L’« écologie queer ». De plus en plus d’individus, de groupes et médias supposément écologistes en parlent, en font la promotion. Qu’est-ce donc ? Afin d’explorer le sujet, permettez-moi de vous présenter une femme exceptionnelle, élogieusement mentionnée dans un article récemment paru sur le site de Vert, le média qui annonce la couleur, intitulé « L’écologie queer : quand le combat environnemental rencontre les luttes pour les droits LGBT+ ».
Ce qu’elle a d’exceptionnelle, c’est qu’elle est un homme. Mais pas n’importe quel homme. Un homme qui a eu l’audacieux courage, à un moment de sa vie, de « devenir une femme » [une « femme transgenre »]. Et pas n’importe quelle femme, Brigitte Baptiste, « une femme devenue un exemple d’émancipation sexuelle, de genre et de réussite professionnelle » (et avec une certaine poitrine, semble-t-il). Les femmes les plus géniales sont des hommes ! Formidable ! Prends ça le patriarcat !
Mais, bon, « femme », c’est vite, dit. Ça dépend. À un journaliste qui lui demande comment il se définit, il répond : « Je suis une personne qui peut se manifester comme un homme ou une femme. » Selon son humeur, il choisit. Le grand luxe.
Le « média [qui se prétend] de l’écologie » Reporterre le présente comme « une championne de la biodiversité ». Appellation imméritée. Le monsieur est juste une figure relativement connue de l’écologisme institutionnel en Colombie. Né Luis Guillermo Baptiste, il décide, un peu après ses 30 ans, de « transitionner » et de devenir Brigitte en référence à Brigitte Bardot. (Le récit qu’il fait de sa « transidentité » est celui que formulent typiquement tous les autogynéphiles ; depuis enfant, il aimait revêtir des vêtements « de femmes » ou « féminins », se maquiller en cachette, etc.)
Spécialiste des sciences environnementales et de la conservation, Baptiste défend ouvertement et fiévreusement le « capitalisme vert », qu’il considère comme une formidable avancée. Il travaille à la fois dans le milieu universitaire (y compris en tant que directeur de l’université EAN, « une des meilleures business school de Bogota »), et dans le milieu « non-gouvernemental » (il collabore avec le WWF à plusieurs reprises).
Baptiste est aujourd’hui devenu « un modèle. Mais je dirais un modèle “simple”. Il n’y a rien de difficile à dire aux gens : “soyez vous-même”. » Dit-il qui a décidé de ne pas être lui-même, de prétendre être une femme.
Reporterre nous fournit la preuve ultime qu’il est vraiment une femme : « Ses deux tatouages représentent la féminité : une sirène au bras gauche et la Naissance de Venus de Botticelli sur l’épaule. » Une sirène et la Naissance de Vénus de Botticelli en tatouages ?! Élémentaire mon cher Watson : c’est une femme. Et puis : « Cheveux rose ou bleu en fonction de ses humeurs, maquillage prononcé et talons aiguilles, aujourd’hui elle a choisi le vert, robe et cheveux assortis. »
Baptiste affirme aussi : « Être transgenre est un équilibre entre le féminin et le masculin sans devoir assumer un genre en particulier, c’est être libre. » Pourtant, Baptiste adopte les stéréotypes sexistes classiques de la féminité patriarcale. Et parler d’équilibre entre le féminin et le masculin, c’est encore se référer aux stéréotypes patriarcaux.
(Reporterre ne mentionne étonnamment pas le fait que Baptiste est un fervent défenseur du capitalisme vert. Un oubli sans doute.)
Dans un entretien pour Oxfam France, Baptiste affirme que « mettre l’accent sur l’identité est un des problèmes de la société contemporaine ». L’hôpital qui se fout de la charité. Baptiste passe son temps à parler de son identité et/ou de transidentité. Sa supposée « transidentité » est possiblement la principale raison pour laquelle on parle autant de lui.
Si Baptiste défend aussi vivement le capitalisme vert, c’est parce qu’il considère qu’il s’agit d’une « étape historique, positive, qui ouvre la voie à une nouvelle façon de structurer les économies ». Et apparemment, sa transidentité est la preuve que le capitalisme peut devenir durable : « Je pense que si l’on peut passer du masculin au féminin de manière positive, on peut passer d’une économie non durable à un modèle durable. » Imparable. Un argument en béton vert.
À la question : « Pourquoi la biodiversité est-elle utile au développement économique ? », Baptiste répond :
« Elle est utile car tous les secteurs productifs dépendent des services écosystémiques fournis par la biodiversité. La régulation de l’eau, par exemple, qui permet la croissance industrielle, l’agriculture et l’expansion des infrastructures, dépend des forêts et de la végétation. La production alimentaire, quant à elle, nécessite un contrôle biologique des insectes et la fertilité des sols. Ainsi, si ces éléments de biodiversité disparaissent, les services écosystémiques qu’ils fournissent sont également perdus. D’un point de vue économique, nous savons que ces services apportent du capital à la production. »
La biodiversité, c’est très important pour la croissance industrielle, les infrastructures, le capital et la production. Industrie, croissance, technologie, tout ça, c’est formidable, ainsi qu’il l’explique ailleurs :
« […] la science est capable de créer de nombreux dispositifs, de proposer de nouvelles façons d’interagir les uns avec les autres, d’interagir avec le reste du monde vivant, et donc la technologie est un merveilleux médiateur de ces relations. La technologie devient aussi, ou devrait toujours devenir, un facilitateur de connectivité, un promoteur d’expériences alternatives, une source d’inspiration, disons, évolutive, pour ainsi dire. La technologie a toujours créé des plis, elle a toujours permis l’émergence de nouvelles qualités dans le monde, et elle est donc aussi une composante fondamentale de l’expression des relations des êtres humains avec le reste de l’espèce, et bien sûr, de la traduction des forces érotiques qui existent entre nous tous. Il est donc impossible de séparer les dispositifs technologiques du désir, de l’érotisme, de la construction de l’identité et de la manière dont nous nous rapportons les uns aux autres dans le monde. »
D’ailleurs, Baptiste voit dans le Covid-19 et l’augmentation rapide et étendue du recours aux technologies numériques une formidable évolution, y compris dans le domaine de l’éducation : « Une révolution est en train de se produire dans l’éducation et sa relation avec la technologie, qui, je pense, sera positive et dans laquelle il y aura beaucoup de surprises. » Dans une présentation TED en date de 2013, Baptiste exprime clairement son admiration pour internet, les réseaux sociaux, les nano- et biotechnologies et le transhumanisme :
Bref, Baptiste est un vrai champion ; défenseur du capitalisme technologique et de son verdissement ; publicité vivante pour les stéréotypes sexistes du patriarcat ; imposteur qui prétend être qui il n’est pas ; promoteur et un représentant de ce qu’il appelle — comme d’autres — « l’écologie queer ». Qu’est-ce donc que cela ? Je vous l’aurais bien expliqué, si seulement ça désignait à peu près quelque chose de cohérent. Cela désigne souvent le type de positions que défend Baptiste (défense de la technologie, croyance en un autre capitalisme, juste et bio, etc.). Mais pour mieux saisir la nature de l’« écologisme queer », voici une traduction d’un entretien avec Brigitte Baptiste paru sur le site du quotidien espagnol El Pais le 26 mars 2023.
Nicolas Casaux
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« L’avenir est tordu » : Brigitte Baptiste et l’écologisme queer face à l’effondrement annoncé
Selon une écologue trans [tout au long de l’article, l’autrice désigne Brigitte Baptiste comme une femme, mais gardez bien en tête qu’il s’agit d’un homme, né Luis Guillermo Baptiste (NdT)], l’adaptation à une planète que nous n’avons jamais connue auparavant, en raison du changement climatique, va exiger de l’humanité de véritables contorsions.
Elle ne s’était jamais dit qu’il y avait un lien entre la construction de son identité de genre, son apparition rebelle en public au début du siècle en tant que Brigitte Baptiste, et ses connaissances en tant qu’écologue. Mais elle est tombée sur le livre Evolution’s rainbow (L’arc-en-ciel de l’évolution) de la professeure Joan Roughgarden, une femme transgenre comme elle, professeure d’université comme elle et éthologue, qui soutenait qu’en raison de la vision monolithique et dominée par les hommes de la science au 19e et au 20e siècle, nous n’avons jamais correctement rapporté ou perçu la diversité sexuelle et de genre dans le règne animal.
Pourquoi n’a-t-on pas vu des comportements homosexuels chez presque toutes les espèces animales, alors que cela existe, pourquoi n’a-t-on pas parlé de diversité chez les animaux et, en tant qu’animaux humains, pourquoi n’a-t-on pas parlé de cette condition de diversité qui nous traverse de manière plus profonde ? Ses collègues, de concert avec son épouse, qui l’a accompagnée dans sa transition, ont alors commencé à lui parler de queer, un concept qu’elle ignorait, alors même qu’elle l’incarnait dans son propre corps, en tant que biologiste. Elle réalise alors que les études queer, issues des sciences humaines et des luttes des groupes homosexuels discriminés, ne parlent pas exactement de la même chose que ce nouveau regard sur l’écologie, mais qu’il s’agit de phénomènes équivalents : c’est un appel à la visibilité de ce qui est resté invisible.
« La science a occulté la diversité de la sexualité, du genre, et des familles, chez les animaux. La culture a aveuglé de manière autoritaire la participation des personnes queer dans les différentes sphères sociales. Or, il s’avère que le queer est un élément fondamental de l’évolution culturelle, tout comme la diversité sexuelle et de genre l’est pour l’évolution biologique », déclare Brigitte Baptiste, directrice de l’Institut Alexander von Humboldt pour la recherche sur les ressources biologiques jusqu’en 2019. L’écologiste, directrice de l’université EAN, a également été l’une des premières femmes transgenres de Colombie à exercer le droit de changer de sexe sur sa carte d’identité.
« Je ne suis pas déterministe. Pour moi, le fait qu’il y ait des animaux gays n’implique pas une justification biologique de la culture queer humaine, parce que les humains sont aussi dotés de liberté. Il y a un problème sous-jacent ici, et c’est que la diversité des personnes et la diversité de la sexualité et du genre parmi les humains ont souvent été excusées pour des raisons biologiques, et je trouve cela problématique. Il se peut qu’il y ait des fondements biologiques complexes à analyser, mais je ne vais pas me cacher derrière l’inévitabilité des faits face à la société. Parce que la diversité n’est pas une maladie, elle n’a pas besoin d’être excusée, ni d’être expliquée par des catégories biologiques », souligne Baptiste, laissant l’espace ouvert à une conversation sur l’écologisme queer.
Question. En tant qu’universitaire, vous n’avez cessé d’affirmer que « nous devrions tous en savoir plus sur l’écologie ». Qu’est-ce qui, dans l’écologie, est si puissant et si essentiel à la compréhension du monde ?
Réponse. L’écologie est une science relationnelle qui établit que la relation du monde se réalise à travers la complexité de ces relations qui sont éphémères, instables… C’est une marmite en ébullition qui permet aux personnes qui travaillent dans l’écologie de comprendre que le monde change continuellement, à différentes échelles de temps et d’espace, qu’il est toujours actif.
Il y a une partie de la science qui trouve cela trop complexe et qui dit : « Non, réduisons cette complexité à ses parties » et qui casse le monde en morceaux et le fixe pour essayer de le comprendre. C’est ce que font les musées, par exemple. Tout ce qui entre dans les musées est un échantillon partiel de la réalité, mais aussi mort, parce qu’il est dépouillé de sa relation.
Q. Quelles sont les implications de cette vision relationnelle de l’écologie pour les êtres humains ?
R. Pour moi, elles sont de plus en plus évidentes : nous sommes des êtres relationnels imbriqués, entrelacés avec d’autres êtres vivants et avec notre propre technologie de création. Nous sommes donc le résultat de centaines de milliers de processus qui s’entrecroisent chaque jour, au point qu’aucun d’entre eux n’explique complètement quoi que ce soit. Cette complexité engendre des parcours absolument hétérogènes en toute chose. Dès lors, comment ne pas s’attendre à ce que des modèles innovants et émergents naissent de cette imbrication ?
C’est là que la théorie queer est profondément écologique, car elle parle de tout ce qui devient tordu [ou de tout ce qui est déviant, le terme anglais queer pouvant se traduire par bizarre, tordu, déviant]. Dans un tel monde, plein de chemins possibles, tout finit par se tordre. La théorie queer est une théorie de la déviance qui propose, avec humour et ironie, que l’identité est une fiction pleine d’anomalies et que tout et tout le monde est tordu.
La langue est tordue, par exemple, les langues ne sont jamais fixes, elles changent. Personne de ce siècle ne comprendrait facilement quelqu’un du XVIIIe siècle parlant espagnol, parce que nous sommes tordus par rapport à ce référent. C’est ce que fait toujours l’évolution, elle se tord, et ce qui est peut-être le plus profond dans la théorie queer, c’est qu’elle propose de se déformer sous l’effet de la passion, grâce aux forces érotiques et à la sensibilité. Ce n’est pas une torsion intellectuelle, c’est la passion, voilà tout ce qui permet que quelque chose dévie de son chemin autoritaire ou prédéterminé.
Q. Si la passion nous pousse vers ce pouvoir tordu dans les relations humaines, qu’est-ce que l’écologie découvre dans la nature, qu’est-ce qui la pousse à explorer cela, ou est-ce que c’est la nature qui est tordue en elle-même ?
R. Tout à fait ! C’est pourquoi je dis qu’il n’y a rien de plus queer que la nature, c’est sa qualité ontologique, celle de se tordre constamment, dans la complexité des relations qui s’établissent.
Q. Pourriez-vous nous dire où vous voyez cette « torsion » ontologique de la nature ?
R. Il s’agit d’un processus presque invisible, car il est associé quotidiennement à des variations génétiques. Joan Roughgarden montre de nombreux cas à tous les niveaux pour parler de la diversité des genres et des familles. Le plus célèbre est celui du petit poisson Nemo : lorsqu’il y a trop de mâles, quelque chose dans la communication hormonale atteint un point de saturation et pousse certains d’entre eux à devenir des femelles. Il y a un signal chimique et comportemental commun qui fait que cela se produit. En général, les poissons de récifs, si colorés et frappants, ont ce genre de capacité, et certains peuvent même changer constamment de sexe, passant de mâle à femelle, puis encore à mâle, ce qui signifie qu’ils ont un appareil reproducteur sensible aux signaux biochimiques et hormonaux.
Nous aurions donc des cycles de cinq ans en tant que femme et cinq ans en tant qu’homme, et s’il y a trop de l’un, on deviendrait l’autre. Ha ! Cela nous aiderait à comprendre des polarités qui n’existent pas. Cela existe aussi chez les oiseaux et les insectes. Ce ne sont pas des tendances centrales ou dominantes, elles se produisent à la marge de l’adaptation, ce sont les essais qui sont soumis à la sélection naturelle.
Q. L’écologisme queer pense-t-il aux plantes, qui sont toujours plus plastiques et flexibles dans leur comportement ?
R. Chez les plantes, c’est encore plus évident. Le palmier à cire, par exemple, qui est l’arbre national selon la loi colombienne, est un palmier qui vit dans les montagnes, qui est endémique et menacé par la déforestation, et on a découvert récemment que certains palmiers changent de sexe. Ainsi, l’arbre national colombien change de sexe pour s’adapter aux zones environnantes. Face à la déforestation, il y a un signal biologique qui leur fait savoir qu’ils doivent se reproduire plus vite, il faut donc qu’en tant qu’espèce, les palmiers mâles deviennent femelles, ou du moins produisent des fleurs femelles.
L’écologisme queer permet également de parler des relations interspécifiques. Pensons aux palmiers avec les palmiers, ou aux poissons-clowns avec les poissons-clowns. Mais pensons aussi aux orchidées qui ont besoin d’être pollinisées par un animal, c’est un ménage à trois, c’est une espèce différente qui est indispensable pour garantir la reproduction d’une autre. Le bourdon vient à la fleur, qui lui offre de butiner le nectar sucré et, en échange, lui donne le pollen pour qu’il aille le déposer sur une autre fleur. Un intermédiaire sexuel, un acte interdit, comme une clinique de reproduction assistée.
Q. Les humains, en tant que partie intégrante de la nature, sont-ils également tordus ?
R. En ce qui nous concerne nous, les humains, nous avons complètement changé l’ordre et la configuration des écosystèmes, et nous l’avons fait pour pouvoir survivre, mais aussi pour le plaisir, pour jouir davantage de la vie, pour créer de nouvelles relations. Nous avons réorganisé le monde, nous avons créé une communauté relationnelle particulière. C’est un exercice queer ! C’est tordu, c’est typiquement humain. De tous les êtres vivants, nous sommes les seuls à pouvoir y penser. Notre condition culturelle est absolument tordue par rapport au reste de la planète.
Je dirais que notre perspective est de devenir ce que nous pensons vouloir désirer être. Ulrich Beck, dans son livre La Société du risque : Sur la voie d’une autre modernité, nous dit qu’avec la technologie, nous pouvons faire des choses qui étaient absolument impossibles il y a quelques années. Nous parlons du fait qu’au lieu de penser à envoyer une fusée sur la lune, nous nous ouvrons à la possibilité d’être une fusée. Les unités de soins intensifs sont les prothèses les plus efficaces et les plus complexes que nous ayons développées pour prolonger la vie, qu’elle soit inerte ou inconsciente. Une unité de soins intensifs est un dispositif robotique grâce auquel notre corps peut transcender les moments de crise, prélude aux unités de sommeil des vaisseaux spatiaux. Dans le metavers, en revanche, on peut vouloir être un biscuit aux pépites de chocolat et éprouver la sensation que quelqu’un nous mâche. La conception queer du metavers sera notre prochaine grande question.
Q. En écologie, les changements se manifestent par des signes de perturbation ou de perturbation extrême. Dans ce cas, diriez-vous que nous sommes dans une société qui évolue vers le changement ?
R. C’est ce qu’on appelle les signes avant-coureurs et ils se produisent lorsqu’il y a un changement majeur dans l’écosystème, une forêt qui se transforme en désert ou une lagune qui se modifie. Je crois qu’il y a des signes précurseurs très clairs de changement dans les nouvelles générations. En tant que rectrice d’université, je vois l’expression identitaire de milliers d’étudiants universitaires dans les pays occidentaux et libéraux, où les signaux de communication permettent à chacun d’opérer sur son propre corps et de se présenter d’une manière plus autonome et expérimentale. Il y a de la peur, oui, parce qu’il s’agit d’une expérimentation et que nous n’avons pas encore construit un ensemble satisfaisant de codes pour nous approcher les uns des autres. Il y a beaucoup de manières de s’organiser qui doivent émerger de cette remise en question des libertés que nous recevons et que nous avons obtenues grâce et surtout à cause des mouvements féministes du 19e et du 20e siècle. Ces libertés contemporaines ne peuvent se comprendre sans le féminisme.
Q. Ces nouvelles symptomatologies sociales doivent-elles ouvrir des espaces pour créer d’autres rapports de moindre domination et d’extraction avec le reste de la planète ?
R. Oui, mais je ne nous vois pas encore là. Nous sommes très éloignés de nous-mêmes. Il y a beaucoup de mouvements de reconnexion, dont certains disent qu’il faut se jeter dans la jungle, se débarrasser de la culture. Ces mouvements ne survivent généralement pas. D’autres mouvements disent qu’il faut se débarrasser de tout ce qui, dans la culture et l’humanité, rend difficile l’entrée en contact avec d’autres êtres vivants, comme la permaculture, l’agroécologie, les expériences qui se connectent aux connaissances ancestrales ou qui proposent des façons d’entrer en relation avec d’autres perspectives éthiques.
Je me situe plutôt dans un modèle qui fait confiance à la capacité de redessiner le monde avec une réflexion écologique qui prenne en compte toute nos capacités technologiques et institutionnelles et les repense. Il y a des jours, bien sûr, où je me réveille avec l’envie de me débarrasser de la culture et de me jeter dans la rivière, parce que c’est agréable, mais la plupart du temps, je vois que ce n’est pas une attitude possible pour 8 milliards d’êtres humains. De temps en temps, je me dis que je vais plonger dans le metavers, avec une nouvelle apparence qui me permettra d’entrer en relation avec d’autres êtres dans d’autres plans de réalité. Nous ne savons pas si cela sera faisable, mais je pense que nous serons obligés d’essayer, lorsque nous serons 10 milliards, fin 2100.
Le monde n’a pas de marche arrière, le changement climatique ne sera pas reporté, nous essayons de le rendre non létal, mais nous allons devoir nous adapter à une planète que nous n’avons jamais connue auparavant. Nous habitons déjà une planète B, il n’y a pas de retour sur Terre, c’est pourquoi j’ai délibérément évité d’utiliser le mot « nature », car il n’y a pas de nature à vénérer, sauf celle qui comprend que nous évoluons et que nous nous tordons constamment. L’avenir est tordu.
FIN DE L’ENTRETIEN D’EL PAIS
Traduction : Aurore Pérez & Nicolas Casaux
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Formidable, non ? Vous comprenez désormais beaucoup mieux ce qu’est l’écologie queer, n’est-ce pas ? Il s’agit d’essayer de devenir des cookies dans le métavers pour avoir la sensation d’être mangé. Il s’agit d’un discours et d’un mouvement très confus qui, au bout du compte, prennent la défense de la science, de la technologie, de l’industrie, en suggérant, grosso modo, qu’une autre civilisation techno-industrielle (un autre capitalisme techno-industriel) est possible, durable et queer. Il s’agit d’un discours qui prétend critiquer la modernité, l’Occident, la masculinité, la domination masculine, la domination blanche, les institutions, le capitalisme, le patriarcat, etc., mais qui est issu d’une des principales institutions de la modernité occidentale capitaliste et patriarcale — l’université — et qui s’appuie sur des penseurs on ne peut plus institutionnels, blancs, occidentaux, modernes et souvent masculins (de Derrida à Butler en passant par Foucault, Haraway, etc.), et qui prend finalement la défense de l’essentiel des réalisations de la modernité occidentale capitaliste et patriarcale.
Au cas où tout cela ne vous aurait pas suffi, vous pouvez toujours essayer d’approfondir en examinant les discours des principaux représentants français de l’« écologie queer », parmi lesquels Myriam Bahaffou et Cy Lecerf Maulpoix, que les éditions Le passager clandestin publient fièrement.
Myriam Bahaffou, vous pouvez la découvrir ici :
Myriam Bahaffou, chamane post-porn (par Audrey A. et Nicolas Casaux)
Cy Lecerf Maulpoix, nous en parlerons ultérieurement.
Source: Lire l'article complet de Le Partage