Est-ce la vie ou la mort qui gouverne l’univers ? Partie 1 : L’émergence du culte d’Aristote

Est-ce la vie ou la mort qui gouverne l’univers ? Partie 1 : L’émergence du culte d’Aristote

La société humaine est-elle vouée à l’anéantissement ou sommes-nous destinés à mieux ?


Par Matthew Ehret – Le 3 novembre 2022 – Source Strategic Culture

Si l’on écoute la doctrine transhumaniste des chefs de culte pseudo-religieux modernes tels que Yuval Noah Harari du WEF, Ray Kurzweil de Google ou l’éternel athée spirituel Sam Harris, il pourrait sembler que le programme informatique sans âme qu’est la machine humaine n’est qu’un ordinateur piratable dont le code sera craqué d’un jour à l’autre. L’univers décrit par ces grands prêtres de l’athéisme, qui prétendent connaître le début, la fin et les limites de toute chose, est un système fermé qui s’achemine vers une prétendue mort thermique dont on nous dit qu’elle enveloppera inévitablement tout de sa main froide et insignifiante dans un grand geignement nihiliste.

Mais cette projection nihiliste est-elle vraie ?

Elle semble en tout cas fondée sur des siècles, voire des millénaires, de réflexion scientifique qui nous ont conduits inexorablement vers ces sombres conclusions. Alors, comment pouvons-nous essayer de nous prouver qu’il y a ou non une plus grande partie de l’histoire laissée de côté par des forces qui préféreraient que le nihilisme soit la seule conclusion à laquelle nous puissions arriver ?

Explorons cette question un peu plus en détail.

Tout au long de l’histoire, un conflit a fait rage entre deux paradigmes opposés, chacun tentant d’insuffler des significations très différentes à des concepts fondamentaux tels que la “nature humaine” , le “droit” , la “liberté” , la “justice” et “Dieu” .

Alors qu’un paradigme tend à considérer l’univers comme un processus vivant animé par une croissance créative et un Créateur aimant à l’image duquel l’humanité a été créée, l’autre paradigme tend à aborder les choses de manière quelque peu différente.

Si la pensée scientifique est reléguée au seul domaine matériel, des concepts transcendantaux tels que l’“âme” , la “vérité” , la “causalité” , le “dessein” et l’”intention” ont très peu de valeur au-delà des désirs utilitaires qu’une élite souhaite voir dans ces mots à un moment donné dans le temps et l’espace.

L’idée arbitraire de “liberté” et de “vérité” a été démontrée par le philosophe grec Aristote, qui affirmait que la nature humaine était destinée à être contrôlée par une classe d’élites présidant une classe d’esclaves.

Dans sa Politique (livre 1, chapitre 5), Aristote expose explicitement ce point de vue avec la sophistication d’un péquenaud raciste, expliquant que puisqu’il est évident que sa société particulière a adopté l’esclavage, il est évident que l’esclavage a été intégré dans le tissu de l’univers lui-même. Vous pensez que j’exagère ? Demandez à Aristote, qui a dit :

Il faut examiner s’il existe ou non quelqu’un qui soit esclave par nature, s’il est meilleur et juste pour quelqu’un d’être esclave, ou si cela ne l’est pas, tout esclavage étant contre nature. Or ce n’est pas difficile : la raison le montre aussi bien que les faits l’enseignent. Car commander et être commandé font partie non seulement des choses indispensables, mais aussi des choses avantageuses. Et c’est dès leur naissance qu’une distinction a été opérée chez certains, les uns devant être commandés, les autres commander.

Contrairement à Platon, qui s’efforçait toujours de trouver un principe unificateur derrière toutes les définitions, le monde d’Aristote est beaucoup plus fragmenté. Après avoir établi sa dichotomie maître-esclave comme une vérité évidente que seuls les fous remettraient en question, Aristote poursuit en expliquant qu’il y a autant de définitions divergentes de la “vertu” et de la “justice” qu’il y a de statuts dans la société. En effet, la vertu d’un esclave ne pourra jamais être équivalente à la vertu d’un maître, et la justice d’un tyran ne pourra jamais être la même que la justice d’un sujet.

Bien que les faiseurs de mythes aient entretenu pendant des siècles un mensonge affirmant, sans aucune preuve authentique, qu’Aristote n’a fait que “développer” les idées de Platon, toute lecture honnête des œuvres des deux hommes met en évidence deux paradigmes irréconciliables. Plus que de simples divergences sur les définitions, ce sont les FACONS DE PENSER LA PENSÉE elle-même qui sont mutuellement incompatibles1.

Alors que Platon démontre la supériorité des facultés mentales d’un jeune esclave sans instruction par rapport à la supériorité génétique de l’oligarque Ménon2, Aristote défend l’idée que l’esclavage est immuable. Les preuves de Platon exposées dans le Ménon, le Phédon, le Gorgias et le Philèbe reposent sur l’existence démontrable d’une âme immortelle, qui doit exister pour que les découvertes d’universaux dans la nature soient possibles.

Aristote, quant à lui, affirme tout au long de ses écrits qu’il n’est pas nécessaire de supposer l’existence d’une telle âme préexistante dotée d’un caractère immortel, puisque nous ne sommes tous que des ardoises vierges sur lesquelles viennent s’inscrire les expériences matérielles.

Dans son De Anima, Aristote déclare : “Lorsque nous avons dit que l’esprit est en un sens potentiellement tout ce qui est pensable, bien qu’en réalité il ne soit rien tant qu’il n’a pas pensé ? Ce qu’il pense doit être en lui tout comme on peut dire que des caractères se trouvent sur une table d’écriture sur laquelle rien n’est encore écrit : c’est exactement ce qui se passe avec l’esprit” . (III, 4, 430a)

Si l’esprit est lié aux impressions causées par les seuls sens, sans que rien d’inné ou d’immortel ne préexiste chez l’enfant, alors la “vérité” se réduit à nouveau au relativisme. Il doit en être ainsi car rien d’universel ou d’éternel ne peut être connu par les sens finis et limités. En effet, nous pouvons voir un ou plusieurs humains, mais nous ne pouvons pas voir l’humanité, qui reste une idée abstraite dépourvue de toute signification de principe dans cette vision du monde.

Étendant son utilitarisme sans vie au-delà des considérations sur la simple humanité, Aristote poursuit en affirmant que l’univers lui-même est 1) statique, 2) éternel et 3) non créatif. Ces grandes généralisations éliminent le besoin de penser à un Dieu créateur qui aurait un rôle significatif à jouer dans quoi que ce soit.

Raphael Sanzio’s School of Athens is illustrated with Plato in motion, pointing towards the higher realm of ideas while holding his Timaeus contrasted with the opposing paradigm of Aristotle, stationary in his position with his palm down to the earthly domain holding in his other hand his Nicomachean Ethics

L’école d’Athènes de Raphaël Sanzio est illustrée par Platon en mouvement, pointant vers le domaine supérieur des idées tout en tenant son Timée, par contraste avec le paradigme opposé d’Aristote, immobile, la paume vers le domaine terrestre, tenant dans l’autre main son Éthique à Nicomaque.

Cependant, comme Aristote croyait également en des forces qu’il supposait “divines” (peut-être pour ne pas être accusé d’athéisme ou d’impiété), il a postulé l’existence de “moteurs immobiles” qui, selon lui, étaient des êtres parfaits qui n’avaient pas le pouvoir d’agir sur la création matérielle ou de la comprendre. Malgré l’absurdité de la divinité d’Aristote, qui est en fin de compte impuissante, très peu de penseurs se sont penchés sur cette absurdité3.

En utilisant ses fameuses règles de logique syllogistique, qui sont également à la base de tout codage informatique, Aristote a conclu que puisque A) le Créateur est parfait dans sa stase immuable, il s’ensuit que B) moins les choses changent, C) plus elles sont en harmonie avec Dieu.

De cette logique, il faut conclure qu’un rocher sans vie est plus parfait que les organismes de la biosphère, qui changent beaucoup plus vite que la matière non vivante. Le corolaire est que rien ne change plus que l’espèce humaine en raison des progrès scientifiques, ce qui doit signifier que nous sommes, dans toute la création, les êtres les plus imparfaits et les plus éloignés de Dieu.

Si seulement une élite avisée pouvait reprogrammer l’humanité pour qu’elle abandonne sa lourde tendance à sortir de sa médiocrité féodale par des actes de découverte créative, alors peut-être pourrions-nous être remodelés pour être immuables, obéissants et donc “bons” .

Au fil des siècles, cette vision du monde a évolué dans sa forme mais a conservé ses hypothèses de base inchangées.

Il est remarquable que le tour de passe-passe aristotélicien qui a mis Platon à l’envers ait été révélé par le grand astrophysicien pythagoricien Johannes Kepler (1571-1630) dans son opus Harmonice Mundi (L’harmonie du monde), publié en 1619. Kepler avait passé des décennies à prouver que l’hypothèse platonicienne/pythagoricienne de l’Harmonie des planètes, telle qu’elle est exposée dans le dialogue du Timée, était en fait vraie4.

Dans cet ouvrage de 1619, il prouve que c’est le cas et démontre comment il est parvenu à sa 3e loi (la loi harmonique) du mouvement des planètes.

Dans la section 4 de cet ouvrage, Kepler écrit à propos d’Aristote :

Là où il [Aristote] tire une conclusion universelle et accuse Platon de stupidité, faisant ainsi preuve de fantaisie, et enfin là où à l’image platonicienne de l’esclave “autodidacte” il oppose une image contraire de son cru, affirmant que l’esprit en lui-même est vide non seulement d’autres connaissances et de catégories mathématiques, mais aussi de considération d’espèce, et n’est qu’une feuille blanche, de sorte que rien n’y est écrit… mais que tout peut y être écrit ; de ce point de vue,  je dis qu’il ne doit pas être toléré dans la religion chrétienne.

Dans la deuxième partie de cette série, nous explorerons le renouveau d’Aristote à l’époque de la post-Renaissance, sous une forme modifiée. Nous examinerons quelques-unes des principales batailles livrées par les penseurs keplériens, menés par Gottfried Leibniz, contre les principaux héritiers d’Aristote, John Locke et Isaac Newton, qui ont tenté de ramener Dieu et sa création dans la cage du formalisme mathématique et de la perception sensorielle.

Matthew Ehret

Traduit par Zineb pour le Saker Francophone

Notes

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