Le Canada expulse de son territoire un des piliers du milieu du cinéma bas-laurentien. Simon Croz, d’origine française, doit plier bagage malgré un soutien unanime de sa communauté. En cause : la cahoteuse transition numérique du ministère fédéral de l’Immigration.
Alors que le Canada cherche à attirer un demi-million d’immigrants par année, Simon Croz peine à comprendre cet avis d’expulsion. Lui qui est enraciné depuis sept ans en région, lui qui est en couple avec une Québécoise, lui qui siège à tous les conseils d’administration en cinéma du coin, lui qui veut attirer d’autres immigrants en dehors de Montréal, il n’a pourtant d’autre option que de quitter le pays à la fin du mois d’octobre. « On coche toutes les cases, et même plus, et on est refusés », souffle-t-il en entrevue, maintenant à court de ressources et d’économies, lui qui est sans revenu depuis trois mois.
Il détaille, devant une pile de documents, le cul-de-sac administratif dans lequel il se trouve aujourd’hui. Arrivé au pays en 2016 grâce à un permis d’études, il obtient facilement un permis de travail par la suite. En août 2022, il demande sa résidence permanente et une prolongation de son permis de travail. Parrainé par sa conjointe, il n’a alors aucune crainte de ne pas pouvoir rester indéfiniment dans son nouveau chez-soi.
Le premier accroc administratif vient de lui, reconnaît-il d’emblée. « J’ai mal interprété. Ils demandaient des renseignements additionnels sur la famille, et j’ai inclus ma famille en France. »
Diligent, il renvoie son dossier, corrigé, à Ottawa. La réponse est laconique : « Nous ne sommes pas en mesure de compléter votre demande. » La feuille de papier est accompagnée d’une note expliquant ce refus. Le ministère a commencé une « transition vers la présentation numérique » des demandes d’immigration. Le gouvernement demande donc à Simon de soumettre « une autre demande ».
« Je n’ai jamais été informé [de cette transition numérique] ! J’avais pourtant reçu une communication [du] gouvernement un peu plus tôt le même mois », dénonce Simon Croz.
Pas découragé pour autant, il se tourne vers le nouveau site Internet du gouvernement. Cette fois, au lieu de pouvoir combiner en une seule demande son permis de travail et sa demande de résidence permanente, il doit ouvrir deux dossiers en parallèle. Les réponses encourageantes s’enchaînent. On lui demande de passer l’examen médical d’usage. Puis, il se soumet à la prise de données biométriques. Or, tout ce tracas lié à la transition numérique semble avoir repoussé le traitement du dossier hors du calendrier légal. Le verdict finit par tomber six mois plus tard : « Vous ne détenez pas de statut juridique au Canada et devez donc quitter le pays immédiatement, faute de quoi des mesures exécutoires pourraient être prises contre vous. »
Le choc est brutal. Les appels qu’il fait auprès du ministère pour obtenir un sursis, ou même des explications, ne mènent à rien. « On est juste en suspens quelque part, au milieu de la transition numérique, qui fait que tout le monde a perdu un peu le fil de cette demande-là », dit-il, entouré de sa petite famille reconstituée, anéantie de le voir partir.
Pendant ce temps, Québec a accepté sans problème la candidature de cet immigrant au parcours exemplaire.
Une transition numérique
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) n’a pas pu répondre aux questions du Devoir sur ce dossier précis « en raison des lois sur la protection de la vie privée ».
La numérisation des demandes d’immigration est un projet amorcé pendant la pandémie qui vise à « réduire les arriérés de demandes », spécifient cependant les communications du ministère. « Cela comprend la numérisation des applications, l’embauche et la formation de nouveaux employés et l’exploitation des technologies d’automatisation pour nous aider à accroître la capacité et l’efficacité de traitement. »
« Aucune plainte n’a été reçue jusqu’à présent concernant cette initiative », répond d’ailleurs IRCC.
Cette transition numérique a coûté aux contribuables canadiens 827,3 millions de dollars.
« Un gâchis monumental »
La petite communauté du cinéma de l’est du Québec traverse une période de « deuil », se désole Priscilla Winling, la directrice du conseil d’administration de Paraloeil, l’organisme de cinéma local. « Au début, on s’est dit : ce n’est pas possible, c’est une erreur, ça va se rétablir. »
Simon Croz compte bien recommencer ses démarches d’immigration à partir de la France. Or, impossible pour lui d’obtenir un horizon au bout duquel il pourrait retrouver son statut au Canada, retourner auprès de sa famille et de sa communauté. Son employeur, Paraloeil, s’affaire maintenant à combler le vide laissé par son départ, en pleine pénurie de main-d’oeuvre.
« C’est un gâchis monumental. On avait une perle rare qui donnait un second souffle à un organisme qui avait 24 ans, qui cherchait sa direction. On doit à lui le fait que l’organisme continue sans lui », souligne Priscilla Winling.
Il n’y a pas que ses collègues et amis qui souhaitent garder cette « perle rare » dans le Bas-Saint-Laurent. Le conseil de ville de Trois-Pistoles, son village d’adoption, a adopté une résolution officielle l’appuyant. Il est impératif que « [leurs] citoyens, en attente de statut de résident canadien, puissent se sentir accueillis et contribuer au développement du milieu », indique-t-il, en ajoutant que « le mauvais traitement du dossier a des répercussions négatives sur le milieu vu la grande implication de monsieur Croz ».
Le principal intéressé s’inquiète aussi pour les autres immigrants qui, sans être bilingues et entourés de soutien, comme lui, doivent traverser le même cauchemar administratif. « Est-ce que je suis le seul qui a envoyé un dossier papier, puis qui se retrouve [avec des problèmes] à cause de ça ? »
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.
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Source : Lire l'article complet par Le Devoir
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