Le fait d’affirmer que les femmes existent, que l’humanité est bel et bien composée de deux sexes, dont le sexe femelle (ou féminin), qui comprend les filles (les jeunes êtres humains de sexe féminin, les jeunes femelles humaines) et les femmes (les femelles humaines adultes), est désormais officiellement (juridiquement, on ne sait pas encore, mais en tout cas dans la culture en général, c’est officiel, dans les médias, sur les réseaux sociaux, etc.) un « discours de haine » à supprimer, une « transphobie » intolérable. En d’autres termes, il relève désormais du discours de haine d’affirmer que les femmes existent.
Et beaucoup de gens l’acceptent et approuvent même, tandis que beaucoup d’autres semblent n’en avoir rien à siffler. Et le fait que beaucoup de gens approuvent, l’acceptent ou n’en aient rien à siffler constitue une preuve massive, criante, éclatante, du fait que les femmes, et les personnes de sexe féminin en général, dans cette culture, sont fondamentalement inconsidérées, méprisées, jugées insignifiantes, secondaires (ce qui est puissamment mis en évidence dans le livre Femmes invisibles de Caroline Criado Perez).
Et oui, en un sens, on pourrait dire que les hommes et les êtres humains de sexe masculin en général sont aussi effacés et donc touchés par ces nouvelles directives langagières, cette nouvelle conception, cette nouvelle orthodoxie du sexe et du genre qui s’impose. Mais en fait non. Parce que les rapports de pouvoir entre les sexes ne sont pas équilibrés dans notre culture. Parce que la valence différentielle des sexes. Les hommes, les individus de sexe masculin, se fichent pas mal de ce nouveau langage, de cette nouvelle orthodoxie sociosexuelle (c’est d’ailleurs essentiellement des hommes qui tentent de l’imposer). Ils sont le sexe dominant, oppresseur. Ils n’ont rien à craindre. Ils sont ceux qui commettent les viols, le harcèlement sexuel, les violences sexuelles, qui accaparent la majorité des ressources, qui exploitent les autres, qui exploitent les filles et les femmes, au travers d’institutions et de structures sociales bien établies que la nouvelle orthodoxie concernant le sexe et le genre ne menace pas vraiment. Que l’on ne puisse plus nommer la réalité des sexes ne les dérange pas. Ils n’ont pas besoin de s’organiser pour lutter pour leur émancipation, pour changer les choses, contrairement aux femmes et aux filles.
La novlangue et la nouvelle orthodoxie sociosexuelles ne menacent pas les hommes. Elles posent problème aux femmes, qui perdent, outre la possibilité, le droit de se nommer, la possibilité d’avoir de véritables espaces et services non-mixtes, préservés de la présence et de la violence masculines, elles perdent la possibilité de s’organiser en tant que classe de sexe, et donc les moyens minimales pour penser et lutter contre l’oppression masculine. C’est pourquoi il me semble assez juste de considérer, avec l’autrice féministe et marxiste Kajsa Ekis Ekman, que le transgenrisme, l’idéologie de l’identité de genre, constitue en bonne partie une offensive ou même une contre-offensive patriarcale, un mécanisme de défense contre l’émancipation des femmes.
Et la manière dont tout ça est vigoureusement imposé, la violence et la virulence du militantisme trans, l’acceptation et la promotion de la nouvelle orthodoxie sociosexuelle par les médias, son acceptation par une large partie de la population et notamment par les classes supérieures, tout ça en dit long sur la nature toujours bien patriarcale (ou androcratique, ou phallocratique, pour les pédants, les pointilleux) de la culture dans laquelle on vit.
En France comme ailleurs, ce qui deviendra ultérieurement le transgenrisme commence presque exclusivement avec des hommes. Ses débuts correspondent, également comme ailleurs, au travestisme, couramment défini comme l’« adoption habituelle des vêtements et des habitudes » (ou des manières) culturellement/socialement associés à « l’autre sexe », et au transsexualisme, par quoi il faut entendre le « sentiment d’appartenir au sexe opposé, souvent associé au désir de changer de sexe », d’entreprendre des opérations chirurgicales dites de « réassignation sexuelle », ou « de changement de sexe ». Aujourd’hui, ces termes et les choses qu’ils désignent se retrouvent subsumés sous la catégorie « trans », qui fait office de « parapluie », mais dont les contours sont extrêmement flous (à sérieusement en croire les définitions les plus courantes du mot, nous serions toutes et tous « trans », ce qui s’avère aussi pratique qu’insidieux pour tenter de légitimer toutes les choses contradictoires qui sont associées au terme, mais c’est un autre sujet).
Je me propose ici de continuer (Cf. les 3 parties précédentes) à explorer l’histoire masculine du transgenrisme, qui débute avec le travestisme et le transsexualisme.
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Et donc, aux origines de tout ça, des hommes. « Au début du XXe siècle, les [très influents] sexologues Magnus Hirschfeld et Havelock Ellis définirent le “transvestisme” ou “éonisme” comme une catégorie indépendante comprenant le travestissement vestimentaire et l’identification psychologique au sexe opposé. Mais le “transsexualisme”, défini en partie par la demande de changement de sexe chirurgical, n’apparut pas en tant que catégorie médicale avant la fin des années 1940 et le début des années 1950, lorsque les médecins David O. Cauldwell et Harry Benjamin inventèrent et rendirent pour la première public le terme anglais “transsexual”, et lorsque Christine Jorgensen [un homme, j’y reviendrai] apparut pour la première fois dans la presse. Mais les concepts de “changement de sexe” et de “chirurgie de changement de sexe” existaient bien avant que le mot “transsexuel” n’entre dans le langage médical. Au début du XXe siècle, des scientifiques européens entreprirent des expériences de “transformation sexuelle”, d’abord sur des animaux, puis sur des êtres humains. En Autriche, dans les années 1910, le physiologiste Eugen Steinach prit l’initiative de changer le sexe d’animaux, et en Allemagne, dans les années 1920 et au début des années 1930, des médecins affiliés à l’Institut des sciences sexuelles de Magnus Hirschfeld pratiquèrent et rendirent publiques des opérations de changement de sexe sur des patients qu’ils qualifiaient de “travestis”. » (Joanne Meyerowitz, How Sex Changed : A History of Transsexuality in the United States, 2004)
Parmi les « pionniers de la chirurgie affirmative du genre » célébrés sur divers sites promouvant le transgenrisme figure en outre le chirurgien allemand Erwin Gohrbandt, un des tout premiers (sinon le premier) médecins à avoir effectué des opérations de transsexualisation (à partir de 1922). Il est notamment connu pour avoir pratiqué, sur un homme danois du nom de Einar Magnus Andreas Wegener, qui deviendra dès lors « Lili Elbe » (célèbre peintre), une castration, une pénectomie et l’implantation d’un ovaire dans l’abdomen, réitérant sur ce même patient en 1931 avec l’implantation d’un utérus qui causera sa mort, quelques mois après. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Gohrbandt, entre autres choses, travailla sur des expériences humaines (des tortures) dans le camp de concentration nazi de Dachau. En février 1945, il fut décoré de la Ritterkreuz des Kriegsverdienstkeuzes (la croix du Mérite de guerre) sur recommandation personnelle d’Hitler. Après la guerre, il ne fut pas inquiété et recommença à exercer (il reçut même plusieurs prix liés à ses activités de professeur et de chirurgien).
En France, deux figures majeures du début du travestisme/transsexualisme sont les célèbres « Bambi » (né Jean-Pierre Pruvot) et « Coccinelle » (né Jacques Charles Dufresnoy), deux hommes qui, dès les années 1950, se donnaient en spectacle au Carrousel à Paris en se faisant passer pour des femmes, et qui choisirent tous deux d’être opérés par le Dr Georges Burou à Casablanca en vue de ressembler davantage à des femmes. Dans les années 1960, le Dr Burou était un des principaux, voire le principal chirurgien qui pratiquait ces opérations trompeusement dites de « réassignation sexuelle », alors qu’il s’agit simplement d’une altération de l’apparence du corps, comme Burou le fit lui-même remarquer : « Je ne transforme pas les hommes en femmes. Je transforme des organes génitaux mâles en organes génitaux qui ont une apparence féminine. Tout le reste se passe dans la tête du patient. »
1. La première organisation trans créée en France s’appelle l’Association des malades hormonaux (AMAHO). Elle est fondée par Marie-Andrée Schwindenhammer, né George Marie André, en 1965. De son propre aveu, Schwindenhammer se travestissait durant sa jeunesse, et aurait été un résistant pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il s’est fait connaître sous le nom de Suzanne Thibault. Schwindenhammer « justifie sa propre transition en se prétendant victime d’expériences nazies » qu’il « aurait subies au camp de concentration de Struthof, après avoir été interné pour faits de Résistance ». Et en 1965, donc, il fonde l’AMAHO, l’Association d’aide aux malades hormonaux. Par ce biais, il « fournit aux femmes trans des cartes attestant de leur identité féminine qui sont tolérées par la préfecture de police, aide dans les parcours de transition médicale et sociale, organise des espaces de sociabilisation et réalise plusieurs interventions médiatiques ».
Dans son livre Histoire des transsexuels en France initialement paru 2006, Maxime Foerster remarque que l’histoire des expériences nazies pourrait n’être qu’une fabulation visant à le décharger de la responsabilité de sa transition vis-à-vis de sa famille. « Bambi », qui côtoya Schwindenhammer, affirme dans un entretien (en date de 2022) que ce ne sont pas les nazis qui expérimentèrent sur Schwindenhammer, mais que c’est lui « qui a commencé à prendre des hormones ». (Dans une vidéo archivée sur le site de l’INA, Schwindenhammer se présente et présente son activisme trans).
2. En 1975, deux hommes qui se travestissent créent l’Association Beaumont Continental (ABC), toujours active aujourd’hui, afin de proposer aux hommes qui se travestissent d’échanger et de se rencontrer. Aujourd’hui, le but officiel de l’association consiste à créer du « lien social entre les personnes transidentitaires ». L’association « se propose également de fournir des informations fiables et utiles aux personnes transidentitaires dans les domaines » de l’« apparence (vêtements, maquillage, coiffure, épilation, etc…) », en ce qui concerne le « parcours médical (hormones, chirurgie, etc..) » et les « questions juridiques (changement d’état civil, etc..) ». Elle propose ainsi des « guides » sur des sujets comme la « féminisation de la voix », « l’épilation temporaire et définitive », « la coiffure, les perruques », « la silhouette : comment avoir les formes ? », « le maquillage », etc.
3. En 1976, Joseph Doucé, (1945–1990), pasteur baptiste, psychologue et homosexuel, fonde le Centre du Christ Libérateur (CCL), destiné « à accueillir les minorités sexuelles (homosexuels (gais et lesbiennes), travestis, transsexuels, sadomasochistes, pédophiles) ». Oui, pédophiles aussi, si Joseph Doucé a possiblement fait de bonnes choses pour divers groupes de personnes véritablement opprimées, il semblait également défendre diverses idées a minima douteuses, y compris une dépénalisation et une banalisation de la pédophilie.
4. En 1981, à Saint-Étienne, l’AMEFAT, l’Association Médicale Française d’Aide aux Transssexuels, est créée par Marie-Ange Grenier, un homme belge, médecin militaire de formation. L’AMEFAT, qui « réunit des médecins, des avocats et des juristes, est active à la fois dans le soutien aux transsexuels et dans le lobbying ».
5. En 1994, le psychologue clinicien Tom Reucher créé l’Association du syndrome de Benjamin, du nom du célèbre endocrinologue et sexologue états-unien d’origine allemande, Harry Benjamin, connu pour ses travaux sur le transsexualisme.
Et on pourrait continuer en mentionnant la création, par Camille Cabral (soi-disant « femme trans », c’est-à-dire un mâle adulte de l’espèce humaine), de l’association appelée Prévention action santé travail pour les transgenres (PASTT) en 1996. Ou encore, en 2004, la création de l’association Trans Aide, qui deviendra ensuite l’Association Nationale Transgenre (ANT), par deux mâles adultes de l’espèce humaine — lesquels écrivent d’ailleurs, dans un livre paru en 2006 et intitulé Changer de sexe : identités transsexuelles, que « femme » désigne « une personne de genre féminin (indépendamment de son sexe) » (sans avoir demandé aux femmes leur avis concernant cette redéfinition absurde du terme), qu’une « femme trans » est « une personne de sexe mâle » qui « se sent plus à l’aise dans le rôle social féminin », autrement dit que « le rôle féminin s’apprend », et que « les trans l’apprennent juste un peu plus tard ». Le genre de propos qu’on ne retrouve plus dans le discours médiatique des militants trans, parce qu’il sonne bien trop sexiste. Le genre de propos qui serait même jugé « transphobe » aujourd’hui, mais qui a pourtant le mérite d’une certaine honnêteté. Les prétendus « femmes trans » sont (bien souvent) des hommes qui ressentent une attirance pour le « rôle social » et l’image de la femme dans la société patriarcale, qu’ils aimeraient incarner (Cf. l’autogynéphilie).
Les bases théoriques du transgenrisme sont également presque exclusivement une affaire d’hommes. On attribue l’invention du concept d’« identité de genre » aux sexologues John Money et Robert Stoller. L’endocrinologue et sexologue Harry Benjamin, déjà mentionné, est un des plus célèbres pères fondateurs du transsexualisme, qu’il appela « syndrome de Benjamin » et qui correspondait selon lui à une sorte de contradiction entre le développement du « sexe psychologique » (une idée absurde fondée sur des préjugés sexistes) et du « sexe anatomique ». La première figure majeure du transsexualisme est un homme états-unien appelé George William qui, après avoir subi des opérations dites de « réassignation sexuelle » en 1951 et 1952 au Danemark, se fit connaître sous le nom de Christine Jorgensen. L’invention du terme « transgenrisme » (transgenderism en anglais) est parfois attribuée à Virginia Prince, né Arnold Lowman à Los Angeles, aux États-Unis, un homme très conservateur dans sa vision des rôles socio-sexuels, qui honnissait les homosexuels et les transsexuels, mais qui aimait se travestir, et qui fonda en 1952 le premier magazine états-unien dédié aux travestis, appelé Transvestia. Il importe d’ailleurs de noter que la prolifération, à partir des années 1960, des magazines pour hommes qui aiment se travestir, qui fétichisent, érotisent ou hypersexualisent la féminité, n’eut pas d’équivalent du côté des femmes. L’invention du concept de « dysphorie de genre » est attribuée à un psychiatre états-unien du nom de Norman Fisk. Une étape majeure du développement du transgenrisme correspond en outre à la rédaction de la « Charte internationale des droits du genre », entre 1992 et 1996, aux États-Unis, par 6 hommes, dont plusieurs deviendront et sont toujours d’importantes figures du lobbying trans.
Si des femmes se « travestissent » aussi, et depuis longtemps, leurs motivations étaient (et sont) bien différentes, en général, de celles des hommes. Et avec l’explosion du nombre d’associations trans à partir des années 2000/2010, nul doute que davantage de femmes se retrouvent à endosser des rôles d’importance dans le phénomène. Les nouvelles évolutions terminologiques et conceptuelles et les nouveaux motifs confus (et parfois contradictoires entre eux) qui favorisent désormais la déclaration de « transidentités » ne sont plus exclusivement une affaire d’hommes.
Mais le fait est qu’initialement, tout commence avec des hommes qui aiment se travestir, qui aiment endosser le « rôle social » et l’image assignés à l’autre sexe dans la société patriarcale, notamment dans le cadre de fétichismes sexuels, voir dans le cadre d’un fétichisme qu’on pourrait dire « existentiel ». Il n’y avait et il n’y a toujours rien d’émancipateur dans le transgenrisme. On peut même affirmer que le transgenrisme dans sa version actuelle, qui propose à des enfants ou de jeunes adultes de se mutiler à vie, est bien plus néfaste que le travestisme d’il y a quelques décennies.
Si, aujourd’hui, on prescrit des bloqueurs de puberté à des adolescents mal dans leur peau, si on leur propose ensuite de prendre des hormones de synthèse, puis d’entreprendre des opérations chirurgicales lourdes, mutilantes (impliquant l’ablation d’organes sains), s’il est interdit de définir les termes fille, femme, garçon et homme (autrement que par des tautologies ou d’autres types de définitions qui n’en sont pas), si des hommes (parfois violents, parfois violeurs) se retrouvent placés dans des prisons pour femmes, voire des foyers ou des centres pour femmes battues ou victimes de viol, si des hommes remportent des épreuves sportives réservées aux femmes, si les femmes sont sommées d’intégrer des hommes parmi les sujets de la lutte féministe, etc. (liste non exhaustive), c’est en grande partie parce qu’à un moment, des hommes qui aimaient se travestir ont décidé qu’il ne leur suffisait plus d’être simplement perçus et considérés comme des hommes qui se travestissent, mais qu’ils voulaient être perçus et considérés — par nous tous, par tous les autres membres de la société — comme de véritables femmes, comme des « femmes comme les autres », et que pour ce faire, ils ont (fructueusement) exigé la possibilité aux institutions scientifiques et médicales de recourir à des opérations chirurgicales, dont ils ont (fructueusement) exigé le remboursement intégral à l’État, duquel ils ont aussi exigé et obtenu une validation légale, juridique, de leur lubie, de leur usurpation d’identité, et ce à toutes fins utiles, pour la totalité des activités, des services, des aspects de la vie.
C’est dire les ambitions totalitaires de ces imposteurs.
Nicolas Casaux
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