Réussir ses disputes

Réussir ses disputes

On n’a pas toujours besoin d’un gros alibi. Cette fois-là, par exemple, on écoutait les nouvelles à la radio. « En prendre moins, mais en prendre soin », disait Legault. Il parlait des écureuils dans les parcs ou des itinérants, je ne sais plus trop. Toujours est-il que ça m’a donné l’idée d’une bonne plaisanterie : « Chérie, si on en faisait moins, mais, à la place, on en prenait soin? » Il faut dire qu’on attend le septième enfant.

Il n’en fallait pas plus.

Ne soyez pas dupes, toutefois, comprenez-moi bien.
S’immisçait dans cette farce un message.
Car sans doute mes allures de chrétien
De cette tâche ambitieuse n’étaient point le gage.

C’est d’ailleurs aussitôt qu’elle me tint ce langage :
« Fais pas semblant, fainéant, que tu t’occuperais davantage des enfants!
La corrélation est nette:
Entre ton âge vieillissant
Et ta fréquentation de la buvette,
Tu n’as pas les moyens, éponge éthylique, d’un tel engagement. »

Du tac au tac, je lui dis:
« D’accord amphore! Arrête de geindre.
Mon zèle ménager, tu n’auras plus à craindre.
Tu les sortiras seule, les poubelles, à partir de maintenant!
C’est pour oublier ta voix aigüe et rance
Que de bon vin je me tapisse la panse! »

« En vers » et contre tous

Ça a continué comme cela quelques minutes. Mais il y avait l’émission Les chefs. Le rideau fut tiré brusquement sur cette dispute. La nuit porte conseil, dit-on, et de cette querelle ne restait plus rien au réveil.

C’était samedi matin, on a fait un enfant. On a ensuite avalé un café dans la véranda. Il faisait chaud, doux, l’air était sec et parfumé. Pendant ce temps, les mioches se déchiraient dans le salon. Ça dégénérait, mais on s’en foutait. Le vent lui valsait les cheveux, on s’est minouché. « Fanera-t-elle, un jour / la beauté de tes atours? » « Dans mon cœur, la cambrure / de ta nuque est une morsure » « Tu laisses, dans le sillage de tes baisers / une plaine calcinée » « Il n’y a plus de lait pour le déjeuner. »

Ça, c’était Trogyphore, notre enfant numéro quatre. Il a fallu aller au dépanneur.

Mais, question auxiliaire,
pourquoi la colère
s’exprime-t-elle chez nous en vers?

Dur à dire. En fait, c’est très rare que ça se passe comme ça. La plupart du temps, je ne fais mine de rien, mais je lui fais des grimaces quand elle a le dos tourné. Ou alors je soupire avec ostentation, je lui fais quelques reproches ou je boude.

Mais très souvent, quand arrive la confrontation, j’ai la pensée qui gesticule maladroitement, trop consciente d’elle-même, comme quelqu’un qui mesure 6’7″.

L’asperge de la colère

Il y a des gens qui ont le sang chaud, ça pète de rien. Ils s’engueulent, la colère dévale une pente. D’autres ont le sang froid, tout est calculé, ils frappent avec précision là où ça fait mal, sans état d’âme.

Moi, j’ai le sang bien tiède. La colère, elle s’exprime, ou plutôt elle s’extirpe avec difficulté. Sans conviction, capricieusement, et avec plusieurs détours.

Elle ne voyage pas en ligne droite, comme la lumière. Elle transite par un organe particulier, situé en plein cœur du plexus cognitivo-affectif. Dans l’estuaire du subconscient. C’est l’asperge psychologique. La colère y fait un détour protocolaire, elle ne fuse pas directement vers la sortie.

L’asperge, c’est une séductrice patentée. Elle dérive, de sa démarche ondulatoire, pour capter l’attention. Avec sa moue aguichante, son air malin et son corps effilé, elle me fait son spectacle hypnotique. J’en perds ma concentration.

Essayez donc de garder votre sérieux et d’argumenter, pendant une discussion, en agitant dans votre main une asperge cuite. Ou encore, imaginez-vous à l’Assemblée nationale, au moment de prendre la parole, si vous deviez brandir une échalote! Voilà.

Alors je planifie, je conspire.

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L’art de la dispute

Les gens normaux, eux, ils se crient après sans arrière-pensées, ouvrent les vannes, crèvent l’abcès et ensuite, s’envoient promener ou se serrent la main. Moi, ça ne fonctionne pas comme ça. Je bouillonne, je transpire, sûr de mon droit, rigide mais frétillant. J’entretiens avec complaisance ma pulsion justicière : ça va barder. Puis je me raisonne, tempère mes ardeurs, explore brièvement les options. Je me remets ensuite à tempêter intérieurement, polissant mes arguments. Je fulmine et j’attends madame de pied ferme.

Puis elle arrive, l’air de rien. Et là, je bégaie, ma voix chevrote. Comme quelqu’un qui est trop préparé pour une entrevue. Elle m’a souri tantôt, alors je lui ai déjà pardonné, mais il faut jouer la chorégraphie. Alors je plisse les yeux et je commence. L’asperge ondule : « Salut mon beau. » Je m’entremêle, je perds le fil. Commence par la fin, m’interromps sans logique, oublie le début.

Je finis par ne voir que son point de vue et plus le mien. Mais je garde le cap; il me semblait bien, tantôt, avoir raison ! Ça s’arrête, ça s’étire, ça ne ressemble pas du tout aux engueulades comme dans les films. Il y a des trous, des hésitations et des temps morts. Je termine immanquablement mon exposé déçu de moi-même, avec un sentiment de catharsis interrompue.

Tout ça, c’est la faute de l’asperge psychologique. Elle se manifeste à chaque moment inopportun. C’est une inopportuniste.

Alors, vous cherchez des conseils, de l’inspiration ou des enseignements dans l’art de la dispute? Cherchez ailleurs. Je ne peux pas vous aider. Demandez à quelqu’un qui n’est pas affublé d’un tel appendice.

Mais quelquefois, après avoir manqué mon coup avec éclat, on pouffe, on laisse tomber et on se parle calmement, sans légume interposé. Il fait bon, parfois, d’être un peu maladroit.

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À propos de l'auteur Le Verbe

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