Pour éviter la rue et en sortir 

Pour éviter la rue et en sortir 

Le 27 février 2014, la ministre Véronique Hivon dévoilait la Politique nationale de lutte à l’itinérance- Pour éviter la rue et en sortir. Le gouvernement Marois adoptait alors cette politique développée avec le milieu communautaire et activement revendiquée depuis une décennie.

Avec sa vision, cette politique devait permettre de réduire et prévenir l’itinérance. Pourtant, depuis, l’itinérance a augmenté partout au Québec, les refuges ne suffisent plus et les campements se multiplient. Dix ans plus tard, que s’est-il passé ? La volonté politique, de déployer cette politique dans toutes les régions et d’y investir les fonds nécessaires, a définitivement manqué.

Une vision globale

Pour agir sur le phénomène, la Politique nationale de lutte à l’itinérance s’appuie sur une reconnaissance des droits et la responsabilité de l’État. Elle prévoyait une action sur cinq axes: le logement, la santé et les services sociaux, le revenu, l’éducation et l’insertion, ainsi que la cohabitation et la déjudiciarisation. Pas moins de dix ministères étaient signataires de la politique et ainsi directement interpellés pour agir et contrer l’itinérance.

Le gouvernement réaffirmait dans sa Politique en itinérance son adhésion au Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels de l’ONU. Ce pacte prescrit « le droit de toute personne à un niveau de revenu suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants…»

Avec cette politique, le Québec évitait le piège de ne cerner qu’une seule cause et une seule solution à l’itinérance. L’absence et la perte de logement mènent certes à la rue, mais elle est aussi causée par la pauvreté, la sortie d’institutions, centres jeunesse, hôpitaux et prisons. Les conditions de vie sur réserve et hors réserve des autochtones en conduisent beaucoup à des situations d’itinérance. Il faut agir sur différents fronts pour faire reculer l’itinérance, dont solidement en logement, premier axe de la politique.

Conséquemment, dans le budget déposé avant de perdre les élections, le gouvernement péquiste prévoyait la réalisation de 3 500 logements sociaux par année dans le programme AccèsLogis. Ce nombre aurait été le plus élevé de ce programme créé au Québec après l’abandon du soutien au logement social par le fédéral en 1994.

AccèsLogis avait notamment fait ses preuves pour permettre aux organismes de développer des projets de logement social avec soutien communautaire. Une intervention qui permet de stabiliser en logement des personnes en situation d’itinérance.

Un déploiement sacrifié

Quelques semaines après l’adoption de la Politique en itinérance, le gouvernement libéral de Philippe Couillard prenait le pouvoir. L’austérité sélective appliquée par son ministre des finances, Carlos Leitao, allait réduire le financement d’AccèsLogis. De même, aucun investissement dans des mesures structurelles, tels le revenu et des programmes de réinsertion, ne fut mis en place par ce gouvernement. Le plan d’action qu’il adopta reprit certes les objectifs et les axes de la politique, mais en visant une action fort limitée et ce, que dans quelques régions. Cette absence de moyens et de volonté politique fera croitre l’itinérance, disions-nous alors, dès 2014.

Depuis plus de cinq ans, c’est le gouvernement de la CAQ qui dirige l’action de la Politique en itinérance. Il a fait pire que les libéraux, ne finançant dans son premier mandat aucun nouveau logement avec AccèsLogis. Il a uniquement prévu des fonds pour soutenir la réalisation de logements engagés avant son gouvernement, ce qui n’est toujours pas terminé en 2024.

Réélu, le gouvernement Legault élimine AccèsLogis. Aussi, comme les libéraux, aucune autre mesure sociale ne vise à contrer l’itinérance. Ce n’est pas uniquement avec le financement accru des groupes communautaires, aux prises avec une itinérance qui explose, que la tendance se renversera.

Des campements ou des logements ?

Il y a deux ans, le dénombrement tenu à un seul moment recensait 10 000 personnes en situation d’itinérance visibles au Québec. Depuis, ce nombre ne cesse de grossir. Des hommes, des femmes de tout âge, des familles, des personnes issues de l’immigration deviennent sans-logis. À raison, les villes crient au secours.

Actuellement, dans bien des villes, de nouvelles places en refuges s’ajoutent, toujours insuffisantes, alors que des campements se multiplient. À Montréal, 460 campements de sans-abri ont été démantelés en 2023 !  Cela ne fait que les déplacer, tout comme à Gatineau, St-Jérôme, Québec, Longueuil. Face à l’ampleur des crises du logement et de l’itinérance, toujours plus de personnes s’installent dans ces campements, pour durer, dans des conditions dangereuses pour leur vie.

Le 13 février dernier, la défenseure fédérale du logement Marie-Josée Houle réclamait un plan d’intervention pour régler la situation des campements qui se sont multipliés partout au pays, une question de vie ou de mort, disait-elle, à raison. Quelle réponse sera apportée à sa demande ?

Au Québec, le prochain budget du gouvernement doit rétablir des fonds importants pour le programme AccèsLogis, tout comme le budget fédéral se doit d’annoncer un financement important et récurrent pour le logement social.

Pour éviter la rue et en sortir, l’accès à des logements, à un revenu, à des soins et des services, un revenu sont nécessaires dit la Politique nationale de lutte en itinérance. Il s’agit d’investissement importants, mais ne rien faire coutera plus cher. On aura beau transformer des hôtels, des églises et des arénas en refuges, cela ne règlera pas l’itinérance.

Pierre Gaudreau
Ex-président du Réseau SOLIDARITÉ itinérance du Québec

Jimena Michea
Ex-coordonnatrice du Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec et ex-présidente Réseau SOLIDARITÉ itinérance du Québec

Pierre Maheux
Ex-coordonnateur du Regroupement pour l’aide aux itinérants et itinérantes de Québec
Cofondateurs et ex-président du Réseau SOLIDARITÉ itinérance du Québec

François Roy,
Coordonnateur Logemen’occupe, Gatineau
Cofondateur et ex-président du Collectif régional de lutte à l’itinérance de l’Outaouais
Cofondateur et ex président du Réseau SOLIDARITÉ itinérance du Québec

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