Note du traducteur : Le texte suivant est une traduction d’un article initialement publié, en anglais, le 5 juillet 2022, sur le site web de l’anthropologue anonyme qui se fait appeler Stone Age Herbalist (soit « herboriste de l’âge de pierre »), à l’adresse suivante. Il me semble exhumer des choses très intéressantes sur les origines troubles de l’expression « bispiritualité » (sur le concept de « two-spirit »), dont un des principaux usages, ici en Europe, consiste à soutenir, au moyen d’une appropriation culturelle éhontée, l’affirmation grotesque selon laquelle les « personnes trans » auraient « toujours existé ».
Si vous avez déjà entendu la moindre discussion universitaire sur les LGBT en Amérique du Nord, vous avez certainement entendu l’expression « two-spirit » — parfois incluse dans l’acronyme « LGBTQ2S » [il s’agit du « 2S » à la fin, « 2S » = two (2) spirit (S), soit deux esprits, ou « bispirituel » (NdT)], ou une variante de celle-ci. La définition la plus rudimentaire de ce terme est quelque chose comme « un Amérindien gay », mais son origine est beaucoup plus complexe et subtile. Quoi qu’il en soit, les implications et l’utilisation culturelle du terme se traduisent par une différenciation dans la manière dont les autochtones et les autres peuples indigènes envisagent et décrivent l’homosexualité, le genre et les identités sexuelles minoritaires. Si vous insistez pour en savoir plus sur cette expression, on vous dira qu’elle a été inventée par les Amérindiens pour s’auto-définir et prendre le contrôle de leur propre culture. En poussant encore plus loin, vous découvrirez une conférence particulière, organisée au Canada en 1990, lors de laquelle l’utilisation de l’expression a été adoptée suite à un vote. Vous découvrirez peut-être aussi deux noms en particulier : Harry Hay et Will Roscoe. Pour autant que je sache, personne ne s’est penché sur les origines obscures de cette expression, au-delà de cette conférence et de sa décision. Je vais donc tenter, dans un seul article, de me plonger dans les méandres de cette histoire. Nous y rencontrerons des choses étonnantes et étranges — des fées radicales (les Radical Fairies), des rites mythiques pédérastiques Pueblo, des chamans travestis, une homosexualité jungienne et, au centre de tout cela, Harry Hay et son obsession pour une mythique histoire secrète et cachée de la spiritualité gay. Commençons.
Qu’entend-on par « bispirituel » (Two-Spirit) ?
Le terme « bispirituel » (Two-Spirit) est difficile à définir, dans la mesure où il contient une critique explicite de la chose même qu’il tente d’expliquer. Les activistes postcoloniaux soulignent que la colonisation n’implique pas seulement la perte physique de la terre et de l’autonomie, mais comprend aussi une colonisation mentale et culturelle. Le terme « bispirituel » (Two-Spirit) prétend définir et décrire l’expérience et l’identité de gays, de lesbiennes, de transgenres et d’autres minorités sexuelles au sein de la « communauté amérindienne », mais en utilisant le langage anglo-américain moderne. Si cela vous semble pédant et laborieux, vous n’avez peut-être pas tort. La prise en compte des préoccupations amérindiennes par ces couches universitaires qui utilisent un langage obscur et confus forme une sorte de pare-feu qui empêche le grand public d’écouter directement les Amérindien·nes.
À mon avis, « bispirituel » (Two-Spirit) est une expression simple et simpliste pour décrire la façon dont les Amérindien·nes considéraient apparemment l’homosexualité et le transgenrisme [« le transgenrisme », certainement pas, le concept n’a rien à voir avec les cultures amérindiennes (NdT)]. Presque toute les sociétés amérindiennes qui possèdent des termes et des descriptions ethnographiques évoquant des hommes homosexuels, des hommes et des femmes qui se travestissaient et accomplissaient des tâches réservées au sexe opposé [je ne sais d’où l’auteur tire cette affirmation, en cherchant, je suis tombé sur ce texte, une thèse universitaire, expliquant que des phénomènes associés au concept de two-spirit sont documentés pour 133 tribus, ce qui est peu au regard des 574 actuellement reconnues aux États-Unis (NdT)]. La manière dont ils percevaient ces anomalies [au sens descriptif] est propre à chaque culture et à chaque groupe linguistique, mais le terme « bispirituel » est censé rendre compte de ce qui différencie la « perspective autochtone » de la perspective occidentale [il est pourtant utilisé, par les activistes trans, pour faire exactement l’inverse (NdT)]. L’expression fait référence à la double nature d’une personne, qui contient possiblement en elle à la fois une essence masculine et une essence féminine. La culture occidentale moderne est brutalement matérialiste en ce qui concerne les identités sexuelles, elle s’intéresse aux gènes, aux études sur les jumeaux et se résume dans le slogan « né comme ça ». Cela diffère radicalement des traditions que l’on observe dans de nombreuses régions du monde où l’homosexualité, comme tous les aspects de la condition humaine, est régie par le monde spirituel.
La fameuse conférence, qui s’est tenue à Winnipeg en 1990, était la troisième réunion de l’« Annual Inter-Tribal Native American, First Nations, Gay and Lesbian American Conference » (« Conférence annuelle intertribale des Amérindiens, des Premières Nations, des homosexuels et des lesbiennes »). Lors de cette conférence, des représentant·es de diverses tribus ont décidé que l’expression ojibwé niizh manidoowag servirait à décrire les sexualités indigènes [minoritaires, et plutôt des identités sexuelles et/ou spirituelles, il s’agit de bien plus que de « sexualités », et d’ailleurs parfois de choses qui n’ont rien à voir avec la sexualité (NdT)]. Cette expression se traduit littéralement par « deux esprits », mais il est essentiel de noter qu’elle a été inventée à l’époque de la conférence, ou à peu près, qu’elle n’existait pas auparavant dans la culture ou la langue ojibwée. C’est là que réside pour moi la première partie du mystère : d’où vient cette expression, s’il a fallu la créer rétrospectivement dans une langue amérindienne ? Nous y reviendrons bientôt, mais il nous faut d’abord présenter le personnage principal de notre histoire.
L’entrée en scène de Harry Hay
Harry Hay est l’une des figures légendaires du mouvement de libération des homosexuels. Né en 1912 en Grande-Bretagne et élevé aux quatre coins du monde, il est issu d’une famille illustre et pieuse. Son arrière-grand-père maternel, le général James Allen Hardie, fut nommé par le président Martin Van Buren à l’académie militaire de West Point, où il étudia aux côtés d’Ulysses S. Grant. Le général Hardie participa à la guerre de 1857 contre les Indiens Spokane et son fils, Francis, servit à Wounded Knee, portant le drapeau de la troisième cavalerie. Il était également apparenté de loin à Oliver Wendell Holmes par l’intermédiaire d’une femme appelée Anna Wendell. Cet héritage de conflit avec les Amérindiens s’avérera crucial pour les intérêts et les affiliations ultérieurs de Hay.
Comparé au tempérament du général Hardie, Hay était un homme à la fois sensible, émotif et érudit. Son père, « Big Harry », lui transmit une confiance totale en lui-même, une discipline intérieure et une éthique de travail inflexible. Les relations de Hay avec ses parents, en particulier avec son père, étaient tendues et difficiles. Lorsqu’il admit finalement à sa mère, en 1951, qu’il était homosexuel, sa réponse fut laconique : « Ton père connaissait Cecil Rhodes », et les choses en restèrent là. La famille partit pour le Chili au début de la Première Guerre mondiale, son père ayant été chargé d’y superviser l’industrie minière — un emploi qui lui coûta une jambe lors d’un accident. La famille s’installa ensuite en Californie. Hay était un garçon intellectuellement doué, doté d’une mémoire photographique, qui étudiait avec des enfants de trois ans plus âgés que lui à l’école. À l’âge de neuf ans, Hay citait sans difficulté l’histoire de l’Égypte et écoutait Wagner. C’est aussi à cette époque qu’il s’éveilla à la sexualité avec les garçons. Un garçon plus âgé, Calvin, l’initia au sexe oral, qu’ils pratiquèrent ensuite l’un sur l’autre jusqu’à ce que Calvin soit envoyé dans une autre école. Un incident avec son père, au cours duquel Hay le contredit, est présenté comme un moment fondamental dans sa biographie. Son père le fouetta avec un chat à neuf queues en cuir afin de l’amener à se rétracter, ce qu’il ne fit pas. Hay réalisa alors que non seulement son père avait tort, mais que toutes les autorités, dans sa vie, du prêtre à la police, pouvaient également se tromper.
À l’âge de 11 ans, Hay savait qu’il trouvait les garçons attirants. Une référence dans un livre intitulé The Intermediate Sex, d’Edward Carpenter, introduisit le terme « homosexuel » dans son vocabulaire et sa carte mentale du monde. Le livre singulier et audacieux de Carpenter décrivait une classe d’hommes qu’il appelait « uraniens », des érudits et des artistes doués comme Michel-Ange, Shakespeare et Whitman. Il les qualifiait d’« homogènes ». Tout ceci alluma chez Hay le feu de l’idée qu’une telle race d’hommes était à part et destinée à accomplir une tâche spéciale dans la société. Comme l’écrivit Carpenter :
« La nature artistique instinctive du mâle de cette classe, son esprit sensible, son tempérament émotionnel ondulatoire, combinés à la robustesse de l’intellect et du corps, à la nature franche et libre de la femelle, son indépendance et sa force masculines alliées à la grâce féminine des formes et des manières, peuvent être considéré comme leur donnant à tous deux, par leur double nature, la maitrise de la vie dans toutes ses dimensions, et une certaine franc-maçonnerie des secrets des deux sexes qui peut bien favoriser leur fonction de réconciliateurs et d’interprètes. »
Il faut noter dans ce passage l’accent mis sur la double nature de l’homosexuel. C’est cette idée — selon laquelle un homosexuel est une personne qui combine l’esprit masculin et l’esprit féminin, pour devenir une âme créative et artistique —, qui captiva Hay et le maintint à jamais sous son emprise.
Lorsque Hay atteignit 13 ans, son père, qui avait peut-être décelé chez son fils une affliction qu’il imaginait pouvoir être guérie par un intense travail physique et par la compagnie d’hommes robustes, l’envoya au Nevada pour travailler dans un ranch. Malheureusement pour lui, ce fut le dernier clou séditieux dans le cercueil. Hay fut introduit et intégré dans le réseau des ouvriers socialistes et communistes qui travaillaient de façon saisonnière dans le ranch. Ils lui donnèrent des brochures de Marx, lui apprirent des chansons syndicales et captivèrent son esprit avec des récits du massacre de Haymarket, de la grève des chemins de fer de 1887 et du martyre de Joe Hill — Harry Hay sorti de cet été-là avec un « Wobbly » dans le cœur. Tout aussi important, peut-être, Hay fut également présenté, mais sans le savoir, à l’époque, à une figure amérindienne légendaire. Le prophète paiute Wovoka, connu plus tard sous le nom de Jack Wilson, fut le « messie de la Danse des fantômes (parfois appelée Danse des esprits, en anglais ghost dance) » de 1889. Le mouvement de la Danse des fantômes, qui balaya les Plaines, conduisit directement à Wounded Knee. Hay apprit tout cela plus tard dans sa vie, et le perçut comme un signe du destin, compte tenu de l’histoire de sa famille.
Peu de temps après, Hay eut sa première expérience sexuelle complète avec un marin plus âgé appelé Matt, qui lui dit que « des gens comme lui » existaient en secret dans le monde entier, sous la forme d’une sorte de fraternité. Hay décrivit cette expérience ultérieurement :
« Lorsque, plus tard, il raconta son histoire de coming-out préférée, il la qualifia ironiquement de “discours sur l’agression d’un enfant”, afin de souligner à quel point la vie homosexuelle diffère des normes hétérosexuelles. “Enfant, expliqua-t-il, j’ai molesté un adulte jusqu’à ce que je découvre ce que j’avais besoin de savoir.” La promesse d’un nouveau monde et d’un nouvel avenir que lui avait offert Matt lui avait servi de radeau de sauvetage pendant la période d’isolement du lycée. Loin d’être une expérience d’agression, Harry l’a toujours décrite comme “le plus beau cadeau qu’un jeune de quatorze ans ait jamais reçu de son premier amour”. »
Une fois Hay diplômé, son père le poussa à faire carrière dans le droit, en travaillant pendant un an pour un cabinet de Los Angeles. C’est à cette époque qu’il découvrit la « cruising scene » et qu’il fut initié à l’art de la drague gay. En 1930, il s’inscrivit à l’université de Stanford pour étudier les relations internationales. De manière informelle, il découvrit le théâtre et la vie scénique, rencontra des travestis, des acteurs ouvertement homosexuels et s’immergea dans un style de vie en rébellion contre son éducation stricte. En 1932, une infection des sinus le conduisit à abandonner l’université pour ne plus jamais y revenir. Cependant, Hay poursuivit sa carrière d’acteur, au grand dam de son père. C’est en jouant qu’il rencontra un acteur célèbre de l’époque, Will Geer. Geer est l’homme qui éloignera Hay de sa vie édouardienne pour le faire entrer dans le monde de l’activisme politique. Grèves, conflits syndicaux, manifestations antiracistes et antifascistes. Hay dut être caché par ses amis lorsqu’il lança une brique sur la tête d’un policier. Geer incita Hay à adhérer au parti communiste et tous deux devinrent amants. Pour Hay, l’optimisme débordant de Geer et sa conviction fondamentale selon laquelle la nature humaine pouvait être changée pour le meilleur constituaient un mélange enivrant. Cependant, le fait de réaliser que le parti communiste était strictement et institutionnellement homophobe le ramena sur Terre. Par désespoir et par peur, et sur les conseils d’amis et d’un psychiatre, Hay décida d’épouser une femme pour montrer son engagement envers le Parti. Il choisit Anna Platky, une membre du Parti issue d’une famille juive de la classe ouvrière. Il ne trouva cependant pas le bonheur et le réconfort dans cet arrangement et, après de nombreuses années de dérive à travers divers emplois et le militantisme, il décida en 1948 de fonder son propre groupe politique, explicitement homosexuel, la Mattachine Society, soit la Société Mattachine.
La société Mattachine et le Grand Projet
En son for intérieur, Hay était habité par des idées et des visions d’une fraternité homosexuelle secrète et spirituelle. Il ne cessait de lire et de prendre des notes sur les cérémonies païennes, les fêtes populaires médiévales, les fous, les bouffons, les lépreux — tous ceux qui bouleversaient l’ordre normal des choses. Il découvrit le terme « mattachine », qui fait référence à un phénomène de sociétés secrètes du XVIe siècle en Europe, dédiées à la danse, à la satire et à la rébellion clownesque. La Société Mattachine commence à obséder l’esprit de Hay :
« Les troupes Mattachine transmettaient des informations vitales aux opprimés dans les campagnes de la France du XIIIe au XVe siècles et j’espérais peut-être qu’une telle société d’hommes homosexuels modernes, vivant déguisés dans l’Amérique du XXe siècle, pourrait faire de même pour nous, les Queers opprimés. »
La Société Mattachine est née de la conviction de Hay selon laquelle les homosexuels américains constituaient une classe opprimée, qui devait naturellement s’allier à la gauche et être capable de déterminer son propre programme politique et son propre avenir et de faire du lobbying à cet effet. Pour un groupe de personnes habituées à vivre en secret, l’approche provocatrice et publique de Hay était radicale. Certains la trouvaient menaçante. Il rédigea un manifeste, « Androgynous Minority » (« Minorité androgyne »), qu’il partagea avec son amant de l’époque, un certain Gernreich. Gernreich le mit en garde en lui racontant l’histoire de Magnus Hirschfeld et de son Institut de recherche sexuelle, qui fut anéanti par les nazis. Déterminé malgré tout, Hay continua et fonda la Société Mattachine, un groupe inspiré des Alcooliques Anonymes et enthousiasmé par les récents rapports Kinsey. La société fonctionnait comme une sorte de franc-maçonnerie léniniste, avec des serments de loyauté, des secrets, des cellules et cinq niveaux d’adhésion.
Pour Hay, ce fut un bouleversement. Il divorça de sa femme, coupa les ponts avec ses amis respectables et conseilla au parti communiste de l’exclure pour son homosexualité, ce qui fut fait. La Société se développa rapidement, une centaine de personnes assistant à chaque réunion. Mais l’héritage des croyances et des activités communistes de Hay attirait l’attention du public. Les dirigeants de la Société Mattachine, qui défendaient une vision patriotique et loyale de l’homosexualité américaine, décidèrent alors de faire pression sur Hay pour qu’il quitte son poste. La Société adopta une position officielle de non-confrontation, ce qui provoqua une terrible dépression émotionnelle chez Hay. Désemparé et bouleversé, Hay se tourna vers sa vie intellectuelle, cherchant inspiration et idées dans le passé, poursuivant son inlassable recherche sur l’histoire des homosexuels dans les sociétés humaines.
Hay n’avait jamais cessé d’enquêter sur le sujet, accumulant des boîtes de notes avec des dizaines de milliers de commentaires, de gribouillages en marge, de cartes de référence et d’index. Ce travail devait se transformer en quelque chose de plus concret. Du moins était-ce l’objectif. « L’homophile dans l’histoire : une provocation à la recherche », devait être publié entre 1953 à 1955. Le projet est décrit ainsi :
« Divisé en quatorze sections périodiques, il retrace les prototypes homosexuels depuis l’âge de pierre, en passant par le Moyen Âge européen, et jusqu’au “Berdache et à la scène américaine”, où Hay cite Johnny Appleseed comme exemple d’un “héros fou américain”. Une grande partie de l’étude a été développée à partir du programme de ses cours de musique à la Labor School. Le modèle utilisé par Harry pour son étude est le berdache. Terme français appliqué aux Indiens travestis découverts par les colons européens dans le Nouveau Monde, “berdache” désigne parfois simplement un Indien qui commet “le vice abominable” de l’homosexualité. Mais pour Harry, il s’agissait d’un rôle culturel. »
Nous reviendrons plus tard sur les berdaches.
Sur le plan académique, Hay avait des décennies d’avance sur l’air du temps. Son étude couvrait l’ensemble de la préhistoire humaine et de l’histoire écrite, tentant de relier les matriarcats primitifs, le culte des déesses, le druidisme, les déviances sociales, les fêtes populaires et les carnavals, les religions paysannes, les calendriers interdits, les sociétés de jongleurs, de clowns, d’hommes-liges, les nomades itinérants et les colonies d’indigents, les figures de fripon (trickster), les héros folkloriques et tout autre élément ésotérique et non orthodoxe qu’il pouvait intégrer dans son récit pour une « anthropologie gay ». Comme nous l’avons vu, Hay était convaincu que les homosexuels existaient pour remplir certaines fonctions sociales particulières, mais que celles-ci avaient été supprimées, en particulier par le christianisme. Il écrivit plusieurs articles sur l’homosexualité biblique — The Moral Climate of Canaan in the Time of Judges (« Le climat moral de Canaan à l’époque des Juges ») et Christianity’s First Closet Case (non publié). Il s’intéressa particulièrement au rôle du « spécialiste de l’artisanat » dans les sociétés anciennes. Il était convaincu qu’il s’agissait généralement d’hommes homosexuels qui adoptaient le travail de femmes, mais avec une telle excellence, une telle maitrise, qu’ils l’élevaient à un niveau civilisationnel.
Sa manie principale, cependant, consistait à trouver des références spécifiques à « nous », aux homosexuels, et aux rites et rituels qui leur étaient spécifiquement réservés. Les lectrices et lecteurs patients se demandent peut-être à quel moment la notion de « bispiritualité » (Two-Spirit) apparaît dans cette histoire. La réponse se trouve dans la persévérance de Hay à traquer la moindre référence aux homosexuels dans tous les domaines d’étude qu’il put consulter :
« Harry exhuma un document oublié écrit en 1882 par un ancien chirurgien général des États-Unis, le Dr William A. Hammond, qui, sur le terrain, avait observé des Indiens appelés mujerados, un terme espagnol signifiant “femmes fabriquées”. Ce terme attira l’attention de Harry sur la possibilité qu’il s’agisse d’un type de berdache. Hammond décrivait les mujerados qu’il avait observées chez les Indiens Pueblo du nord du Nouveau-Mexique comme “le principal agent passif des cérémonies pédérastiques”. Hay protesta vivement contre “l’enterrement par omission” de ce journal pendant près de cent ans.
Harry se lança dans une longue et laborieuse recherche de ce document. Il avait lu des références à l’article de Hammond dans plusieurs ouvrages du début du siècle. Mais en 1962, lorsqu’il décida de rechercher le texte original, il se heurta à des difficultés. Il commença par consulter la bibliothèque de recherche de l’U.C.L.A., qui répertoriait le volume I de l’American Journal of Neurology and Psychiatry, la première publication à avoir publié les conclusions de Hammond. Mais lorsque Harry demanda une copie, il découvrit, à sa grande surprise et à celle du bibliothécaire, que l’article de Hammond avait été supprimé.
Quatre autres exemplaires du journal commandés par Harry à d’autres bibliothèques avaient été mutilés de la même manière. Il supposa que les conclusions de Hammond avaient peut-être été désavouées par un fonctionnaire et censurées. Après de nombreux mois, Harry mis la main sur une copie du rapport dans un texte ultérieur de Hammond intitulé Sexual Impotence in the Male and Female (“Impuissance sexuelle chez l’homme et la femme”), publié en 1887. Au fil des ans, Harry Hay continua à trouver de nombreux autres cas d’oblitération de références historiques à l’homosexualité. »
À ce stade, il convient de faire une pause dans notre récit et de se pencher sur la question du « berdache ».
Le berdache dans la culture amérindienne
Le terme « berdache » est fortement démodé aujourd’hui ; vous ne trouverez aucune référence à ce terme dans la littérature moderne à partir de la fin des années 80/du début des années 90. Le mot est d’origine française, signifiant « catamite » ou « garçon entretenu à des fins contre nature », et est apparu au cours des premières années de l’anthropologie amérindienne pour décrire un phénomène particulier observé dans certaines cultures. En général, berdache décrit un homme, ou plus rarement une femme, qui rompt avec les attentes sociales et choisit d’adopter des vêtements et des activités féminines. Comme toutes les sociétés humaines, les Amérindiens avaient une division binaire du travail : certaines tâches et certains rôles étaient réservés aux hommes, et d’autres aux femmes. Les anthropologues appelaient « berdaches » les personnes qui franchissaient intentionnellement cette limite. Ce qui est déroutant pour des oreilles modernes, élevées dans un système complexe et déconcertant d’analyse du sexe, du genre, de la sexualité, etc., c’est que le berdache était également associé à l’homosexualité, au transgenrisme et à la prostitution. Ainsi, l’« homme femelle » était un homme gay.
Le terme « berdache » est certainement obsolète, et même sans tenir compte des sensibilités politiques des universités, ce terme décrit très mal ce qu’il prétend décrire. Chaque culture avait sa propre compréhension de la sexualité et des rôles de genre, ainsi que sa propre cosmologie pour expliquer comment certaines personnes en venaient à se comporter comme le sexe opposé. Le croisement entre le mouvement européen de défense des droits des homosexuels et l’anthropologie amérindienne s’est produit précisément dans les descriptions confuses du berdache comme ayant un rôle et une position spirituelles particulières au sein des cultures amérindiennes. Nous verrons cela plus en détail dans la suite de cet article, mais il convient d’établir ici que cette croyance ne peut pas être justifiée à la lumière d’une anthropologie rigoureuse.
Hay et les Fées radicales (Radical Fairies)
À ce moment de sa vie, Hay se lança à corps perdu dans la recherche de l’homosexuel historique. Il commença à correspondre avec un certain nombre d’universitaires et d’érudits, dont Robert Graves, écrivain, critique et traducteur de mythes historiques. Hay était convaincu que Graves en savait beaucoup sur l’homosexualité grecque, mais qu’il était réticent à le divulguer. Il lui écrivit dans l’espoir d’obtenir des informations. Graves lui répondit avec une approche diplomatique du sujet :
« L’homophilie en tant que phénomène naturel est respectée dans la plupart des sociétés — et par moi. […] Je déteste le carriérisme homophile et l’homophilie pratiquée pour le plaisir. […] Une alliance entre les hétérophiles adorateurs de la déesse et les homophiles naturels me semble logique. Le monde de la littérature et de l’art est tellement rempli de désordres irréligieux et pervers. Vous devriez purger vos rangs ! Bien à vous, Robert Graves. »
Il assista également à une série de conférences privées extrêmement étranges données par le savant, mystique et historien anglais Gerald Heard. Heard organisa un certain nombre de conférences sur les homosexuels (qu’il appelait « isophyles ») et sur le fait qu’ils représentaient la prochaine étape de l’évolution humaine, en raison de leur jeunesse qui se prolonge et de leur capacité historique à s’organiser en confréries secrètes. Selon la biographie de Hay, Heard soutint à Hay qu’une telle organisation existait toujours :
« “Heard ne cessait de faire allusion à une sorte d’Illuminati caché, ou à une fraternité secrète de type soufi, avec des initiés dans chaque génération au fil des siècles. Lors de notre quatrième séance, il demanda si notre groupe était prêt à s’engager à étudier cette confrérie et laissa entendre que nous allions la rejoindre.” Harry était fasciné par l’idée d’étudier avec le grand érudit, mais il était extrêmement réticent à l’idée de s’impliquer à nouveau dans un groupe secret et homosexuel. “Je ne pensais pas qu’il était historiquement correct de retourner dans la clandestinité. Ce que Heard voulait, c’était des adeptes.” »
Frustré par cette situation et d’autres impasses, Hay prit la route et chercha à retrouver par lui-même certains des rituels et rites amérindiens qui, selon lui, avaient peut-être été contraints d’adopter la clandestinité. Son expérience avec le peuple Pueblo et ses études sur les énigmatiques mujerados en firent un choix évident. Parvenant à se lier d’amitié avec un Pueblo local du nom d’Enki, Hay pensait enfin avoir trouvé la preuve qui lui manquait. Enki l’emmena visiter un certain nombre de ruines, dont une en particulier appelée Tsankwe, où il lui dit que « c’est ici que les gens comme vous ont vécu ». Hay apprit d’Enki le terme kwidó, et s’imagina qu’il devait désigner les berdaches ou homosexuels. Enthousiasmé par la perspective de trouver des preuves « authentiques », il retourna régulièrement à Tsankwe avec des amis et des amants, exhibant fièrement l’endroit qui, d’après lui, les reliait à une histoire homosexuelle ancestrale.
En réalité, le terme kwidó n’est pas bien compris. Dans son article intitulé « Is the North American Berdache Merely a Phantom in the Imagination of Western Social Scientists ? » (« Le Berdache nord-américain n’est-il qu’un fantôme dans l’imagination des chercheurs occidentaux en sciences sociales ? »), la spécialiste du genre et anthropologue Sue-Ellen Jacobs évoque ses disputes avec Hay concernant l’orthographe correcte de kwidó, mais aussi son incapacité à confirmer son existence chez les Tewa Pueblo. Lors d’enquêtes de terrain, on lui dit « à plusieurs reprises que j’avais mal compris. Ils n’avaient “jamais eu de gens comme ça ici”. On m’a également dit que les gens “comme ça” avaient appris ces manières des Blancs. » Rétrospectivement, il semble évident que Hay ne faisait que projeter ses propres convictions. Convaincu que l’homosexualité avait été effacée, la moindre preuve ambiguë ne faisait qu’étayer ses convictions.
Hay s’installa à San Juan Pueblo en 1971 et s’engagea dans un certain nombre de projets, dont la première marche des fiertés (pride) d’Albuquerque et la lutte contre la construction d’un barrage sur le Rio Grande. C’est là que son désir le plus profond d’une fraternité d’hommes imprégnés de « conscience gay » se concrétisa finalement, pour un court laps de temps. Avec quelques amis, Hay fonda les Radical Faeries, les « Fées radicales », en 1979, dans le but de créer des « cercles de fées » d’hommes homosexuels capables de vivre d’une certaine manière. Il s’agissait d’un mélange d’idées New Age, d’esthétique hippie, de chamanisme à l’occidentale, de psychologie jungienne, de drogues, de carnaval et de danse émeutière issu des rêves de Hay. Il implorait les gens de « se débarrasser de l’horrible peau de grenouille verte de l’hétéro-imitation pour libérer le brillant prince féérique qui se trouve en dessous ».
Quelque 200 hommes se présentèrent au premier cercle :
« Les ateliers portaient sur des sujets aussi variés que les massages, la nutrition, la botanique locale, l’énergie curative, la politique de l’esprit gay, la danse country anglaise et l’autofellation. Les participants prirent part à des rituels spontanés, invoquant les esprits et effectuant des bénédictions et des chants. La plupart des participants se débarrassèrent de la majorité de leurs vêtements pour porter des plumes, des perles et des cloches, et se maquillèrent avec les couleurs de l’arc-en-ciel. Nombreux sont ceux qui déclarèrent avoir ressenti un changement de conscience au cours de l’événement, que l’un d’entre eux décrivit comme “un trip de quatre jours sous acide — sans l’acide !” »
La frénésie dionysiaque qui s’empara des participants lors du premier rassemblement serait sauvagement condamnée aujourd’hui comme une moquerie de la culture amérindienne et une appropriation culturelle de premier ordre. Ils se roulèrent dans la boue, construisirent un phallus de terre géant, se couronnèrent de feuilles de laurier, hurlèrent à la lune et vécurent une vision de groupe lorsqu’un énorme taureau noir entra dans un cercle de tambours au moment du plus important crescendo. Les témoignages qui s’ensuivirent sont remplis d’un langage extatique, d’allusions au baptême, au renouveau, à la purification spirituelle et à un sens accru de la conscience homosexuelle. Nombreux sont ceux qui choisirent par la suite d’adopter des surnoms pseudo-amérindiens, tels que Crazy Owl et Morning Star.
Fait crucial pour notre histoire, c’est à l’occasion de ce rassemblement qu’un homme appelé Will Roscoe rencontra pour la première fois Harry Hay. Cette rencontre entre le jeune Roscoe et le vétéran Hay est essentielle pour comprendre les origines de la notion de la « bispiritualité » (de l’idée de Two-Spirit). Roscoe transforma les boîtes de recherche désordonnées et excentriques de Hay en livres et en travaux universitaires à part entière, imprégnés de l’éthos spirituel des « Fées radicales ». Roscoe resta proche de Hay après le rassemblement, s’impliqua dans un éventuel achat de terrain pour les Fées et demeura ami avec Hay même après la scission et l’effondrement des Fées radicales (Radical Faeries) au début des années 1980.
« Au cours de cette visite, les recherches historiques de Harry sur les homosexuels furent dépoussiérées. “Un soir, après le dîner, se souvient Roscoe, alors qu’il parlait des homosexuels dans l’histoire de la civilisation, Harry fit un geste vers un coin sombre de la pièce et dit : ‘Bien sûr, si tu veux vraiment en savoir plus sur ce sujet, tu devrais te plonger là-dedans.’ Il faisait référence à une pile désordonnée de cartons contenant des milliers de pages de notes datant des années 50.” Lorsque Roscoe retourna à San Francisco l’automne suivant, il emporta quatre boîtes de notes pour les indexer et les copier. Roscoe était intrigué par le fait que Hay avait commencé par le berdache des Indiens d’Amérique du Nord, puis avait fait des recherches dans l’histoire de la civilisation à la recherche de manifestations spécifiques de ce rôle. Roscoe décida de reprendre là où Harry s’était arrêté et de développer des études empiriques complètes. »
Roscoe, Jung et les Indiens gays
Avec l’effondrement et l’éclatement des Fées, un nouveau groupe fut fondé en 1982 : Treeroots. Il était dirigé par deux « pyschologues gays », Mitch Walker et Don Kilhefner. Tous deux s’intéressaient à l’utilisation de la théorie jungienne et de la pratique rituelle pour explorer la conscience gay. Cette technique particulière repose sur la croyance de Jung selon laquelle les hommes possèdent une « anima » — un aspect féminin inconscient qui peut être exploré par le biais de la thérapie. D’une certaine manière, l’attirance des homosexuels pour Jung relève d’une logique évidente, puisqu’il met l’accent sur la dualité et l’aspect féminin de l’homme, ainsi que sur les conséquences négatives de cet aspect, à savoir la haine de soi et la projection. Mais nous pouvons établir ici un lien explicite entre l’archétype « bispirituel » de Jung et le développement ultérieur d’une catégorie spirituelle amérindienne appelée « bispiritualité » (Two-Spirit).
Il y aurait une critique beaucoup plus large à faire un jour sur la manière dont Jung lui-même, qui rendit visite aux Amérindiens à Taos, utilisa la pensée religieuse « primitive » dans son travail et comment cela contribua finalement à l’appropriation et au développement de sa philosophie par la « psychologie gay ». Mais cet article est déjà assez long. Il suffit de dire que les affluents d’idées qui ont alimenté ce mouvement psychologique comprenaient déjà de graves erreurs de caractérisation de la religion amérindienne, tant de la part de Jung que de Hay. Un exemple moderne de ce phénomène se trouve dans le « travail » d’Aaran Mason, auteur d’articles tels que « The Gay Male Goddess and the Myth of Binaries : A Queer Archetypal Meandering » (« La déesse masculine gay et le mythe de la binarité : un méandre archétypal queer »). Une récente discussion de son travail explore ce croisement confus entre la pensée « autochtone » et la pensée jungienne :
« À Pacifica, Mason a découvert les travaux de Will Roscoe, qui écrit sur les “two-spirits” amérindiens [la “bispiritualité” amérindienne] — un terme utilisé pour décrire “les rôles de genre non binaires dans les tribus amérindiennes”. Les écrits de Roscoe ont également permis à Aaron de découvrir les recherches sur le culte des “Galli” : d’anciens groupes d’hommes qui vénéraient la Grande Déesse Mère de la Terre, Cybèle…
Armé de ce type d’idées, Mason s’est rendu compte que le drag est “un processus de type trickster”, qui repose sur l’énergie du trickster. Dans certains contes amérindiens, par exemple, Coyote s’habillait en femme pour obtenir ce qu’il voulait. Dans d’autres contes, il faisait d’autres choses farfelues, comme s’enlever les organes génitaux, se faire prendre dans des pièges ou mettre en œuvre des plans farfelus ou paillards…
À ce propos, Mason m’a parlé d’un documentaire qu’il a découvert, intitulé “Two Spirits” (« Deux esprits »), dans lequel un Navajo, Wesley Thomas (qui s’identifie lui-même comme un “two-spirit” [ou « bispirituel »]), raconte un mythe d’origine navajo sur les quatre genres… Au lieu de la “pensée noire et blanche” où l’on oppose une chose à l’autre, lorsque la binarité est élargie, que l’on passe à quatre éléments, un individu peut s’identifier comme une femme féminine, un homme masculin, un homme féminin, ou une femme masculine.
Aaron a reconnu que ce concept pourrait également être symbolisé par un mandala quaternaire, qui a sa place dans la psychologie jungienne en tant que cercle sacré, englobant un tout avec quatre parties contribuant de manière égale. Il offre également la possibilité au féminin d’entrer dans la Trinité et de voir le féminin à travers deux paires de deux figures binaires (potentiellement réunies) : Marie, mère de Jésus, associée à Marie Madeleine et Ève associée à Lilith (la tentatrice), suggère Aaron. »
Pour Roscoe, Walker, Kilhefner et d’autres personnes impliquées dans la genèse de la « psychologie gay », le pouvoir intellectuel et émotionnel des cercles et des rassemblements des Fées fournissait la matière première à transformer en produits plus sérieux et plus institutionnels. Roscoe fut à la fois le vecteur et le sculpteur du projet de Hay sur l’histoire de l’homosexualité, qui dura des décennies. Il se montra infaillible.
Dans les années qui suivirent les émeutes de Stonewall (1969), un exode modeste mais significatif commença à se produire. Un certain nombre d’Amérindiens, attirés par le mouvement de libération des homosexuels, se rendirent à San Francisco et commencèrent à s’identifier à la scène anglo-européenne des gays, lesbiennes, bisexuels, transgenres et travestis. Il s’est avéré extrêmement difficile de retracer exactement la manière dont cela se produisit, mais en 1975, deux Amérindien·nes — Randy Burns, un Paiute, et Barbara Cameron, une Lakota — fondèrent le Gay American Indians (GAI, « Amérindiens gays »). Les relations entre ce groupe et Will Roscoe sont obscures, mais d’une façon ou d’une autre, il finit par devenir le coordinateur du projet d’histoire des Indiens gays d’Amérique (1984) et le rédacteur en chef de Living the Spirit : A Gay American Indian Anthology (« Vivre l’esprit : une anthologie gay des Indiens d’Amérique »). Les archives et les documents relatifs à cette période sont conservés par la GLBT Historical Society (« Société LGBT historique ») de San Francisco (dans des collections intitulées « Documents de Will Roscoe » et « Archives sur les Indiens gays d’Amérique »). Ils n’ont pas encore été numérisés et contiennent certainement l’histoire de la façon dont Roscoe, un non-autochtone, fut enrôlé par le GAI, qui lui confia en outre un poste de direction.
Les dynamiques que l’on observe ici sont terriblement complexes. Pour Roscoe, Hay et de nombreux Amérindiens s’identifiant comme homosexuels, la colère et l’agressivité des autres Amérindiens à l’égard des homosexuels trouvent leur origine dans la christianisation de leur culture. Roscoe devint l’« expert » en mesure d’affirmer et de « prouver » que les générations précédentes d’Amérindien·nes étaient non seulement tolérantes à l’égard des homosexuels, des personnes du troisième genre et des transgenres [encore cet anachronisme idiot], mais que ces personnes étaient même célébrées et vénérées pour leurs pouvoirs spirituels. Cependant, et c’est là le cœur du problème, une grande partie de ces recherches, et les affirmations qui en découlent, sont des images simplifiées, déformées et propagandées de la vie des Amérindien·nes antérieure à la colonisation. Roscoe écrivit ensuite des dizaines de livres et d’articles sur l’existence et la vénération des homosexuels et des personnes du troisième genre dans de nombreuses sociétés indigènes et traditionnelles — y compris l’islam, le christianisme, ainsi que des groupes africains et amérindiens.
« Pourquoi le berdache a‑t-il été ridiculisé ? »
Si vous avez eu la patience de me suivre jusqu’ici, vous vous demandez peut-être pourquoi cette définition de la « bispiritualité » (Two-Spirit) pose problème si les Amérindiens eux-mêmes l’ont adoptée. L’histoire des Amérindiens et le contrôle qu’ils exercent vis-à-vis d’elle constituent un élément essentiel de la cosmologie progressiste depuis les années 1960. Les progressistes l’utilisent notamment pour soutenir leur perspective selon laquelle un État colonial chrétien, patriarcal et dominant aurait anéanti une société pacifique, matriarcale, écologique et égalitaire de chasse et d’agriculture. Presque tout le monde connait cette forme de propagande présentant un bon [ou noble] sauvage voué à l’extinction, et avec lui la terre qui souffre. La question spécifique du « berdache » et de la manière dont Hay et ses acolytes ont réussi à déformer l’histoire mérite certainement d’être étudiée, et j’espère vous avoir fourni quelques éléments de contexte sur la manière dont le concept des « deux esprits » ou « bispirituels » (Two-Spirit) est né. Voyons maintenant ce qui a été déformé.
Les études sur le « berdache » historique sont très largement biaisées dans un sens ou dans l’autre. Les militants progressistes et les universitaires ont raison de dire que les premiers anthropologues étaient horrifiés par l’acceptation dont certaines cultures autochtones faisaient montre à l’égard de ce qu’ils considéraient comme des déviances et des perversions, ce qui les amena à produire une image erronée de la réalité. Mais la réaction de Roscoe et consorts est également truffée d’erreurs. Je voudrais souligner plusieurs critiques essentielles :
- En transformant le « berdache » en « two-spirit » [ou « bispirituel »], Roscoe et ses collègues commettent exactement le même abus que les anthropologues du passé, à savoir homogénéiser les cultures autochtones, dont beaucoup n’avaient pas de « berdache ».
- Le fait d’imposer le concept « queer » du mouvement gay moderne aux cultures autochtones est à la fois anachronique et dégradant. [Idem pour l’idée de « transgenre »].
- Roscoe et consorts minimisent les preuves historiques des moqueries, de l’aversion et de l’hostilité qui pouvaient exister à l’encontre des « berdaches » et exagèrent leur nature supposément sacrée et divine.
La première de ces questions est la moins controversée et la plus couramment débattue. Des articles sur Internet tels que « quels étaient les cinq genres des Amérindiens » sont coupables de promouvoir de pures et simples faussetés. Même au sein des vastes « zones culturelles » de l’Amérique du Nord, comme le Nord-Ouest Pacifique, il existe une importante diversité culturelle. Chaque peuple aborde différemment la question du genre, du travestissement et de la sexualité. Pour de nombreux groupes, dont le plus célèbre est celui des Iroquois (Haudenosaunee), il n’existe aucune preuve de l’existence d’un phénomène « berdache ». Comme on peut le lire dans un article détaillé de 1983 intitulé « The North American Berdache » (« Le berdache d’Amérique du Nord ») :
« Nous pourrions ajouter que le rapport de Loskiel (1794:11) sur l’homosexualité chez les Delaware et apparemment les Iroquois (Katz 1976:290) ne décrit pas de comportement berdache. Les arguments en faveur de l’absence de berdaches dans les cultures iroquoises sont solides. Kehoe souligne que Miller (1974) est parvenu à une conclusion similaire. »
Évoquant son travail avec les « nadleehi » navajos, l’anthropologue Carolyn Epple formule ce commentaire accablant :
« Il semble que Roscoe, Williams et d’autres aient fréquenté le culte de l’Homosexuel éternel et, ce faisant, ont non seulement négligé les limites culturelles de la sexualité en tant que concept, mais aussi subsumé les nadleehi (et peut-être d’autres personnes présentant des caractéristiques similaires) sous la classification actuelle de la sexualité — une inclusion sans fondement. […] Et ce afin de “démontrer que les sociétés préindustrielles sont plus ‘tolérantes’ […] ou ‘accommodantes’ de la diversité érotique et de la variation des genres que ‘l’Occident’”. Les avantages de l’identification aux sociétés “préindustrielles” sont nombreux. Williams considère par exemple que “le concept amérindien de spiritualité permet de sortir de l’idée de déviance, de réunir les familles et d’offrir des avantages particuliers à la société dans son ensemble” (1986:207). Et Roscoe d’ajouter : “Je n’ai aucune difficulté à imaginer la raison d’être et les avantages d’une spécialisation dans un travail autrement considéré comme féminin. Ma propre conscience a donc absorbé le berdache.”
Si les deux auteurs reconnaissent l’existence de différences majeures entre les significations euroaméricaines et amérindiennes du terme “gay”, ils confondent clairement ces significations à des fins politiques et personnelles. Il n’est pas étonnant que Jaimes, une Amérindienne, s’oppose à de telles perspectives : “Les efforts déployés par les non-Indiens afin d’utiliser la coutume indigène consistant à traiter les homosexuels (souvent appelés ‘berdache’ par les anthropologues) comme des personnes dotées de pouvoirs spirituels spéciaux dans le cadre de l’organisation de masse au sein de la société dominante ont été particulièrement choquants.” »
[Dans la conclusion de son article, Carolyn Epple soutient que : « Les expressions berdache, genre alternatif, gay et bispirituel [Two-Spirit] sont clairement inadéquates, une lacune qui, je le soupçonne, découle du fait que l’on continue à s’appuyer de manière acritique sur des hypothèses non examinées concernant la centralité du genre et des pratiques sexuelles. » Le recours à ces termes, entre autres choses, « efface les épistémologies de ces différentes cultures ». (NdT)]
Les remarques d’Epple sur la manière dont Roscoe et Williams ont utilisé la culture autochtone pour leurs propres combats — « une inclusion sans fondement » — ont été reprises par beaucoup d’autres au fil des ans. Les attaques contre le concept de « bi-spiritualité » (Two-Spirit) soulignent souvent à quel point les conceptions autochtones de la sexualité, de la parenté et de la spiritualité étaient et sont toujours radicalement différentes des conceptions occidentales. Certains, comme les Dénés, pensent qu’un enfant peut naître avec l’âme d’un parent décédé, mais que cela n’affecte en rien sa sexualité. Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur la manière dont cette terminologie leur a été imposée, comme le poète mohawk James Thomas Stevens dans son article intitulé « Poetry and Sexuality : Running Twin Rails » (« Poésie et sexualité : courir sur deux rails ») :
« En parlant d’identités fabriquées, on peut évoquer le Twin-Spirit. Depuis le milieu des années 1970 et la création de GAI (Gay American Indians), les personnes intéressées par la recherche sociosexuelle et anthropologique/culturelle ont repris des termes tels que berdache, Winkte, double-sexe, Nadle, Hwame et Twin-Spirit […] Twin-Spirit est trop souvent utilisé comme un terme pan-indien pour les personnes autochtones identifiés comme queers, même si de tels termes n’existaient pas auparavant. Cela passe sous silence les nombreux points de vue autonomes que les différentes nations avaient à l’égard de leurs membres homosexuels. »
Queer est un terme particulièrement insultant pour décrire les sexualités autochtones. Conçu dans le contexte anglo-européen d’un mouvement de « libération », le terme queer désigne spécifiquement ce qui est « déviant », « non normatif » et « pervers ». Sur le plan conceptuel, cela n’a rien à voir avec les « berdaches » documentés de l’anthropologie amérindienne, et bien qu’ils puissent être détestés, marginalisés et moqués, les « berdaches » étaient acceptés dans un cadre social établi, qui comprenait souvent des règles explicites sur les personnes avec lesquelles ils pouvaient ou ne pouvaient pas avoir de relations sexuelles [autrement dit, puisque cela s’inscrivait dans un cadre codifié, normatif, cela n’avait rien de queer (NdT)]. Dans un article intitulé « Dance to the Two-Spirit : Mythologisations of the Queer Native » (« La danse aux deux esprits : mythologisations de l’autochtone queer »), Marianne Kongerslev critique la description que fait Roscoe de l’Amérique du Nord comme « le continent le plus queer de la planète ». Elle note :
« La bispiritualité [Two-Spirit] n’est pas synonyme de queer, étant donné que de nombreuses cultures tribales ne considéraient pas leurs membres non binaires comme des étrangers ou comme contrevenant aux traditions. La notion occidentale de “queer” est inexacte et insuffisante pour comprendre le terme. Les personnes bispirituelles [Two-Spirit] ont joué un rôle central au sein de leurs nations et de leurs cultures, et ne sont donc pas “queer”. »
Et même si je ne suis pas d’accord avec l’utilisation de l’expression « bispirituel » [Two-Spirit] pour décrire toutes les cultures autochtones, ce qu’elle discute elle-même dans l’article, son point est clair. De même, dans son article, Epple insiste sur le fait que les Navajos considèrent le genre comme le premier clivage de la nature, et que tout peut être divisé en catégories masculines et féminines. Même le troisième genre « nadleehi » s’inscrit dans ce cadre, et n’est donc pas « queer ».
« Comme n’importe quel Navajo pourrait vous le dire, tout peut être divisé en mâle et femelle. […] Kluckhohn souligne que les chants, les rivières, les plantes et d’autres éléments sont classés en mâle et femelle. […] Matthews fait une observation similaire : “Il existe de nombreux exemples dans la langue et les légendes navahos où, lorsque deux choses se ressemblent quelque peu, mais que l’une est plus grossière, plus forte ou plus violente, elle est qualifiée de mâle ou associée au mâle, tandis que la plus fine, plus faible ou plus douce est qualifiée de femelle ou associée à la femelle.” »
Je ne souhaite pas vous ensevelir sous une série interminable de citations, j’en citerai donc seulement une dernière pour terminer cette section. En présentant l’existence du « berdache » comme à la fois « queer » et spirituelle, Roscoe et ses collaborateurs ont inversé la réalité documentée, qui montre que le « berdache » est souvent institutionnalisée dans les cultures autochtones. S’il est vrai que certaines tribus les considéraient comme dotés de pouvoirs spirituels, il n’en reste pas moins qu’ils étaient régulièrement évités, moqués et raillés, parfois même exilés. Il n’y a là, à mon sens, aucun paradoxe, l’existence d’une catégorie de personnes ayant un certain statut mais n’en étant pas moins détestées est monnaie courante, le forgeron fournissant un exemple classique. Pour terminer cette section, voici une citation éloquente tirée de l’ouvrage de David Greenberg intitulé The Construction of Homosexuality (« La construction de l’homosexualité »), publié en 1998 :
« Parallèlement aux sources qui font référence aux berdaches comme étant honorés ou acceptés, d’autres décrivent des réactions négatives. Les Papago “méprisaient” les berdaches ; les Cocopa “ne les aimaient apparemment pas”. Les Choctaws les tenaient “en grand mépris”, les Sept Nations “dans le mépris le plus souverain”. Les Klamaths soumettaient les berdaches “au mépris et à la raillerie” ; les Sioux les “moquaient”. Les berdaches Pima étaient ridiculisés, mais non sanctionnés, tout comme les berdaches Mohave qui prétendaient posséder les organes génitaux du sexe opposé. Les Apaches traitaient les berdaches avec respect lorsqu’ils étaient présents, mais les ridiculisaient dans leur dos. Et si les Zuni acceptaient leur berdache, “il y avait des plaisanteries et des rires sur sa capacité à attirer les jeunes hommes chez lui”. Dans certains groupes, les partenaires des berdaches étaient également ridiculisés ou méprisés.
Elle décrit le processus par lequel, au fil des ans, un jeune homme Santee devint un winkta. Enfant, il préférait les travaux de tête et les tâches ménagères aux sports masculins. Sa transformation ayant été approuvée par ses rêves, il adopta des vêtements et des formes de langage féminins. Le travestissement du winkta ne suscita aucune réaction particulière jusqu’à ce qu’il commence à flirter avec les hommes de son village et à tenter de les séduire. C’est alors que les villageois organisèrent une cérémonie officielle pour exiler le winkta à vie. Il s’agissait d’une peine très sévère, plus lourde que celle imposée en cas d’homicide. Après son exil, le winkta s’installa dans un village voisin. Il y fut accueilli par les femmes, reconnaissantes de sa contribution au travail des femmes (les berdaches masculins excellaient souvent dans l’exécution de tâches traditionnellement féminines), et par les hommes, heureux de participer à son “hospitalité” (qui n’est pas décrite plus avant, mais dont on peut supposer qu’elle fait référence à l’hospitalité sexuelle). Malgré cet accueil apparemment positif, le winkta était constamment l’objet de taquineries. »
Il existe de nombreuses explications à ce comportement, mais une source évidente de tension était la possibilité pour un homme « berdache » d’éviter de devoir aller à la guerre en s’identifiant aux occupations d’une femme. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez consulter le livre de Greenberg qui propose une discussion approfondie de cet argument.
La conférence de 1990
Tout au long des années 1980, Roscoe et d’autres travaillèrent sans relâche sur le thème du « berdache », tâchant de réhabiliter l’image d’un déviant calomnié pour en faire une figure puissante et aimée qui aurait été effacée par l’État colonial. Roscoe s’appuya sur le travail de Hay pour créer un récit global de la place de l’homosexuel dans de nombreuses cultures, de la manière dont il était vénéré, et aida la génération actuelle de militants homosexuels à se sentir connectée à une vision plus profonde, voire « primitive », de sa place dans l’histoire de l’humanité. Tout ce travail devait aboutir à l’adoption formelle du terme « two-spirit » (« bispirituel ») par une délégation assemblée à Winnipeg. Les détails de la conférence et du mouvement « bispirituel » (Two-Spirit) qui s’ensuivit furent archivés à l’Université de Winnipeg, sous la direction d’Albert McLeod. N’y ayant pas accès, je ne peux vous présenter les subtilités des débats et des discussions de la conférence. Cependant, il semble presque certain, étant donné la nature du travail de Roscoe, que le terme et ses implications proviennent de la philosophie de Hay et de Roscoe. Il ne s’agit pas d’ignorer les contributions des délégués et des militants autochtones, qui accueillirent et acceptèrent manifestement le terme, mais comme nous l’avons vu, le contexte historique est primordial.
Les liens entre le mouvement gay amérindien (et ses successeurs) et le monde universitaire sont cruciaux, étant donné que c’est le vernis de légitimité fourni par le milieu académique militant qui propulsa le terme « bispirituel » (Two-Spirit) dans le domaine grand public. Le terme apparaît dans des revues universitaires à la fin des années 1980, mais son emploi explose après la conférence. Il est alors repris par des groupes de lobbying, des organisations caritatives de lutte contre le sida, des ONG, des gouvernements locaux, puis les médias et la culture en général. Aujourd’hui, il constitue un vocable accepté, de même que les croyances qui l’accompagnent, comme « les autochtones avaient quatre genres » ou « les cultures autochtones vénéraient les homosexuels et les transgenres », un mythe qui s’est ancré dans les esprits et qui ne semble pas près de disparaître.
[Outre sa nature intrinsèquement problématique, il faut bien voir que l’expression « bispiritualité » (Two-Spirit) a officiellement été conçue et adoptée « pour distinguer et distancier les populations amérindiennes/Premières nations des populations non amérindiennes ». Le problème, c’est que les militants trans l’utilisent pour faire exactement l’inverse, à savoir pour rapprocher et assimiler des croyances et pratiques amérindiennes avec des croyances et pratiques non amérindiennes. (NdT)]
Réflexions finales
J’espère que cette lecture aura été instructive. Mes recherches sur ce sujet m’ont conduit dans d’étranges terriers de lapin et le personnage de Harry Hay, en particulier, m’a semblé à la fois fascinant et répugnant. Son intelligence, son sens de l’organisation et ses talents évidents doivent, à mon sens, être replacés dans le contexte de ses désirs et de son tempérament. Par exemple, Hay était obstinément déterminé à faire en sorte que la North American Man/Boy Love Association (NAMBLA) soit incluse dans le mouvement général des droits des homosexuels et qu’elle soit autorisée à défiler à la Pride avec un drapeau et une bannière. Ses opinions sur l’amour homosexuel et l’âge du consentement révèlent sa conviction inébranlable selon laquelle l’homosexualité n’est pas seulement un phénomène biologique distinct, mais qu’elle s’accompagne également d’une nature spirituelle distincte, qui ne devrait pas se limiter au carcan des opinions, des coutumes, des habitudes et de la morale du monde hétérosexuel. Il passa l’arme à gauche en croyant toujours qu’un garçon de 14 ans devrait être autorisé à « molester », selon ses termes, un homme plus âgé, afin d’obtenir les informations et les connaissances dont il a besoin. C’est cette croyance en la séparation radicale et en l’incompatibilité des codes moraux des mondes gay et hétérosexuel qui, je pense, alimenta ses recherches philosophiques et universitaires. Il voulait que les homosexuels possèdent leur propre cosmos et leur place unique dans l’histoire.
Je ne doute pas de la sincérité de son engagement envers les Amérindiens qu’il côtoya, mais son obsession à trouver les « origines primitives » de l’homosexualité ternit cet engagement. Une citation très révélatrice de sa biographie en témoigne pleinement :
« Malgré les frustrations de Harry lors de son enquête sur les berdaches à San Juan, il soupçonnait qu’une tradition berdache — du moins en partie — échappait encore à l’observation des Blancs. Ce soupçon fut renforcé un après-midi, alors qu’il observait les écoliers de San Juan descendre de leur bus devant le poste de traite. “Un petit garçon d’environ huit ans pleurait et se cachait derrière une fille du même âge. Je l’ai entendue crier à d’autres garçons qui se moquaient de ce pauvre enfant effrayé : ‘Laissez-le tranquille ! Il a tout à fait le droit d’agir comme il l’entend, et vous le savez !’ Il était clair qu’elle défendait une petite femmelette [sissy].” Harry n’eut jamais l’occasion d’avoir une preuve plus claire de cette possibilité, mais il avait le sentiment qu’une telle tradition serait soigneusement dissimulée aux yeux des étrangers. »
Hay s’était créé un monde où, derrière chaque porte, se cachaient des traditions et des rituels homosexuels. Même dans les brimades d’un petit garçon, il voyait une occasion manquée de percer les secrets d’une culture qui n’était pas la sienne.
En fin de compte, je pense que Roscoe et Hay sont responsables de la création d’un Homosexuel mythique, que d’autres appellent l’Homosexuel perpétuel, et de son introduction dans le nouveau secteur universitaire dirigé par des activistes et dans cet espace où les homosexuels amérindiens et occidentaux se sont rencontrés. Le terme « Two-Spirit » ou « bispirituel » condense la croyance de Hay et de Roscoe en un homme gay divin adorateur du matriarcat, possédant en lui une essence archétypale duale à la fois mâle et femelle, et destiné à jouer un rôle particulier dans la société et l’histoire. Non seulement je pense qu’il s’agit du fantasme d’un garçon introverti et précoce, mais en outre il s’agit d’un fantasme qui a profondément influencé le mouvement moderne de défense des droits des homosexuels, en particulier la philosophie du transgenrisme. Mais il s’agit peut-être d’une autre histoire, à raconter à quelqu’un d’autre. Si les populations amérindiennes contemporaines sont satisfaites du terme « bispirituel » (Two-Spirit), c’est leur affaire. Cependant, mes conversations avec des amis amérindiens suggèrent le contraire, et c’est pourquoi j’offre cet article à toutes celles et ceux qui souhaitent découvrir les origines de ces termes et de ces idées qui leur sont imposés.
Stone Age Herbalist
(« Herboriste de l’âge de pierre »)
Traduction : Nicolas Casaux
Bibliographie (si elle ne figure pas déjà dans le texte)
The Trouble with Harry Hay : Founder of the Modern Gay Movement. Stuart Timmons. 1992.
Becoming two-spirit : Gay identity and social acceptance in Indian country. Gilley BJ. University of Nebraska Press. 2006.
Two-spirit people : Native American gender identity, sexuality, and spirituality. Jacobs SE, Thomas W, Lang S, editors. University of Illinois Press. 1997.
Indian Blood : HIV and Colonial Trauma in San Francisco’s Two-Spirit Community. Jolivette AJ. University of Washington Press ; 2016.
The Zuni man-woman. UNM Press. Roscoe W. 1991.
Islamic homosexualities : Culture, history, and literature. Roscoe W, Murray SO, editors. NYU Press ; 1997.
Source: Lire l'article complet de Le Partage