Des individus manifestement pas très au clair dans leur tête, proches du collectif « Voix déterres », qui se prétend entre autres choses « écoféministe », « queer » et « magique » (oui, vraiment), ont récemment pondu une brochure, relayée par le collectif Désobéissance écolo Paris, dans laquelle ils prétendent dresser une cartographie du « réseau transphobe », mais aussi « suprémaciste blanc », « néo-nazi » et « fasciste » et « putophobe » (etc.) qui sévit en France (et à l’international).
J’y figure aux côtés, pêle-mêle, de personnes que j’apprécie et avec lesquelles je suis d’accord sur de nombreux points, comme J.K. Rowling, Janice Raymond, Sophie Robert, Floraisons, Rebelles du genre, diverses personnes opposées à la légalisation de la prostitution (abolitionnistes, qui militent pour l’abolition de la prostitution et le fait d’aider les personnes en situation de prostitution à en sortir), diverses personnes opposées à la GPA (comme la Coalition internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution ou CIAMS), à la PMA (comme PMO), mais aux côtés aussi d’individus que je n’apprécie pas du tout, avec lesquels je ne suis pas du tout d’accord ou auxquels je m’oppose totalement, comme Thierry Casasnovas, diverses personnes opposées à l’avortement, Elisabeth Badinter, Julien Rochedy, Zemmour, etc.
Un vaste n’importe quoi, une très bonne illustration du sophisme dit « de déshonneur par association ». La seule chose qu’ont en commun les personnes et les organisations listées, c’est d’avoir été en lien, ou d’avoir rencontré, ou juste parlé, à un moment, à une personne critique du système de croyances transidentitaire (aussi appelé transgenrisme, ou idéologie de l’identité de genre).
Pour les militant trans qui ont rédigé cette brochure, comme pour un certain nombre de leurs camarades et des militants de gauche en général, formuler la moindre critique du transgenrisme, c’est du fascisme/nazisme/transphobie/de la haine. De même, s’opposer à la prostitution, militer pour son abolition, c’est du fascisme/nazisme/putophobie/de la haine — la seule position juste et bonne et acceptable, c’est de dire que la prostitution est un droit humain, un métier comme un autre pouvant être même particulièrement « empouvoirant », et donc à légaliser. Et pareillement, s’opposer à l’exploitation des capacités reproductives des femmes, à l’industrie de la gestation pour autrui (GPA), qui constitue une nouvelle manière particulièrement atroce d’exploiter le corps des femmes (pauvres), c’est fasciste voire néo-nazi. La seule position juste et bonne et acceptable, c’est de dire que la gestation pour autrui est un droit humain, un métier comme un autre pouvant être « empouvoirant », à légaliser.
À la lecture d’un tel tissu agressif et insane de confusion, d’affirmations grotesques, d’ostracisme stalinien, difficile de ne pas avoir l’impression de lire les élucubrations de malades mentaux, de fous furieux, d’individus possédés par une idéologie aussi absurde qu’autoritaire. Les auteurs de cette colique textuelle affirment véritablement n’importe quoi sur toutes les personnes qu’ils listent. Exemple. « Les TERFs modernes » (parmi lesquelles je figure possiblement, ainsi que toutes celles et ceux qu’il liste) sont accusées d’« interroger les liens entre les Juifs et les personnes transgenres » (personne ne fait ça) et ainsi d’avancer « sur un terrain déjà qu’un génocide a déjà [sic, oui, la brochure est extrêmement mal écrite] recouvert de sang ». En outre, continuent-t-ils, « lorsque les TERFs ou les nazis insistent sur le fait qu’il n’y a que deux genres, iels renforcent le génocide culturel perpétré contre les cultures indigènes par les colonisateurs européens dans le monde entier ». Bon sang, mais quoi ?
La plupart de celles et ceux qu’ils présentent comme des TERF ne prétendent pas qu’il n’existe « que deux genres ». Nous soutenons qu’il n’existe que deux sexes, et que le genre est une construction sociale sexiste et misogyne à abolir. Mais peu importe la vérité. Dans leur démence haineuse, nos détracteurs n’hésitent jamais à mentir, à raconter n’importe quoi n’importe comment (il nous accuse aussi de prétendre « que la biologie [sous-entendu : humaine] est immuable », alors que tout le monde sait bien que les poissons clowns et les mérous changent de sexe, et qu’on peut logiquement en conclure que les humains le peuvent aussi !). Mais mentir, raconter n’importe quoi n’importe comment, c’est apparemment une méthode acceptable et même recommandable à gauche et tout particulièrement dans le milieu de la gauche queer ou transidentitaire.
***
Sans vergogne, et sans jamais l’ombre d’une preuve ou d’un raisonnement décemment argumenté, les rédacteurs de la brochure affirment que les « féministes critiques du genre » ont des « connexions avec le fascisme et la suprématie blanche » ; que le « discours TERF […] se relie aux nombreux autres axes de la radicalisation suprémaciste blanche » ; que « les arguments TERFs » vont « loin dans l’antisémitisme, l’homophobie, l’islamophobie et la misogynie » ; que « les TERFs ont souvent soutenu que les droits des musulmans devraient être réduits » ; que « les TERFs usent d’arguments complètement similaires dans leurs formes voire identiques, que ceux utilisés par les néo-nazis et suprémacistes blancs qui prônent la violence envers les trans » ; qu’il « n’est pas inexact de considérer le mouvement TERF comme une forme directe de suprémacisme blanc ».
Dans leur verbiage infâme, ils prétendent aussi que le livre Trans de la journaliste irlandaise Helen Joyce vise à s’opposer « aux droits des trans » et « inclus l’un des classiques absolus des tropes antisémites : que George Soros finance secrètement le mouvement transgenre ». Voici les faits : dans son livre, Joyce dresse une liste des principales sources de financement du militantisme trans, du mouvement trans. Parmi ces sources de financement figurent plusieurs milliardaires. Après en avoir mentionné deux — Jennifer (James) Pritzker et Jon Stryker —, Joyce note :
« Le troisième milliardaire qui finance le transactivisme est George Soros, par l’intermédiaire de ses Open Society Foundations (OSF), un réseau d’institutions philanthropiques gérées de manière indépendante. »
Ce qu’elle écrit est parfaitement vrai. C’est un fait — et non pas une idée antisémite — que l’Open Society Foundations de George Soros finance des associations trans. Et ça n’a rien d’un secret. Helen Joyce ne prétend jamais, n’écrit jamais que ce financement opère de manière secrète. L’Open Society Foundations (OSF) se vante sur son site web de « fournir à l’activisme trans le soutien qu’il mérite ». En outre, Joyce ne précise pas que Soros est juif — certainement parce que cela n’a aucun intérêt.
Sur ce point comme sur des centaines d’autres, les auteurs de la brochure mentent donc totalement. Purement et simplement. Et non seulement mentent, mais calomnient, diffament.
***
Les mystérieux auteurs de cette brochure puante ajoutent : « Il n’y a donc pas de différence significative entre la haine des personnes trans mise en avant par les néo-nazis et celle mise en avant par des mouvements plus conventionnels, de féministes auto-proclamées […]. » Il n’y a pas de « différence substantielle entre le néo-nazi qui appelle au meurtre, le politicien qui vote contre l’égalité des droits ou le collègue qui refuse d’utiliser les bons pronoms ».
Autrement dit, refuser d’employer le pronom « elle » pour parler d’un homme (refuser de nier la réalité et la logique), c’est pareil qu’un appel au meurtre.
D’ailleurs, comme le note Le Fou Allié, dans les discours incel et masculiniste qu’il étudie (voir sa chaîne YouTube : https://www.youtube.com/@lefouallie4798), il entend « des propos absolument ignobles » qui correspondent à « une réelle transphobie » : « Entre Stéphane Edouard, Thaïs d’Escufon, le Correcteur et autres, c’est un festival. On entend des “si un trans me touche je l’explose”, des “si tu encu*** un trans tu le ramènes sur le droit chemin”, etc. Ils se lâchent totalement et c’est du contenu facile à trouver. Des appels au viol, au meurtre, dans le plus grand calme. Ils parlent des trans comme de la preuve de la dégénérescence de la société occidentale, les traitent de pédocriminels, etc. »
Or, si quelques-unes de ces personnes apparaissent sur la cartographie (Stéphane Edouard et Psyhodelik par exemple), elles ne sont pas une seule fois mentionnées dans les 40 pages de texte qui l’accompagnent.
Autrement dit, les seules personnes que l’on pourrait valablement qualifier de « transphobes » ne sont pas évoquées par nos contempteurs anonymes, qui choisissent plutôt de diaboliser des personnes et des organisations qui s’efforcent de faire un travail d’information rigoureux, documenté, qui ne vomissent pas de haine à l’égard des personnes dites « trans » mais s’inquiètent des effets sur la santé physique et mentale des traitements médico-chirurgicaux dits d’« affirmation de genre », qui tentent de comprendre d’où vient le phénomène trans, ce qu’il implique, ses tenants et ses aboutissants, pour les personnes qui se disent trans comme pour les autres groupes sociaux que les revendications transidentitaires (notamment dans le domaine juridique) impactent.
Contrairement à nos accusateurs, quand nous formulons des critiques de tel ou tel discours, nous le citons. Quand nous critiquons une personne pour des propos qu’elle a eus, des idées qu’elle a défendues, nous les citons. Nous ne prêtons pas aux gens des idées qui ne sont pas les leurs. Nous nous efforçons d’avoir un discours clair et cohérent.
En outre, je suis loin d’avoir relevé tous les mensonges et toutes les absurdités de la brochure. Sur la « carte », Janice Raymond est présentée comme anti-avortement, alors qu’elle n’est pas anti-avortement. PMO et moi-même sont présentés comme « anti-vaxx » alors que nous ne sommes pas « anti-vaxx » (il m’est arrivé de traduire un article critique de l’utilisation historique et colonialiste des vaccins, oui, et étant donné que je défends une critique de l’État et de l’industrie, les vaccins me semblent poser problème pour diverses raisons, mais je n’appartiens pas à la mouvance « opposée à la vaccination et qui remet en cause son efficacité ou son innocuité », je ne prétends pas que les vaccins ne fonctionnent pas ou sont plus dangereux que les maladies contre lesquelles ils visent à protéger, je n’exige pas d’interdiction de la vaccination). Il y aurait beaucoup plus à dire, mais la flemme. Cependant, vraiment, quelle honte. Et quelle honte pour toutes les victimes réelles du fascisme historique et du nazisme que des imbéciles osent employer ces qualificatifs n’importe comment.
***
En elle-même, cette pitoyable « cartographie » de m*rde n’a pas grande importance. Le problème, c’est qu’elle reflète l’état du discours et de la réflexion d’une partie significative de la gauche (ses auteurs ont été interviewés par le collectif prétendument « antifasciste » La Horde, un ramassis d’abrutis misogynes qui n’hésitent jamais à qualifier tout le monde et n’importe qui de nazis/fascistes/etc.). Le problème, c’est qu’elle va être aveuglement prise au sérieux par des militants qui la considèreront comme une preuve du fait que nous sommes des nazis fascistes, des terribles méchants. Le problème, c’est que les méthodes qui ont présidé à sa constitution (mensonge, calomnie, sophismes en pagaille, mauvaise foi, déni, etc.) sont désormais courantes à gauche. Et notamment autour de tout ce qui concerne la transidentité, la prostitution, la GPA et la pornographie. Le débat respectueux, honnête, rigoureux, le désaccord argumenté, c’est dépassé. « Pas de débat », disent les militants trans. Mais c’est nous les autoritaires.
Nicolas Casaux
Source: Lire l'article complet de Le Partage