Pour le bien des jeunes transgenres

Pour le bien des jeunes transgenres

Gabrielle a 14 ans. Elle a vécu une enfance joyeuse et sans trop de problèmes, excepté le divorce de ses parents quand elle avait six ans. À 12 ans, son corps commence à changer. Elle ne s’entend pas trop avec les élèves de sa classe au secondaire; les filles parlent constamment des garçons, mais cela ne l’intéresse pas du tout. Elle cesse de pratiquer le soccer; le regard du nouvel entraineur la dérange. Le soir, elle a des idées noires, elle ne dort pas très bien. Elle commence à souffrir d’anorexie. Elle ne partage pas vraiment ses problèmes à ses parents.

Un jour, elle tombe par hasard sur une vidéo: un jeune homme à barbichette raconte avec joie les détails de sa transition. Il explique de sa voix grave qu’il était auparavant une fille, mais qu’il a changé de prénom, qu’il prend de la testostérone depuis trois ans et qu’il vient même de subir une double mastectomie (ablation des seins). Il est beau, il est heureux, il est soutenu par toute une communauté, et il se sent enfin vraiment lui-même.

Gabrielle est fascinée et passe la nuit à regarder des vidéos de transition et à parcourir des forums de discussion. Les souffrances que vivaient ces personnes avant de procéder à une transition de genre ressemblent à ses propres souffrances; serait-elle transgenre, elle aussi? Est-ce donc cela, la clé de son bienêtre?

Transgenres et non-binaires

Gabrielle est une personne fictive. Mais son histoire résume bien le vécu de milliers de jeunes Québécois bien réels. Bien sûr, chacun d’entre eux est unique, avec un parcours unique. Mais cela n’empêche pas des points de convergence dans leurs histoires, des souffrances partagées et un même questionnement identitaire.

À l’adolescence, ces jeunes se déclarent transgenres ou non-binaires, et entament une transition sociale, puis médicale. Se déclarer transgenre, c’est se dire « né dans le mauvais sexe » : il y a une incongruence, une dysphorie, entre le sexe biologique constaté par les médecins et les parents à la naissance (garçon ou fille) et le genre que ressent la personne au fond d’elle-même. Le jeune garçon se sent fille, et la jeune fille se sent garçon.

D’autres jeunes se disent non-binaires : ils considèrent qu’ils ne sont ni fille ni garçon, ou bien les deux en même temps. En effet, dans la majorité des théories concernant le genre, il y aurait un « continuum de genre » entre le masculin et le féminin. Nous serions tous quelque part sur ce continuum, et ce serait à chacun de s’y positionner, de façon autodéterminée, selon son ressenti. En découle une infinité de genres possibles.

La montée de la dysphorie de genre

Il y a quelques années, les personnes transgenres ou non-binaires étaient très peu nombreuses. Elles représentaient environ 0,005% de la population occidentale, soit environ 5 personnes sur 100 000.

Au Québec, ce pourcentage s’élève aujourd’hui à 0,52% des 15 à 34 ans. Les jeunes trans ou non-binaires sont plusieurs dizaines dans chaque école secondaire du Québec, représentant 0,5 à 1% des élèves. Ce pourcentage s’élève même à 10% dans certains établissements secondaires d’Europe et d’Amérique du Nord.

Dans les cliniques, les demandes de consultation ont également augmenté de façon exponentielle. Les médecins spécialisés sur les questionnements de genre reçoivent habituellement entre 10 et 40 demandes chaque mois pour des consultations, alors qu’ils n’en recevaient que quelques-unes par an au début des années 2000. Aux États-Unis, plusieurs centaines de cliniques spécialisées accompagnent les personnes dysphoriques, alors qu’il n’y en avait qu’une seule en 2007. En Grande-Bretagne, le centre principal de soin de Londres accompagne près de 3000 enfants par an depuis 2017, alors qu’ils étaient seulement 80 en 2009. La grande majorité des mineurs qui souffrent de dysphorie de genre sont aujourd’hui des filles (environ deux tiers des cas), alors que les premières consultations concernaient principalement des garçons.

Avec la dysphorie vient son lot de souffrances

« Gabrielle se sent transgenre, mais bon, à une autre époque, elle aurait pu tout aussi bien se sentir gothique ou punk, non ? Ces ados cherchent une communauté à laquelle se rattacher, c’est une mode… Ça finira par passer avec le temps. »

C’est vrai : à l’adolescence, on se cherche, on s’éloigne de nos parents, et on se rattache à d’autres personnes. Cependant, cette exploration ne s’accompagne habituellement pas de traitements médicaux lourds ou de symptômes graves, contrairement à la dysphorie de genre. Elle ne peut donc pas être regardée comme une passade ou un caprice d’adolescent.

Les comorbidités de la dysphorie de genre sont nombreuses et apparaissent parfois dès l’enfance : désordres alimentaires, faible estime de soi, automutilation, dépressions, pensées suicidaires, troubles autistiques, difficultés à créer des liens sociaux, etc.

Devant ce profond malêtre et cette revendication de l’enfant ou de l’adolescent d’appartenir au sexe opposé – ou de n’appartenir à aucun sexe du tout –, parents et soignants du Québec s’activent donc avec empathie. Il faut éviter le suicide, il faut réduire l’anxiété, il faut soutenir ce jeune qui va mal. Qui peut supporter de voir son enfant dans la peine, sans agir ? Les intentions sont extrêmement bonnes et louables. La solution, par contre, est souvent unique et a des conséquences irréversibles. Il s’agit de la thérapie transaffirmative.

Le parcours d’affirmation de genre

La thérapie transaffirmative, ou « parcours d’affirmation de genre », est basée sur une croyance fondamentale et non questionnable : seul l’individu connait son genre. C’est donc une thérapie fondée sur une idéologie.

Le ressenti de l’identité de l’individu correspond à son identité. Et ce ressenti, qu’on appelle le genre, se révèle de l’intérieur à l’individu, qui le révèle ensuite aux autres (ou pas). Dans l’idéologie transaffirmative, le corps est donc vu comme une enveloppe de notre identité, une expression de notre identité. Une enveloppe qu’on peut donc changer pour qu’elle corresponde mieux à notre identité.

La thérapie transaffirmative ne peut donc proposer qu’un seul chemin au jeune qui pense fortement qu’il n’est pas « né dans le bon corps » : l’écouter, accepter ce qu’il dit, et l’aider à ce que son corps et sa place dans la société correspondent mieux à ce qu’il ressent au fond de lui-même, afin de réduire tous les symptômes négatifs de la dysphorie de genre.

Sur ce chemin d’affirmation, deux transitions s’opèrent progressivement en parallèle. La transition du corps commence par l’adoption de vêtements et de coiffures propres à l’autre sexe, suivie de modifications corporelles (hormonothérapie et interventions chirurgicales). La transition sociale, pour sa part, s’opère par un changement de prénom (du féminin au masculin, par exemple), un changement des pronoms (de elle à il, par exemple) et par l’affirmation dans la société (garderie, école, état civil, etc.) qu’un changement de genre a été effectué ou est en cours. Car le changement n’est pas forcément vu comme étant permanent chez les enfants comme chez les adultes dans l’idéologie transaffirmative: des allers-retours entre les genres sont possibles et sont vus comme une exploration de soi, de son ressenti intime et du bienêtre qui y est lié. Même les changements physiques ne sont pas tous vus comme étant irréversibles, comme si notre corps était hautement malléable.

Après ces changements, on s’attend à ce que le jeune aille mieux. Et s’il ne va pas mieux, c’est que les transitions n’ont pas été assez loin ou bien que la société est encore trop stigmatisante et ostracisante pour que le jeune se sente enfin bien dans sa peau. En aucun cas, on ne remet en question l’efficacité ou le bienfondé du parcours d’affirmation.

D’autres thérapies existent

Gabrielle a décidé de prendre rendez-vous dans une clinique suggérée sur un site de défense des droits des jeunes trans. Elle a pris le temps de noter les évènements marquants de son passé qui montrent qu’elle est dysphorique, elle a dressé la liste de tous les symptômes qu’elle subit, et elle se sent prête à argumenter devant un médecin son désir profond d’une transition. Elle veut aller mieux rapidement, et les autres jeunes trans avec lesquels elle correspond en ligne l’encouragent. Après quelques rendez-vous, elle obtiendra des bloqueurs de puberté pour « lui laisser le temps de bien réfléchir à la suite et de comprendre les conséquences des traitements ». Ses caractéristiques féminines cesseront de se développer dans le but de réduire son malêtre, au risque de baisser sa fertilité et de réduire le développement de ses os.

Ses parents sont venus avec elle aux rendez-vous. Ils sont un peu abasourdis par ce qui est proposé à leur fille, mais ils n’ont pas le droit de s’opposer au traitement, de toute façon, car elle a plus de 14 ans. Après quelques mois ou années sous bloqueurs, il y a 95% de chances que Gabrielle entame une transition médicale, avec prise d’hormones et opérations. Elle sera une patiente à vie, alors que son corps était sain.

Si Gabrielle était née dans un autre pays que le Canada, l’accompagnement aurait pu être différent. En effet, l’idéologie transaffirmative a ses partisans et ses cliniques dans bien des pays, mais d’autres solutions sont aussi offertes pour accompagner les jeunes en questionnement, et pour mieux comprendre la source de leur malêtre ainsi que les comorbidités qui y sont associées.

En France, certains pédopsychiatres explorent avec les jeunes, mais aussi avec leurs parents, les causes du malêtre identitaire, avec une écoute sincère, plutôt que de valider le ressenti du jeune et de proposer une transition de genre immédiate. On peut citer par exemple Christian Flavigny, ancien directeur du département de psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent de l’Hôpital La Salpetrière de Paris, ou encore Rita de Roucy, psychologue clinicienne et conférencière, qui ont tous deux signé un chapitre dans le récent ouvrage Questionnements de genre chez les enfants et les adolescents. L’Académie de médecine de Paris a par ailleurs recommandé en 2022 de privilégier un long accompagnement psychologique des jeunes et de leurs parents plutôt que des transitions sociales et médicales, compte tenu de la vulnérabilité des enfants et des effets indésirables des traitements actuels.

En Suède et en Finlande, les traitements transaffirmatifs ont été favorisés pendant des années. Cependant, l’utilisation des bloqueurs de puberté est désormais interdite (sauf pour quelques rares exceptions). La priorité est donnée aux soins psychologiques de longue durée jusqu’à la majorité.

En Grande-Bretagne, la clinique Tavistock était le plus grand centre de soin de la dysphorie de genre pour les jeunes. Il traitait 3000 enfants par an grâce à la thérapie transaffirmative. Ce centre sera fermé en 2023. Il a été victime d’une crise interne et externe ces dernières années, impliquant la démission de médecins et des poursuites de la part d’une ancienne patiente. Le gouvernement britannique a donc demandé une étude indépendante pour évaluer les services du centre Tavistock. Mené par la Dre Hilary Cass, ancienne présidente du Royal College of Paediatrics and Child Health, cet audit a conclu en 2022 que les interventions de la clinique reposaient sur des preuves insuffisantes, que le centre proposait un modèle de soin exposant les jeunes à un risque considérable de mauvaise santé mentale, en plus de faire patienter pendant des années des enfants en souffrance sur une liste d’attente. À la place de ce centre de soins, plusieurs centres devront se coordonner pour soutenir les enfants qui vivent des problèmes identitaires, en traitant de façon holistique leurs différents troubles (autistique, dépressif, développemental, etc.), et non pas uniquement par un parcours d’affirmation et de transition de genre. Un recours collectif est en cours de préparation contre la clinique Tavistock et représentera environ 1000 anciens patients.

Quel bien pour les enfants en crise identitaire au Québec ?

transgenres

Pour le bien de Gabrielle, et de tous les autres qui vivent des questionnements identitaires, il est nécessaire de remettre en question le parcours de soins transaffirmatifs qui est favorisé actuellement au Québec. Il ne s’agit pas de nier les souffrances et les ressentis. Bien au contraire, il faut accompagner ces jeunes pour qu’ils puissent nommer ces souffrances et ces ressentis, explorer leurs sources et leurs conséquences, en impliquant également leurs parents. Ce serait plus prudent et plus responsable que de les lancer invariablement sur une voie unique de transition. C’est également une preuve de bon sens, car dans 60 à 90% des cas de dysphorie de genre chez les jeunes, les symptômes disparaissent après l’adolescence.

Plusieurs témoignages de jeunes et de parents aujourd’hui nous alertent sur la nécessité de laisser les jeunes traverser leur adolescence sans la médicaliser ou sans enfermer les ados dans des rôles stéréotypés. On peut citer par exemple le témoignage des fondateurs de l’Association pour une approche mesurée des questionnements de genre chez les jeunes, dont la fille, Lou, a vécu une période de dysphorie à 16 ans. De nombreux témoignages de jeunes «désisteurs» et de «détransitionneurs» sont accessibles. Même de grands défenseurs des droits des personnes transgenres, tels que la Dre Susan Bradley, à l’origine de la première clinique pour transgenres de Toronto, fondée en 1975, sont contre l’utilisation des bloqueurs de puberté aujourd’hui, car ils ont une influence sur le parcours psychique des adolescents et les empêchent de renouer avec leur sexe biologique.

Il ne faut pas être inactif, il faut évidemment traiter et comprendre les troubles et les symptômes des jeunes. Mais il faut aussi leur laisser du temps. Du temps pour vivre, pour grandir, pour apprendre à se connaitre, plutôt que de les lancer sur un chemin dont il est très difficile de s’écarter et de revenir.

Un mot pour Gabrielle

À toi, Gabrielle, et à tous les autres jeunes en crise identitaire : laisse-toi du temps.

Tu n’es pas une victime de la nature, tu n’es pas anormale.

Si tu te sens mal dans ta peau,
que tu ne sais pas vraiment qui tu es,
que tu n’as pas de désir sexuel,
que tu n’es jamais tombée amoureuse,
que tu ne sais pas si tu veux des enfants…

Que tu ne connais pas non plus ta couleur préférée,
les vêtements qui te vont,
la coupe de cheveux qui te convient vraiment.

À toi, qui vois bien que tu changes…
Tu es normale, tu es une adulte en devenir, et cela demande du temps.

Du temps pour apprendre à te connaitre,
à t’aimer,
à découvrir tes talents,
à devenir libre et responsable.

Laisse-toi du temps, et ne t’impose pas de prendre aujourd’hui des décisions irréversibles.

Tu as le droit de ne pas tout savoir, de faire des erreurs et de murir. Laisse-toi du temps !

            <strong><a href="https://blockads.fivefilters.org/">Adblock test</a></strong> <a href="https://blockads.fivefilters.org/acceptable.html">(Why?)</a>

Source : Lire l'article complet par Le Verbe

Source: Lire l'article complet de Le Verbe

À propos de l'auteur Le Verbe

Le Verbe témoigne de l’espérance chrétienne dans l’espace médiatique en conjuguant foi catholique et culture contemporaine.Nos contenus abordent divers sujets qui émergent de l’actualité. Et, puisque nous souhaitons que nos plateformes médiatiques suscitent le dialogue, on espère bien y croiser autant des réactionnaires pleins d’espérance que des socialistes chrétiens, autant des intellectuelles mères au foyer que des critiques d’art en bottes à cap.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You