Traduction d’un fil Twitter de Leor Sapir publié le 1er mars 2023.
On nous dit que les « soins d’affirmation du genre » sauvent des vies, que les enfants qui s’identifient comme trans sont exposés à un risque élevé de suicide s’ils ne reçoivent pas les médicaments et les interventions chirurgicales désirés. Il s’agit de l’argument le plus choc des défenseurs et des promoteurs du transgenrisme. Seulement, comme je l’ai déjà souligné, et comme d’autres l’ont également souligné, cette idée pose problème pour deux raisons majeures :
1. Elle confond corrélation et causalité. Davantage de preuves suggèrent que les enfants suicidaires s’identifient comme trans — voyant peut-être la transition de genre comme un moyen de résoudre leurs problèmes — plutôt que l’inverse. [Leor Sapir a longuement examiné et commenté toutes les études sur le suicide et la population « transgenre », c’est dans cet article, que je suis en train de traduire].
2. Le suicide chez les enfants transidentifiés est extrêmement rare. Au Royaume-Uni, entre 2010 et 2020, 0,03 % des enfants souhaitant une transition médicale se sont suicidés. Et nous ne savons pas si c’était « à cause du genre ». (« Suicide d’adolescents transgenres orientés vers une clinique au Royaume-Uni », Archives of Sexual Behavior)
Mais il existe un troisième point dont on ne parle pas assez : l’épidémie de suicides manquante. Partons du principe que le taux élevé de déclaration de transidentités chez les jeunes d’aujourd’hui ne résulte pas d’une contagion sociale, mais plutôt d’un développement organique. Partons du principe, autrement dit, que les « enfants trans » ont toujours existé, au même taux (dans les mêmes proportions) qu’aujourd’hui (mais qu’ils restaient « dans le placard », qu’ils ne laissaient rien savoir).
Cette théorie du « développement organique », c’est ce que les militants trans entendent lorsqu’ils font l’analogie avec le fait d’être gaucher (peu importe que le taux de gaucher ait seulement été multiplié par 3 en 60 ans, tandis que l’identification trans chez les jeunes a été multipliée par 30 à 40 en l’espace d’une seule décennie).
Des sondages ont révélé que le taux de transidentités au sein de la génération Z varie entre 2,1 et 9,1% dans certains endroits. (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34006616/ (9.1%) — https://news.gallup.com/poll/389792/lgbt-identification-ticks-up.aspx (7.1%) — https://www.realityslaststand.com/p/breaking-new-documents-reveal-shocking (au moins 6% de transidentité à Davis en Californie))
Disons qu’un dixième de ces enfants présente un risque sérieux de suicide sans prescription d’hormones. Cela signifie qu’entre 0,21 et 0,91 % de tous les adolescents des États-Unis présentaient un risque sérieux de suicide avant la mise en place des « soins d’affirmation du genre » vers 2009. Supposons en outre que dans cette catégorie à risque, 1/4 (soit 1 sur 40 de tous les « enfants trans » entre 2000 et 2007) des individus se soient effectivement suicidés.
Cela nous donne un taux hypothétique de suicide lié au genre, parmi tous les adolescents entre 2000 et 2007, situé quelque part entre 0,0525 % à 0,2275 %. Cependant, selon les données disponibles, le taux réel de suicide chez les adolescents âgés de 15 à 19 ans (principale catégorie de risque pour cette cohorte d’âge) entre 2000 et 2007 était de… 8 sur 100 000, soit 0,008 %. Ce taux de suicide de 0,008 %, c’est entre 6,5 et 28 fois moins de décès que ce que l’on devrait observer si le récit « la transition ou le suicide » était vrai.
Gardez en tête que tout cela, c’est en outre en supposant que chaque suicide d’adolescent entre 2000 et 2007 (0,008 %) était celui d’un « enfant trans » échouant à obtenir des hormones — une hypothèse largement invraisemblable.
Si vous vous demandez pourquoi les activistes ne citent jamais de preuves à l’appui de l’idée selon laquelle il y avait une épidémie de suicides parmi les « enfants trans » avant que les médicaments (bloqueurs de puberté, hormones de synthèse) et les opérations de changement de sexe ne soient disponibles, c’est parce qu’il n’y en a pas.
Voilà pourquoi je parle d’épidémie de suicide manquante. [Son calcul vaut pour les États-Unis, mais son raisonnement vaut sans doute également pour ailleurs. A priori, il n’y avait pas d’épidémie de suicide d’enfants ou de personnes supposément « trans » en général, en France, avant la mise en place de traitements « d’affirmation de genre » dans des cliniques et des hôpitaux. Le taux de mortalité par suicide des 15–24 ans n’a fait que diminuer entre 1979 et 2017, et a continué à ce faire par la suite, me semble-t-il, même si le covid et les confinements semblent avoir légèrement aggravé l’état de la santé mentale d’une partie de la population.]
Mais cela ne signifie pas que, dans les conditions actuelles, les enfants qui s’identifient comme trans ne courent pas un risque (plus) élevé de suicide et de suicidalité. Ils sont effectivement plus à risque. Il s’agit de comprendre pourquoi.
Une explication plus probable, c’est que des activistes adultes ont instillé dans leur esprit un narratif puissant, selon lequel : « Le fait d’être suicidaire est inhérent au fait d’être trans, votre existence même est toujours menacée (d’ailleurs, elle peut même être supprimée par la loi), et le fait de ne pas obtenir les médicaments qu’il vous faut vous poussera à vous suicider. » [Le suicide peut être un acte contagieux. Une prophétie de suicides peut s’avérer autoréalisatrice. Les sociologues qui étudient le sujet admettent en général que les médias peuvent favoriser les suicides en promouvant des histoires de suicide.]
Un article explique ce phénomène plus en profondeur : « Le traitement de la dysphorie de genre chez les jeunes par l’affirmation du genre : un cocktail parfait pour l’effet placebo — Implications pour la recherche et la pratique clinique » (PubMed)
La plus éminente spécialiste finlandaise du domaine de la médecine pédiatrique du genre, Riittakerttu Kaltiala, psychiatre en chef de la clinique pédiatrique de l’université de Tampere, l’une des deux cliniques pédiatriques du genre agréées par le gouvernement, où elle préside aux traitements de transition de genre de jeunes personnes depuis 2011, qualifie le mantra « la transition ou le suicide » de « désinformation délibérée » et sa diffusion d’« irresponsable ». (« La Finlande jette un autre regard sur la médecine du genre chez les jeunes : un entretien récent avec la plus grande spécialiste du genre du pays montre à quel point l’establishment médical américain est déphasé par rapport à ses homologues européens »)
Et voici les directives du CDC expliquant que « le suicide n’est jamais le résultat d’un facteur ou d’un événement unique » et mettant en garde contre « les explications simplistes du suicide » (telles que « les enfants trans se tuent lorsqu’ils ne reçoivent pas d’hormones »).
Leor Sapir
Traduction : Nicolas Casaux
L’argument du suicide est vraiment l’argument-massue ultime — et également le principal argument — utilisé par les idéologues trans, les industriels de la pharmaceutique et toutes celles et ceux qui tiennent à faire en sorte que toutes les revendications transidentitaires soient satisfaites : accès inconditionnel et immédiat à toutes les substances, tous les médicaments, toutes les opérations chirurgicales souhaitées, etc. La mort comme argument, ça coupe court à la réflexion, ça court-circuite le débat. Et pourtant en France, on ne dispose d’aucun chiffre réel indiquant que la population dite « trans » serait davantage à risque en ce qui concerne le suicide. Des gens répètent simplement à tue-tête des idées dangereuses et infondées.
Aux États-Unis, la Fondation américaine pour la prévention du suicide, de concert avec d’autres organismes pour la santé mentale et des organisations LGBT, a publié un rapport sur la manière d’appréhender et de discuter du sujet du suicide parmi les populations LGBT. Entre autres choses, on peut y lire :
« N’attribuez pas un décès par suicide à un seul facteur (comme le harcèlement ou la discrimination) ou ne dites pas qu’une loi ou une politique anti-LGBT spécifique “causera” des suicides. Les décès par suicide sont presque toujours le résultat de multiples causes entremêlées, y compris de problèmes de santé mentale qui n’ont peut-être pas été reconnus ou traités. Lier directement le suicide à des facteurs externes tels que le harcèlement, la discrimination ou les lois anti-LGBT peut normaliser le suicide en suggérant qu’il s’agit d’une réaction naturelle à de telles expériences ou lois. Cela peut également augmenter le risque de suicide en amenant les personnes à risque à s’identifier aux expériences de ceux qui se sont suicidés. »
Et :
« NE PARLEZ PAS “d’épidémies” de suicide ou de taux de suicide chez les personnes LGBT. Rappelez-vous que l’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont pas enregistrées au moment du décès, nous ne disposons donc pas de données sur les taux de suicide ou les décès parmi les personnes LGBT. De plus, présenter le suicide comme une tendance ou un événement généralisé (par exemple, en comptabilisant les décès par suicide survenus à proximité d’un événement extérieur) peut encourager les personnes vulnérables à se considérer comme parties prenantes d’une histoire plus vaste, ce qui peut augmenter leur risque de suicide. »
Et même si, en France, les « personnes trans » étaient — ou sont — réellement plus à risque en ce qui concerne le suicide (il ne me semble pas que nous disposions actuellement d’études montrant cela), le pourquoi resterait à élucider, de même que le quoi faire. Accepter sans aucun questionnement, immédiatement, automatiquement, machinalement, de mutiler une jeune adulte et de la placer sous médication à vie parce qu’elle pense être du sexe/genre opposé — pour des raisons potentiellement confuses, peut-être liées à divers autres problèmes physiques ou psychologiques, à examiner — n’apparait pas clairement comme la meilleure solution.
Concernant le suicide et la population dite « transgenre », il faudrait également souligner deux choses. D’abord que la définition de qui est « trans » est extrêmement confuse. Selon une acception courante du terme, nous serions plus ou moins tous « trans ». Comment évaluer le risque de suicide d’une population indéfinissable ? Et si le seul critère est une affirmation subjective (« je suis trans »), il faut bien voir que du jour au lendemain, une personne ayant affirmé qu’elle était « trans » peut très bien changer d’avis. Ensuite, il faut savoir que le recours au chantage au suicide est une vieille méthode que des « transsexuels » utilisent frauduleusement et s’encouragement mutuellement à utiliser depuis des décennies. Dans son livre sur l’histoire du transsexualisme, l’historienne Joanne Meyerowitz, favorable aux idées trans, soulignait néanmoins comment, dès les années 1960, les transsexuels n’hésitaient pas à mentir pour parvenir à leurs fins : « Les patients [les transsexuels] se mirent à dire aux médecins ce qu’ils pensaient que les médecins voulaient entendre. Même avec des médecins compréhensifs, ils adaptaient parfois leurs récits pour qu’ils correspondent aux catégories diagnostiques reconnues. […] Comme un MTF [male-to-female, transsexuel homme-vers-femme] l’affirmait : “Pour obtenir une intervention chirurgicale, vous devez dire au médecin que si vous ne l’obtenez pas, vous vous suiciderez.” » Aussi déplorable et irresponsable que cela soit, aujourd’hui encore, des activistes trans en encouragent d’autres à mentir pour parvenir coûte que coûte à leurs fins — fins qui ne sont jamais questionnés, dont les tenants et aboutissants sont souvent présentés d’une manière a minima très partielle.
Recourir à cet argument-massue du chantage au suicide pour encourager des expérimentations irresponsables sur des enfants et des jeunes adultes est odieux. Y recourir pour que les autres revendications transidentitaires, pas seulement concernant les enfants ou les jeunes, soient satisfaites, l’est tout autant.
Et puis. « Le risque de se suicider est plus élevé de 12,6% chez les agriculteurs [et les agricultrices]. Et ce chiffre explose chez les agriculteurs les plus pauvres. On atteint 57% chez les bénéficiaires de la CMU. » (FranceInfo, 2019, selon une étude basée sur des données de 2015). Autre année, autre chiffre : « 529 agriculteurs [et agricultrices] se sont suicidés en 2016, selon les derniers chiffres de Santé Publique France. Ce nombre est 30% supérieur au taux de suicides dans les autres professions. » Et ce n’est pas nouveau, entre 1968 et 1999, « la catégorie sociale des agriculteurs exploitants » était « celle présentant la mortalité par suicide la plus élevée parmi toutes les catégories sociale » :
« La pendaison était de loin le moyen létal le plus fréquemment utilisé par les hommes (61 %) comme par les femmes (54 %). Pour les hommes, venaient ensuite le recours aux armes à feu et aux explosifs (26 %), puis le recours à la noyade (5 %). Celle‑ci était le deuxième mode de suicide utilisé (15 %) par les femmes, suivi par l’ingestion de substances — en majorité des intoxications médicamenteuses volontaires (9 %). Le recours aux armes à feu et aux explosifs était moins fréquent chez ces dernières (4 %). L’analyse de mortalité effectuée a mis en évidence une surmortalité par suicide chez les hommes agriculteurs exploitants et les collaborateurs d’exploitation, en 2008 (+ 28 %) et en 2009 (+ 22 %), par rapport à la population générale française. » (« Surveillance de la mortalité par suicide des agriculteurs exploitants », Imane Khireddine, Gaëlle Santin, Claire Bossard, La Santé en action n°433, septembre 2015)
Les agriculteurs et agricultrices — notamment pauvres — constituent indubitablement une population à risque concernant le suicide. Qui s’en soucie ? Faut-il qu’ils se déclarent tous « trans » pour que la société commence à s’y intéresser ? Le gouvernement accepte ou encourage la prise en charge des opérations et des médicaments terriblement coûteux que les personnes dites « trans » réclament (alors que, risque de suicide ou non, l’idée selon laquelle il s’agirait des « soins » les plus appropriés pour ces personnes est extrêmement discutable), mais les agriculteurs peuvent bien crever ?! Pourquoi tant d’empressement à faire en sorte que des enfants puissent accéder à des bloqueurs de puberté et à des hormones de synthèse aux effets encore mal connus (mais potentiellement très néfastes d’après le peu qu’on sait déjà), puis à des opérations chirurgicales mutilantes s’ils ou elles le souhaitent ?! Pourquoi rien, ou si peu, pour les agriculteurs et les agricultrices, alors que ce qui pourrait être fait pour les aider est beaucoup moins absurde, beaucoup moins pernicieux ?!
Nicolas Casaux
Source: Lire l'article complet de Le Partage