En couverture : Kayla Lemieux, professeur au Canada.
Le texte qui suit est le huitième chapitre du livre Né(e)s dans la mauvaise société : notes pour une critique féministe et socialiste du phénomène trans, que nous avons récemment publié et que vous pouvez vous procurer ici : https://www.partage-le.com/produit/dans-la-mauvaise-societe/
Pour mieux comprendre qui sont les hommes fétichistes du travestissement mentionnés dans le chapitre précédent — hommes qui constituent le principal groupe d’individus à l’origine du mouvement trans et le noyau de son militantisme encore aujourd’hui —, il nous faut parler de l’autogynéphilie. L’autogynéphilie peut s’avérer un sujet malaisant à discuter. Les pages suivantes exposent des réalités méconnues et possiblement dérangeantes pour certaines personnes. Mais les connaître importe. Trop de gens semblent entretenir « une sorte de naïveté idéaliste en ce qui concerne la forme utilitaire et obsessionnelle que la sexualité masculine peut revêtir[1] ». Or il est impossible de saisir de quoi le phénomène trans retourne sans savoir ce que la sexualité des hommes peut impliquer — en tout cas au sein de la civilisation industrielle.
Le terme autogynéphilie a été inventé par le chercheur et sexologue états-unien Ray Blanchard en 1989 pour désigner « la tendance de certains hommes à être sexuellement excités par la pensée ou l’image d’eux-mêmes en femmes[2] ». Le mot se compose de termes issus du grec : auto (soi), gyne (la femme) et philie (l’attirance).
Au cours des années 1980 et 1990, au fil d’études sur le sujet, Ray Blanchard a théorisé « qu’il existe deux principaux types de transsexualisme homme-vers-femme, différents sur le plan étiologique et phénoménologique, et qu’aucun de ces types n’est sui generis — l’un est plutôt lié à l’homosexualité ordinaire et l’autre à l’autogynéphilie[3] ». Autrement dit, ce qu’il a découvert l’a amené à concevoir une typologie du transsexualisme des hommes composée de deux groupes : d’un côté les transsexuels homosexuels (ou « androphiles »), de l’autre les transsexuels non homosexuels (ou « autogynéphiles »). D’un côté, les transsexuels attirés par les hommes. De l’autre, les autogynéphiles, qui « sont généralement attirés sexuellement par les femmes » et peuvent aussi « s’identifier comme asexuels ou bisexuels[4] », mais qui, comme le remarque le psychologue états-unien John Michael Bailey, proche de Blanchard, sont davantage attirés « par la femme qu’ils souhaitent devenir[5] ».
En formulant cette théorie, Blanchard contredisait les idées dominantes dans le milieu du transsexualisme (et aujourd’hui du transgenrisme), selon lesquelles les hommes qui se disent femmes, qui déclarent une identité de « femmes transgenres » et/ou désirent « transitionner », socialement ou hormono-chirurgicalement, le font parce que leur « identité de genre » ne serait pas « alignée » (ou « congruente ») avec leur « sexe assigné à la naissance ». Ces idées, qui ont le mérite de paraître bien plus acceptables politiquement et culturellement, n’ont cependant aucun sens. Elles reposent sur la thèse aberrante selon laquelle il serait possible de « naître dans le mauvais corps ». Sur le concept d’« identité de genre » qui, comme nous l’avons vu, est une absurdité renvoyant aux stéréotypes sexistes de la « masculinité » et de la « féminité ». Et sur l’idée d’une « incongruence » ou d’une « non-conformité » entre esprit et corps à corriger au bistouri — une ineptie particulièrement barbare.
Avant les travaux de Blanchard, d’autres études avaient déjà mis au jour la composante érotique qui motive très souvent le travestissement masculin (nous en mentionnons une au chapitre précédent, dans notre « (très) brève histoire du transgenrisme »). Travestissement qui, ainsi que le relève la journaliste britannique Helen Joyce, « est un fétiche courant chez les hommes hétérosexuels. Une étude réalisée en Suède en 2005 a révélé que 2,8 % des hommes ressentaient une excitation sexuelle en réponse au travestissement. Pour certains, cette excitation sexuelle est tellement intense et centrale qu’elle constitue une “paraphilie”, c’est-à-dire un intérêt sexuel atypique et extrême qui peut être considéré comme un trouble lorsqu’il cause de graves problèmes ou de la détresse[6]. »
L’autogynéphilie, c’est donc une condition que l’on peut trouver aussi bien chez des travestis que chez des transsexuels (ou des « transgenres », des soi-disant « femmes trans »). Les différences se manifestent au niveau de « la nature [ou de l’étendue, ou de l’intensité] des fantasmes. Si ceux-ci sont centrés sur les vêtements, l’homme a davantage de chances d’être contenté sans transition médicale. S’ils sont centrés sur le corps, en particulier sur des organes génitaux féminins fantasmés, l’homme est plus susceptible d’être gravement dysphorique et moins susceptible de trouver la paix sans intervention chirurgicale[7]. »
Comme l’explique le sexologue et psychologue états-unien Anne Lawrence, lui-même transsexuel autogynéphile revendiqué, dans un livre paru en 2013 regroupant une collection de témoignages de plus de deux cents hommes autogynéphiles :
« Le concept d’autogynéphilie place le désir érotique au centre de l’expérience transsexuelle des hommes non homosexuels : il suggère, au moins implicitement, que le désir érotique autogynéphile […] peut être considéré comme la force motrice derrière le désir de changement de sexe chez les transsexuels MtF [pour male-to-female, homme-vers-femme] non homosexuels[8]. »
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Les deux groupes qui composent la typologie de Blanchard présentent des caractéristiques différentes dès l’enfance. Comme le résume Lawrence, les transsexuels homosexuels (androphiles)
« ont des intérêts, des comportements et des traits de personnalité typiquement féminins tout au long de leur vie. Depuis leur plus jeune âge, ces individus se comportaient comme des filles, s’identifiaient aux filles et se disaient souvent filles. Leurs centres d’intérêt, leurs manières, leurs jouets et activités préférés étaient typiquement féminins, et les filles étaient leurs compagnes de jeu préférées. Ils avaient commencé à se travestir ouvertement dès la petite enfance et avaient continué à le faire à l’âge adulte. Cela étant, leur travestissement n’était pas associé à une excitation sexuelle. Leurs identifications et comportements féminins persistaient tout au long de l’adolescence et à l’âge adulte. Ils avaient découvert qu’ils étaient exclusivement sexuellement attirés par des hommes. Ils choisissaient généralement des professions, des passe-temps et des activités de loisirs typiquement féminins[9]. »
Par contraste, les transsexuels autogynéphiles,
« même s’ils désirent intensément être des femmes, présentent peu d’intérêts, de comportements et de traits psychologiques féminins. Dans la plupart des cas, ils ressemblent beaucoup à des hommes ordinaires non transsexuels. Depuis leur plus jeune âge, ces individus savent qu’ils sont des garçons et se comportent comme des garçons, bien que nombre d’entre eux déclarent avoir eu des fantasmes secrets de devenir des femmes aussi loin qu’ils s’en souviennent. Leurs centres d’intérêt, leurs manières ainsi que leurs jouets et activités préférés étaient généralement typiquement masculins. Dans la plupart des cas, leurs compagnons de jeu préférés étaient d’autres garçons, mais quelques-uns s’adonnaient principalement à des jeux solitaires. Certains ont commencé à se travestir dès la petite enfance, presque toujours subrepticement. Presque tous se travestissaient secrètement au moment de la puberté, et leur travestissement était associé à une excitation sexuelle intense. À d’autres égards, cependant, leurs intérêts et comportements masculins ont continué à être, au moins superficiellement, assez conventionnels tout au long de l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte. Ils ont rarement choisi des professions typiquement féminines et ont généralement opté pour des professions fortement masculines, dans des domaines tels que l’ingénierie, l’informatique ou l’armée. Ils ont découvert qu’ils étaient sexuellement attirés par les femmes ou, plus rarement, qu’ils n’étaient fortement attirés par aucun des deux sexes. Nombre d’entre eux ont parfois fantasmé des relations sexuelles avec des hommes, mais uniquement en s’imaginant être des femmes ; à d’autres moments, ils trouvaient l’idée de relations sexuelles avec des hommes peu attrayante ou répugnante. Ils ont également continué à être excités érotiquement par le travestissement et par le fantasme d’être une femme [tout au long de leur vie][10]. »
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Ray Blanchard a décrit quatre types d’autogynéphilie. L’autogynéphilie « de travestissement (excitation érotique associée à l’acte ou au fantasme de porter des vêtements féminins) » ; l’autogynéphilie « anatomique (excitation associée au fantasme ou à la réalité [artificielle] d’avoir des caractéristiques anatomiques féminines) » ; l’autogynéphilie « physiologique (excitation associée au fantasme ou à la simulation du fait d’être enceinte[11], d’avoir ses règles ou d’allaiter) » ; et l’autogynéphilie « comportementale (excitation associée à l’acte ou au fantasme d’adopter un comportement typiquement féminin)[12] ». Ces quatre catégories d’autogynéphilie peuvent évidemment se recouper et se cumuler chez les hommes autogynéphiles.
Pour illustration, voici plusieurs témoignages d’autogynéphilie, rapportés par Lawrence dans son livre, figurant plusieurs des catégories susmentionnées (attention, contenu sexuellement explicite) :
- « Je suis une femme transgenre qui suit actuellement un traitement à base d’œstrogènes. Le fait que mon corps se féminise est à la fois une source d’excitation et de joie. Ma première phase “dans le placard” consistait à m’habiller comme une femme normale : lingerie, bas nylon, robes, chaussures, etc., à me maquiller et à me parfumer, et à être tellement excitée par mon image de femme dans le miroir que le rituel se terminait souvent par une masturbation. »
- « J’ai 58 ans et je suis un transsexuel MtF préopératoire. J’ai commencé à me travestir vers l’âge de 7 ans. J’étais particulièrement excité sexuellement en portant des gaines et des bas de nylon. Au milieu de la vingtaine, j’ai eu le désir très fort de m’habiller en femme à plein temps et d’attirer l’attention en tant que femme sexy et féminine. Depuis le milieu de la vingtaine, je porte des vêtements féminins sexy, en particulier des soutiens-gorge, de la lingerie, des collants, des robes courtes, de la dentelle, des mini-jupes, des talons hauts, etc. Porter de la lingerie sexy, un soutien-gorge, une gaine avec des bas en nylon ou des collants transparents sensuels, et des talons hauts, en m’imaginant être une femme, m’excite encore souvent sexuellement, induit une érection, une envie de me masturber et finalement un orgasme. »
- « Je suis un homme de 44 ans. Mon conseiller me considère comme un transsexuel et m’a proposé de suivre une thérapie hormonale. Au lycée, je me suis travesti avec les vêtements de ma mère. Je ne peux pas nier l’excitation que ça me procurait. À l’université et à la faculté de droit, sous prétexte d’être un hippie, j’ai porté des cheveux longs, des jeans et des t-shirts féminins. Je me suis marié, et mon travestissement a alors consisté à porter en secret des vêtements de ma femme, toujours devant un miroir. C’était excitant. Aujourd’hui, je me travestis de façon limitée, et c’est toujours excitant. Quand une femme m’excite, je me sens bien. Mais le travestissement m’apporte beaucoup plus : devant un miroir, cela me donne une apparence visuelle de femme. Le toucher des tissus de soie et des sous-vêtements féminins, le toucher d’une peau lisse, l’odeur des cosmétiques, etc., c’est tellement agréable d’être habillé et de se comporter comme une femme que rien n’est comparable. »
- « À l’âge de 16 ans, j’ai essayé une robe-chemise moulante de ma mère. L’excitation sexuelle qui en a résulté a modifié ma sexualité de façon permanente. Mes premiers fantasmes consistaient simplement à être une petite femme mignonne avec de gros seins. Au fil du temps, ces fantasmes se sont transformés en fantasmes extrêmement détaillés, qui consistaient notamment à prendre des douches en tant que femme (mais en portant des talons hauts) et à avoir différents types de rapports sexuels. Dans mes fantasmes, j’imagine la sensation des mains d’un homme sur mes hanches, me tirant vers le bas pour que la pénétration soit plus profonde. J’ai du mal à imaginer le sexe autrement, à une exception près : debout, ma jupe autour de la taille, et dans les deux cas, avec des talons. Depuis longtemps, les rapports sexuels avec les femmes m’obligent à imaginer que je suis la femme pénétrée pour atteindre l’orgasme. Je serre les jambes l’une contre l’autre et je cambre les pieds comme si j’avais des talons. Franchement, j’aimerais être à sa place, littéralement. »
- « Mes premières expériences à l’âge de 13 ans concernaient la masturbation. J’étais un peu gros à l’époque. Je m’imaginais avoir des seins plus gros et je coinçais mon pénis entre mes cuisses. Beaucoup plus tard, à l’adolescence, je me masturbais en portant des vêtements féminins, du maquillage et d’autres accessoires, tout en me regardant dans le miroir et en fantasmant sur le fait d’avoir un corps de femme. Dans le cas du travestissement, c’est le fait d’utiliser les vêtements pour imaginer un corps féminin en dessous qui m’excitait, et non les vêtements eux-mêmes. Durant l’ensemble de ma transition, l’idée de changer a été incroyablement excitante. Les six premiers mois, lorsque mes seins se développaient, ont été formidables. Je me regardais dans le miroir et peu importe si le changement était minime, ça me remontait le moral. Et tant que je le pouvais encore, je me branlais devant mon propre reflet nu. Une technique de masturbation standard consistait à m’accroupir devant le miroir de la commode de manière à ce que mon pénis ne soit pas visible dans le reflet. Je me concentrais ensuite sur ce reflet pendant que je me touchais. Cela fonctionnait, et j’aimais l’idée de trouver mon propre corps sexy. »
- « J’ai toujours éprouvé le désir d’avoir une vulve. Pour moi, être une femme, c’est être [sic] une vulve entre les cuisses, rien de plus, rien de moins. La beauté d’être une femme vient de la vulve et est dans la vulve et seulement là. Porter les plus beaux vêtements, avoir un joli visage, des seins, des hanches rondes, ne signifie rien pour moi en l’absence de la vulve. Quand j’aurai ma vulve, je me sentirai suffisamment belle, et porter des vêtements féminins en public ne sera qu’une conséquence de cela. »
- « J’ai toujours été excité sexuellement par l’idée d’avoir un corps de femme. Finalement, ma compulsion m’a poussé à subir une orchidectomie, ce qui a sans doute été le plus grand frisson de ma vie. Ma petite amie, étudiante en médecine, m’a accompagné lors de l’intervention. Je ne peux pas vous dire à quel point j’ai été ravi et stupéfait lorsque mes testicules ont été retirés et que mon amie m’a décrit le processus. C’était en quelque sorte l’ultime féminisation forcée. »
- « J’ai plusieurs fantasmes que j’utilise pour atteindre l’orgasme. Tous sont autogynéphiles d’une manière ou d’une autre. Dans l’un d’entre eux, je revis mon orchidectomie, bien qu’un peu embellie par un groupe de femmes dominantes qui me castrent. Dans la réalité, mon chirurgien a réellement répondu à ce fantasme en acquiesçant à ma demande que ce soit son assistante chirurgicale qui coupe mes cordons spermatiques. »
- « Je suis sous hormones depuis quatre ans maintenant et je connais les développements physiques habituels, que j’aime beaucoup. Mon endocrinologue me donne mes ordonnances. J’apprécie qu’elle fasse des examens physiques de mes seins qui se développent et de mes testicules et organes masculins qui s’atrophient. Elle me mesure toujours, et j’aime entendre parler de l’évolution de ma situation depuis ma dernière visite. La mesure de mes seins m’excite beaucoup mentalement. »
(Dans ces derniers exemples, deux femmes du personnel médical participent à ce qui constitue des actes sexuels pour ces hommes paraphiles. L’examen physiologique effectué par la médecin, attendu avec impatience par le paraphile, est source d’excitation sexuelle. Sous cette perspective, les femmes médecins sont sexuellement utilisées par ces hommes à leur insu.)
- « J’ai 31 ans. À l’âge de 12 ou 13 ans, j’étais sexuellement excitée en portant les vêtements de ma sœur et, plus tard, ceux de ma mère. En grandissant, j’ai voulu être une femme à plein temps. Aujourd’hui, à un an de l’opération de changement de sexe, je veux plus que cela. J’ai des fantasmes d’allaitement, de grossesse et de menstruation. »
- « Je prends des hormones depuis près de 7 ans. Le fantasme d’avoir un corps de femme me procure de l’excitation. J’ai également fantasmé sur les règles et les cycles menstruels. J’ai aussi fantasmé le fait d’être enceinte et de porter mon enfant, créé avec la semence de mon partenaire spécial, profondément implanté dans mon utérus. L’allaiter avec mes seins serait tellement divin. »
- « Je me considère comme un transsexuel. Sur mes milliers d’expériences sexuelles, tant avec des femmes qu’en masturbation, probablement 98 % ou plus se sont concentrées sur des thèmes autogynéphiles. Dans l’un de mes fantasmes préférés, je suis marié à une femme féministe carriériste. Lorsqu’elle tombe enceinte, nous sommes d’accord pour nous partager équitablement la garde de l’enfant. Nous voulons également que le bébé soit nourri au sein. Nous décidons que je dois commencer à prendre les hormones appropriées pour pouvoir allaiter. En raison de la pression exercée par son travail, je finis par prendre en charge l’ensemble de l’allaitement. Nous apprenons qu’une procédure a été mise au point pour permettre aux hommes de recevoir l’ovule fécondé du couple et de tomber enceints. C’est parfait pour sa carrière, et je porte volontiers notre deuxième enfant. »
- « J’ai toujours voulu avoir à m’asseoir sur des toilettes comme une femme. Pendant des années, j’ai porté des accessoires (afin de ne pas toucher ou diriger mon pénis) pour simuler la miction féminine. Par exemple, je portais une ceinture et une protection menstruelle à l’ancienne, sans la serviette absorbante. L’enveloppe en maille maintenait mon pénis en position basse et produisait un jet féminin. J’urinais également à travers des collants, ou je collais ou scotchais mon pénis vers le bas. Pour moi, la plus grande joie de mon opération de changement de sexe est le rappel constant, chaque fois que j’utilise les toilettes, que ma masculinité a disparu. Je suis toujours excité sexuellement en sachant que mon processus de miction est identique à celui d’une femme. »
- « J’ai commencé à prendre des hormones il y a environ six mois et j’attends l’autorisation de subir une opération de changement de sexe. Ce qui m’excite le plus dans le fait d’être une femme, c’est de m’intégrer en tant que femme et d’avoir enfin le sentiment d’appartenir à un groupe. Je fantasme souvent sur le fait d’être opéré, de pouvoir aller à la salle de sport et de pouvoir enfin me doucher avec d’autres femmes après une bonne séance d’entraînement. Je suis vraiment excité par l’idée d’entrer dans la douche des femmes et d’être entouré de féminité, et d’être en mesure d’accéder légalement aux toilettes des femmes. Ce que je veux dire, c’est que le fait de m’intégrer en tant que femme dans ces lieux signifie beaucoup pour moi sur le plan sexuel. »
Et c’est exactement pourquoi les femmes ne veulent pas d’hommes dans leurs espaces sexospécifiques.
Lawrence commente :
« Comme le montrent ces extraits de récits, les manifestations de l’autogynéphilie sont très diverses. Pour comprendre cette diversité, il faut savoir que les transsexuels autogynéphiles peuvent envier et érotiser n’importe quels aspects de la féminité ou du fait d’être une femme, des plus fondamentaux et essentiels aux plus triviaux. Les transsexuels autogynéphiles peuvent érotiser les aspects biologiques fondamentaux de la femme, comme son anatomie et ses fonctions physiologiques. Ils érotisent presque invariablement le fait de porter des vêtements féminins — la manifestation la plus répandue de l’autogynéphilie. Ils peuvent érotiser n’importe quel aspect du comportement typique des femmes, du plus universel au plus culturellement spécifique. Ils peuvent même érotiser des aspects de l’expérience des femmes que la plupart d’entre elles n’aiment pas, comme les attentes de la société qui les obligent à se conformer à des normes vestimentaires ou comportementales contraignantes, incommodes ou inconfortables. L’une de mes clientes [un homme autogynéphile, mais Lawrence le genre au féminin] a même décrit qu’elle était excitée par le fantasme de subir du sexisme : voir ses opinions ignorées ou rejetées parce qu’elle est une femme, ou être traitée comme incompétente dans des domaines techniques dans lesquels elle était experte lorsqu’elle vivait en tant qu’homme. Tous les aspects de l’expérience des femmes semblent pouvoir faire l’objet d’un fantasme autogynéphile[13]. »
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Étant donné la nature de ce fétichisme sexuel, beaucoup d’autogynéphiles ont du mal à s’exprimer ouvertement sur le sujet, à publiquement reconnaître leur condition. En raison de « l’excitation érotique intense, déroutante et embarrassante qui semble à la fois animer et discréditer leur désir d’avoir un corps de femme[14] », aucun des hommes autogynéphiles qui se sont confiés à Lawrence n’estimait qu’il y avait lieu d’être fier de l’autogynéphilie, et beaucoup la considéraient clairement comme une honte. Et en cas d’exposition au grand jour, cette honte peut induire un profond sentiment de colère, voire de rage.
Ce qui explique sans doute pourquoi la théorie de l’autogynéphilie a subi, aux États-Unis, une virulente attaque, principalement orchestrée par trois transsexuels homme-vers-femme, Lynn Conway, Andrea James et Deirdre McCloskey, qui occupaient alors des positions relativement prestigieuses. Conway était mondialement célèbre pour son travail dans l’informatique auprès de l’université du Michigan. James, titulaire d’une maîtrise en langue et littérature anglaises de l’université de Chicago, fournissait, depuis Hollywood, des conseils aux entreprises sur les questions transgenres. Et McCloskey était enseignait l’économie, l’histoire, l’anglais et la communication à l’université de l’Illinois à Chicago.
En 2003, Conway, James et McCloskey ont commencé à s’en prendre à John Michael Bailey, psychologue et professeur à l’université Northwestern de Chicago, qui venait de sortir un livre intitulé The Man Who Would Be Queen : The Science of Gender-Bending and Transsexualism (« L’homme qui voulait être reine : la science de la torsion du genre et du transsexualisme »). Ce livre commettait l’hérésie, aux yeux de Conway, James et McCloskey, de vulgariser les travaux de Blanchard sur le transsexualisme, et notamment sa typologie androphiles/autogynéphiles.
Helen Joyce résume l’histoire dans son excellent livre sur le phénomène trans paru en 2021 :
« Bailey savait que son livre serait critiqué par les militants qui désapprouvaient la typologie de Blanchard. Mais le niveau de vitriol l’a choqué — tout comme Blanchard, qui a ressenti la “culpabilité du survivant” de voir Bailey pris pour cible, et l’horreur des diatribes qui ont commencé à être publiées en ligne à propos de lui, aussi. […]
L’université de Bailey a reçu des plaintes alléguant qu’il avait enfreint les règles régissant la recherche sur des sujets humains, qu’il avait couché avec l’un de ces sujets et qu’il avait été payé pour rédiger des lettres de recommandation pour des personnes cherchant à subir une opération de changement de sexe — des délits passibles de licenciement, s’ils se révélaient exacts. Une allégation a été faite auprès de l’autorité de régulation de l’État selon laquelle il pratiquait la psychologie sans licence. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles il avait abandonné sa famille et avait un problème d’alcool. Son livre avait été nominé pour un “Lammy”, un prix récompensant l’excellence dans la célébration ou l’exploration des thèmes LGBT. À la suite de protestations, sa nomination a été retirée.
La famille de Bailey a également été prise pour cible. Andrea James […] a mis en ligne des photos des enfants de Bailey, avec des légendes disant qu’il “y a deux types d’enfants dans le foyer Bailey” : ceux “qui ont été sodomisés par leur père [et ceux] qui ne l’ont pas été”, et demandant si sa jeune fille était “une exhibitionniste affamée de bite, ou une paraphile qui prend son pied à l’idée de l’être”.
“La situation est passée de déconcertante à dérangeante, puis à terrifiante”, explique Bailey. “Je savais que certaines personnes n’aimaient pas les idées sur lesquelles j’écrivais ; je ne savais pas à quel point certaines personnes deviendraient dérangées ou se coordonneraient. De terrifiante, la situation est devenue humiliante. J’ai fait la une des journaux nationaux, avec toutes sortes d’accusations, allant d’avoir menti à mes sujets de recherche jusqu’à avoir eu des relations sexuelles avec eux.” Blanchard et Lawrence se sont retranchés et ont laissé passer la tempête[15]. »
La campagne contre Bailey a cependant subi un revers important lorsque Alice Dreger, bioéthicienne, historienne de la médecine et célèbre pour son rôle dans l’activisme en faveur des personnes intersexes, s’est retrouvée mêlée à l’affaire contre sa volonté. Vers le milieu de l’année 2003, Dreger apprit par un de ses amis qu’elle avait été inscrite comme soutien de la campagne anti-Bailey organisée par Conway sur le site internet de ce dernier, hébergé par l’université du Michigan. Dreger commença par exiger que son nom soit retiré du site, étant donné qu’elle ignorait tout de l’histoire. Elle voulut ensuite en savoir plus. Les accusations étaient si nombreuses et si largement diffusées qu’elle pensait, initialement, qu’elles devaient contenir une part de vérité.
Après une année passée à enquêter, cependant, elle ne put « arriver qu’à une seule conclusion : tout ça n’était qu’une vaste fumisterie[16] ». Dans un essai publié en 2008[17], elle réfute toutes les accusations portées contre Bailey, en s’appuyant sur des preuves tirées d’e-mails et de plus d’une centaine d’entretiens. Elle rapporte cette histoire dans son livre intitulé Galileo’s Middle Finger (« Le doigt d’honneur de Galilée »), paru en 2015 et célébré par la critique.
Bailey avait été ciblé pour avoir rendu publiques des idées que les transactivistes voulaient voir enterrées, conclut Dreger. C’est elle qui a exposé les trois principaux responsables (James, Conway et McCloskey) de la campagne contre Bailey et son livre. Comme elle l’explique :
« Il est clair, au vu des réactions contre [le livre de Bailey], que ce que Conway, James, McCloskey, Burns et d’autres transsexuels impliqués détestaient et rejetaient le plus dans cet ouvrage, c’était l’idée d’autogynéphilie[18]. »
Et pourtant, de manière à la fois très paradoxale et significative, plusieurs de ces transsexuels avaient ouvertement admis, avant la parution du livre de Bailey, ressentir une excitation sexuelle liée au fait de s’imaginer en femme, typique de l’autogynéphilie. Dreger, qui utilise des pronoms féminins pour parler des transsexuels hommes-qui-se-disent-femmes, remarque que « McCloskey nie catégoriquement que le concept de “l’autogynéphilie” s’applique à elle (et a d’ailleurs récemment informé mon recteur qu’elle me poursuivrait en justice, ainsi que mon université, si j’osais la diagnostiquer comme telle) », alors qu’« elle évoque dans son autobiographie une excitation prétransitionnelle à l’idée de devenir ou d’être l’autre sexe[19] ». Effectivement, voici ce que l’on peut lire dans l’autobiographie de McCloskey (qui se désigne en recourant à la troisième personne et se genre au masculin en racontant sa vie pré-« transition ») :
- « Un jour de décembre 1953, il rentre malade de l’école. Sa mère était en bas, dans la cuisine, avec sa nouvelle petite sœur. Il faisait ses premiers rêves humides de masculinité. Curieusement, il rêvait de féminité, de la posséder, d’être femme. À l’étage, dans la salle de bains, il prit une culotte de sa mère dans le panier à linge, l’enfila et ressentit une bouffée de plaisir sexuel […]. »
- « Dans la bibliothèque de Harvard, il lit, pour se stimuler sexuellement, la partie consacrée à l’éonisme dans les Études de psychologie sexuelle de Havelock Ellis. »
- « Au bout de quelques semaines, il comprit comment accéder à “alt.sex”, qui contenait des matériaux pour ses fantasmes dans une abondance qui le surprenait. Cela l’excitait aussi. Pendant des semaines, il passa quelques heures par jour sur Internet, chaque fois qu’il pouvait trouver du temps dans un semestre d’enseignement doublement surchargé, et il se concentra sur les parties pornographiques. Il y avait là une bibliothèque expressément conçue pour l’excitation sexuelle des travestis, et il était excité. »
- « La préoccupation de Donald pour le passage d’un sexe à l’autre s’est manifestée par un fait peu glorieux concernant les magazines pornographiques qu’il utilisait. Il existe deux types de magazines de travestissement : ceux qui présentent les hommes en robe avec les parties intimes à l’air et ceux qui les présentent cachées. Il n’a jamais pu être excité par les magazines montrant les parties intimes. Son fantasme était celui d’une transformation complète, pas celui d’une masculinité lorgnant vers l’extérieur. Il voulait ce qu’il voulait. »
Lynn Conway, en ce qui le concerne, s’exhibait sur son site internet universitaire « dans un bikini moulant, sous différents angles », mais aussi « en mini-jupe, en petite robe noire et en robe de mariée blanche[20] », etc.
Un autre transsexuel impliqué dans la campagne contre Bailey avait admis à Lawrence que son moyen d’atteindre l’orgasme après sa « chirurgie de réassignation sexuelle » consistait à « fantasmer sur la féminisation forcée[21] ». (La « féminisation forcée » est une pratique fétichiste, un fantasme sexuel et une catégorie de pornographie dans laquelle un individu, généralement un homme, est contraint d’adopter des vêtements, des comportements ou des manières féminines, et ainsi d’être « féminisée » de force.)
Et un autre, encore, avait ouvertement admis être autogynéphile : Andrea James lui-même, l’un des plus virulents critiques de Bailey, Blanchard et de la théorie de l’autogynéphilie. En 1998, James avait écrit un e-mail à Anne Lawrence afin de le féliciter pour un article qu’il venait d’écrire sur l’autogynéphilie, et de parler de ses propres expériences directes et indirectes en matière d’autogynéphilie. Dreger cite de longs extraits de ce message, qui illustre le changement radical d’attitude de James entre 1998 et 2003, date à laquelle Conway, James, McCloskey et d’autres s’associèrent afin de discréditer Bailey, Blanchard, Lawrence et toute personne ayant favorablement évoqué l’autogynéphilie en tant que facteur du transsexualisme.
Dans un e-mail daté du 9 novembre 1998, et ayant pour objet « Excellent papier ! », James avait écrit à Lawrence :
« Je viens de lire votre article sur l’autogynéphilie [“Men trapped in men’s bodies : An introduction to the concept of autogynephilia” (“Des hommes coincés dans des corps d’hommes : une introduction au concept de l’autogynéphilie”, Lawrence, 1998)] et l’ai trouvé excellent, comme prévu. Je suis sûre que vous avez reçu toute une série de réactions, car les TS [les transsexuels] sont extrêmement réticents à être catégorisés et définis par d’autres. Une définition est intrinsèquement inclusive ou exclusive, et il y aura toujours quelqu’un qui ne se sentira pas à sa place dans une définition ou hors d’une définition. En 1996, j’ai été attaquée par les suspects habituels pour avoir recommandé un livre de Blanchard.
Certes, il est un peu l’Antéchrist pour les amateurs de chirurgie, et j’ai entendu des histoires horribles sur l’institut qu’il dirige, qui justifient le surnom de “Jurassic Clarke”. Cependant, j’ai trouvé nombre de ses observations tout à fait valables, voire brillantes, en particulier lorsqu’il s’agit de distinguer les schémas de pensée et de comportement des TS en début et en fin de transition. Je n’adhère pas non plus à tout ce que dit Freud, mais cela n’invalide en rien ses nombreuses et brillantes observations[22]. »
James poursuit : « Maintenant que j’ai reçu beaucoup de lettres de TS, je constate que votre article confirme mes propres expériences. » Puis mentionne quelques exemples précis de transsexuels homme-vers-femme de sa connaissance, avant de noter :
« J’ai remarqué, chez la plupart des TS, et en particulier chez les “accros à la chirurgie”, une certaine forme de dégoût de soi, une volonté d’effacer toute trace de masculinité. Bien que j’admette volontiers ma propre autogynéphilie, je soutiens que mes pulsions de féminisation semblent en partie issues d’une volonté de m’éloigner de l’autre pôle [c’est-à-dire de se distancier de la masculinité][23]. »
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Grâce au méticuleux travail d’Alice Dreger et de Benedict Carey — un journaliste du New York Times qui s’est intéressé à l’histoire, a examiné l’enquête de Dreger, puis publié un compte-rendu de l’affaire sur le site du Times[24] —, la réputation et la carrière de Bailey ont pu être en partie réhabilitées.
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La virulence et les méthodes ignobles employées par James, Conway, McCloskey et consorts contre Bailey ; l’admission de James et les confidences autobiographiques de McCloskey ; le désir frénétique d’empêcher toute diffusion de la typologie de Blanchard ; tout ceci nous semble indiquer que Ray Blanchard avait visé juste. Mais aussi qu’entre-temps, les ambitions croissantes des autogynéphiles — en matière de droits, d’accès aux traitements hormono-chirurgicaux, etc. — avaient imposé un changement de stratégie. Dans la nouvelle forme que le mouvement trans commençait à adopter, la théorie de l’autogynéphilie ne pouvait pas être tolérée, du tout.
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Comme nous l’exposons succinctement au chapitre précédent, le phénomène trans est en grande partie le produit de la volonté d’hommes autogynéphiles. Et, selon toute probabilité, ce sont toujours des hommes autogynéphiles que l’on trouve au cœur du réacteur qui propulse le mouvement aujourd’hui. C’est principalement dans le but de légitimer leurs puissants désirs que le système de croyances transidentitaire, composé de diverses chapelles qui ne s’accordent pas toujours — sauf à occulter totalement l’autogynéphilie, l’aspect sexuel qui est au fondement du transgenrisme — a pris forme.
Cela explique sans doute en grande partie pourquoi ce sont des femmes qui font l’objet d’une détestation particulière de la part du mouvement trans (comme l’exemplifie la popularité de l’acronyme TERF, pour Trans Exclusionary Radical Feminist, soit « féministe radicale excluant les trans »), « bien que ce soit des hommes qui commettent la quasi-totalité des actes de harcèlement et de violence à l’encontre des personnes trans[25] », remarque Helen Joyce. Selon Blanchard, les agissements des militants et du mouvement trans dans son ensemble, au cours de ces dernières années, suggèrent que ses leaders sont pour la plupart des autogynéphiles. Leur colère résulte du fait qu’ils jalousent les femmes et du ressentiment lié au fait de ne pas être acceptés par les femmes comme faisant partie des leurs. « Ils dirigent leur colère contre les femmes parce que ce sont elles qui frustrent leurs désirs. Les hommes sont largement hors de propos[26]. »
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La théorie de l’autogynéphilie continue de faire l’objet d’une tentative de discrédit. James, McCloskey et Conway font toujours leur possible pour dénigrer les travaux de Blanchard, Bailey et al. Mais aujourd’hui, les principaux détracteurs de l’autogynéphilie sont trois (autres) hommes (dont deux transsexuels homme-vers-femme) : Jaimie F. Veale, Julia Serano et Charles Moser. Leurs méthodes diffèrent en partie de celles de leurs prédécesseurs : Veale, Serano et Moser produisent des études qui prétendent invalider la théorie de l’autogynéphilie.
Le premier, Jaimie F. Veale, transsexuel homme-vers-femme qui se dit « femme transgenre » et psychologue, a qualifié « d’attaque contre les droits humains des personnes trans » la désapprobation ayant suivi la participation de Laurel Hubbard — un homme de 40 ans et haltérophile professionnel — dans la catégorie réservée aux femmes de la compétition d’haltérophilie aux JO de 2019.
Le second, Julia Serano, est aussi un individu ayant hérité du « sexe mâle à la naissance » mais qui se disant femme. Activiste trans relativement notoire outre-Atlantique, aux États-Unis, biologiste de formation, Serano a écrit un livre intitulé Whipping girl (« Fille fouettée » dans un jeu de mots avec whipping boy qui signifie « bouc-émissaire »), dont voici un extrait (Serano se genre grammaticalement au féminin, évidemment, mais gardez en tête qu’il s’agit d’un mâle) :
« Lorsque j’ai atteint la puberté, mon attirance nouvelle pour les femmes a envahi mes rêves de devenir une fille. Pour moi, la sexualité est devenue un étrange mélange de jalousie, de dégoût de soi et de convoitise. Car lorsque vous isolez une adolescente transgenre impressionnable et que vous la bombardez de panneaux publicitaires montrant des femmes en bikini et de propos racoleurs dans les vestiaires des garçons sur les seins de cette fille et le cul de cette autre, elle apprendra à transformer son identité de genre en fétiche.
[…] mon cerveau de 13 ans s’est mis à concocter des scénarios droits sortis de manuels sadomasochistes. La plupart de mes fantasmes commençaient par mon enlèvement : je devenais de la pâte à modeler entre les mains d’un homme tordu qui me transformait en femme dans le cadre de son plan diabolique. C’est ce qu’on appelle la féminisation forcée, et il ne s’agit pas vraiment de sexe. Il s’agit de transformer l’humiliation que vous ressentez en plaisir, de transformer la perte du privilège masculin en la meilleure des baises.
[…] À la fin de mon adolescence, je me fantasmais vendue comme esclave sexuelle et soumise à des hommes étranges qui profitaient de moi. Ce n’était pas tant que j’étais attirée par les hommes, mais que les films et les magazines donnaient l’impression qu’être féminine signifiait se laisser dominer par les hommes. Dans mon esprit, j’étais plaquée au sol par des corps si grands qu’ils m’éclipsaient, je ressentais les douleurs fantômes accompagnant le pelotage non désiré de parties corporelles qui ne m’appartenaient pas encore, j’éprouvais l’impuissance de voir un inconnu enfoncer sa bite dans la chatte que je me détestais de vouloir avoir. Et à chaque poussée imaginaire, je ressentais simultanément de l’extase et de la honte. Mes fantasmes de viol étaient des sacrements catholiques bâtards, car je me déculpabilisais en combinant mon désir d’être une femme avec la pénitence et la punition que je m’infligeais[27]. »
Le troisième, Charles Moser, est un sexologue promoteur du BDSM qui passe son temps à tenter de dépathologiser toutes sortes de paraphilies.
Les études qu’ils ont réalisées pour tenter de réfuter l’autogynéphilie se concentrent autour de l’idée que les femmes aussi ressentiraient de l’autogynéphilie, et qu’ainsi l’autogynéphilie observée chez les hommes qui se disent femmes (les « femmes transgenres ») serait en quelque sorte la preuve qu’ils sont des femmes. Pour tenter de montrer cela, ils ont modifié les méthodes d’évaluation de la typologie de Blanchard de manière à « l’adapter » aux femmes. Sauf que ce faisant, ils ont également changé la définition de l’autogynéphilie, en omettant l’élément le plus important : le fait d’être sexuellement excité à l’idée d’être une femme et/ou de faire des choses typiquement associées à la féminité [28]. Par exemple, l’une des questions de Blanchard était « avez-vous déjà ressenti de l’excitation sexuelle en vous mettant du parfum pour femme ou du maquillage, ou en vous rasant les jambes ? ». Chez Moser, elle devient la proposition suivante : « J’ai déjà été excitée tandis que je me préparais (en me rasant les jambes, en me maquillant) avant une soirée romantique et/ou dans l’espoir de trouver un partenaire sexuel. » Ce qui est très différent. On parle alors d’une excitation liée à l’anticipation d’une rencontre avec un partenaire sexuel. Et non pas d’une excitation sexuelle liée au seul fait de s’apprêter en pensant que l’on est une femme.
Il s’agit du genre d’altération des critères de Blanchard que Moser a commis dans son étude. Les quelques études de Moser, Vale et Serano publiées entre 2002 et 2022 ont été minutieusement réfutées par J. Michael Bailey, Kevin Hsu (un autre psychologue), Anne Lawrence et alii. Dans une lettre à l’éditeur parue en novembre 2022 sur le site de la revue Archives of Sexual Behavior [29], Bailey associe toute cette tartuferie universitaire aux attaques incroyablement malhonnêtes qu’il subit depuis la publication de son livre.
Pour en savoir plus sur le sujet, l’ouvrage d’Anne Lawrence paru en 2013, Men Trapped in Men’s Bodies, est une référence. De même que les études que continuent de mener J. Michael Bailey, Kevin Hsu et alii.
D’autres éléments concernant l’autogynéphilie sont exposés dans le chapitre que nous consacrons à la relation entre pornographie et transidentité.
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Pour conclure cette partie, rappelons cette évidence que les hommes autogynéphiles ne sont que cela, des hommes autogynéphiles. Pas des femmes. Les hormones et la chirurgie n’y changent rien. Peu nous chaut que des hommes assouvissent leurs fantasmes en achetant et portant tels ou tels vêtements. Mais que l’on cède à leur exigence fétichiste en les autorisant à accéder aux espaces et services réservés aux femmes, en revanche, est aberrant, indigne. Que leur soient remboursés les opérations chirurgicales et les traitements médicaux visant à assouvir leurs fantasmes nous semble pareillement problématique et indécent, au regard de tous les traitements, tous les soins autrement plus vitaux qui ne sont pas remboursés, notamment le diagnostic et la prise en charge de certaines pathologies spécifiques aux femmes, relégués à une place secondaire, dans une société où la médecine est elle aussi patriarcale.
Enfin, étant donné que l’autogynéphilie semble, du moins en partie, découler de l’organisation patriarcale de la société, dans la mesure où elle correspond à une érotisation de la subordination des femmes et de leur objectification, il semble que l’une des meilleures manières d’éviter les souffrances et les hontes que les autogynéphiles peuvent ressentir consiste à en finir avec le patriarcat.
- Kathleen Stock, « La gauche, les progressistes et les libéraux ont un problème de fétichisme », traduction pour le site Le Partage d’un article initialement paru le 22 septembre 2022 sur le média Unherd : https://www.partage-le.com/2022/09/26/la-gauche-les-progressistes-et-les-liberaux-ont-un-probleme-de-fetichisme-par-kathleen-stock/ ↑
- « Qu’est-ce que l’autogynéphilie ? Un entretien avec le Dr Ray Blanchard », Quillette, 6 novembre 2019, traduction par Audrey A. pour le site Le Partage : https://www.partage-le.com/2023/02/17/quest-ce-que-lautogynephilie-un-entretien-avec-le-dr-ray-blanchard/ ↑
- Ray Blanchard, dans la préface du livre Men Trapped in Men’s Bodies : Narratives of Autogynephilic Transsexualism (« Des hommes piégés dans des corps d’hommes : Récits de transsexualisme autogynephile ») écrit par le sexologue et psychologue Anne Lawrence, lui-même transsexuel autogynéphile, et paru en 2013 aux éditions de Springer Science. ↑
- « Qu’est-ce que l’autogynéphilie ? Un entretien avec le Dr Ray Blanchard », op. cit. ↑
- John Michael Bailey, The Man Who Would Be Queen : The Science of Gener-Bending and Transsexualism (« L’homme qui voulait être reine : la science de la flexion du genre et du transsexualisme »), Joseph Henry Press, 2003. ↑
- Helen Joyce, Trans : When Ideology Meets Reality (« Trans : quand l’idéologie se heurte à la réalité »), Oneworld book, 2021. ↑
- Ibid. ↑
- Anne Lawrence, Men Trapped in Men’s Bodies : Narratives of Autogynephilic Transsexualism (« Des hommes piégés dans des corps d’hommes : Récits de transsexualisme autogynephile »), Springer Science, 2013. ↑
- Ibid. ↑
- Ibid. ↑
- Il existe des sites web dédiés à la vente de « costumes de femme » (woman suits) enceintes à revêtir comme des secondes peaux pour que les travestis sexuels puissent pleinement vivre leur paraphilie. Attention, contenu sexuel explicite : Roanyer.com ↑
- Anne Lawrence, Men Trapped in Men’s Bodies, op. cit. ↑
- Ibid. ↑
- Ibid. ↑
- Helen Joyce, Trans, op. cit. ↑
- Alice D. Dreger, Galileo’s Middle Finger : Heretics, Activists, and One Scholar’s Search for Justice (« Le doigt d’honneur de Galilée : les hérétiques, les activistes et la quête de justice d’un chercheur »), Penguin Press, 2015. ↑
- Alice D. Dreger, « The Controversy Surrounding The Man Who Would Be Queen : A Case History of the Politics of Science, Identity, and Sex in the Internet Age » (« La controverse autour de The Man Who Would Be Queen : Une étude de cas sur la politique de la science, de l’identité et du sexe à l’ère d’Internet »), Archives of Sexual Behavior, 23 avril 2008 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3170124/pdf/10508_2007_Article_9301.pdf ↑
- Alice D. Dreger, « The Controversy Surrounding The Man Who Would Be Queen : A Case History of the Politics of Science, Identity, and Sex in the Internet Age », op., cit. ↑
- Ibid. ↑
- Alice D. Dreger, op. cit. ↑
- Alice D. Dreger, op. cit. ↑
- Andrea James, cité dans Alice D. Dreger, op. cit. ↑
- Andrea James à Anne Lawrence, 9 novembre 1998, cité dans Alice D. Dreger, op. cit. ↑
- Benedict Carey, « Criticism of a Gender Theory, and a Scientist Under Siege », New York Times, 21 août 2007 : https://www.nytimes.com/2007/08/21/health/psychology/21gender.html ↑
- Helen Joyce, Trans, op. cit. ↑
- Ray Blanchard, cité dans Helen Joyce, Trans, op. cit. ↑
- Julia Serano, Whipping Girl : A Transsexual Woman on Sexism and the Scapegoating of Femininity (« Fille à fouetter : une femme transsexuelle sur le sexisme et la désignation de la féminité comme bouc émissaire »), Seal Press, 2007. ↑
- J. Michael Bailey & Kevin J. Hsu, « How Autogynephilic Are Natal Females ? » (« Dans quelle mesure les femelles naturelles sont-elles autogynéphiles ? »), Archives of Sexual Behavior, 27 juin 2022 : https://link.springer.com/article/10.1007/s10508-022-02359-8 ↑
- J. Michael Bailey, « Autogynephilia and Science : A Response to Moser (2022) and Serano and Veale (2022) » (« Autogynéphilie et science : Une réponse à Moser (2022) et Serano et Veale (2022) »), Archives of Sexual Behavior, 28 novembre 2022 : https://link.springer.com/article/10.1007/s10508-022-02482-6 ↑
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