L’expansion des BRICS est une bonne chose, mais elle n’est pas sans défis stratégiques

L’expansion des BRICS est une bonne chose, mais elle n’est pas sans défis stratégiques

Par Andrew Korybko – Le 24 aout 2023

Le 15e sommet des BRICS s’est achevé jeudi avec l’invitation faite à l’Arabie saoudite, à l’Argentine, à l’Égypte, à l’Éthiopie, à l’Iran et aux Émirats arabes unis de devenir membres à part entière à partir de l’année prochaine. Cette expansion historique est porteuse de substance et de symbolisme, mais aussi d’avantages et d’inconvénients, qui seront tous analysés dans cet article. Pour commencer, il est essentiel de préciser que l’adhésion formelle aux BRICS n’est pas une condition préalable à la participation d’un pays donné aux processus de multipolarité financière, mais qu’elle contribue à accélérer leurs efforts.

Tout gouvernement peut décider de donner la priorité à l’utilisation des monnaies nationales dans les échanges bilatéraux, mais il est préférable qu’il coordonne cette démarche avec le plus grand nombre de pays et de marchés possibles, d’où l’avantage principal qu’apporte l’adhésion formelle aux BRICS. Ces six pays et ceux qui suivront éventuellement leurs traces rencontrent fréquemment un large éventail de décideurs politiques et leurs homologues lors des nombreuses réunions du groupe qui se tiennent chaque année avant son sommet annuel.

Tous ceux qui n’ont pas encore obtenu cet accès privilégié mais qui souhaitent sincèrement accélérer les processus de multipolarité financière peuvent probablement compter sur le fait qu’ils seront désormais invités aux sommets annuels, grâce au précédent créé par l’Afrique du Sud cette année. Ils pourront probablement aussi formaliser des relations de partenariat avec les BRICS dans un avenir proche, sans compter qu’ils ont déjà la possibilité de poser leur candidature pour rejoindre la Nouvelle banque de développement (plus connue sous le nom de Banque des BRICS).

Le Bangladesh, l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Uruguay ont rejoint les cinq BRICS au sein de cette institution, mais le premier et le dernier ne sont pas encore devenus des membres à part entière de ce groupe dans son ensemble. Néanmoins, l’adhésion à la banque des BRICS pourrait devenir l’une des voies les plus rapides pour que les pays deviennent officiellement membres des BRICS. Quoi qu’il en soit, la participation à cette institution contribue à accélérer les projets de multipolarité financière d’un pays donné, notamment en ce qui concerne l’utilisation des monnaies nationales dans les échanges bilatéraux.

Cela étant, la décision d’inviter les six pays susmentionnés en tant que membres à part entière changera radicalement la dynamique du groupe en raison de leurs économies et de leurs situations intérieures très différentes. L’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont d’importants exportateurs d’énergie qui pourraient accepter de vendre leurs ressources dans des monnaies non libellées en dollars, très probablement le yuan (du moins dans un premier temps), ce qui pourrait grandement accélérer les processus de multipolarité financière.

L’Argentine, l’Égypte et l’Éthiopie, quant à elles, sont des importateurs d’énergie et connaissent également de graves problèmes économiques à l’heure actuelle. La première souffre d’une inflation galopante, la seconde est soutenue par ses protecteurs du Golfe et la troisième se remet du conflit dévastateur du Tigré. L’Éthiopie exerce une influence considérable sur l’Afrique, car elle accueille le siège de l’Union africaine et a toujours soutenu le panafricanisme.

Le fait d’inviter trois membres de chacune de ces deux catégories de pays très distinctes suggère que les cinq pays des BRICS se sont mis d’accord entre eux pour faire des compromis sur la substance économique et le symbolisme géographique afin de faire avancer leur vision commune de l’élargissement du groupe cette année. La conséquence de cette façon de procéder est toutefois qu’une coordination efficace entre eux est désormais beaucoup plus difficile qu’auparavant en raison des différences mentionnées précédemment.

Pour être clair, il est positif qu’un large éventail de pays participe désormais aux innombrables réunions des BRICS chaque année avant leur sommet annuel, mais la seule chose qu’ils ont tous en commun est leur intérêt à accélérer les processus de multipolarité financière par le biais de leurs monnaies nationales. Il ne s’agit pas de minimiser l’importance de l’expansion des BRICS telle qu’elle a été décidée, mais simplement d’informer les lecteurs de ses nouvelles limites afin de tempérer leurs attentes.

Dans le même temps, les BRICS ont également plus d’opportunités qu’auparavant, dans le sens où davantage de pays peuvent désormais participer à toute architecture financière alternative que leur groupe dévoilera à l’avenir, telle qu’un système de paiement inclusif non occidental de type SWIFT. Ces avantages compensent les obstacles et justifient sans doute cette dernière initiative à long terme, qui est la période qu’ils ont à l’esprit, et non le court ou le moyen terme en tant que tel.

Ceux de leurs partisans qui anticipent la mort du dollar dans un avenir très proche seront inévitablement déçus puisque la banque des BRICS prête très majoritairement dans cette monnaie et n’envisage de faire en sorte que les monnaies nationales constituent seulement 30 % de son total. En outre, les BRICS ont déclaré avant le dernier sommet qu’ils n’étaient pas intéressés par la dédollarisation ni par l’opposition à l’Occident, mais qu’ils voulaient seulement se couvrir contre les risques de change et assurer une représentation plus équitable des pays en développement dans le système financier mondial.

Certains pourraient prétendre que ces objectifs sont identiques, mais la différence réside dans l’intention, la fausse perception risquant d’entraîner une réaction excessive de l’Occident qui pourrait l’amener à mener des guerres hybrides contre certains membres, tandis que la bonne perception réduit ces risques. Cela ne veut pas dire que le second scénario ne comporte pas de risques, car les BRICS pourraient toujours se diviser même s’ils sont laissés à eux-mêmes avec une ingérence minimale de l’Occident.

Pour expliquer brièvement, il est évident que le yuan deviendra la monnaie préférée non libellée en dollars au sein des BRICS en raison de sa facilité d’utilisation découlant des liens commerciaux massifs de tous les membres avec la Chine. L’Inde n’aimerait pas cela en raison de ses différences stratégiques avec la Chine, mais les possibilités d’utiliser la roupie pourraient être limitées, à l’exception de quelques prêts symboliques de la Banque des BRICS à d’autres membres. Si elle doit choisir entre le dollar et le yuan pour acheter l’énergie des nouveaux membres, elle s’en tiendra probablement au dollar.

D’autres membres pourraient être du même avis que l’Inde, bien qu’ils ne partagent pas ses différences stratégiques avec la Chine, s’ils calculent qu’il ne vaut pas la peine d’accélérer le remplacement du dollar par le yuan dans les économies non occidentales, de peur que cela n’incite les États-Unis à en faire leur prochaine cible de la guerre hybride. Washington ne peut pas faire pression sur tout le monde en même temps et les déstabiliser pour les punir d’avoir défié ses exigences implicites, c’est pourquoi il doit choisir ses cibles avec sagesse.

Donner la priorité à l’utilisation de monnaies nationales autres que le yuan n’est pas une menace aussi grave pour l’hégémonie financière mondiale des États-Unis que d’accélérer le remplacement du dollar par le yuan. La première est naturelle et pragmatique, tandis que la seconde pourrait facilement être perçue par les États-Unis comme hostile et comme la preuve supposée qu’un gouvernement est trop tombé sous l’influence chinoise. Par conséquent, il est peu probable que le premier soit choisi comme la prochaine cible de la guerre hybride, tandis que le second rencontrera certainement des difficultés avec le temps.

Il est trop tôt pour dire si le scénario d’une bifurcation des BRICS entre membres utilisant le yuan et membres ne l’utilisant pas se réalisera, mais on ne peut l’exclure car l’Inde préfère sa propre monnaie pour des raisons évidentes, tandis que d’autres craignent de subir les foudres des États-Unis s’ils aident le yuan à remplacer le dollar. Alors que les BRICS entrent dans une nouvelle ère après leur dernière expansion, leurs membres ne doivent pas laisser leurs divergences croissantes entraver le travail du groupe pour faire avancer leur objectif commun d’accélérer les processus de multipolarité financière.

Andrew Korybko

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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