­ta­tion. De plus, les femmes et les hommes des temps archaïques semblent s’être livrés aux mêmes acti­vi­tés de recherche de nour­ri­ture, plu­tôt que d’établir une divi­sion du tra­vail socio-sexuelle. C’est l’ar­ri­vée de l’a­gri­cul­ture, il y a quelque 10 000 ans, avec son inves­tis­se­ment inten­sif de la terre, ain­si que la crois­sance démo­gra­phique et la concen­tra­tion des res­sources en résul­tant qui condui­sit aux rôles socio­sexuels rigides et aux inéga­li­tés économiques.

[…] La chasse est peut-être deve­nue une acti­vi­té émi­nem­ment mas­cu­line ces der­niers temps, mais pen­dant la majeure par­tie de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té, elle appar­te­nait à tout le monde.

Cara Oco­bock & Sarah Lacy

Tra­duc­tion : Audrey A.

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