NdT : Le texte qui suit est une traduction d’un article initialement publié, en anglais, le 12 février 2024, sur le site UnHerd. L’emploi de termes comme « enfants trans » est évidemment problématique étant donné qu’une telle catégorie de populations est une vue de l’esprit et qu’il est dangereux de faire croire qu’il existe réellement des « enfants trans », mais malgré quelques désaccords concernant le vocabulaire employé, il me semble que cet article est assez instructif.
Pourquoi trois revues ont-elles rejeté mon étude sur les bloqueurs de puberté ?
Les enfants trans méritent de connaître les faits
Que se passe-t-il pendant la puberté ? Et que se passe-t-il si nous essayons de l’arrêter ? Il s’agit d’une des questions les plus délicates de notre époque. Compte tenu de son importance et de la vulnérabilité des personnes qu’elle concerne, vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’il existe davantage d’études évaluant l’impact des bloqueurs de la puberté sur les fonctions cognitives chez des animaux autres qu’humains que chez les humains. Sur les 16 études ayant spécifiquement examiné l’impact des bloqueurs de la puberté sur les fonctions cognitives, 11 ont été menées sur des animaux non-humains. La plupart d’entre elles font état d’un impact négatif des bloqueurs sur les fonctions cognitives des souris, des moutons ou des singes.
Les études sur les moutons étaient particulièrement intéressantes, parce qu’elles utilisaient des agneaux jumeaux et n’administraient les bloqueurs de puberté qu’à l’un d’entre eux. Plus d’un an après l’arrêt du traitement, les moutons qui avaient pris les bloqueurs de puberté n’avaient toujours pas « rattrapé » leurs frères et sœurs non traités au niveau de leur capacité à effectuer un test de mémoire spatiale. Cela dit, il est difficile d’extrapoler grand-chose à partir de la capacité des moutons à se souvenir du chemin à suivre dans un labyrinthe de bottes de foin. Ce sont les études sur les êtres humains qui présentent le plus d’intérêt pour les personnes qui envisagent de prescrire ou de prendre ces médicaments.
Malheureusement, de telles études sont rares. Seules cinq études ont examiné l’impact des bloqueurs de puberté sur les fonctions cognitives des enfants, et seules trois d’entre elles se sont intéressées à ces effets chez des adolescent·es traité·es pour une dysphorie de genre. Dans l’une de ces études, les chercheurs n’ont pas mesuré l’état de santé des enfants avant l’administration des médicaments, de sorte qu’il est difficile de savoir si les difficultés qu’ils ont rencontrées par la suite dans une tâche de stratégie peuvent être attribuées au médicament. Une deuxième étude a établi une excellente base de référence. Les chercheurs ont utilisé une méthode très réputée afin de tester les capacités cognitives des enfants participant au programme avant qu’ils ne commencent à prendre des bloqueurs de puberté.
Malheureusement, ils n’ont pas fait repasser ces tests aux enfants pour évaluer l’impact du médicament, mais ont préféré indiquer combien d’individus, dans un sous-ensemble de ces enfants, avaient suivi une formation professionnelle et combien avaient suivi une formation professionnelle supérieure des années plus tard. Aucun résultat n’a été rapporté pour 40 % des enfants ayant commencé l’étude. La dernière étude en revanche, a été magnifiquement conçue : les chercheurs ont évalué le QI avant l’administration de bloqueurs de puberté et ont régulièrement suivi l’impact du traitement pendant 28 mois en effectuant une batterie complète de tâches cognitives. Les résultats sont préoccupants et suggèrent une baisse globale du QI de 10 points qui s’étend jusqu’à 15 points dans la compréhension verbale. Malheureusement, il s’agissait d’une étude d’un cas unique et, bien qu’alarmantes, les conclusions que nous pouvons tirer de l’expérience d’une seule personne sont limitées.
L’année dernière, j’ai rédigé un article résumant les résultats de ces études. Cet article expliquait en termes relativement simples pourquoi il est plausible que le blocage de la puberté des jeunes ait un impact sur leur développement cognitif. En bref, la puberté ne déclenche pas seulement le développement des caractéristiques sexuelles secondaires ; il s’agit d’une période très importante dans le développement des fonctions et de la structure du cerveau. Mon examen de la littérature médicale mettait en évidence ce fait que, bien qu’une base scientifique solide semble indiquer que tout processus interrompant la puberté aura un impact sur le développement du cerveau, personne n’a vraiment pris la peine d’examiner correctement ce qu’il en est chez les enfants souffrant de dysphorie de genre.
Je ne demandais pas l’interdiction des bloqueurs de puberté. La plupart des traitements médicaux ont des effets secondaires et le choix de les suivre ou non dépend d’une analyse minutieuse du rapport risques/bénéfices pour chaque patient·e. Mon article n’effectuait pas ce type d’analyse, bien que d’autres l’aient fait et aient jugé les preuves de l’efficacité des bloqueurs de puberté tellement faibles que ces traitements ne peuvent être considérés que comme expérimentaux. Mon résumé ne faisait qu’apporter une pièce au puzzle. Je concluais mon texte par une liste de questions en suspens et appelais à poursuivre les recherches visant à répondre à ces questions, comme le fait toujours n’importe quel examen de la littérature médicale, quel que soit le domaine.
En tant que publication scientifique, mon article n’était pas révolutionnaire — les examens de la littérature existante le sont rarement. Mais en résumant les recherches menées jusqu’à présent, je pensais qu’il constituerait une ressource pratique pour les nombreuses autorités qui examinent actuellement l’efficacité de ces traitements. Il fournit également des informations essentielles aux parents et aux enfants qui envisagent actuellement leurs options médicales. Tout patient doit pouvoir savoir ce que les médecins savent et ne savent pas au sujet d’un traitement optionnel afin de pouvoir prendre une décision éclairée. Les médecins ont un devoir de franchise à cet égard.
J’ai été surprise de constater à quel point les preuves étaient peu nombreuses et de faible qualité en ce qui concerne les bloqueurs de puberté. J’ai également été préoccupée par le fait que les cliniciens travaillant dans le domaine de la médecine du genre continuent à décrire les effets des bloqueurs de la puberté comme « totalement réversibles sur le plan physique », alors qu’il est clair que nous n’en savons rien, du moins en ce qui concerne l’impact cognitif. Mais ce ne sont pas les seuls aspects troublants de l’affaire. Le cheminement de mon article en vue d’une publication a été extraordinaire dans mon expérience de trois décennies de publication universitaire.
L’article a été accepté pour publication dans une revue très respectée et évaluée par des pairs. Toutefois, avant cela, le manuscrit avait été soumis à trois revues universitaires, qui l’avaient toutes rejeté. Une universitaire dont l’article est rejeté par une revue ne fait pas la une des journaux. J’ai publié de nombreux articles universitaires et j’ai également siégé au comité de rédaction de plusieurs revues scientifiques à fort impact. J’ai à la fois émis et reçu des rejets. Dans les revues de grande qualité, beaucoup plus d’articles sont rejetés qu’acceptés. Les raisons des rejets sont généralement que l’article ne nous apprend rien de nouveau ou que les données sont faibles et ne soutiennent pas les conclusions que ses auteurs essaient de tirer. Concernant un article qui examine d’autres études, les motifs de rejet comprennent généralement des critiques sur la manière dont les auteurs ont recherché ou sélectionné les études qu’ils ont incluses dans leur examen, ce qui implique qu’ils sont peut-être passés à côté d’un certain nombre d’éléments probants. Parfois, le sujet de l’analyse est trop vaste, trop étroit ou trop spécialisé pour être utile à un lectorat plus large.
Bien qu’imparfaite, l’évaluation anonyme par les pairs reste le fondement de l’édition scientifique. En théorie, l’anonymat libère les évaluateurs de toute inhibition qu’ils pourraient avoir à dire à leurs estimés collègues qu’à cette occasion, ils semblent avoir produit quelque chose de vraiment mauvais. Lorsque le système fonctionne bien, les évaluateurs soulignent indépendamment — et idéalement, de manière convergente — les forces et les faiblesses de l’article, et ses auteurs et éditeurs reçoivent une critique cohérente du texte soumis. Si la procédure est bâclée, ou si les évaluateurs ont été mal sélectionnés, l’auteur peut écoper d’un commentaire sur son travail truffé de malentendus et d’inexactitudes. Les demandes d’informations déjà fournies sont fréquentes, tout comme les suggestions visant à ce que l’auteur fasse référence aux travaux de l’évaluateur anonyme, même s’ils n’ont rien à voir avec le sujet traité. Au cours de ma carrière, j’ai été confrontée au meilleur comme au pire de ces pratiques. Cependant, je n’ai jamais été confrontée au type de préoccupations exprimées par certains évaluateurs en réponse à mon examen des bloqueurs de puberté. Car ce ne sont pas mes méthodes qu’ils ont contestées, mais les résultats eux-mêmes.
Aucun des évaluateurs n’a identifié d’études que j’aurais manquées et qui démontreraient que les effets des bloqueurs de puberté sur le développement cognitif sont sûrs et réversibles, ou n’a présenté de preuves contraires à mes conclusions, à savoir que le travail n’a tout simplement pas été fait. Cependant, l’un d’entre eux a suggéré que les preuves existaient peut-être, mais qu’elles n’avaient simplement pas été publiées. Il m’a conseillé de passer au crible les présentations de conférences non évaluées par des pairs afin de rechercher des études non publiées susceptibles de donner une image plus positive des bloqueurs. L’évaluateur semblait naïvement croire que les études prouvant que les bloqueurs de puberté étaient sûrs et efficaces auraient du mal à être publiées. La très faible qualité des études dans ce domaine et l’interprétation excessivement positive du moindre résultat rapporté par les cliniciens spécialistes du genre suggèrent que tel n’est probablement pas le cas.
Un autre évaluateur s’est inquiété du fait que la publication des conclusions de mon étude risquait de stigmatiser un groupe déjà stigmatisé. Un troisième a suggéré que je me concentre sur les effets positifs des bloqueurs de puberté, tandis qu’un quatrième a suggéré qu’il était inutile de publier une analyse alors qu’il n’y avait pas assez de documentation à analyser. Un autre a cherché à réduire à « mon point de vue » tout un domaine des neurosciences ayant largement établi que la puberté est une période critique du développement du cerveau.
De manière assez révélatrice, un des évaluateurs a utilisé un langage religieux pour critiquer mon article. Il a affirmé que mon emploi de termes basés sur le sexe pour décrire les enfants dans les études — sexe natal, homme-vers-femme [MtF], femme-vers-homme [FtM] — indiquaient un scepticisme préexistant quant à l’utilisation des bloqueurs. Il a même suggéré que la présence de ces termes amènerait les personnes qui prescrivent ces médicaments à « rejeter purement et simplement l’article », et a ajouté qu’en utilisant ces termes, le journal « prêcherait uniquement à des convertis » et « ne parviendrait pas à attirer de nouveaux lecteurs ». Cependant, la réponse la plus étonnante que j’ai reçue provient d’un évaluateur qui s’inquiétait du fait que je semblais aborder le sujet avec un « biais » de prudence excessive. Il a fait valoir que de nombreux éléments devaient être étudié avant qu’il ne soit possible d’établir clairement le caractère « risqué » des bloqueurs de puberté, même de manière circonstancielle. Ce qui revient à préconiser une position par défaut consistant à supposer que les traitements médicaux sont sûrs, jusqu’à preuve du contraire.
Pourtant, « sans danger et totalement réversible » ne peut jamais être la position par défaut d’une intervention médicale, et encore moins d’un traitement désormais considéré comme expérimental par des autorités en Europe et au Royaume-Uni. Les affirmations extraordinaires exigent des preuves extraordinaires, et la seule preuve extraordinaire ici, c’est l’absence béante de connaissances, ou même de curiosité apparente, des cliniciens qui continuent à chanter à tue-tête « sûrs et totalement réversibles » en prescrivant ces médicaments aux enfants dont ils s’occupent. Le rôle d’un article scientifique ne consiste pas à « attirer de nouveaux lecteurs » ; en revanche, le rôle des cliniciens consiste à comprendre la base factuelle des traitements qu’ils proposent et de la communiquer aux patients qu’ils traitent.
J’espère sincèrement que tout arrêt du développement cérébral potentiellement associé aux bloqueurs de puberté est récupérable pour les jeunes transgenres et les personnes de genre divers, qui sont déjà confrontées à des défis importants dans leur vie. Je me réjouirais de toute recherche allant en ce sens, notamment pour les perspectives significatives qu’elle apporterait à notre compréhension actuelle de la puberté en tant que fenêtre critique du développement neurologique à l’adolescence. Les bloqueurs de puberté placent presque invariablement les jeunes sur la voie d’une médicalisation à vie, avec des coûts personnels, physiques et sociaux élevés. À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas garantir que des coûts cognitifs ne s’ajoutent pas à ce fardeau. Tout clinicien affirmant que ses traitements sont « sûrs et réversibles » sans aucune preuve manque à son devoir fondamental de franchise envers ses patient·es. Une telle approche est inacceptable dans n’importe quelle branche de la médecine, en particulier celle qui s’occupe de jeunes gens complexes et vulnérables.
Sallie Baxendale
Traduction : Nicolas Casaux
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