Général italien sur Wagner: «Personne ne peut même pas rêver d’essayer de prendre le Kremlin»

Général italien sur Wagner: «Personne ne peut même pas rêver d’essayer de prendre le Kremlin»

Alors que les journaux occidentaux tentent encore de reconstituer les heures convulsives qui ont accompagné ladite tentative de rébellion en Russie du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, en essayant notamment de comprendre s’il y a eu ou non un soutien de la part des dirigeants occidentaux, les répercussions de ce qui est faussement appelé par l’Occident un coup d’État avorté, restent à comprendre. De nombreux analystes disent que le Kremlin serait affaibli, d’autres disent tout le contraire et affirment même qu’il s’agissait d’un plan orchestré pour déplacer des troupes en Biélorussie. Le média italien Strumenti Politici a demandé l’avis du général italien, Marco Bertolini, ancien chef d’état-major du commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) de l’Otan en Afghanistan.

Pourriez-vous nous donner une évaluation de ce qui s’est passé en Russie ces jours-ci, notamment concernant la mutinerie du groupe Wagner?

Marco Bertolini: Il convient de noter immédiatement le moment où ce fait s’est produit. C’est une période au cours de laquelle les opérations militaires en Ukraine se déroulent de manière substantiellement positive pour la Russie, ne serait-ce que parce qu’il n’y a pas eu la contre-offensive massive que beaucoup attendaient. En fait, on croyait qu’il y aurait une contre-attaque comme celle qui s’était produite à Kharkov et Kherson, même si dans ces régions les Russes n’avaient pas réellement résisté, mais s’étaient simplement retirés une fois qu’ils avaient remarqué la malchance.

Dans le cas présent, cependant, la contre-offensive ukrainienne a touché une noix dure à casser, en fait elle n’a même pas atteint l’os, c’est-à-dire les lignes défensives mises en place par les Russes ces derniers mois. Maintenant, ils ont peut-être réussi à installer une tête de pont dans la région de Kherson.

La mutinerie ou la tentative de coup d’État de [Evgueni] Prigojine, a donc eu lieu alors que tout le monde était concentré sur les opérations en Ukraine?

Marco Bertolini: D’un point de vue militaire, elle risquait d’affaiblir les positions russes car la crise politique pouvait avoir un impact lourd sur le terrain au niveau tactique. Et au lieu de cela, elle a été résolue presque comme si de rien n’était. On note également que Wagner n’a pas abandonné ses positions au front pour aller assiéger Rostov car il a déjà rejoint ses quartiers logistiques. D’un point de vue politique, le problème n’est pas indifférent car il a mis à nu certains points faibles de l’organisation russe.

En fait, Wagner a joué un rôle important, parallèle à celui de l’armée régulière, et a eu des problèmes avec l’état-major. Tant que Wagner menait des opérations hybrides, du genre menées de 2014 à 2021, où les forces armées russes n’apparaissaient pas officiellement en action et où la dépendance était dirigée par le pouvoir politique, [Evgueni] Prigojine, et ses acolytes s’en sortaient bien. Pour Wagner, les choses changent lorsque des opérations sont mises en place par des chefs militaires pour un besoin évident d’unité de commandement, un principe fondamental que [Evgueni] Prigojine ne comprend pas ou ne veut pas accepter car cela lui enlève son pouvoir.

Tout s’est avéré positif pour l’establishment russe: une intervention sèche et immédiate de [Vladimir] Poutine a suffi, avec une négociation favorisée par Alexandre Loukachenko. Ainsi, après une seule journée, les combattants de Wagner se retirèrent en bon ordre. C’est probablement maintenant ce que l’état-major russe voulait depuis le début qu’il devrait se produise, à savoir que Wagner passera sous [son] commandement. Il ne peut en être autrement si nous voulons tous faire la même guerre. [Evgueni] Prigojine pouvait se permettre certaines explosions sur les réseaux sociaux parce qu’il répondait au pouvoir politique, pas au pouvoir militaire. Plus maintenant: Wagner sera absorbé par l’armée russe, peut-être démembré ou peut-être incorporé en tant qu’unité distincte. Les composantes de Wagner opérant dans des contextes politico-stratégiques isolés resteront.

On se souvient du rôle important qu’il a joué en Libye quand il y a eu la tentative [du général] Haftar de prendre Tripoli avec le soutien de Wagner comme arme militaire. Puis, elle est également présente au Mali, donc au Sahel, zone d’intérêt français que la Russie a réussi à «arracher» à [Emmanuel] Macron. La composante tactique du Wagner opérant en Ukraine, en revanche, doit relever de la ligne de commandement de l’état-major général.

[Evgueni] Prigojine a été mis en veilleuse et nous verrons comment et s’ils le «recyclent» lui et ses fidèles. Certes, en se repliant sur Minsk, il est déjà passé sous le gant de l’autorité de [Vladimir] Poutine. En réalité, [Evgueni] Prigojine n’a jamais remis en question ce dernier alors qu’il a toujours été très critique envers Valeri Guerassimov et Sergueï Choïgou car il ne voulait pas être employé par le ministère de la Défense et tentait d’entretenir une relation correcte avec le président. Mais cette fois, il a fait les choses en grand. [Vladimir] Poutine était vraiment en colère et a utilisé des mots très lourds pour décrire l’affaire.

De nombreux lecteurs se demandent à quel point il est plausible que des milliers de combattants de Wagner soient arrivés en une demi-journée de Rostov à seulement 200 kilomètres de Moscou?

Marco Bertolini: S’ils ont effectivement réussi, cela signifie qu’ils n’ont rencontré aucune résistance. Et pourquoi n’y a-t-il pas eu de résistance? Parce que Wagner était trop fort et effrayant ou parce qu’ils essayaient déjà de trouver une solution? Nous ne savons toujours pas. Une progression aussi rapide n’est possible qu’en se déplaçant en voiture ou sur des véhicules blindés sans rencontrer d’obstacles. L’autre question à se poser est pourquoi ils n’ont pas parcouru les 200 derniers kilomètres. Evidemment les combattants de Wagner avaient compris qu’il n’y avait pas eu cette position prise par d’autres sujets importants qu’on leur avait peut-être promis. Si [Evgueni] Prigojine voulait être l’étincelle qui provoquerait une plus grande insurrection quand il a vu que rien ne bougeait, il a compris qu’il devait sauver [Wagner], lui et ses hommes, et il a donc abandonné.

Alexandre Loukachenko a déclaré qu’il avait persuadé [Evgueni] Prigojine d’arrêter en l’avertissant qu’il serait écrasé par les forces régulières russes.

Marco Bertolini: Sans doute. Et en fait, s’il en était arrivé là, cela aurait été une défaite pour Moscou. Recourir à la force aurait été une démonstration de faiblesse. Et au lieu de cela, le Kremlin s’en est bien sorti, car sans combat, il a réparé la crise avec un chef charismatique, fort en termes médiatiques et militaires comme [Evgueni] Prigojine et l’a poussé dans un coin, lui donnant même la perspective que sa «créature» soit démembrée.

Il existe une théorie selon laquelle il s’agissait d’une opération visant à déplacer Wagner en Biélorussie pour le rapprocher de Kiev et coordonner une descente avec les forces biélorusses.

Marco Bertolini: D’après ce que j’ai pu voir, la composante Wagner destinée à la Biélorussie est plutôt limitée: elle serait insuffisante comme force d’impact. En revanche, rien n’indique qu’il y ait eu un quelconque contact entre [Evgueni] Prigojine et les Américains ou les Ukrainiens. La rapidité avec laquelle la crise s’est calmée suggère que [Evgueni] Prigojine est très personnel en la matière. En effet, nous avons vu son comportement imprévisible et ses actions étranges à un moment où les choses allaient fondamentalement bien pour la Russie

Le New York Times, Bild et d’autres médias internationaux (et vous aussi dans un précédent entretien pour notre média) ont attribué l’absence de succès de Volodymyr Zelensky à la stratégie défensive des Russes, avec la stratification des lignes minées qui empêchent les adversaires d’avancer. À ce stade, pensez-vous qu’il peut encore y avoir une avancée russe ou les parties concernées tenteront-elles de maintenir leurs positions jusqu’à la fin de 2023 ou peut-être même à long terme?

Marco Bertolini: Il y a quelques mois, je m’attendais à ce que la Russie contrôle l’ensemble du Donbass et déclare ensuite la fin des opérations. Mais, les choses sont manifestement allées trop loin. Moscou ne peut pas s’arrêter tant que Volodymyr Zelensky est à Kiev, tant que l’Otan et les États-Unis maintiennent l’objectif déclaré d’affaiblir la Russie. Se limitant au contrôle du Donbass, la Russie resterait toujours exposée aux représailles ukrainiennes et occidentales, se retrouvant longtemps dans une guerre «gelée». Il est donc possible que Moscou ait modifié ses objectifs, voulant peut-être aller jusqu’au Dniepr et créer une zone tampon côté biélorusse.

Ce ne sont que des hypothèses, mais aujourd’hui avec l’intransigeance absolue dont fait preuve Volodymyr Zelensky (d’ailleurs légitimement) la seule solution est la défaite de l’adversaire, pas les négociations et les compromis. L’Europe a toujours été l’entité culturelle, commerciale et économique de référence pour la Russie et Vladimir Poutine, mais elle refuse aujourd’hui toute possibilité de négociation de sorte que l’affrontement se poursuit avec la perspective de durer des décennies. Ce que je crains le plus, c’est le danger d’un événement négatif à Enerhodar. Je crains que quelque chose de grave ne se produise, un accident ou peut-être même simplement le danger d’un accident qui devienne le prétexte à l’intervention de l’Otan. En déclarant qu’ils doivent intervenir de toute urgence pour éviter des dégâts plus importants, les pays occidentaux pourraient agir.

Le Kremlin a déclaré que l’Ukraine avait perdu 280 pièces d’équipement, dont 41 chars et 102 véhicules blindés, le long de la route principale de l’attaque. Est-ce que ces chiffres semblent fiables?

Marco Bertolini: Les Ukrainiens n’ont pas réellement avancé. Il y avait une pénétration minimale. Nous avons vu des images des Leopard en train d’être éliminés et des chars de déminage américains explosés. La façon de travailler de ce dernier s’est avérée contre-productive. Alors oui, les Ukrainiens ont perdu des actifs, mais je ne sais pas si ces chiffres sont fiables. J’ai tendance à douter a priori des chiffres qui sont donnés par chacune des parties. Au passage, [Evgueni] Prigojine a remis en cause les chiffres et même renversé le récit très russe de la guerre et de ses motivations: c’est pourquoi son «insurrection» me paraît quelque chose d’absurde, d’incroyable. Pour en revenir aux pertes ukrainiennes, j’aimerais tout d’abord savoir combien de véhicules ont été déployés et quel est leur taux d’usure. En tant qu’homme de métier, je peux dire que dans le monde occidental – ou du moins en Italie – personne ne peut prétendre à l’expérience pour évaluer avec précision ces chiffres. Nous n’avons étudié qu’à l’académie, à l’école de guerre, les tableaux qui nous indiquaient combien de pertes nous pouvions escompter lors d’une attaque contre des défenses moyennes ou fortement organisées. Mais ce n’est que de la théorie. Nous n’avons aucune expérience directe pour comprendre qui donne les bons chiffres et qui ne le fait pas. 

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Version française : Observateur continental
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