Invitée du 7 au 12 novembre, au festival Nature nomade à Nantes, l’autrice de Mutismes et Pina, Titaua Peu donne à voir une image crue de Tahiti, ce « paradis » vérolé, abimé par la violence, le colonialisme, le fait nucléaire, la surconsommation ou l’alcool. Entretien.
Sur quoi et pourquoi êtes-vous en train d’agir en ce moment, sachant que ce moment peut durer depuis longtemps et peut durer encore longtemps ?
Ce qui m’interpelle, depuis que j’écris, ce sont les conséquences des essais nucléaires puisque je suis antinucléaire depuis mon adolescence. Je m’engage aussi pour un pays libre institutionnellement, c’est-à-dire indépendant tout simplement. Je me bats enfin contre la colonisation, sous toutes ses formes, même si aujourd’hui avec le recul et surtout ce qu’on appelle « principe de réalité », on sait très bien que l’indépendance n’existe pas et qu’il n’existe que des interdépendances.
Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours dont tu parles dans tes livres. Tu es une polynésienne déracinée.
Je suis une fille d’iliens. Nous n’avons pas de racines sur l’île de Tahiti. Ma mère vient des Marquises, à 1 000 km au nord de Tahiti. Mon père vient de l’île de Taha’a qui se trouve dans l’archipel des îles Sous-le-vent. Tous les deux ont quitté leur île d’origine pour venir travailler à Tahiti dans les années 60, puis se sont retrouvés en Nouvelle-Calédonie pour travailler dans les mines de nickel. Là-bas, ma mère a donné naissance à ma sœur et moi. Nous avons donc vécu un double déracinement, puis sommes revenus enfants à Tahiti où nous avons grandi. C’est devenu mon pays. Les sources, les racines, la terre d’où ils sont originaires, sont des notions fondamentales chez les Polynésiens. Malheureusement, je fais partie de ces générations n’ayant pas vécu sur les terres ancestrales, mais en banlieue de Papeete.
Tu considères essentiel que les Polynésiens se réapproprient leur histoire, que les artistes, les écrivains disent leur pays, leurs racines, leur terre. Pourrais-tu expliquer la colonisation française à Tahiti ?
Elle s’est faite dans un contexte global de colonisation. Tahiti est devenue française suite à son annexion le 29 juin 1880. Pourtant, Tahiti a été « découverte » (par les Blancs) d’abord par les Anglais et Samuel Wallis en 1767. Louis-Antoine de Bougainville y accostera en 1768, et James Cook en 1769. Suite à cela, la Polynésie sera évangélisée à marche forcée. À l’époque, les relations étaient plus développées avec le monde anglo-saxon, puisqu’en Océanie nous sommes entourés d’anciennes colonies comme la Nouvelle-Zélande ou l’Australie. La communauté anglaise en Polynésie était très forte. Évidemment, l’Empire français et l’Empire anglais avaient des velléités de possession, ce qui fait que nous sommes devenus Français dès le protectorat, en 1843. On ne comprend pas encore très bien pourquoi l’Angleterre n’a pas voulu prendre possession institutionnelle de la Polynésie.
Ce qu’on n’apprend pas aux élèves en classe, c’est que la mise sous tutelle française de la Polynésie ne s’est pas faite aussi paisiblement que ce qui est prétendu. Il y a eu des guerres entre Français et Tahitiens, plutôt entre Tahitiens pro-français et pro-anglais. Aux îles Sous-le-Vent par exemple, l’armée française s’en est prise aux résistants. Les survivants ont été exilés de force. La terre était récupérée au profit des colons. C’est un phénomène dont on ne parle pas, puisque les colons de l’époque sont les grandes familles d’aujourd’hui qui ont pris les terres autochtones. C’est une colonisation qui n’a jamais dit son nom, fruit de guerres coloniales qui n’ont jamais dit leur nom.
Je souhaite qu’on dise notre histoire nous-même afin qu’elle ne soit plus atténuée. Pendant longtemps, les historiens – très peu de Tahitiens– parlaient de « contact ». Alors que ce contact a été très douloureux. Ensuite on a parlé de « Mariage avec l’État français ». Mais l’État s’est surtout marié de force avec le peuple, et plus facilement avec la royauté tahitienne ! On est complètement à côté de la vérité. Aujourd’hui, la parole et l’écriture ont été libérées. Nous manque encore la recherche approfondie des circonstances de notre colonisation.
En 1958, il est temps de faire de la France une puissance nucléaire. Par chance, elle a des territoires reculés sur lesquels on peut faire sauter allègrement des bombes atomiques. De 1966 à 1998, l’État français fera ainsi 193 essais nucléaires en Polynésie. Peux-tu en dire un mot ?
Puisque l’Algérie est devenue indépendante en 1962, la France cherche un autre site pour ses essais nucléaires. Le pays possède dans ses colonies ses outre-mer, qui comptent – je cite le général De Gaulle – « quantité négligeable » d’êtres humains, en fait d’habitants. On choisit les atolls de Moruroa et Fangataufa dans l’archipel des Tuamotu. Sur la question nucléaire, non seulement mon pays est divisé, mais l’histoire a aussi du mal à s’écrire. Les archives ont été déclassifiées, il faudra donc un moment pour faire l’état des lieux de ce qui a été accompli dans le très grand secret.
Moruroa, c’est l’atoll du secret. Le général De Gaulle s’y est rendu dans les années 60 pour décréter que les essais se dérouleront dans les Tuamotu, un archipel éloigné de Tahiti. Du jour au lendemain, dans les années, nous avons vu la construction d’un aéroport international, des routes goudronnées, une infrastructure immense pour installer le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP, ndlr). Du jour au lendemain, on a assisté à un exode rural, une désertification de nos archipels vers l’île de Tahiti, devenue le centre d’une effervescence autour de la bombe nucléaire.
Beaucoup s’opposent sur le fait que nous ayons été d’accord ou pas. Il faut rappeler qu’à cette époque, la Polynésie n’avait aucun gouvernement local, aucune autonomie ! Elle était gérée par un Préfet, un gouverneur qui prenait ses instructions de Paris. La Polynésie n’est devenue autonome qu’en 1984. Quand le général De Gaulle est venu imposer ses essais nucléaires, beaucoup de Tahitiens avaient combattu dans les Forces françaises libres en Afrique. Ils avaient gardé une grande admiration pour cet homme. En 1965, Hiroshima et Nagasaki, c’était très vague. La télévision n’était pas encore un outil populaire… Les Polynésiens ont accueilli cette nouvelle sans se poser beaucoup de questions, alors même que les dignitaires et les instances religieuses étaient totalement pour ces essais !
Il se dit que l’Assemblée polynésienne avait facilement approuvé la mise en place du centre des essais nucléaires…
C’est faux. Charles de Gaulle avait menacé le représentant de l’Assemblée permanente de l’époque d’un couvre-feu martial sur la Polynésie si nous nous étions opposés. Ces faits sont remontés en mémoire et dans le discours public dans les années 2004, lorsque le premier gouvernement indépendantiste a été élu. Il a fallu une enquête menée au sein de notre assemblée pour comprendre que nous avons été menacés de voir l’armée française prendre les rênes de notre pays.
Le premier essai a lieu en 1966, on évacue donc Moruroa. On dit aux habitants qui pourraient vivre à portée des ondes radioactives de ne pas boire l’eau pendant quelques jours, de se cacher sous les cocotiers…
Ce sont les îles alentours qui ont souffert énormément. En septembre 1966, un tir a vu une trajectoire des retombées qui n’était pas du tout prévue sur l’île de Tureia qui se trouve plus au sud. Rien n’a été fait pour la protection des habitants. On leur a juste dit : « ne buvez pas l’eau », avant de les parquer dans des abris sommaires, pendant que les officiels, les militaires étaient protégés dans des bunkers. Le poisson a aussi été interdit à la pêche, on a demandé aux habitants de décontaminer des matériaux, simplement avec de l’eau.
Les essais nucléaires ont des impacts écologiques gigantesques et puis il y a des humains, cette « quantité négligeable » qui représente quand même des milliers de victimes des maladies radioinduites. Connait-on le nombre exact ?
On n’a pas vraiment de données épidémiologiques sur les retombées des essais. C’est le parcours du combattant pour aller prouver que l’on a été irradié au-delà des normes validées par le gouvernement français depuis la loi Morin. Les anciens travailleurs se raréfient, puisqu’ils sont tous ou presque décédés. Le drame du nucléaire, c’est qu’il tue au long cours. Malheureusement, les études sur les maladies transgénérationnelles n’ont pas encore pu être mises en place. J’espère que ça viendra avec le nouveau gouvernement. Il faudra y mettre des moyens pour remporter ce bras de fer avec l’État français qui doit, non seulement indemniser les victimes, mais aussi demander pardon.
Les stigmates sont donc écologiques, sanitaires, économiques et sociologiques. Tes livres en témoignent.
La mise en place du CEP, c’est le déracinement, des impacts sur la culture, les langues vernaculaires qui se perdent peu à peu. Comment parler de mon pays aujourd’hui ? Je suis triste pour la jeunesse, je suis vraiment malade aussi de toutes ces inégalités qui n’ont fait que se creuser depuis les années 90. On assiste à une flambée des prix. Sur une petite île comme Tahiti, nous sommes 190 000 habitants, c’est énorme en termes de promiscuité, de densité. En 5–6 ans, j’ai vu une population qui dort dans les rues, des familles entières qui ont tout perdu. La rue à Tahiti n’est pas plus paradisiaque qu’à Paris ! Ce pays est devenu hyperlibéral. Nous sommes une collectivité française, mais n’avons aucune aide, pas de RSA, pas d’allocation chômage… Les habitants d’autres départements outre-mer ont plus de chance que nous. Souvent, on nous dit : « allez travailler la terre, allez pêcher ! » Comment voulez pêcher dans un océan pollué, travailler une terre qui n’existe plus ou qui est devenue insupportablement chère. À Tahiti, un T4, c’est 600 000 €. Comparé à la France, pour la fonction publique, je pense que nos salaires sont beaucoup plus élevés, mais dans le privé, les salaires sont ridicules. Or la vie coûte en moyenne 30% plus cher qu’en France.
Des milliards ont été déversés sur la Polynésie, déracinant des gens qui ont quitté leur terre et leur campagne pour aller travailler à Tahiti, à Papeete. La dépendance s’est accentuée vis-à-vis de la métropole avec un aéroport international, ce qui veut dire plus d’importation, de denrées venues de métropole, l’arrivée des McDonald’s, et derrière l’obésité…
Ajoutons la bétonisation des lagons, la privatisation des bords de mer, comme dans le sud de la France avec une absence d’aménagement du territoire, de gestion de l’espace. On nous reproche de ne pas avoir vu venir les choses, mais j’aimerais rappeler qu’à cette époque, la gestion de l’urbanisme revenait à l’État qui devait se charger de la gestion de notre espace. Qu’a-t-il fait ? Réserver l’immobilier pour ses personnels militaires. La disponibilité de l’immobilier, dès cette époque, s’est faite rare. Les prix ont augmenté. L’inflation qu’on vit est le produit d’un système qui a été mis en place dans les années 60 : nous faire passer d’une économie de subsistance, de société rurale traditionnelle, à une société de service en très peu de temps. Nous sommes devenus une économie de comptoir, alors qu’avant la mise en place du CEP, nous avions une balance excédentaire. Au-delà du scandale sanitaire écologique, il y a ce scandale de la perte de nos richesses. Nous étions un peuple riche, nous sommes devenus un peuple qui subit. C’est le scandale le plus important de la colonisation et l’air nucléaire.
C’est tout ça qui t’a fait prendre la plume ?
Oui. Ce pays souffre de violences institutionnelles inouïes. Ici, l’autoségrégation est presque la norme dans nos administrations, nos hôpitaux… Nous nous méprisons nous-mêmes. Enfant, j’ai assisté aux injustices qu’on faisait à ma mère qui travaillait pour des « Demis », ces couples métis qui souvent ont le pouvoir et l’argent. La Polynésie s’est retrouvée partagée en différentes classes sociales et groupes ethniques : entre les « autochtones » qu’on retrouve au bas de l’échelle et les « Demis » qui souvent ont l’argent le pouvoir et cetera. Il y a aussi le fait que nous nous sommes installés dans un quartier populaire de Papeete qui concentre beaucoup de familles issues de l’immigration des îles, attirées par le nucléaire. Je voyais que quelque chose n’allait pas, qu’on était dans une société à deux ou trois vitesses.
Comme j’ai eu la chance de ne pas avoir la télé, j’ai beaucoup lu. De fil en aiguille, j’ai écrit des histoires d’adolescence exprimant ce que je ressentais comme totalement discriminatoire. C’est pourquoi j’ai voulu mettre en scène des personnages de jeunes filles, symboles de mon pays, dans ce qu’il a de plus vulnérable.
À ce propos, il y a aussi le phénomène de l’inceste. Je ne dirais pas que c’est culturel, par contre ce que je peux dire, c’est que le fait de vivre dans une misère sociale, morale et sexuelle, ne peut aboutir qu’à des familles où des prédateurs existent, des malades qu’on ne soigne pas, qui s’en prennent à des petites proies – petites filles ou garçons. Cet état de fait me semble être dû à une grosse mésestime, un désamour de nous-même. Dans notre peuple, la disparition des repères pousse certains à commettre des actes irréversibles. Et surtout, cette misère sociale qui fait qu’on est obligé de vivre parfois à 30 personnes dans un F3, dans des bidonvilles.
Est-ce que l’élection du Parti indépendantiste en Polynésie est un signe d’espoir ?
Il n’y a aucun doute là-dessus. Nous avons des espoirs, nous attendons aussi des actions, des actes forts pour dire à l’État français – puisque c’est l’interlocuteur principal – « engagez-vous dans cette promesse que vous avez signé au sein de l’Organisation des Nations Unies : la décolonisation de vos territoires ». Nous sommes conscients des urgences sociales et climatiques. Je veux bien qu’on soit soumis au principe de réalité, mais quelquefois il faut aller agiter cette réalité, sinon rien ne se passe. S’il faut être patient, on ne peut pas non plus vendre son âme au diable.
Il y a un dossier que les indépendantistes ont sur les bras, ce sont les JO de Paris 2024. Le président Moetai Brotherson a dit qu’il souhaitait que ça se fasse à Tahiti pour la compétition de surf, discipline qui serait née ici. Est-ce une raison suffisante ?
Pour l’instant, la population est mitigée. Beaucoup d’annonces sont faites concernant les bienfaits de ce genre d’évènement, sauf qu’on vient d’apprendre qu’une infrastructure comme une simple tourelle dans le Lagon coûtera au peuple 500 millions de francs ! C’est juste incroyable, une tourelle de 20 m² en aluminium dans un lagon, mais qui devra être climatisée contrairement à celles qui existent déjà. Au fond, je sais qu’on va morfler. Absorber tous ces visiteurs est impossible. On n’a pas assez de places d’hôtellerie. Il y aura sans doute quelques retombées positives, mais ce sont surtout les grosses boîtes qui vont s’empiffrer. C’est déjà un scandale.
Le Tavini Huiraatira avec Oscar Temaru a historiquement toujours placé le sport comme une niche de développement pour notre pays. Mais aspirer autant de monde dans si peu et en si peu de temps me paraît inquiétant. Je doute que nous ayons les capacités pour accueillir cette vague de personnes supplémentaires, même si le tourisme en Polynésie est important.
Le tourisme, c’est aussi une forme de colonialisme qui ne dit pas son nom. Qu’est-ce que tu voudrais dire aux personnes qui veulent aller en Polynésie, soit pour faire du tourisme, soit pour s’y installer ?
Le tourisme ne me gêne pas. Ce qui me gêne c’est l’expatrié qui vient s’enrichir sans rien donner en retour. À l’époque, nous avions l’habitude de voir des Français venir s’installer mais qui étaient médecin, infirmière, etc., qui avaient un rôle dans notre société. Aujourd’hui, c’est de moins en moins le cas. Je ne veux pas faire du racisme économique, mais nous n’accueillons plus la crème de la crème. Beaucoup sont irrespectueux.
Le tourisme est la première source de revenus du pays. Mais si on se focalise sur le tourisme en oubliant d’autres secteurs, on va se retrouver comme lors du covid où tout s’est arrêté. Le gouvernement actuel souhaite voir 600 000 touristes arriver par an. On oublie toutes les infrastructures à mettre en place, que c’est un très petit pays et que la gestion des eaux n’est absolument pas efficace. L’assainissement des eaux usées n’est toujours pas d’actualité dans nos communes : il y a toujours du tout-à-l’égout qui se retrouve dans le lagon. En août 2023, l’île de Maui, à Hawaï, a été ravagée par les flammes, faisant des centaines de victimes. Hawaï, pourtant en avance sur l’accueil du tourisme, n’a pas pu faire face à cette urgence liée au réchauffement climatique. Hawaï un État américain… Et nous voudrions ne pas penser à ce qui pourrait arriver si l’on n’est pas préparé à une gestion justement éco-durable du tourisme. Faisons attention à nos prétentions !
Le discours que tu portes est-il dans les esprits de beaucoup de Polynésiens ?
Pas concernant le tourisme, malheureusement. On nous a toujours mis dans la tête que nous étions un peuple d’accueil, un peuple de tourisme, alors que peut-être qu’on se rendra compte un jour que l’idée n’est plus de correspondre à l’image que le Blanc, le visiteur, a de nous ; mais de correspondre à ce qu’on est vraiment. Nous ne sommes pas que fête ou accueil. On a des traumatismes issus de la colonisation, issus du nucléaire, qu’on n’a même pas encore guéris.
Il faut repenser notre industrie touristique, parce qu’on sait que beaucoup de familles polynésiennes font partie de ce qu’on appelle les prestataires, qui vivent autour de cette industrie. Faisons le pari d’avoir nos propres cadres touristiques. Dans un hôtel c’est systématiquement un Français qui en assure la gestion. Sommes-nous prêts à reprendre les rênes de cette industrie ? Je n’en suis pas convaincue, observant les groupes hôteliers internationaux s’installer si facilement avec des défiscalisations à outrance sans employer de main-d’œuvre locale, sauf pour les petits postes. Si on veut parler de tourisme, il faudra repenser cette industrie en fonction d’une gestion polynésienne, voire océanienne.
Que dire à ceux qui, pour votre bien évidemment, répondent aux indépendantistes : « Vous n’y pensez pas ! Si vous êtes indépendant, demain la Chine vous possédera ! »
Ce n’est pas parce qu’on est indépendant qu’on va se mettre sous la tutelle de la Chine. Être indépendant n’est pas remplacer une tutelle par une autre. C’est se faire respecter, d’abord, et travailler ensuite ses relations avec qui de droit dans l’océan Pacifique. C’est aussi ce que j’essaie de transmettre dans mes livres. Les mouvements indépendantistes veulent mettre l’accent sur l’éducation des populations. Mes livres sont au programme, et dieu merci on a des professeurs – d’ailleurs certains métropolitains – très intéressés par la littérature tahitienne. Je fais l’objet d’études au sein de l’Université du Pacifique de la Polynésie, et je sais que, dans les familles, on se partage aussi Pina ou Mutismes. La transmission fonctionne. De plus en plus de jeunes s’emparent du sujet de l’indépendance. L’élection du Tavini Huiraatira avec beaucoup de jeunes sur les listes est une très bonne chose.
Qu’est-ce qui te fait continuer à te battre ?
Cette question est très importante, en même temps elle me fait mal… J’ai eu la tentation de tout arrêter, de partir pour ne plus rien avoir à faire avec ce pays mais non… Non, ce pays coule dans mes veines. C’est un cœur erratique qui veut parler, écrire encore. Plus rien ne bouge ici, c’est devenu un pays de consensus, de guimauve, alors qu’il va exploser. Je reste, parce que je ne veux pas qu’il explose, je veux que les petites gens de mon pays, ceux qui sont donnés comme des chiffres dans les régimes sociaux locaux, retrouvent leur fierté. Je ne veux pas qu’ils soient à nouveau sous une chape de plomb, parce qu’il ne faut pas dire ce qui dérange, encore moins aujourd’hui que le gouvernement a changé.
Moetai Brotherson est très apprécié, ce qui est très bien, et je félicite ce changement. Par contre il ne faudrait pas qu’on se laisse aller à trop de complaisance alors que des personnes, nombreuses, meurent de solitude, meurent d’être des femmes. Il y a quelques semaines, une femme s’est fait tuer par son mari. Elle venait d’accoucher, son bébé avait moins d’un mois et son mari l’a tuée à coup de bouteille… Ça ne scandalise plus notre société. C’est pour cela que je ne peux pas raccrocher. Je suis en train d’écrire un troisième livre, une disruption, un moment où tout éclate, tout est anéanti pour donner vie à autre chose. Un livre que j’appellerai « d’anticipation » sur le futur de la Polynésie, ouvert à d’autres personnages venus de l’extérieur avec une mission : sauver un pays au bord de l’asphyxie.
Source: Lire l'article complet de Le Partage