par Mehdi Messaoudi
Comme à l’accoutumée, le journaliste et auteur de « Printemps des sayanim » Jacob Cohen revient dans une interview accordée à Algérie 54, sur la situation explosive en Israël dans la foulée du projet de la réforme judiciaire initiée par Benjamin Netanyahou, le développement de la question palestinienne, des manifestations en France, du nouvel ordre mondial qui se dessine, et du retrait de l’organisation du Mondial U20 à l’Indonésie.
Algérie 54 : Le premier ministre israélien vient d’annoncer la suspension temporaire du projet de la réforme judiciaire, sans pour autant réussir à calmer la rue en pleine ébullition. Quelle lecture faites-vous, de ce dernier acte de cette escalade entre le gouvernement de l’extrême droite israélienne et l’opposition ?
Jacob Cohen : Pour moi, la crise actuelle ressemble à la tentative de l’État profond sioniste, israélien et mondial, pour empêcher un gouvernement démocratiquement élu et avec une majorité claire, d’appliquer son programme. Je dirais même pour le disqualifier pour une génération. Et la « révolution colorée » qu’il a initiée a été d’une efficacité extraordinaire. Par centaines de milliers, les Israéliens y ont cru et se sont mobilisés pour « sauver » la démocratie. Il n’y a qu’à voir les relais sur le plan international pour mesurer l’implication de cet état profond. Pour une raison essentielle. Avec le nouveau gouvernement, le régime sioniste perdait le vernis « démocratique » dont il se vante auprès du monde occidental. Un vernis tant sur le plan interne que vis-à-vis des Palestiniens. Pays tolérant et partisan de la solution à deux États. Le nouveau gouvernement est franchement raciste, colonialiste, impérialiste, expansionniste, religieux, messianique, intégriste et homophobe. Les Israéliens sont schizophrènes. Dans la réalité, 90% des Israéliens juifs sont comme ça, mais ils en ont une image inversée. Ils veulent se voir à l’image de leur propagande. Et ils se sont réveillés avec la gueule de bois devant le miroir que leur a tendu le résultat électoral. La réforme judiciaire a été un excellent prétexte. D’abord tout le monde reconnaissait qu’une réforme était nécessaire. Israël est de devenu un gouvernement des juges. Ensuite l’opposition ne voulait pas négocier avec le gouvernement sauf à suspendre le processus législatif et le renvoyer aux calendes grecques. Il semble qu’elle ait joué avec le feu et déclenché un processus dévastateur dont le pays entier paiera le prix.
Algérie 54 : Pour de nombreux observateurs, le retrait du projet de la réforme judiciaire, est synonyme de la fin politique de Benjamin Netanyahou et par conséquent la fin de la coalition de l’extrême droite. Quel est votre avis sur le sujet ?
Jacob Cohen : Je n’y crois pas. Netanyahou est un homme politique redoutable. Ce qu’il a fait n’est pas une reculade. Il a seulement suspendu son projet jusqu’en juillet et ouvert des négociations avec l’opposition devant le président de l’État. Celle-ci est obligée de trouver un compromis sauf à se décrédibiliser et laisser le pays se désagréger. Par ailleurs, la coalition ne s’est pas effondrée. Et même a organisé une contre-manifestation qui a réuni plus de 100 000 personnes. Plusieurs de ses projets de loi sont votés entre-temps, dont la création d’une garde nationale confiée à un ministre extrémiste. Enfin la réforme reçoit pas mal de soutiens à tous les niveaux dont les médias ne parlent pas. La « révolution colorée » à mon avis n’a pas atteint son objectif.
Algérie 54 : Des voix s’élèvent en Israël pour classer les organisations d’extrême droite « La Familia » et « Lehava » d’organisations terroristes. Est-ce un signe-avant-coureur de la dislocation de l’État hébreu ?
Jacob Cohen : Ces voix doivent être très minoritaires. Il y a eu plusieurs gouvernements « de gauche » auparavant et aucun n’a osé le faire. Il ne faut donc pas attendre de ce gouvernement de classer ces organisations comme « terroristes », qualification réservée d’ailleurs aux organisations palestiniennes ou d’extrême-gauche juives. On revient au même problème. Ces deux organisations expriment l’âme profonde d’une majorité d’Israéliens, pour qui les Arabes sont comme les Indiens du Far West, on ne peut leur faire confiance que lorsqu’ils sont morts. Et certains Israéliens ajoutent : Même quarante ans après leur mort.
Algérie 54 : Le journal Yedioth Ahronoth a déclaré dans un rapport révélateur publié, mardi 28 mars, que le nombre d’Israéliens demandant l’asile à l’étranger avait considérablement augmenté dans la foulée des rassemblements de protestation de masse dans les territoires occupés contre le plan controversé de Netanyahou visant à détourner le système judiciaire. Qu’en pensez-vous ?
Jacob Cohen : En fait, le phénomène d’émigration date de plusieurs années voire de plusieurs décennies. On estime entre 400 000 et 500 000 le nombre d’Israéliens ayant quitté leur pays. Et de nombreux Israéliens rêvent de s’expatrier à l’étranger. La vie en Israël est rude, la société est une « jungle » selon une expression populaire. Certains pays européens ont involontairement accéléré ce mouvement d’expatriation. L’Allemagne et la Pologne, Shoah oblige, accordent leur passeport à tout descendant des juifs de ces pays des années 40. L’Espagne et le Portugal font de même (culpabilité historique) pour les juifs à cause de leur expulsion en 1492. C’est complètement artificiel mais ça marche. Je connais des exemples personnels de juifs d’origine marocaine nés en Israël ayant obtenu un passeport portugais. Il y a aussi toute une classe d’Israéliens laïcs, diplômés, travaillant dans les secteurs technologiques, qui ont émigré par milliers en Europe ou qui disposent de passeports européens au cas où. Ce qui entraîne paradoxalement le renforcement des secteurs religieux et extrémistes qui font énormément d’enfants.
Algérie 54 : Gideon Levy vient de publier une tribune sur les colonnes du journal israélien Haaretz, dans laquelle il souligne qu’une véritable démocratie équivaut à la destruction d’Israël et aussi la fin du suprémacisme juif. Qu’en pensez-vous ?
Jacob Cohen : Si l’éditorialiste de Haaretz entend par véritable démocratie l’égalité des Israéliens devant la loi et autres privilèges, y compris la minorité arabe, ainsi que le respect du droit international vis-à-vis des Palestiniens, alors oui, c’est la fin d’Israël et du suprémacisme juif. Il ne faut pas oublier que l’idéologie sioniste, dès son installation en Palestine au début du XXe siècle, contenait les germes de la discrimination des populations non-juives et leur expulsion le moment venu. Israël État juif et démocratique est une vaste fumisterie. Et cela va en empirant. La loi sur la nation du peuple juif adoptée en 2018 instaure un certain type d’apartheid. Par exemple, une municipalité se déclarant « juive » peut interdire à tout citoyen arabe israélien d’y habiter. Et tout dans la pratique au quotidien relève de discriminations teintées de mépris à l’égard des « citoyens » arabes israéliens.
Algérie 54 : Ce jeudi 30 mars, les palestiniens commémorent le 47ème anniversaire de la journée de la terre. Une commémoration qui coïncide avec la montée de la répression dans les territoires palestiniens occupés, le retour de la politique de la colonisation et le débat sur un projet de loi visant à abaisser l’âge d’emprisonnement à moins de quatorze ans pour enfants palestiniens. Ceci nous incite à évoquer le cas des détenus palestiniens en grève de la faim, la détention administrative et l’emprisonnement des enfants palestiniens. Que dira Jacob Cohen, pour résumer la situation des droits de l’homme en Palestine Occupée face au mutisme de la Communauté internationale ?
Jacob Cohen : C’est malheureusement un sujet douloureux dont on ne voit pas l’issue, du moins à court terme. Et ni les Arabes en général et ni les Palestiniens en particulier ne font une analyse lucide du problème. La Palestine n’existera jamais en tant qu’État indépendant et viable tant que le sionisme n’est pas vaincu, militairement ou diplomatiquement. L’écrasante majorité des Israéliens juifs, gauche et droite confondus, est viscéralement contre. Voyons la réalité. Les 2/3 de la Cisjordanie sont sous l’autorité israélienne avec 800 000 colons. Qui peut croire un instant que le régime sioniste ramènera ne serait-ce que 10% d’entre eux. Croire que la Palestine peut vivre en paix aux côtés d’Israël est d’une naïveté désarmante. Le mieux qu’elle peut espérer dans l’état actuel des choses est un bantoustan sous protectorat sioniste. Je regrette de me répéter, mais les Palestiniens devraient abandonner toute illusion, renoncer à la solution à 2 États, livrer toute la Cisjordanie aux sionistes, et se battre pacifiquement pour un homme une voix, comme en Afrique du Sud. Je vous assure que le spectacle d’une vraie armée d’occupation sioniste gérant tous les problèmes des Palestiniens serait intolérable aux yeux du monde. C’est une perspective qui effraie toutes les chancelleries occidentales. Pourquoi déverse-t-on des centaines de millions chaque année sur cette Autorité ? Pour maintenir cette illusion. Il faut arrêter d’attendre la solution de la communauté internationale. Il n’y a de place que pour les forts.
Algérie 54 : La France et Israël partagent la similitude de la répression et l’entêtement de Netanyahou et Macron. Que diriez-vous sur ce sujet ?
Jacob Cohen : Je ne partage pas nécessairement cette vision. Macron suit un agenda imposé par Bruxelles et Washington, même au prix de la destruction de la France, de son industrie, de son savoir-faire nucléaire, de ses finances, de ses services publics. Quel intérêt avait la France d’appliquer des sanctions contre la Russie, qui se retournent finalement contre elle, entraînant des faillites en cascade et appauvrissant les Français ? La France n’est plus un pays indépendant maître de son destin. C’est juste une province de Bruxelles. Ajoutez à cela le caractère psychopathe de Macron et vous assurez la descente aux enfers. La répression de Macron s’exerce contre son propre peuple. Des manifestants sans défense sont éborgnés ou ont la main arrachée. On peut penser ce qu’on veut de Netanyahou, mais il reste un dirigeant qui défend les intérêts de son pays, ne se laisse pas manipuler par l’étranger et réprime d’autres peuples que le sien. Cela n’est pas très moral, mais on est sur le terrain du machiavélisme politique.
Algérie 54 : Pour beaucoup d’observateurs, le nouvel ordre ordre mondial est irréversible. La Chine semble déterminée à jouer le rôle qui lui sied par rapport à son poids économique sur la scène internationale. Elle vient de réussir un très bon coup diplomatique en rapprochant l’Iran à l’Arabie saoudite. Un rapprochement qui isolera Israël et signera l’effervescence de la normalisation de certains pays arabes avec Israël. Quelle est votre lecture ?
Jacob Cohen : Le nouvel ordre mondial s’installe à une vitesse extraordinaire. La guerre en Ukraine a été un formidable accélérateur. Que la Russie tienne tête à l’OTAN entraîne la Chine dans une véritable alliance stratégique à très long terme avec la Russie, car elle sait que si la Russie s’effondrait, elle serait la prochaine sur la liste. Et c’est le raisonnement que tiennent plusieurs autres pays qui savent que leurs réserves financières dépendent du bon vouloir des Américains, que l’utilisation du dollar comme monnaie de réserve les condamne à subir l’unilatéralisme juridique yankee. Même l’Arabie saoudite a suivi ce cheminement, amorcé depuis une année. Elle a refusé d’augmenter sa production de pétrole qui aurait gêné la Russie. Elle a accueilli en très grande pompe le dirigeant chinois et accepté de vendre son pétrole en yuan. Elle s’engage dans une relation pacifique avec l’Iran, détruisant du coup toute la stratégie américano-sioniste de constituer un front des monarchies du Golfe contre la République iranienne. Elle vient de rejoindre l’Organisation de coopération de Shanghai. Conséquence, les EAU ont déjà réduit leur coopération sécuritaire avec Israël. Les « normalisations » dans cette région seront réduites à leur plus simple expression. Sans compter que plusieurs pays, une quinzaine dont l’Algérie selon Lavrov, frappent déjà à la porte des BRICS.
Algérie 54 : L’Indonésie vient de donner une leçon aux pays arabes qui ont normalisé avec Israël, en refusant d’accueillir sur son sol l’équipe israélienne, qualifiée pour le Mondial U20. Est-ce un revirement avec ses conséquences néfastes sur la stratégie de normalisation israélienne, via le sport ?
Jacob Cohen : L’action indonésienne est une heureuse surprise, et d’un grand courage politique, car les conséquences peuvent être sérieuses pour le pays, sur le plan sportif. Mais c’est un geste d’une portée inestimable qui frappe les esprits, car il interpelle pas mal de pays qui font semblant que finalement les choses s’arrangent. Et il interpelle également les grandes organisations internationales du sport, promptes à boycotter les Russes et complaisantes avec les crimes commis par les Israéliens. Le « deux poids deux mesures » est ici flagrant. Si une dizaine d’États arabes et africains s’associaient à ce boycott, les choses prendraient une sale tournure pour Israël.
source : Algérie 54
envoyé par Amar Djerrad
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International