Stratégie pour un simulacre

Stratégie pour un simulacre

Stratégie pour un simulacre

• Les grands esprits du Pentagone se sont aperçus qu’il s’était passé certaines choses préoccupantes en Ukraine. • Notamment, que la base industrielle de l’armement US est aussi structurée qu’une goutte de mercure sur une dune de sable par grand vent. • Alors, ils lancent un grand plan, une “stratégie”, pour renforcer, c’est-à-dire pour développer, c’est-à-dire pour inventer une base industrielle de l’armement aux USA. • Cela s’appelle NDIS (‘National Defense Industrial Strategy’) et c’est aussi solide et sérieux qu’un éclair au chocolat.

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Spoutnik.News’, peu aimé des bureaucrates du Pentagone (et pas plus des bureaucraties de l’Union Européenne), a publié un article assez critique, avec des sources nommées, concernant un document qui vient d’être présenté par le Pentagone. Il s’agit du document NDIS (“la” NDIS, ou ‘National Defense Industrial Strategy’) proposant une stratégie pour le renforcement, ou la modernisation, ou l’établissement, ou la fabrication on ne sait, d’une base industrielle de défense aux USA. Un chercheur du groupe d’analyse et de réflexion EMP, ancien officier des forces armées et planificateur au Pentagone, David T. Pyne, dit qu’« il est peu probable qu’elle fonctionne correctement ». Cela signifie, selon ce jugement pondéré, qu’il est probable qu’elle ne fonctionnera pas, ni n’existera d’ailleurs.

Le plus remarquable, à notre sens, est cette remarque de présentation qu’en fait l’article, où il est recommandé de noter attentivement l’expression “toute première”. On cite mot à mot :

« Le ministère américain de la Défense (DoD) a récemment publié sa toute première stratégie industrielle de défense nationale (NDIS), concernant l’engagement du Pentagone, l’élaboration de politiques et les investissements dans la base industrielle au cours des cinq prochaines années. »

Cela signifie, et on peut aisément le croire, qu’il s’agit de la première fois qu’est proposée une stratégie pour établir une base industrielle pour la production d’armement, – c’est-à-dire une “politique-industrielle”. Cela signifie en plus, pour aller dans le détail historique de l’appréciation :

1) Qu’il n’y en a jamais eu auparavant depuis qu’existe l’industrie moderne de l’armement, et c’est plus que probable car les USA se sont embarqués dans la production maximale de guerre en 1940-1941 sans aucune stratégie précise, ce qui contrevenait (et contrevient toujours) aux principes du capitalisme américaniste et à la libre-entreprise. C’est l’industrie US elle-même qui s’est organisée pour répondre aux besoins soudain massifs de l’administration Roosevelt en 1940-1941.

Note de PhG-Bis : « il faut voir le cas de Ford, refusant de développer la fabrication d’armement avant le Pearl Harbor du 7 décembre 1941 parce qu’Henry Ford était isolationniste et anti-guerre, en plus d’avoir des sympathies pour Hitler ; puis démarrant avec la guerre au quart de tour en créant de toutes pièces [avec les finances de Washington, devenu du capitalisme-socialiste] l’immense usine de Willow Run, qui fabriqua sous licence jusqu’en 1945 plus de 8 000 quadrimoteurs Consolidated B-24 ‘Liberator’, atteignant le rythme de 650 bombardiers produits par mois à l’automne 1944. C’est Henry Ford qui décida tout ça, le gouvernement se contentant de suivre et de financer lorsque l’industriel décidait d’y aller avec une formidable expérience d’organisation industrielle. La guerre terminée, Ford ne s’occupa plus de machines de guerre et redevint ce qu’il était. »

2) Cela signifie que, depuis 1945, la “base industrielle de l’armement” s’est maintenue toute seule et telle qu’elle, selon le flot continu des commandes du complexe militaro-industriel lui-même formé en 1941-45… Donc qu’elle n’existait pas en tant qu’entité industrielle organisée, donc que c’est bien la première fois que les États-Unis envisagent la création d’une base industrielle de l’armement

3) Que les deux seules interventions gouvernementale sérieuses ont eu lieu
• en 1947-1948, pour sauver l’aviation aéronautique US de l’effondrement total (voir, dans la série d’articles consacrés à ce que nous nommons « Le Trou Noir du XXème siècle » des années1946-1946, l’article « La hantise du retour de la Grande Dépression » :
• en 1993-1996, avec la fin de la Guerre Froide, pour inciter à une restructuration des plus grandes sociétés en quatre ou cinq énormes groupes (Lockheed-Martin, Boeing, Northrop-Grumman, Raytheon, etc.), sous la houlette du secrétaire à la défense William Perry.

4) Que ces “deux seules interventions gouvernementale sérieuses” ont porté essentiellement sinon exclusivement sur l’aspect financier, – ou comment sauver des entreprises de la faillite, comment pousser à des fusions ou des acquisitions entre les entreprises, etc.

En d’autres mots, la stratégie NSDI est bien la première du genre : il n’y a jamais eu de stratégie portant sur l’orientation de la production, sur son rythme, sur le type de produits, etc. Il n’était question jusqu’ici que des trésorerie des entreprises, des gâteries fiscales et des commandes du Pentagone, des bénéfices des actionnaires et de la valeur boursière des entreprises, le reste (production, type de produits, etc.) venant de l’industrie elle-même qui répondait aux appels d’offre du Pentagone.

Objectif de la NDIS

Le document NDIS fait 59 pages et il est officiellement destiné, selon les termes dispensés par des sources de haut niveau du Pentagone, dans l’intention évidente de créer un courant “industriel & patriotique” sous l’impulsion du gouvernement, – une idée qui a rarement eu le moindre succès sauf lorsqu’il s’agit de sauver des entreprises de la faillite…

«  [La NDIS]  vise à aider le gouvernement à créer une industrie de défense moderne et résiliente pour dissuader les adversaires américains et répondre aux demandes de production posées par les défis urgents. »

Ou bien, en termes plus politiques destinés à rassurer les pays-supplétifs des USA dont on attend impérativement un flot ininterrompu de commandes d’armements US, et selon Laura D. Taylor-Kale, secrétaire adjointe à la défense pour la politique de mise en place d’une base industrielle :

« Nous mettons en œuvre la NDIS maintenant pour garantir que notre base industrielle de défense continue à renforcer notre sécurité nationale ici chez nous tout en rassurant et en soutenant nos alliés et partenaires. »

La NDIS détaille divers domaines nécessaires à la constitution d’une base industrielle de l’armement définir (!) comme “avancée”, c’est-à-dire triomphante comme tout le reste qui relève du domaine de l’armement et des forces armées aux USA. On parle essentiellement de chaînes d’approvisionnement résilientes, avec la préparation d’une main-d’œuvre de haute capacité, des acquisitions flexibles selon les nécessités et la répartition des productions, et la dissuasion économique contre des acquisitions d’entreprises par des capitaux étrangers.

Il y a y a un aspect organisationnel qui est souligné, concernant des situations et des initiatives très inhabituelles aux USA, notamment dans le but d’établir ces “chaînes d'approvisionnement résilientes” qui forment le tissu structurel d’une base industrielle. On parle notamment dz l'établissement de partenariats public-privé, – ce qui constitue une sorte de sacrilège pour le capitalisme US, – de mécanismes de partage des risques et des technologies, – autres processus bien étranges pour ce pays où le bien privé de l’entreprise est quelque chose de sacré. Tout cela fait penser, sans parler des habituels et innombrables processus de ralentissement et de blocage communs au monde bureaucratique washingtonien et pentagonesque, à une sorte de slalom spécial à réaliser entre des portes ouvertes qui se ferment automatiquement et avec un bruit féroce lorsque le skieur va les franchir.

L’article mentionne avec respect et un flegme de type poutinien les lacunes et les insuffisances de l’actuelle industrie d’armement US que le document reconnaît très sportivement, et qu’il s’agit donc de combler et de réduire. L’extrait se termine par un passage tombant platement pour dire en termes à peine adoucis : “c’est cela ou la mort”.

« La NDIS reconnaît qu'il existe des problèmes dans la capacité de production nationale des États-Unis. Le document “propose une voie qui s’appuie sur les progrès récents tout en comblant les lacunes restantes et les insuffisances potentielles”.

» L'industrie de défense américaine, selon le rapport, est confrontée à une série de défis, notamment une main-d'œuvre inadéquate, une dépendance excessive à l'égard de sources étrangères pour les matériaux clés, la sous-utilisation des technologies de pointe, des pratiques commerciales déloyales, l'instabilité des achats et les contraintes sur le financement de la défense au Capitole. , entre autres problèmes.

» Le NDIS affirme qu'une incapacité à renforcer la base industrielle du pays pourrait entraîner de graves problèmes pour ses capacités militaires. »

Critique de la NDIS

Le document sur la NDIS a été aussitôt l’objet de critiques diverses. On en retient deux, l’une relative, l’autre fondamentale.  La première, qui est sérieuse mais n’est pas décisive, – sinon qu’elle ouvre la voie à une évaluation décisive qui peut être catastrophique, – concerne la forme même du rapport. On cite Elaine McCusker, chercheuse principale au groupe de réflexion American Enterprise Institute, citée par le site internet de l’hebdomadaire ‘Defense News’.

 « La stratégie décrit le problème, pas la solution. […] Comme la plupart des stratégies de ce type, celle-ci ne parvient pas à fournir un regard sans crainte sur les causes profondes et les actions spécifiques nécessaires à une amélioration rapide, mesurable et durable [concernant la base industrielle américaine]… »

Il s’agit donc de jeter « un regard sans crainte ». C’est ce que semble faire Pyne cité plus haut, après avoir observé dans la citation initiale que la stratégie arrive beaucoup trop tard, qu’elle aurait dû être déterminée et mise en train d’une façon générale depuis au moins deux décennies, et dans tous les cas, pour ce qui concerne l’administration Biden, déterminée dès son entrée en fonction.

Sa critique générale sur cette stratégie commence par un état des lieux qui a été illustrée de façon brutale par le conflit en Ukraine, malgré le financement massif de l’aide des USA.

« “Le conflit en Ukraine a mis en évidence certaines déficiences critiques non seulement dans le stock d'armes américain composé de munitions à guidage de précision et d'obus d'artillerie, mais aussi dans la capacité de la base industrielle de défense américaine à les produire à un rythme suffisant pour approvisionner l'armée américaine, sans parler de ses alliés, lors d'un conflit majeur”.

» Pyne a rappelé les récents exercices de guerre américains, qui, selon lui, montraient que Washington serait à court de munitions à guidage de précision à longue portée dans un conflit de haute intensité en moins d'une semaine. Les États-Unis tentent désespérément de “répondre aux besoins de l’Ukraine en obus d’artillerie de 155 mm et s’efforcent d’augmenter leur production à un niveau supérieur”.

» “Même ainsi, au rythme actuel, il faudra plusieurs années aux États-Unis pour reconstituer leurs stocks épuisés d'obus d'artillerie de 155 mm, de systèmes de défense aérienne portables Stinger et d'un certain nombre d'autres systèmes d'armes fournis à l'Ukraine pour la guerre par procuration de Biden contre la Russie”. »

Perspectives de la NDIS

Pour ce qui concerne la mise en œuvre de cette stratégie et ses effets, Pyne est lugubrement pessimiste. Il juge que, même si elle est appliquée efficacement, – ce qui est toujours un problème gigantesque compte tenu de la lourdeur et des gaspillages bureaucratiques, – il faudra des années pour ce faire, pour parvenir à un résultat insuffisant pour les besoins de la défense des États-Unis. Pour faire bref, Pyne met l’accent sur ses doutes profonds concernant la NDIS, en introduisant par ailleurs un élément de grande importance qui détermine l’ensemble du problème :

« Pyne a déclaré qu'il avait des doutes quant à l'efficacité de cette nouvelle stratégie, étant donné “l’affaiblissement continu de la puissance militaire américaine”  sous l’administration Biden. »

Ce facteur de l’affaiblissement de la puissance militaire US, qui est un élément fondamental se révèlant actuellement à une grande vitesse et comme étant d’une envergure exceptionnelle, conduit Pyne à donner un avis révolutionnaire sur la stratégie militaire des USA. Il le fait en introduisant un élément inédit à notre connaissance, qui est la capacité de la défense antimissile des USA, c’est-à-dire l’élément clef de la sécurité des USA, considéré selon une vision du type ‘America First’ (néo-isolationniste) des USA, avec recommandation de retrait des forces stationnées sur la myriade actuelle de bases extérieures au territoire continental :

« L'ancien officiel du Pentagone a exhorté le DoD à se concentrer sur la défense stratégique et intérieure plutôt que sur la “projection de puissance militaire conventionnelle”.

» Il a souligné que la révision du potentiel américain de défense antimissile ne peut être mise en œuvre sans le retrait des troupes américaines d’Europe de l’Est et du Moyen-Orient. »

C’est-à-dire que l’on quitte le seul domaine de la base industrielle de l’armement des États-Unis pour la mise en question fondamentale de la politiqueSystème. L’idée est que la NDIS ne peut fonctionner que si les structures de la puissance militaire orientées vers l’intervention extérieure systématique sont modifiées de fond en comble pour être transformées en structure de défense du territoire. D’une façon assez étonnante, cette formule rejoint la formule de la puissance militaire russe, elle-même axée sur la défense de la Russie, cette défense pouvant devenir, comme en Ukraine, une “défense active” sinon une “défense agressive” contenant en elle-même la possibilité de pousser vers l’extérieur (en général l’extérieur proche”) lorsque la menace se fait trop forte.

On voit bien que Pyne, pourtant expert étranger à la politique et non-idéologisé comme le sont les “experts” (en général des journalistes de la presseSystème et des publicistes) sur lesquels s’appuient les neocon, donne une explication stratégique et rationnelle d’une politique effectivement de type ‘America First’ favorisée aujourd’hui par les populistes US qui vont de Trump à Robert Kennedy Jr. C’est dire en d’autres mots que la NDIS est un exercice futile qui n’a aucune chance d’être appliqué dans le climat d’affrontement et de confusion actuel, l’opposition radicale en cours entre les globalistes qui préfèrent envoyer des armes à Zelenski qu’en équiper les forces US, et la crise profonde et catastrophique qui touche un Pentagone qui ne parvient plus même à recruter les forces de base pour entretenir et manier le matériel disponible puisque l’accent est mis sur les facteurs d’inclusion idéologique (LGTBQ+ et le reste) plutôt que sur les capacités technologiques et opérationnelles.

Note de PhG-Bis : « Malgré le caractère très américaniste du propos, PhG a recommandé de ne pas le mettre sous rubrique ‘RapSit-USA2024’ dans la mesure où le processus décrit, s’il est maxi aux USA, touche tous les pays du bloc-BAO. La chance, bien possible après tout, serait que les USA en meurent avant que nous n’agonisions nous-mêmes : “Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés”. »

Par ailleurs et dans tous les cas, même dans l’idéal du meilleur des climats par rapport au problème, comme celui de l’Amérique en guerre de la fin 1941, il est largement prouvé comme on l’a compris plus haut que la puissance colossale des industries et de leurs soutiens financiers s’appuie sur un refus complet de l’interventionnisme étatique, – sinon pour les subventions bien entendu… Nous sommes en effet dans un régime de “capitalisme socialiste”, où les dépenses sont assurées par la puissance publique, et la stratégie industrielle et les bénéfice sont réservées au secteur privé (avec retour sur le donateur par les dons de corruption des dames et des hommes au pouvoir). Pour l’industrie, il n’est donc pas question d’une “stratégique industrielle” qui ressemblerait à une planification, – quasiment du communisme stalinien pur et dur pour toutes ces têtes épiques et bien faites pour la comptabilité !

D’autre part, le problème de cette future base industrielle de l’armement est tranché depuis longtemps, depuis la délocalisation entreprise sous l’administration Clinton qui a peu à peu privé l’industrie d’armement d’une autonomie nationale, avec les productions classiques et peu glorieuses (mais absolument nécessaires) laissées aux diverses colonies extérieures . S’y est ajoutée très récemment comme cerise moderniste sur le gâteau déstructuré l’orientation catastrophique avec le développement de l’idéologie wokenisme/LGTBQ+. Le programme DEI (“Diversité et Inclusion”) que le monde industriel et financier s’est imposé accélère d’une façon démente la non-spécialisation ou la spécialisation-simulacre du personnel et la catastrophique incompétence des forces du travail aux USA, donc avec les effets tout autant catastrophique sur les capacités de création, sur l’organisation et sur la production.

Vous vous rappelez ce passage ?

« Pourtant, les critiques de cette décision craignent que l’accent mis sur les politiques DEI ne rende les vols moins sûrs. Il s’agit notamment d’Elon Musk, qui a tweeté “Voulez-vous voler dans un avion où ils ont donné la priorité à l’embauche de DEI plutôt qu’à votre sécurité ?” »

 

Mis ebn ligne le 24 janvier 2024 à 09H45

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

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