Le Monde Diplomatique, août 2023 — Bernard GENSANE

Le Monde Diplomatique, août 2023 — Bernard GENSANE

Benoit Bréville dénonce la religion sécuritaire. Clichy-sous-Bois, 27 octobre 2005. Poursuivis par les forces de l’ordre, deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, se réfugient dans un transformateur et décèdent électrocutés. Des heurts éclatent en Seine-Saint-Denis, qui s’étendent bientôt à l’ensemble du pays. Après trois semaines de révolte, le président Jacques Chirac déplore que « certains territoires cumulent trop de handicaps, trop de difficultés », et appelle à combattre « ce poison pour la société que sont les discriminations ». Il fustige également l’« immigration irrégulière et les trafics qu’elle génère » ainsi que les « familles qui refusent de prendre leurs responsabilités ».

Nanterre, 27 juin 2023. Nahel Merzouk, 17 ans, est abattu d’une balle dans la poitrine lors d’un contrôle routier. Les émeutes se répandent comme une traînée de poudre dans tout le pays. L’épisode sera court (cinq jours), mais intense : 23 878 feux sur la voie publique, 5 892 véhicules incendiés, 3 486 personnes interpellées, 1 105 bâtiments attaqués, 269 assauts contre des commissariats, 243 écoles dégradées. « Ces événements n’ont rien à voir avec une crise sociale », mais tout avec la « désintégration de l’État et de la nation », estime le candidat pressenti de la droite (Les Républicains, LR) à la prochaine élection présidentielle, M. Laurent Wauquiez. Et gare à celui qui prétend le contraire, accusé aussitôt de justifier la violence, d’alimenter la culture de l’excuse, voire d’être un « factieux » et un « danger pour la République ».

John Mersheimer se demande pourquoi les grandes puissances se font la guerre. À en croire les discours dominants, la politique étrangère occidentale consisterait à exporter la démocratie libérale et le droit dans le reste du monde. Or les rapports entre puissances obéissent moins aux idéaux qu’à des considérations stratégiques.

Il y a trente ans, nombre d’experts occidentaux assuraient que l’histoire avait pris fin et que l’affrontement entre grandes puissances relevait du passé. Cette illusion a mal résisté à l’épreuve du temps. Aujourd’hui, deux des conflits opposant des grandes puissances menacent de dégénérer en guerre ouverte : les États-Unis contre la Russie en Europe de l’Est à propos de l’Ukraine, les États-Unis contre la Chine en Asie orientale à propos de Taïwan.

Les changements intervenus dans la politique internationale ces dernières années ont marqué une dégradation de la position de l’Occident. Que s’est-il passé ? Où va-t-on ? Répondre à ces questions réclame une théorie des relations internationales qui donne du sens à un monde chaotique et incertain, un cadre général permettant d’expliquer pourquoi les États agissent comme ils le font.

Longo Maï, en Provence est à la recherche d’une utopie (Anne Jourdain). Un monde nouveau, solidaire, dégagé des impératifs de la rentabilité, comment ça marche ? Peu d’expériences de ce type peuvent prétendre avoir un passé. C’est le cas de Longo Maï en Provence. Depuis un demi-siècle, on y travaille beaucoup, on y discute énormément. Les générations se succèdent, les gens vont et viennent, l’aventure continue.

Pour Zineb Fahsi, le yoga sauvera le monde. Le 21 juin, les Nations unies célébraient la neuvième Journée internationale du yoga. Très en vogue, cette discipline qui vise à favoriser l’apaisement du corps et de l’esprit n’en finit pas d’être instrumentalisée à des fins marchandes et d’amélioration de la productivité au sein des entreprises. Une tendance critiquée par nombre de ses pratiquants.

Pour Evelyne Pieillier, la réaction, c’était mieux avant. Lorsque l’espoir se fait rare, la nostalgie des aventuriers désabusés — politiques ou littéraires — renaît. Les auteurs relevant de cette tradition se montrent souvent très critiques d’un ordre qui leur paraît trop bourgeois, trop soumis aux aspirations conformistes de la foule. Leur forme de romantisme, profondément conservateur, ne propose aucun avenir désirable — mais ce n’est pas son objet.

Alain Amariglio nous fait découvrir le livre noir du haricot vert. Des Olmèques aux Aztèques en passant par les Mayas, les peuples de ce bout d’Amérique centrale qu’on appelle aujourd’hui Mexique organisèrent leur régime alimentaire autour de plantes inconnues en Occident : haricot, courge et maïs. Mais les connaissances et les pratiques botaniques accumulées pendant des millénaires furent détruites par les conquistadors et pillées par des maquignons américains.

David Garcia nous révèle les secrets du Barça. Connu dans le monde entier pour ses succès sportifs, le Football club de Barcelone représente pour beaucoup de Catalans un motif de fierté et un attribut de leur identité. Mais le « scandale Negreira » et les soupçons de corruption d’arbitres ont jeté une lumière crue sur les dérives affairistes d’une institution toujours étroitement contrôlée par la bourgeoisie liée au pouvoir local.

Le XXIe siècle restera peut-être comme le temps des mercenaires (Philippe Leymarie). Les tensions avec le Kremlin couvaient depuis des mois, mais la rébellion du groupe Wagner a tout de même surpris. D’ordinaire, les mercenaires obéissent à leur donneur d’ordre, dont ils accomplissent les basses besognes. L’Afrique en sait quelque chose, qui a vu passer nombre de ces « affreux », comme on surnommait jadis les combattants des milices privées.

Serge Halimi explique comment l’Ukraine s’invite dans l’élection étasunienne. Malgré une avalanche de poursuites judiciaires, M. Donald Trump demeure le favori de son parti pour l’élection présidentielle de l’an prochain. Un thème de politique étrangère, la guerre d’Ukraine, fait l’objet de débats passionnés entre les candidats républicains. Les uns reprochent au président Joseph Biden de ne pas assez s’engager aux côtés de Kiev ; les autres jugent que les priorités américaines sont ailleurs.

Pierre Daum nous emmène à 0uarzazate. À Ouarzazate, Marrakech ou Casablanca, les figurants coûtent à peine plus de 2 euros l’heure, les techniciens ne sont pas syndiqués, des villages splendides servent de décor pour des sommes dérisoires, l’État garantit la sécurité, les incitations financières pleuvent. Résultat aussi : le cinéma local est devenu un sous-traitant de l’Occident. Même relatif, ce soft power marocain est-il en train de connaître ses derniers jours ?

Koen de Ceuster nous fait découvrir des artistes nord-coréens. Dans les années 2000, des collectionneurs spéculaient sur l’ouverture du marché de l’art contemporain en Corée du Nord. Des pays africains ou asiatiques passaient commande au Mansudae Art Studio. Mais en Europe, jusqu’à présent, seule la ville de Francfort a confié la réalisation d’une œuvre à cet atelier où travaillent des centaines d’artistes. Leurs productions seraient-elles trop univoques au goût des Occidentaux ?

Evgeny Morozov rafraîchit notre mémoire chilienne. Il y a presque cinquante ans, le 11 septembre 1973, un coup d’État militaire appuyé par les États-Unis mettait fin à l’expérience socialiste au Chili — et à la vie du président Salvador Allende. Au cours de cette période, un géant américain des télécommunications, ITT, a joué un rôle trouble dans la déstabilisation du gouvernement. Et pavé la voie aux mastodontes actuels de la Silicon Valley…

Quand les alliés avaient imaginé un plan pour anéantir l’Allemane (Pierre Rimbert). Des ruines de Berlin au « miracle économique » des années 1950, l’Allemagne d’après-guerre reste associée dans l’imaginaire collectif à un formidable redressement rythmé par l’occupation, le plan Marshall, la naissance de deux pays, vitrines des deux systèmes qui s’affrontent pendant la guerre froide. Mais, à la fin de l’été 1944, les Alliés avaient prévu un tout autre scénario…

Pour Anne Mathieu, l’Autriche est morte et l’Europe la regarde. En septembre 1938, au moment des accords de Munich, comment pouvait-on encore imaginer que l’Allemagne interromprait ses conquêtes et que la paix serait sauvée ? L’Autriche était tombée comme un fruit mûr en mars, les nazis tchécoslovaques présentèrent un ultimatum à leur gouvernement dès le mois suivant. Des journalistes français sur place comprirent alors que la guerre avait commencé.

Le désert médical français est terrifiant (Pierre Souchon). Pour la droite et l’extrême droite, le soulèvement des quartiers populaires témoignerait d’une forme d’ingratitude : les émeutiers détruisent ce que l’État fait pour eux alors même qu’il abandonne les zones rurales ; les uns incendient leur médiathèque pendant que les autres survivent dans des déserts médicaux… Mais, en Ardèche, d’autres raisons expliquent que les habitants sans médecin traitant soient si nombreux.

Tristan de Bourbon-Parme met en regard les banlieues françaises et les quartiers difficiles au Royaume-Uni. Des condamnations dans 95 % des affaires, de la prison ferme dans 60 % des cas, une peine moyenne supérieure à huit mois. Le 19 juillet dernier, le ministre de la justice a dressé un premier bilan de la réponse pénale aux nuits de violence du début de l’été, alors que six cents personnes étaient déjà incarcérées. Que deviendront-elles ? La répression des émeutes de 2011 au Royaume-Uni en donne une idée.

Agathe de Mélinand nous fait redécouvrir la comtesse de Ségur. Aux côtés du « Petit Prince » et d’« Alice aux pays des merveilles », l’œuvre de la comtesse de Ségur fait partie des classiques de la littérature jeunesse. Les pérégrinations de Sophie ont nourri l’imaginaire de générations d’enfants. Mais la « Trilogie de Fleurville » revêt aussi une dimension autobiographique.

Que se passerait-il dans le monde si les images n’existaient pas (Ulrike Lune Riboni) ? mur de Nanterre, le 29 juin dernier. Des lettres violettes inscrites à la bombe. « Sans vidéo Nahel serait une statistique pour la Place Beauvau. Fuck le 17 ». Deux jours auparavant, Nahel Merzouk, 17 ans, avait trouvé la mort au volant d’une voiture, après qu’un agent lui eut tiré en pleine poitrine, à bout portant. Des images tournées par une passante et diffusées sur les réseaux sociaux le jour même ont remis en cause la version policière reprise dans les premiers articles sur le drame. Le 27 juin à 8 h 22, le compte rendu du centre de commandement consignait : « Individu blessé par balle à la poitrine gauche. Le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper. Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire. » Or la séquence filmée montre le motard ouvrant le feu depuis le côté d’un véhicule qui redémarre lentement.

Sans image, que se serait-il passé ? « S’il n’y avait pas eu la vidéo, s’est interrogée la jeune femme qui l’a postée, une collègue de son auteure, quelle aurait été la suite ? » Plusieurs médias ont comparé l’émotion suscitée par la mort de Nahel Merzouk à la relative indifférence dans laquelle, deux semaines plus tôt, Alhoussein Camara était décédé d’une balle dans le thorax à Saint-Yrieix-sur-Charente, dans la banlieue d’Angoulême. Lors d’un contrôle de police sur la route de son travail, ce jeune homme de 19 ans aurait refusé d’obtempérer et heurté les jambes d’un agent avec sa voiture. Un ami d’enfance témoignait, interdit : « Je sais tellement qu’il n’a pas pu blesser ce policier, mais comment le prouver sans vidéo… »

Les images, en réalité, ne suffisent pas toujours. Du moins à obtenir justice. En 1991, Rodney King, un Afro-Américain de 25 ans, est passé à tabac par quatre policiers à Los Angeles. Avec une petite caméra portative, un riverain capte la scène. Son enregistrement et sa diffusion provoquent l’indignation. La vidéo devient dès lors un outil de preuve, un moyen de scandaliser et de mobiliser, mais (…)

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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