Sauvons le roi de la montagne

Sauvons le roi de la montagne

Texte écrit par Jérémie Laliberté

Été 1970, ma tante n’est encore qu’une enfant dans un camp de vacances parmi tant d’autres. Au milieu de la nuit, de grands coups à la porte du chalet et le bruit d’une scie mécanique réveillent les campeuses : une campeuse a été enlevée par une tribu mystérieuse! Un homme entre, une scie à chaine dans une main, une poule vivante dans l’autre. « C’est la seule solution! », s’écrie-t-il. Les filles, paniquées, assistent alors au sacrifice d’une poule qui ramène miraculeusement la campeuse disparue. Ce scénario macabre faisait partie du programme d’animation de la semaine!

La première fois que ma tante m’a raconté cette histoire, j’étais ébahi. L’administration du camp entérinait-elle ça? La meilleure partie, c’est la réaction de mes grands-parents quand ma tante leur a raconté l’aventure : « Wow, ça a vraiment été un beau séjour! ». Ah oui? C’est comme ça que les parents réagissaient, à l’époque, devant ce genre d’histoires? Même si je ne compte pas faire la défense des jeux avec scies mécaniques, ce contraste évident avec toutes les normes sécuritaires d’aujourd’hui pose la question de notre tolérance aux risques pour nos enfants.

Si nous encourageons beaucoup nos enfants à jouer avec des jouets et des ballons, si nous leur permettons de courir, grimper et sauter, la troisième forme de jeu est de moins en moins tolérée : le corps-à-corps. Depuis plusieurs décennies, des jeux comme le roi de la montagne sur le banc de neige ou la lutte dans la piscine, malgré leur importance immense pour les enfants, accusent un déclin évident. Qu’en est-il des risques associés au fait d’empêcher nos jeunes de s’y adonner?

Violent ou turbulent?

Disons-le d’emblée, ces jeux ne sont pas violents, mais bien turbulents. La différence? Le second est un jeu, pas le premier. Si, comme parents, enseignants et éducateurs nous parvenons à résister à l’envie d’intervenir et que nous regardons vraiment ce qui se passe, nous pourrons voir qu’à travers les bousculades et les chutes, les enfants jouent! Souvent ils rient, parfois ils froncent les sourcils, car ils tentent de reprendre le dessus, ou encore ils crient, l’air effrayé, car ils déboulent le banc de neige. Mais résolument, ils jouent. Si nous sommes réellement attentifs, il est très facile de repérer les moments où nous devrions intervenir. Ils sont dans les faits assez rares : l’un des jeunes est dépassé par les évènements, s’enrage ou devient émotif.

Les enfants — comme les adultes — ont un désir de jouer qui les incite à calibrer leurs interactions pour que le jeu reste un jeu. Par exemple, si un enfant costaud domine la lutte, le jeu s’autorégulera et deviendra naturellement « tout le monde contre lui! ». En outre, si un enfant trop agressif fait mal aux autres, il apprendra rapidement à faire attention sous peine de ne plus être invité à jouer. Par le jeu, plutôt que par une interdiction, il apprend lui-même les limites à ne pas dépasser.

Il suffit donc de laisser les enfants jouer — ou mieux encore, de jouer avec eux — et de rester à l’affut des débordements pour les récupérer. C’est ainsi que l’on surpasse la fausse perception de la violence afin de voir en ces jeux une réalité plus subtile, voire même fertile. Notre corps est notre outil pour entrer en relation avec les autres. Il est bon de savoir s’en servir avec mesure et de façon appropriée.

La signification du toucher

Faisons un parallèle : le chiot aime jouer et mordiller. Si son maitre tolère certains mordillages, l’animal apprend à calibrer sa force. Ainsi, il pourra toute sa vie jouer avec des enfants de façon sécuritaire.

Si, au contraire, on punit le chiot chaque fois qu’il mordille, il n’aura jamais l’occasion d’apprendre. Il deviendra ce chien mal socialisé qui blesse quelqu’un en essayant de jouer.

Ne soyons pas le chien du deuxième scénario.

Son équivalent humain ne sait pas faire la différence entre jeu et violence, entre contact amical et sexuel, pour ne nommer que ceux-ci. Une fois adulte, il risque à la fois de poser des gestes maladroits et de mésinterpréter les intentions d’autrui.

Il faut soit adopter un mode de vie zéro toucher, soit apprendre à distinguer les différents types de contact physique. C’est justement ce que permet de faire le jeu : expérimenter dans un contexte sécuritaire.

L’Américain Rafe Kelley est fondateur de l’organisme EvolveMovePlay.com. Il anime des retraites de jeu physique et de ressourcement spirituel pour les 7-77 ans. Il rapporte le témoignage de plusieurs femmes qui ont vécu une grande guérison après avoir joué à différents jeux physiques mixtes dans une ambiance complètement fraternelle. Par le jeu, elles ont découvert, entre autres, que le toucher d’un homme n’est pas toujours sexuel. Elles ont été libérées d’une méfiance mal ajustée.

N’est-ce pas enthousiasmant d’envisager de redécouvrir la subtilité du toucher humain par le jeu?

Apprivoiser l’adversité

De tels jeux favorisent également le développement de la gestion des conflits. Ils enseignent que lorsque la lutte est finie, les opposants n’ont pas à être ennemis. Dans un mariage, une amitié, une vie familiale ou professionnelle, rien ne vaut la capacité de faire face volontairement aux situations difficiles. Comment faire, cependant, si l’on ne connait pas notre manière de réagir devant l’adversité? Allons-nous nous entredéchirer? Vaudrait-il mieux éviter tout différend?

Jouer en corps-à-corps, c’est apprendre à habiter les possibilités relationnelles de notre chair. C’est se donner la chance
d’apprendre à mieux aimer.

Les « coltaillades » d’enfance donnent l’occasion d’apprendre qu’il n’est pas nécessaire de choisir entre la confrontation et la paix apparente. Il peut exister une vraie relation où l’on accepte une certaine bousculade mutuellement bénéfique, sachant que l’on peut y mettre un terme sans garder de rancoeur.

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Israël : celui qui a lutté avec Dieu

En terminant, rappelons la signification du nom du peuple d’Israël : « Celui qui a lutté avec Dieu. » N’est-il pas juste d’envisager notre relation à Dieu comme une lutte, comme une danse? La lutte, c’est avant tout un acte qui engage entièrement dans une relation à l’autre. On y apprend à se connaitre, à connaitre l’autre, à reconnaitre ce que nous avons en commun et à percevoir ce qui nous distingue. Toute relation d’amour véritable est nécessairement un engagement dans une lutte, dans une danse, dans un jeu avec l’autre.

Nous, qui sommes à l’image de Dieu, sommes constamment invités par son Esprit à faire sa volonté en la conjuguant librement à la nôtre. Le Seigneur nous bouscule, nous concède certaines choses et nous barre la route ailleurs. On lui laisse la place à un moment, il nous entraine à son tour, et si on entre réellement en relation avec lui, il ne nous laisse pas inchangés.

Jouer en corps-à-corps, c’est apprendre à habiter les possibilités relationnelles de notre chair. C’est se donner la chance d’apprendre à mieux aimer.

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