Oser lutter, organisés pour gagner!

Oser lutter, organisés pour gagner!

L’auteur est membre retraité du SNPCV. Il a été opérateur à l’usine de 1978 à 2012 et président du syndicat de 1986 à 1994 et de 2003 à 2012.

Longueur du texte : 5000 mots

À propos

Dans la région, la contribution du Syndicat national des produits chimiques de Valleyfield – CSN est majeure. L’action syndicale et politique de cette organisation ouvrière a :
– Assurer la pérennité de l’entreprise qui avait un apport économique en 1993 de 35 millions $ (72 millions $ en chiffres d’aujourd’hui).
– Mener des luttes exemplaires sur le front de la santé-sécurité au travail qui ont fait école au Québec.
– Forcer le cinquième plus gros pollueur au Québec à se conformer aux normes environnementales des rejets industriels.
– Mener une expérience avancée de démocratisation du travail par la coopérative de travailleurs-investisseurs.
 

Les principes qui traversent l’histoire du SNPCV

Organiser la solidarité

«La solidarité n’est pas qu’un slogan. La solidarité, ça s’organise de façon systématique.»

Comment?
– Contact personne à personne.
– Fédérer les revendications.
– Agir pour bâtir un rapport de force favorable aux travailleurs.
– Bâtir la solidarité par l’action syndicale autonome c’est-à-dire d’abord développer le point de vue ouvrier sur toutes les questions concernant le travail. Diversification de la production, ancienneté, santé et sécurité au travail, transparence
économique, modernisation de l’usine, changements technologiques, appui de la population aux revendications syndicales.

– La liberté d’action syndicale et l’information syndicale autonome.

Ces grands principes transpirent des luttes syndicales du SNPCV de sa fondation en 1966 jusqu’à aujourd’hui.
 

1966 – La syndicalisation : Organiser la solidarité des membres pour le respect et l’ancienneté

Travailler dans une usine dont la production a un caractère militaire (production de poudres propulsives et explosifs brisants) c’est avoir un travail instable. Comme le disait un vieil ouvrier «quand ça va mal dans le monde, ça va bien à la shop. Quand ça va bien dans le monde, ça va mal à la shop».

Donc, l’usine construite en 1941 par la Defense Industries Limited (DIL) pour la Seconde Guerre mondiale et opérée par une société de la couronne «Les arsenaux canadiens» pendant la guerre de Corée, est privatisée en 1965. C’est la multinationale CIL qui en fait l’acquisition et qui fera des affaires d’or pendant la guerre du Vietnam.

C’est à la deuxième tentative d’organisation que les travailleurs et travailleuses décident d’adhérer à la CSN – Fédération de la Métallurgie. Pourquoi? Pour faire respecter l’ancienneté lors de mises à pied (qui étaient fréquentes à cause de la trop grande dépendance au marché militaire) et pour le respect. La rumeur courait que certains contremaîtres exigeaient de coucher avec la femme de travailleurs en retour de leur maintien à l’emploi. C’en était assez. La campagne de syndicalisation se déploya, contact de travailleurs par contact de travailleurs, pour bâtir l’unité et la solidarité nécessaire et en juin 1966, avec une grande majorité d’ouvriers, le Syndicat national des produits chimiques de Valleyfield – CSN était organisé. Enfin, on pouvait traiter d’égal à égal avec la multinationale CIL. En même temps, la CSN fonde le Conseil central du Sud-Ouest, structure régionale de solidarité pour tous les syndicats CSN du Suroît.

Entre 1966 et 1988, suivront plus de 400 jours de grève, lock-out entre le SNPCV et CIL – CPCV – Expro, une enquête publique sur l’administration de la santé-sécurité à l’usine, dénonciation syndicale sur le déversement de 40 tonnes d’acide par jour dans le fleuve, revendications syndicales sur la modernisation et la diversification de la production vers les marchés civils pour stabiliser l’emploi, l’organisation de la coopérative des travailleurs et travailleuses en produits chimiques du Suroît détenant 32 % du capital-actions de la compagnie et la modernisation de l’usine avec SNC-Lavalin.
 

1971 – On se laissera pas faire : Diversifier la production avec la fin de la guerre du Vietnam

CIL effectue 300 mises à pied. Encore une fois, les travailleurs constatent que l’emploi dépend de la volonté gouvernementale. Le 9 novembre, l’assemblée générale adopte une proposition exigeant la fabrication de produits commerciaux et l’obtention de nouveaux contrats. Avec l’aide du service de recherche et des économistes de la CSN le syndicat produit un document intitulé «On se laissera pas faire» qui prouve la faisabilité de maintenir et développer la production de TNT à des fins commerciales (pour les mines), production d’acide acétique (vinaigre) et nitrocellulose commerciale utilisée dans les peintures.

L’action syndicale autonome

Née d’une collaboration CSN, enseignant-es et étudiant-es du CÉGEP de Valleyfield, la revendication de diversification de la production vers les marchés civils sera publicisée par cinq articles (point de presse du syndicat) dans les journaux locaux. L’objectif est de faire pression sur la compagnie et le gouvernement fédéral. Cette action syndicale sur le terrain politique visait à avoir gain de cause pour l’emploi.

CIL qui avait l’intention de diversifier sa production vers d’autres marchés, fit la sourde oreille à cette revendication et planifiait en secret la vente de l’usine de Saint-Timothée.

La diversification de la production, ce n’était pas pour l’usine de Saint-Timothée.
 

1975-1976 – La santé-sécurité comme fer de lance de l’organisation de la solidarité des membres

L’année 1975 fut une année de préparation intensive pour le renouvellement de la convention collective.

D’abord, suite à la grève de cinq jours en 1974 pour rouvrir la convention collective pour indexer les salaires à l’inflation galopante dans les deux chiffres. CIL avait intenté une poursuite de 160 000 $ (ce qui représenterait environ 840 000 $ aujourd’hui) contre le syndicat pour grève illégale.

Cette grève s’inscrivait dans un mouvement national CSN-FTQ, de lutte contre l’inflation. Le syndicat revendiquait donc l’abandon par CIL de cette poursuite.

De plus, le syndicat entend faire de la santé-sécurité l’enjeu principal de la négociation de 1976. Avec 10 % des travailleurs atteints de maladies professionnelles et une campagne systématique auprès des membres et dans la presse locale des «faux prix de sécurité» octroyés à l’usine par le siège social de CIL, les membres du syndicat boycottent avec succès la séance de visionnement gratuite des films de l’affiche du cinéma Bellerive.

Le 24 février 1976, les membres votent la grève à 90 %. On veut une clause de santé-sécurité intégrée à la convention collective avec un comité paritaire ayant pleins pouvoirs et le droit de refuser un travail dangereux. La grève durera six mois et les travailleurs eurent gain de cause. Pour ce qui est de la poursuite de 160 000 $, on régla hors cour pour les frais d’avocat soit, 36 000 $. La campagne de boycott des produits CIL et son effet régional a porté ses fruits grâce à l’appui de la population.
 

1977 – Vente de l’usine à CPCV (Corporation des produits chimiques de Valleyfield) à Gérald Bull (le marchand de canons) : Action syndicale sur le terrain politique

En avril 1977, pendant la négociation pour la vente de l’usine, une explosion survient dans le département des explosifs brisants (RDX), causant trois blessés et l’incendie qui s’ensuit fait aussi trois blessés et détruit de nombreux bâtiments. Le syndicat, alors en négociation pour le renouvellement de la convention, dénonce dans les médias régionaux que CIL est responsable de la situation, car la compagnie a négligé la sécurité.

On craint la fermeture, mais, malgré tout, les négociations se poursuivent. La compagnie annonce la fermeture pour le 16 novembre.

Le député libéral fédéral, Gérald Laniel, accuse le syndicat d’apeurer inutilement la population et mentionne que «le syndicat à CIL est un syndicat passablement politisé… ».

Finalement, la convention collective est signée avec le maintien et l’amélioration de la santé-sécurité : comité paritaire décisionnel, droit de refus et le droit du syndicat de participer aux enquêtes en santé-sécurité, qui se dérouleront à l’usine. Un mois après l’achat par CPCV, de l’usine, le syndicat apprend que le fédéral a octroyé une subvention de 11 millions au nouveau propriétaire. Il reste 250 personnes à l’usine, l’incendie du RDX a entraîné la fin des opérations dans ce département. Le nouvel employeur embauchera massivement 380 nouveaux travailleurs.
 

1979-1980 – Pression politique et lutte pour le respect de la convention

En 1979, le syndicat renouvelait la convention collective surnommée «la convention du siècle» avec 18 % d’augmentation salariale, renforcement de la liberté d’action syndicale avec la libération à temps plein avec solde de deux officiers (un chef délégué pour l’application de la convention collective, le président du syndicat pour être partie prenant de toutes les activités santé-sécurité à l’usine).

Suite à l’arrestation et condamnation du propriétaire de l’usine Gérald Bull pour vente d’arme illégale à l’Afrique du Sud, régime d’apartheid, la banque laisse tomber CPCV et en décembre 1979, en manque de liquidité, l’usine est saisie et Price Waterhouse est mandaté pour gérer l’usine et la vendre.

Le syndicat dénonce la vente d’armes illégales comme étant responsable des difficultés économiques de l’usine et apprend que les ouvriers se sont fait voler 1,2 million $ en cotisations de fonds de pension, paye de vacances et cotisations syndicales.

Le syndicat revendique le respect de la convention collective et le remboursement des sommes volées. Il ralentit la production, mène une campagne régionale d’appui auprès de la population. Le syndic Price Waterhouse répond par un lock-out de cinq semaines qui se termine par la récupération des sommes appartenant aux travailleurs. Pour ce qui est des contributions de l’employeur au fonds de pension, les travailleurs devront s’en passer.
 

1980-1983 – La politisation des relations de travail et l’enquête publique

En août 1980, explosion dans un séchoir à poudre : trois morts et 200 mises à pied. Le syndicat occupe les bureaux du député péquiste Laurent Lavigne pour l’application de la nouvelle loi santé-sécurité afin que les salaires et avantages soient maintenus lors de l’arrêt de la production par un inspecteur de la CSST (maintenant la CNESST) qui a apposé des scellés sur l’usine (article 187 de la loi).

En avril 1982, explosion du réservoir d’acide #17, évacuation du village de Nitro.

En janvier 1983, mort d’un travailleur intoxiqué par les vapeurs nitreuses.

En février et mars 1983, nombreux cas d’intoxication par les vapeurs d’éther, dénoncés par le syndicat dans l’opinion publique.

Le syndicat dénonce la gestion santé-sécurité du nouvel employeur Expro (1982) et les enquêtes bidon de la CSST et du coroner Cyrile Delage sur l’explosion du séchoir 280 en août 1980. Il revendique une enquête publique sur la santé-sécurité à l’usine Expro. La stratégie syndicale cible donc le gouvernement du Québec qui est responsable des relations de travail et de l’application de la nouvelle loi sur la santé-sécurité adoptée en 1979. Le syndicat veut que tous les accidents arrivés entre 1977 et 1983 soient passés en revue.

Le syndicat, depuis avril 1982, a l’appui d’un comité de citoyen, une pétition de 4 000 noms et la vente de 3 000 macarons revendiquant une enquête publique pour sauver la vie et les emplois des travailleurs.

En mars, le ministre du Travail, Raynald Fréchette, décrète une enquête publique à Expro.

L’enquête se déroulera du 26 avril 1983 au 14 juillet 1983, soit, 24 jours d’audiences publiques, 65 témoins et 5 644 pages sténographiques.

Dans son rapport, la Commission présidée par le juge René Beaudry reconnait que « les audiences publiques ont été rendues nécessaires par la publicité dans la région de Salaberry-de-Valleyfield, des principaux événements reliés aux décès de quatre travailleurs, à plusieurs cas d’intoxications aux solvants, aux vapeurs nitreuses et à la nitroglycérine, à des brûlures aux acides utilisées dans la fabrication des explosifs. Le syndicat CSN en place a exercé de fortes pressions pour obtenir une enquête publique».

La conclusion du rapport tombe comme une tonne de brique :

«Il apparait évident à la lumière des accidents, de l’analyse de l’organisation du travail et de la faiblesse de la formation que le facteur production a largement été prioritaire dans cette usine, dans les faits de la fonction santé-sécurité et environnement de travail, notamment de 1977 à 1983, même sous Expro, jusqu’à la tenue de la présente enquête. Le rang secondaire qui occupait le personnel assigné à la santé-sécurité et l’ignorance manifeste de certains des risques inhérents à la manipulation des divers agents chimiques, en présence témoignent de sérieuses déficiences dans l’organisation du régime santé et sécurité au travail à Expro (p. 235)».

Lors du dévoilement public par la commission Beaudry de son rapport, on pouvait lire dans l’édition du 12 novembre 1983 du journal La Presse :

«Mais tout cet exercice de sensibilisation n’aurait jamais eu lieu sans le travail irremplaçable du syndicat et de ses travailleurs qui pourraient revendiquer un grand rôle dans la relance probable de l’entreprise».

Avec une telle conclusion, la négociation pour le renouvellement de la convention collective de 1983 qui se déroulait en parallèle de la campagne syndicale pour l’enquête publique se solde par un renforcement majeur de la clause santé-sécurité :
– Un poste libéré à temps plein comme responsable syndical de la santé-sécurité.
– Droit collectif de refuser un travail dangereux.
– Droit d’enquête syndicale.
– Aucune perte de salaire et d’avantages du fait d’un accident de travail.
 

1984-1985 – Lutte pour la liberté d’action syndicale et pour la sécurité d’emploi face aux changements technologiques

Une fois les projecteurs de l’enquête publique fermés. La compagnie mena une offensive contre la liberté d’action syndicale du SNPCV en refusant toute libération sans solde des militantes pour activités syndicales. Expro voulait paralyser l’action syndicale autonome du syndicat l’empêchant de mener ses enquêtes indépendantes et développer son expertise ouvrière. L’arbitre déclarera illégale cette décision de refus systématique de l’employeur.

En mars, le syndicat vote la grève à 95 % et après deux mois de grève, les objectifs étaient atteints. C’était l’année du rattrapage salarial, la lutte contre l’assignation temporaire à volonté de l’employeur, une percée sur les changements technologiques et l’étude de la mise en place d’un REER collectif.
 

1986 – Ouverture d’un nouveau front : l’environnement, la modernisation de l’usine et la reconversion industrielle (diversification de la production vers les marchés civils)

Conscient que pour régler la santé-sécurité, la modernisation de l’usine était impérative, le syndicat a eu accès au dossier environnemental de l’usine. Reconnue comme le cinquième plus gros pollueur du Québec, l’usine déversait 40 tonnes d’acide sulfurique par jour dans le fleuve Saint-Laurent.

Les militants entreprirent donc une campagne de dénonciation publique pour forcer Expro à signer le programme de réduction des rejets industriels mis en place par le ministère de l’Environnement du Québec. Pour le syndicat, la seule façon de respecter l’environnement et la santé-sécurité des travailleurs était la modernisation des installations. Un projet de 60 millions $ sous l’initiative du syndicat, un comité de survie de l’usine comprenant des représentants d’Expro, de la municipalité de Saint-Timothée et de la CSN, fut mis sur pied pour interpeller les deux niveaux de gouvernement à Québec et à Ottawa.
 

Ventes d’armes illégales, encore une fois!

En 1987, un événement mit en suspend la stratégie de modernisation de l’usine : un des clients européens d’Expro a été pris dans un stratagème de ventes d’armes illégales lors de la guerre Irak-Iran. Résultat: fin d’un gros contrat et 600 mises à pied et offensive de la compagnie pour déstabiliser les syndicats. Selon Expro c’était la non-productivité des travailleurs qui était à l’origine de la perte d’emploi.

Grâce à la collaboration du syndicat avec le groupe de recherche sur l’industrie militaire et la reconversion industrielle dirigé par le professeur Yves Bélanger de l’UQAM, le syndicat put déjouer et faire dérailler la stratégie d’Expro.

L’affaire sortit au grand jour dans les médias dénonçant la collusion d’Expro et de son client hollandais (Muïden Chemi) dans ce qui s’appelait le «cartel européen des poudres» qui vendait illégalement des armes à l’Iran. Suite à cette affaire, le directeur d’usine fut rétrogradé.

Cependant l’affaire amena l’assemblée générale du 22 novembre 1987 a adopté une proposition revendiquant un programme de reconversion et de diversification de la production. Cette revendication devient la pierre d’assise de la stratégie syndicale en faveur du maintien de l’emploi pour les années qui suivirent.

Les membres refusaient d’être complices avec les marchands de canons et constataient la précarité de l’emploi face à la production militaire.
 

Diversification de la production, sécurité d’emploi et changements technologiques

Lors de la négociation de 1988, le syndicat revendiquait la transparence économique pour bien mesurer l’impact de la perte de contrat du client européen et du scandale des ventes d’armes à l’Iran, aucune mise à pied en cas de changement technologique sauf par attrition volontaire et la diversification de la production pour réduire la dépendance de l’usine face aux contrats militaires.

Expro répondit par 17 semaines de lock-out. Résultat : à bout de ressources financières, Expro a dû céder sur l’ensemble des revendications syndicales et accepta en prime la mise sur pied d’un REER collectif avec contribution égale employeur-employés. Bâtirente (régime collectif de la CSN) était né à l’usine.

Pour ce qui est de la diversification de la production, la compagnie acceptait de participer à un comité d’adaptation de la main-d’oeuvre (CAMO) qui avait le mandat d’évaluer les productions alternatives pour diversifier la production vers les marchés civils.
 

1990-1993 – Fin de la guerre froide, crise financière et coop de travailleurs investisseurs

Avec la fin de la guerre froide, la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique s’ensuivit une chute drastique des contrats militaires et par le fait même une crise financière importante amenant Expro à demander des concessions (baisse de salaire et de bénéfices marginaux dans la convention collective signée sans conflit en 1992).

La réponse du futur président fondateur de la COOP de travailleurs investisseurs, Paul Cossette fut clair : non aux concessions, oui aux actions!

L’assemblée générale du mois d’août 1993 mandate le syndicat d’organiser la coopérative des travailleurs et travailleuses actionnaires en produits chimiques du Suroît et de négocier une convention d’actionnaire favorable aux travailleurs. Le résultat sera approuvé par les membres du syndicat à 88 %. La nouvelle convention collective négociée en parallèle devra refléter ce résultat.

Chaque membre s’engage à injecter 3 000 $ dans le capital social, dont 1 500 $ de mise de fonds provenant soit de ses épargnes personnelles, d’un prêt de la caisse populaire ou du programme Bâtirente et l’autre partie de la mise de fonds en déduction de salaire. L’investissement des travailleurs étant déductibles d’impôts, ces derniers recevront 2 100 $ du montant investi ainsi, les travailleurs deviennent propriétaires pour moins de 1 000 $ d’une usine dont les ventes s’élèvent à 45 millions $. Le montant global de l’investissement sera de 1,2 million $ et les membres acquièrent 32 % du capital-actions ainsi que deux sièges du conseil d’administration des actionnaires et obtiennent 22 droits de véto. Entre autres sur le plan d’affaires, les changements technologiques, l’environnement, la fermeture de l’usine, approbation des états financiers…

Les opérations de l’usine seront cogérées par un comité exécutif de cogestion où siégeront en plus des officiers de la compagnie (directeur d’usine et vice-présidents) les quatre syndicats de l’usine et l’association des cadres (tous membres de la COOP).

Le syndicat a dorénavant un droit de regard sur la production, le processus de production et la finalité productive de l’usine. Ce droit de regard constitue le deuxième et dernier élément nécessaire pour matérialiser le processus de démocratisation de l’entreprise.

Cependant, un événement tragique viendra assombrir la campagne d’organisation de la coopérative : une déflagration dans un séchoir à poudre (bâtiment 286) entraîne deux morts.

L’accident rappelle à tous que la modernisation de l’usine et la santé-sécurité doivent aller de pair pour assurer la pérennité de l’usine.

Côté convention collective, on la renouvelle pour une durée de six ans et on l’appellera «contrat social». Elle reflètera des droits et pouvoirs des travailleurs prévus à la convention d’actionnaires, pleine transparence économique et un comité sur la réorganisation du travail. Comité qui existait depuis 1992 et qui a eu pour effet d’augmenter de 16 % la productivité. Il sera donc conventionné.

De plus, les travailleurs renoncent à l’augmentation de salaire de 1993 prévue au contrat, un gel des salaires de deux ans et une indexation pour la dernière année et une clause de l’offre finale pour les salaires des trois dernières années du contrat social.

Pour rembourser ces concessions, on négocie une clause de gains de productivité. 50 % des gains sur le standard de production de 1992 seront distribués aux travailleurs et 70 % des profits de l’entreprise seront réinvestis dans l’usine. Les actionnaires ne peuvent toucher de dividende avant 1997 pour s’assurer que la modernisation allait aller de l’avant.

De son côté, le gouvernement du Québec par le biais de la SDI (société de développement industriel) allonge 45 millions $ pour la modernisation et la mise à niveau par rapport à l’environnement. La modernisation avait maintenant des bases solides.
 

La diversification de la production

Avec la fin de la guerre froide, le marché militaire chute de 35 % jusqu’en 1995. La diversification de la production vers les marchés civils était urgente pour la pérennité de l’usine.

Après de nombreux débats, on décide d’augmenter la part de marché de la production de propulsifs commerciaux (chasse, tir sportif) et de développer le marché des sacs gonflables pour automobile. Cette orientation stratégique permit à l’entreprise de diminuer de façon importante sa dépendance au marché militaire qui passe à 40 % (auparavant à 80 %).
 

1995-1997 – Révolution culturelle

Pour les travailleurs cette nouvelle approche de cogestion signifiait une véritable appropriation et démocratisation du travail. De nouveaux sujets s’ajoutaient aux débats en assemblée générale comme la marge brute et profits nets, débat sur le plan d’affaire favorisant le maximum d’emploi… D’ailleurs, la COOP exerça son droit de véto sur le premier plan d’affaire du contrat social. Le plan fut rejeté parce qu’il ne garantissait pas assez d’emplois. La direction du refaire ses devoirs.

Le syndicat était passé d’une situation «high conflict, low trust» à une situation où les conflits n’étaient pas disparus, mais étaient traités autrement.

En juin 1995, le collectif de recherche sur les innovations sociales dans les entreprises et les syndicats (CRISES) qualifiait la situation à Expro d’«une expérience avancée de démocratisation du travail».

Pour l’employeur, le changement de culture était gigantesque. On passait d’une culture «cost plus» où le profit était garanti, peu importe les coûts de production à une culture de marché civil où la concurrence domine et les coûts de production peuvent être contrôlés.

Le directeur de l’usine Robert Brousseau confiait à Nouvelles CSN que ses cadres lui disaient qu’ils n’étaient plus capables de gérer, qu’il avait donné la compagnie. Les autres industries militaires l’appelaient pour lui dire qu’ils venaient de négocier des contrats à la baisse avec les clients. Ils lui demandaient qu’est-ce qui lui prenait de vouloir baisser les coûts.

Pour lui, dans le contexte de la cogestion, le droit de gérance : «c’est un mandat qu’un conseil d’administration, où se trouvent des employé-es, donne à une direction, à une équipe de rencontrer des objectifs pour être rentable et survivre».
 

Instabilité de l’emploi

Cette cogestion dura neuf ans et permit à l’entreprise de diversifier sa production et survivre dans un contexte de perte de contrats militaires qui entraîna 500 mises à pied en 1994.

En 1997, on renouvela la convention collective avec un rattrapage salarial qui recouvrait les concessions salariales de 1993 et une somme de partage des gains de productivité (500 000 $, ça commençait à être payant).

Cependant, en 1993, l’explosion d’une presse au bâtiment 173 détruit complètement le bâtiment causant un important choc post-traumatique à un travailleur. La reconstruction de ce bâtiment (aujourd’hui le 178) avec une technologie moderne et ultra sécuritaire entraînera un plan de relance pour la modernisation de l’usine de 35 millions $.

Investissement Québec : 5 millions $
Gouvernement fédéral : 30 millions $ sur 10 ans

On construira aussi une nouvelle cafétéria et un vestiaire aux normes d’aujourd’hui : le 423. Une grande amélioration des conditions de vie des travailleurs et travailleuses de l’usine.
 

2001 – Mettre en faillite Expro pour la pérennité de l’entreprise

En 2001, face à l’incertitude de l’emploi, le syndicat et la coopérative prennent la décision d’un recul stratégique et demande à la CSN d’organiser une rencontre au sommet avec Investissement Québec.

Lors de cette rencontre, le syndicat et la COOP demandent à Investissement Québec de forcer Expro à vendre et de ne couvrir que le paiement des salaires et des fournisseurs locaux en attendant ladite vente. La même démarche fut faite par la COOP auprès du ministère des Finances alors dirigé par Paul Martin.

En parallèle, la COOP négociait avec SNC Lavalin comme acquéreur potentiel. Pour SNC qui détenait déjà la douillerie de Saint-Augustin et l’arsenal de Legardeur qu’il avait modernisé, l’acquisition de la poudrière Expro correspondait à l’intégration verticale de l’industrie des munitions au Québec.

Ne voulant pas vendre, Expro réagit en menaçant les travailleurs de mises à pied chaque semaine. La situation était pénible, mais en 2001 Expro céda et vendit à SNC ses installations pour 40 millions $. Maintenant c’était un plan de modernisation et environnemental de 60 millions $qui était rendu disponible à la nouvelle entreprise maintenant appelée Expro-Tec.

Par cette transaction, SNC rachetait l’investissement des travailleurs et par le fait même la COOP pour 2 millions $ distribuait 500 000 $ en gains de production et renégocia la convention collective en maintenant les acquis et améliorait le fonds de pension en y contribuant à 10 % employeur – 10 % employé.
 

2002-2006 – Accélération du plan de modernisation : Les compagnies passent, le syndicat reste!

En 2002, Expro-Tec embauche 34 nouveaux salariés (ce qui ne s’était pas vu depuis la fin des années 80) et procède à 17 retraites anticipées volontaires suite à des changements technologiques (modernisation de la «boiler room» et sous-contractant à l’entretien ménager).

Revenue à une relation «patron-syndicat» traditionnelle, la nouvelle direction se frotte au SNPCV suite à un droit de refus collectif du quart de soir dans la salle des mélanges où les conditions de travail étaient dangereuses à cause du nouveau système d’humidification. La direction suspend le quart de travail en entier.

L’assemblée générale menace de boycotter le surtemps comme moyen de pression. Les salariés sont réintégrés sans perte de temps. SNC avait essayé de mater le syndicat et avait perdu.

Maintenant, on se concentre pour améliorer la sécurité des travailleurs en les isolant du danger. C’était le projet «poudres sèches». On procède aussi à l’ergonomisation des postes de travail où le risque de troubles musculo-squelettiques était important. Ce projet diminua de façon dramatique les accidents au dos.

Nous sommes donc passés d’une situation dans les années 80 où nous avions 386 accidents avec perte de temps sur 550 travailleurs (40 % de ces accidents étaient des troubles musculo-squelettiques) à en 2012 avec cinq accidents avec perte de temps, dont aucun, en trouble musculo-squelettique.
 

Vente de SNC à General Dynamics

En 2006, la direction annonce au syndicat qu’elle se retirait de la production des propulsifs de sacs gonflables automobile pour se concentrer sur la production de propulsifs à usage commercial. N’étant plus en cogestion, les travailleurs avaient perdu leur droit de véto sur le plan d’affaires. Cette décision affaiblissait la part des marchés civils dans le portefeuille d’affaire de la compagnie.

En pleine négociation de renouvellement de la convention collective et pour déstabiliser le syndicat, la direction annonce la vente de toute l’entreprise à General Dynamics. Entreprise américaine, 6e plus gros producteur d’armes au monde.

Grâce à ses recherches avec le Groupe de Recherche sur l’industrie militaire de l’UQAM, le syndicat avait vu venir le coup et rassura les travailleuses et les travailleurs en expliquant qui était General Dynamics et que l’entreprise assurait sa croissance par fusion d’acquisitions. Nous étions sa 42e acquisition.

Le syndicat, bien préparé, fit des gains sur le respect de la vie privée en exigeant que les dossiers personnels des travailleuses et travailleurs restent au Canada pour ne pas être soumis au Patriot Act (adopté suite aux attentats du 11 septembre 2001) et à l’arbitraire de la CIA.

On réintroduit aussi la clause de congé sans solde, bonifie la prime de retraite et instaure un programme de retraite progressive.
 

2007 – GD : Entreprise mondialisée, enjeux de négociation lors du renouvellement de la convention collective

En 2007, avec l’achat de l’usine par General Dynamics, les relations de travail entrent dans les lignes majeures de la mondialisation.

Grâce à l’alliance stratégique avec les Métallos, le syndicat visite en Floride, les dirigeants de la poudrière de GD et discutent avec les dirigeants Métallos de la 3e poudrière (la plus grosse) en Amérique, celle de Radford en Virginie.

Les discussions permettent de neutraliser les menaces de transfert de production en cas de conflit. Elles sont du «bluff» de la part de la direction.

Avec GD, les ventes de l’usine ne représentaient qu’à peine 1 % des ventes de la division de laquelle l’usine faisait partie. Le rapport de force n’était donc pas le même qu’avec SNC et Expro.

Lors de la première négociation avec GD, on privilégiera le ralentissement de la production comme moyen de pression et une négociation de type défensive sur la préservation des acquis.

Préparation de la mobilisation par :
– Arbitrage stratégique sur la paye de séparation pour les salariés qui prennent leur retraite alors qu’ils sont invalides sur l’assurance collective.
– Lutte contre les mesures disciplinaires abusives contre les jeunes travailleurs.
– Lutte contre la vie privée des travailleurs en les filmant à leur insu alors qu’ils sont en accident de travail ou sur l’assurance collective.

Lors de la négociation pour le renouvellement de la convention collective, les actions collectives privilégiées furent :
– Ralentissement de production de 10 % ciblés sur les productions stratégiques.
– Campagne publique contre les filatures vidéo.
– Campagne interne sur la préservation des acquis.

Résultats :
– Gains sur les salaires (3 %).
– Gain sur la permanence des payes de séparation pour tous.
– Gain sur la retraite progressive.
– Gain sur la formation des travailleurs pour exercer un poste de travail.

Négociant de façon coordonnée depuis le début des années 1990, les syndicats CSN, bureaux, laboratoires et production se fusionnent en 2014 pour devenir une seule entité, pour faire face à GD dans les contrats à venir.
 

2016 à aujourd’hui – La relève…

L’avenir appartient maintenant à la relève qui est bien en place dans toutes les instances du syndicat (exécutif, conseil syndical et assemblée générale). C’est maintenant aux jeunes de reprendre le combat! Les prochains chapitres de l’histoire du syndicat dépendent d’eux.
 

Bibliographie

– Revue de presse : 10 ans de lutte en santé-sécurité.
L’impact de la diversification sur la relance d’une entreprise militaire « Le cas Expro », préface de Paul St-Onge, 1995
Nouvelles CSN, no 367 « Expro, un défi ».
– Expro, une expérience avancée de démocratisation du travail, crises de juin 1995 par Paul-André Lapointe, Élyse Desjardins et Paul R. Bélanger.
Comment aborder le dilemme des entreprises militaires : le cas Expro, par Marc Laviolette, groupe de recherche sur la continentalisation UQAM.
L’Explosif, journal du SNPCV – CSN, le droit de refus (8.04), no 5, août 1986.
– Rapport sur la santé et la sécurité à l’usine Expro, commission d’enquête sur les conditions de santé et de sécurité des établissements de la compagnie Produits Chimiques Expro inc., par le Gouvernement du Québec et le comité exécutif du SNPCV.
– Le fonds d’archives du SNPCV.

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À propos de l'auteur L'aut'journal

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