La vie à Nazareth avec les Truchon-Desgagné

La vie à Nazareth avec les Truchon-Desgagné

Nous sommes à Dolbeau-Mistassini, au nord du lac Saint-Jean. Chez les Truchon-Desgagné, il fait doux et paisible. Marianne et Christian nous accueillent en grand: on nous offre le café, le souper, la chambre d’amis. Avec ses cinq garçons, la famille habite le deuxième étage d’une maison bigénérationnelle. Le logement du bas est occupé par les parents de Marianne. Nous rencontrerons les grands-parents plus tard, mais pas trop: ils se couchent et se lèvent tôt, nous apprend-on. Si les logements sont sur des étages différents, séparés par une porte, verrouillée à l’occasion, l’odeur du café frais vient chercher Marianne dans son sommeil, parfois, dans la chambre du haut. Mais les bruits ne traversent pas. Lorsqu’on ferme la porte, chacun est chez soi.

Dans la salle familiale du haut, de grandes fenêtres dévoilent la rivière, le soleil couchant et la forêt, au loin. J’y retrouve la beauté silencieuse des régions éloignées. On s’installe autour de la table pour se raconter.

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Marianne provient d’une famille de sept enfants. Ses grands-parents étaient les premiers à acheter un chalet ici, rue Laverdure, au bord de la rivière Mistassini. «L’été, c’est vraiment un endroit paradisiaque!» dit-elle. Lorsque son grand-père est décédé, ses parents, Michel et Marie-Claire, ont acheté le lot. Michel a bâti la maison et déplacé une partie du chalet, pour récupérer le terrain. «À bras, avec des billots. C’est une machine!» s’exclame Christian. Il a un atelier dans le garage. «Il fait plein de choses ici, tout seul. Mes parents sont généreux, très très généreux, vous verrez», reprend Marianne. Elle était adolescente lorsque ses parents se sont installés ici. Ils y sont depuis 26 ans, mais Marianne, elle, a fait le tour du monde avant de revenir y installer sa famille.

Christian et elle parlent presque d’une seule voix. Ils se sont rencontrés sur la Côte-Nord, à la Famille Myriam Beth’léhem – auprès de laquelle les Truchon-Desgagné cheminent toujours –, lors d’une fin de semaine pour jeunes. Après leur mariage, ils ont habité Sept-Îles, puis Baie-Comeau. Les enfants grandissant, l’espace de leur bungalow se fait étroit, mais les recherches n’aboutissent pas, raconte Christian. «On avait trouvé une maison superbe, mais l’endroit n’était pas intéressant. Ensuite, il y en a eu une sur le bord de la mer, c’était fou, mais la maison elle-même était presque délabrée. On faisait des blagues, on disait qu’on allait déménager une maison là-bas. Finalement, à un moment donné…»

L’appel

«C’était là, l’appel! Je peux vraiment dire que c’était un appel, poursuit Marianne. Je n’aurais jamais déménagé, sinon. Il a fallu que le Seigneur parle fort. C’était un matin de semaine, j’étais dehors, quand Il m’a dit: “Et si je t’appelais à retourner au Lac-Saint-Jean, reprendre la maison familiale?” Je ne pensais pas à ça pantoute, ça n’avait jamais été discuté. C’était clair: c’est non, c’est Dolbeau (elle rit), c’est mon enfance, mes souvenirs. J’aime le nouveau, et là, je revenais dans mon passé. Je me disais: “Oh! non, Seigneur, tu ne nous demandes pas vraiment ça, ça ne se peut pas!” Mais quand j’ai une intuition, je dois l’écouter. Avant même d’en parler à Christian – je savais déjà que ça l’intéresserait –, j’ai appelé ma mère. Elle m’a répondu: “Marianne, ce serait la réponse à nos prières depuis des années.”»

Plus tard dans la soirée, nous rencontrons Marie-Claire et Michel, chez eux: un petit logement douillet, entièrement équipé, au rez-de-chaussée de la maison, avec son entrée et sa terrasse privées. On constate tout de suite le changement de décor. Marie-Claire fait du bénévolat dans les ressourceries de la région. «J’aime les vieilles affaires, je ramasse toutes sortes de choses», nous raconte-t-elle. Sur le comptoir de la cuisine sont étalés dix-sept grands pains fesses, tout frais sortis du four. L’odeur est enivrante. Les enfants leur tournent autour. «Ils pourraient ne manger que ça, le pain de grand-maman», nous confie Marianne.

L’automne dernier, après la saison de chasse, Michel a annexé une chambre froide à la maison, pour y accueillir le premier gibier des garçons. «On soupe en haut?» demande-t-il. Les repas sont généralement pris ensemble: parfois en bas, parfois en haut. Marianne et sa mère préparent à tour de rôle et se complètent. «Je lui dis toujours si j’emprunte quelque chose, nous confie Marianne, ou je le remplace lors de la prochaine épicerie.» Tout est ensemble, et séparé à la fois. Il s’en dégage un énorme respect pour l’intimité de chaque noyau. Les choses sont dites, discutées et préparées. «Vivre la communion, ce n’est pas juste avec des personnes qui partagent les mêmes idées. On apprend à vivre ensemble. Et puis, quand ça nous travaille, c’est que c’est nécessaire aussi.»

«J’ai bâti la maison avec mes garçons, on a tout bricolé», nous raconte plus tard Michel. Lorsque les enfants sont partis, le couple est resté seul dans la grande demeure. En 2007, Michel a perdu son emploi: «On ne savait pas trop quoi faire, on se demandait si on vendrait la maison.» Ses sœurs, venues faire le tour du lac à vélo, ont proposé l’idée d’un gite. «On l’a fait! On a meublé, on a acheté des lits. Ça a été une aventure pour moi, comme j’ai un tempérament plus solitaire, mais ça a été extraordinaire. L’accueil a été extraordinaire!» La première année, le Gîte la Providence accueille une quarantaine de personnes. Cinq ans plus tard, il en accueille 500 en l’espace d’un seul été.

Marie-Claire nous confie: «Je suis une perfectionniste. Tout était fait maison, du yogourt jusqu’au pain, il n’y avait pas de limite. Les tables, le matin, c’était effrayant! On était un bon gite, oui, mais ça a été extrêmement exigeant. Il fallait driller.» Au bout de cinq ans, ils sont à bout de souffle, épuisés. «On a fermé et on ne savait toujours pas quoi faire de la maison. On avait des dettes. Aucun des enfants ne voulait la prendre. Je priais, je disais: “Seigneur, je ne veux pas mourir avec une dette. On fait quoi avec ça?” Je me souviens d’avoir beaucoup prié. Dans ce temps-là, on allait à Sept-Îles, chez Marianne. Ils commençaient à chercher une maison, ils voulaient même qu’on aille les rejoindre là-bas, mais moi, me faire déraciner, ça ne fittait pas. Et puis, dans la prière, à un moment donné, c’est Marianne qui appelle.»

L’appel de Marianne est arrivé en juin 2017. À l’automne, la petite famille s’installait à Dolbeau. «Étant donné la fratrie de Marianne, il a fallu que tout soit discuté avant, puisque, de toute évidence, on n’a pas payé ce que ça valait. On n’aurait jamais pu faire ça si on avait senti une réticence de leur part. Mais finalement, ils étaient tous contents, puisque autrement, tout cela (en désignant la maison, le terrain) aurait été perdu. Il y avait là une opportunité pour que ça continue. Ils étaient contents que ça reste dans la famille et que leurs parents puissent rester ici. Sinon, il aurait fallu qu’ils aillent je ne sais où…», raconte Christian. Michel abonde dans le même sens: «On a comme une protection. On vieillit, mais on sait qu’il y a toujours quelqu’un en haut. Par exemple, l’hiver passé, nous avons attrapé la COVID-19. Malades tous les deux! Moi couché ici, Marie-Claire là. Marianne venait prendre soin de nous. Les autres enfants étaient contents, rassurés.»

La nouvelle génération

La petite famille est arrivée, avec ses effets et ses souvenirs, dans une maison déjà longtemps habitée par les grands-parents. La période de transition n’a pas été facile. On nous parle d’adaptation, de changement et de renoncement, de part et d’autre. «Nous, on avait toute la maison avant. C’était plein de plantes en haut. Tout était meublé, toutes les chambres arrangées. Il a fallu se détacher pas mal», se souvient Michel. «La première année a été difficile, renchérit Marianne. Je ne comprenais pas ce que le bon Dieu voulait dans ça. Ce n’était pas chez moi, c’étaient toutes les affaires de ma mère.»

Au début, les deux familles habitaient ensemble et partageaient la même cuisine. Mais Marie-Claire avait accueilli sa propre mère, des années auparavant. «Elle était dans la chambre d’à côté, et ça n’avait que moyennement marché.» Le grand frère de Marianne, entrepreneur en congé, débarque de Québec. Michel et lui ont construit le logement du bas et, en quelques mois, chacun était installé de son côté. À un moment donné, tout s’est placé. «Je ne reviendrais pas en arrière, dit Marianne. Si je retournais toute seule dans ma maison, je trouverais ça super plate. La maison, c’est là où l’on est ensemble. Parfois, ils s’en vont (en parlant de ses parents). Ils ont plusieurs enfants et ils voyagent. Ils s’en vont une semaine ou deux à la fois. C’est plate sans eux. Eux aussi, ils trouvent ça plate lorsqu’on part. Il ne se passe plus rien. Peut-être que durant les premiers mois, ils n’auraient pas dit ça, mais maintenant…»

«Le moment de la prière ensemble est essentiel.
Il nous rappelle que nous sommes humains et nous ramène au pardon. Il nous permet de ne pas tomber dans la peur et de rester dans l’émerveillement de la vie.»

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Ce que la grande famille partage le plus souvent, ce sont les repas et les moments de prière. Michel est diacre. Lorsqu’il ne célèbre pas la Parole, il s’occupe dans le garage. Les enfants explorent ses outils et apprennent de son savoir-faire. Ils fabriquent des épées, rentrent le bois de chauffage et pellètent la neige. Avec leur père, ils entretiennent la grande patinoire aménagée par les deux hommes. Marie-Claire joue du piano aux fêtes. Elle cuisine beaucoup, mais toujours dans sa propre cuisine. Marianne fait l’école à la maison. Mécanicien en machinerie lourde, Christian travaille à l’extérieur pour subvenir aux besoins de sa famille. «Tant qu’on place le Seigneur au-dessus de nos soucis, tout va bien. Il arrive parfois qu’on saute des soirs de prière; dans le temps des fêtes, c’est arrivé, par exemple. Mais on sent rapidement l’équilibre de la famille se fragiliser. Le moment de la prière ensemble est essentiel. Il nous rappelle que nous sommes humains et nous ramène au pardon. Il nous permet de ne pas tomber dans la peur et de rester dans l’émerveillement de la vie.»

Ils nous parlent tous de la compatibilité des caractères, comme quoi ce ne sont pas toutes les personnalités qui pourraient vivre une telle expérience. «Je savais que c’était le type de personnes qui pouvaient vivre quelque chose comme ça. Avec ma mère, il n’y a jamais rien de grave», dit Marianne en riant. «Parfois, c’est vrai que c’est grave, mais en général, c’est ben correct que ça ne le soit pas. Ça prend de ça un peu, parce qu’on n’arrivait quand même pas avec un seul bébé. On arrivait avec cinq garçons qui déplacent de l’air. Ça marche dans les fleurs, cinq garçons!» renchérit Christian. «Il y a plein de choses qui sont possibles, qui ne le seraient pas si on n’avait pas tout cela en commun. C’est beaucoup d’entraide, et ça va dans tous les domaines, autant en ce qui a trait aux talents de chacun, que des finances, ou que toute autre sphère de la vie de tous les jours.»

«Je sais qu’il y a plusieurs façons de vivre ça. L’espace n’est pas toujours disponible. Nous, ce qui aide vraiment, c’est que nous avons chacun notre espace. Malheureusement, les chances ne sont pas toujours du côté des familles qui veulent habiter en formule intergénérationnelle. Et pourtant! Pour vous donner un exemple, nous n’avons eu aucune aide du gouvernement, puisque mes parents sont autonomes. Je ne sais pas ce qui arriverait s’ils étaient malades. Mais cela doit changer, puisque cette formule est une belle façon d’alléger le système: garder les personnes âgées à la maison et ne pas surcharger les services publics. Avec la COVID-19, on l’a vu, la différence avec les autres familles était extrême. Nous étions neuf dans notre bulle! Mes parents n’ont pas vécu la solitude que bien d’autres gens ont vécue. Tout à coup, ce qu’on avait fait était devenu très pertinent. Ça a pris tout son sens quand on a vu que d’autres personnes âgées étaient toutes seules.»

Marianne et Christian avaient toujours envisagé la possibilité d’une habitation bigénérationnelle. «On y a pensé à un moment donné. Et si c’était pour plus tard? On s’est dit non, c’est maintenant que ça se présente», raconte Christian. «J’étais contente, en fin de compte, poursuit Marianne, mes parents sont encore en âge, nous pouvons réellement profiter les uns des autres. Ce ne sont pas des raisons de santé qui ont motivé la cohabitation dans l’immédiat. Mon papa peut encore nous aider. Il a fait le poulailler. Lui, il est heureux avec ce travail, ça le fait vivre. Il exprime son amour par le travail, qui continue d’avoir un sens. Ma mère, elle, tout ce qu’elle touche est beau. Lorsque mes plantes vont moins bien, je les lui descends. Elle ramène tout à la vie.»

*

Maxime et moi avons passé trois jours chez les Truchon-Desgagné. Nous en sommes revenus changés, touchés, inspirés par l’amour simple et profond qui vit au cœur de cette famille. «On a dit beaucoup de choses, mais en fait, c’est simple: c’est la vie à Nazareth», rappelle Marie-Claire.

Photo : Maxime Boisvert

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