Traduction d’un article de Lola Venegas, journaliste et co-autrice de La guerra más larga de la historia. 4.000 años de violencia contra las mujeres (« La plus longue guerre de l’histoire. 4 000 ans de violence à l’égard des femmes », non-traduit), initialement paru, en espagnol, le 23 février 2023 sur le site TribunaFeminista.
Rencontre internationale du ministère de l’Égalité : « Sans organisations féministes espagnoles mais cernée par les défenseurs du proxénétisme et des intérêts transactivistes. »
Du 24 au 26 février se tiendra [s’est tenu] à Madrid la « Rencontre internationale féministe » organisée par le ministère de l’Égalité. Selon le programme, « avec cette rencontre […] nous voulons créer un espace de débat et de réflexion international, pour échanger des propositions politiques féministes, basées sur l’importance de construire des alliances féministes pour atteindre l’égalité de genre et développer des transformations sociales, économiques et politiques pour construire un monde meilleur. La rencontre réunira des personnalités du monde entier issues des sphères institutionnelles, académiques et théoriques et, bien entendu, une grande partie de la société civile et du mouvement féministe. » [https://eif.igualdad.gob.es]
Dans la liste des intervenants, le féminisme abolitionniste brille par son absence et il est difficile de trouver une seule voix qui critique l’autodétermination du sexe à l’état civil. En revanche, on trouve beaucoup de partisans de la réglementation de la prostitution (appelée « travail du sexe ») et de celles et ceux qui se sont prononcés en faveur de l’effacement légal du sexe.
Le sectarisme va jusqu’à exclure de la table consacrée à la lutte internationale pour le droit à l’avortement les femmes et les associations espagnoles qui ont organisé le mouvement épique du « Train de la Liberté », qui, en 2014, a renversé Gallardón et sa contre-réforme de la loi sur l’avortement.
Malgré le respect que méritent certaines des militantes conviées à la rencontre internationale pour leur travail de défense des droits humains, de l’environnement ou des communautés indigènes, il faut noter l’absence de voix abolitionnistes et la surreprésentation de ceux qui défendent la réglementation de la prostitution, l’autodétermination du sexe à l’état civil ou la maternité de substitution.
Parmi les intervenantes sur le « travail du sexe », citons la sénatrice María José Pizarro, de la République de Colombie ; la maire de Santiago du Chili, Irací Hassler, qui considère qu’il est « nécessaire de réglementer le travail du sexe » ; l’Institut national des femmes du Mexique, présidé par Nadine Gasman ; les autrices Brigitte Vasallo et Lina Meruane ; ou encore l’anthropologue mexicaine Marta Lamas, fervente militante en faveur de la marchandisation du corps des femmes, qui entretient des liens économiques étroits avec des fondations nord-américaines, dont la Fondation Ford, qui a généreusement graissé son compte courant.
« L’origine géographique des intervenants donne la priorité aux pays qui ont des lois qui effacent les femmes. »
La conférencière Virginie Despentes, qui accompagnera Irene Montero dans le panel « Féminisme et femmes dans la bataille pour le pouvoir », a déclaré que « si on sort la prostitution de l’ombre, elle pourrait se faire d’une autre manière, comme un travail sans réseaux criminels derrière lui. Évidemment, tout dépend des conditions dans lesquelles on le fait. Il faudrait que ce soit super bien payé, par exemple. »
À la même table interviendra l’autrice argentine Rita Laura Segato, qui s’en est prise aux défenseuses des droits des femmes, qualifiant de « honteux » le discours politique d’Amelia Valcárcel, qui défend le fait que les femmes doivent être au centre de l’agenda féministe.
La table ronde « Le droit à l’avortement comme lutte internationale » réunit des intervenantes au discours qui efface les femmes : l’autrice Elisabeth Falomir et Ana Cristina González, ex-directrice de la Santé Publique en Colombie, utilisent l’expression « personnes gestantes » pour parler du droit à l’avortement ; tout comme la SEDRA-Federación de Planificación Familiar de España (Fédération des plannings familiaux d’Espagne), représentée à la Rencontre par Filomena Ruggiero.
L’anthropologue mexicaine Marta Lamas « accuse » les féministes d’être contre les mères porteuses.
Toni Morillas, directrice de l’Institut des femmes d’Espagne, a promu en décembre 2022 le premier numéro de la revue In Mujeres. Monografías feministas (« Chez les femmes, monographies féministes »), consacrée à la santé des femmes, comprenant quelques articles sur la santé des hommes transféminins [les hommes qui se disent femmes, les « femme trans »] (et aucun sur la santé des femmes transmasculines).
Il s’agit donc d’une table ronde sur le droit à l’avortement où la plupart des intervenantes sont incapables de désigner les femmes [incapables de faire référence aux femmes en utilisant le mot femme].
Le féminisme sans organisations féministes
Contrairement à ce que prétend le programme, il est catégoriquement faux de dire que le mouvement féministe participe à la rencontre. Aucune organisation féministe espagnole n’a été invitée : ni celles qui sont des interlocutrices régulières du gouvernement, ni celles qui, tout au long de sa législature, ont été réduites au silence ou ignorées par le cabinet de Pedro Sánchez.
Cependant, parmi les invitées se trouvent des femmes qui ont qualifié les critiques féministes de la loi trans d’insultes telles que « terfas » [TERF, mais version espagnole] et « fart » [FART, acronyme anglais, feminism-appropriating reactionary transphobe, soit « Transphobe réactionnaire qui s’approprie le féminisme »]. C’est le cas d’Ángela Rodríguez, secrétaire d’État à l’égalité et contre la violence de genre, de la transactiviste Irantzu Varela, de la Mexicaine Marta Lamas et de l’Argentine Tamara Tenenbaum. Boti G. Rodrigo, directrice générale de la diversité sexuelle et des droits LGTBI du ministère de l’égalité, s’est également permis d’écrire sur Twitter : « Quand nous avons besoin d’être plus unis pour avancer, les idiotes du peuple arrivent pour tout détruire. »
Avec des insultes répétées aux féministes, M. Cambrollé (une personne transféminine [un homme qui se dit femme, une « femme trans »]) et S. Hudson (un travesti auto-déclaré), par provocation, participent à la table ronde sur la « Culture féministe ».
Cambrollé est à la tête de l’Association andalouse des transsexuels, qui a attaqué la psychologue féministe Carola López Moya, exigeant une amende de 120 000 euros et 5 ans d’interdiction d’exercer au motif fallacieux qu’elle promouvrait les thérapies de conversion. Cette fausse accusation, classée sans suite, visait à faire taire celles d’entre nous qui pensent que le sexe n’est pas la même chose que le genre.
Cambrollé, qui promeut également la marchandisation du corps humain, a déclaré que « le travail du sexe est l’utilisation libre de son propre corps », et est un habitué des actes de soutien indéfectible à Irene Montero. Il s’est également prononcé en faveur de l’exploitation des capacités reproductives des femmes, qu’il considère comme un droit :
« Il doit être clair que les discours de haine LGTBphobiques ne devraient jamais être protégés par la liberté d’expression. Le fait de soutenir […] que deux hommes ou deux femmes ne devraient pas pouvoir élever un enfant ou procréer par le biais d’une mère porteuse… Attaquer les droits fondamentaux des gens, ce n’est pas la liberté d’expression. »
Ce ne sont pas les seules personnes transféminines [hommes qui se disent femmes] invitées à la rencontre. Susan Stryker, de l’organisation Transgender Nation, qui estime que le féminisme en tant que mouvement contre la légalisation de la prostitution est composé de femmes « puritaines », qui tient le même discours que les putassiers et les proxénètes, sera également présent : « Aux États-Unis, il y a toujours eu des féminismes puritains : contre le travail sexuel, contre le porno. » Britany Castillo (autre personne transféminine), originaire du Salvador, fait également référence à la prostitution comme à un « travail sexuel ».
À la table des « Masculinités », Raewyn Connel, une personne transféminine [homme qui se dit femme] d’Australie, ou Nacho Segarra, historien, expliqueront des choses comme celles-ci : « Il y a beaucoup plus de sexes qu’homme et femme… penser à ces adolescents pour faire partie de leur conversation sur les identités lgtb, non-binaire, cis hétéro… » Luciano Fabri, secrétaire de l’éducation et de la formation pour l’égalité au ministère de l’égalité, du genre et de la diversité de la province argentine de Santa Fe nous éclairera peut-être sur le féminisme :
« Celles et ceux qui supposent, par exemple, que la féminité des trans et des travestis n’est pas la féminité ou qu’ils ne sont pas des femmes, supposent qu’il existe une masculinité originelle, essentielle, qui est irrévocable et que la vérité à ce sujet se trouve dans leurs parties génitales. Et pour moi, ce n’est pas un projet féministe. »
De même que l’écrivain et activiste Roy Galán, récompensé par le ministère de l’Égalité lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes en 2022 dans la catégorie « hommes féministes », qui axe également son discours sur le transactivisme :
« J’aime à penser que les masculinités queer font beaucoup pour questionner ce que c’est qu’être un homme, la vraie percée sera faite par les masculinités trans et dissidentes. Et je soutiens cela parce que ce questionnement provoque des réactions plus violentes à travers des actions qui excluent les personnes trans. »
Rubén Castro, une femme transidentifiée qui participera à la table ronde « Expériences féministes en santé », n’y assistera que pour renforcer l’idée absurde selon laquelle un homme peut tomber « enceint » et donner naissance. La presse l’a un jour décrite comme « un homme qui a donné naissance à son fils Luar ».
[…]
D’autres intervenantes, comme Elisabeth Falomir ou la Colombienne Ana Cristina González (qui utilisent le terme « personnes gestantes » pour désigner les FEMMES enceintes), utilisent également un langage qui efface les femmes.
La commissaire européenne à l’égalité, Helena Dalli, qui compte dans son équipe l’un des signataires et promoteurs des Principes de Yogyakarta, principal document de Troie antiféministe du transactivisme, parlera sans doute des femmes « cis et trans ». Il y aura aussi Anielle Franco, ministre brésilienne de l’égalité raciale, Magdalena Piñeyro, qui participe à la réunion en tant que fondatrice de Stop gordofobia, et Irantzu Varela, qui animera la salade contre l’agenda historique féministe.
Le Rape Crisis Center (Centre de crise pour viols) de Santa Barbara, Californie, désormais rebaptisé Standing Together to End Sexual Assault (STESA, Faire front ensemble contre les agressions sexuelles), est représenté à la rencontre par Elsa Granados. Il s’agit d’un centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles qui n’utilise jamais le mot « femmes » et invisibilise le fait que ce sont les femmes qui sont les principales victimes de cette violence. Le centre n’utilise systématiquement que les concepts de « survivants » ou de « personnes ».
Entre amies
Les origines des intervenantes ont été soigneusement choisies : la majorité d’entre elles viennent de pays qui ont déjà voté des lois sur l’autodétermination du sexe à l’état civil. Malte, la Belgique, la Finlande, l’Australie, l’Argentine, le Chili, la Colombie, la Bolivie, le Mexique, le Brésil possèdent une législation qui reconnaît « l’identité de genre » et facilite le changement légal de sexe.
La représentation de ces pays à la réunion de février 2023 comprend des responsables de haut niveau qui se sont prononcés en faveur de lois sur l’effacement des femmes et l’autodétermination du sexe à l’état civil.
- Helena Dalli, commissaire européenne à l’égalité : « Cela [l’autodétermination légale du sexe] ne doit pas être considéré comme un recul de l’égalité pour les femmes cis. »
- Sarah Schlitz (Belgique), Secrétaire d’État à l’égalité des genres, à l’égalité des chances et à la diversité (la Belgique a récemment annoncé la reconnaissance légale des identités non-binaires) : « Dès le début de mon mandat, j’ai essayé de promouvoir le travail extraordinaire des associations qui luttent pour les droits des femmes, des mouvements féministes, trans et intersexes. »
- Hanna Sarkkine est ministre des affaires sociales et de la santé en Finlande, pays qui vient d’adopter une loi trans sur l’autodétermination du sexe. Elle participera au panel « Féminisme pour un monde meilleur ».
- Gabriela Cerruti, porte-parole de la présidence de l’Argentine.
« Nous voulons que la société entende nos voix. Quelle sorte de pluralité de voix y a‑t-il si elle n’inclut pas les voix des femmes, des travestis et des transgenres ? »
- Anielle Franco, ministre de l’égalité raciale, Brésil : « …après ces dernières années de reculs pour les droits des femmes, en particulier pour les femmes noires, cis et trans… ».
- Josefina Kelly Neila, secrétaire des politiques contre la violence fondée sur le genre. Ministère de la Femme, des Genres et de la Diversité, Argentine : « Toute femme, lesbienne, travestie ou trans qui a été violée par la violence basée sur le genre… »
- María José Pizarro, sénatrice de la République de Colombie.
« La violence policière contre les travailleurs du sexe et les cas de transféminicides ont augmenté. »
La Colombie est sur le point d’adopter une loi pour réglementer la maternité de substitution.
- Elizabeth Gómez Alcorta, ancienne ministre de la femme, du genre et de la diversité, Argentine : « La loi sur l’identité de genre est l’exportation la plus précieuse de l’Argentine. »
- Gabriela Montaño, ancienne présidente du Sénat bolivien et présidente de la Chambre des députés bolivienne : « [La loi bolivienne sur l’identité de genre] redonne la vie, la possibilité d’être heureux à des centaines de personnes. »
- Lucía Portos, sous-secrétaire aux politiques de genre et de diversité sexuelle, Argentine : « Au sein du gouvernement, il y a une prise de conscience de la priorité à accorder aux politiques de genre. » « Le quota de main-d’œuvre travestie ou trans doit être rempli. »
En plus de ces personnes, une importante majorité des intervenantes ont rendu publique leur position en faveur des lois qui effacent les femmes ainsi que leur adhésion au genrisme queer (à la théorie queer), ou ont qualifié de transphobe toute position critique envers ces lois :
Lastesis (Chili) : « Protester contre la loi trans n’est pas du féminisme. »
Dacia Maraini (Italie) : « Ceux qui sont nés hommes, mais se sentent femmes, devraient avoir la possibilité de devenir femmes… »
Monica Benicio, conseillère municipale de Rio de Janeiro : « Un féminisme dans sa grande majorité où il n’y a pas de place pour la transphobie. »
María Llopis, autrice et militante : « Le chromosome Y ne signifie pas toujours que vous allez avoir un petit homme biologique. Et un chromosome XX ne signifie pas non plus que vous allez avoir une petite femme biologique. La réalité est beaucoup plus compliquée et l’identité sexuelle est une conséquence de l’ensemble de notre carte génétique et non d’une paire de chromosomes. »
DONESTECH, un collectif de Barcelone : « L’autodétermination de genre représente-t-elle vraiment une menace pour les politiques publiques d’égalité ? Se pourrait-il qu’en réalité ce débat ne soit que du vent, une manière de détourner l’attention de la véritable stratégie, celle d’imposer un récit qui facilite la préservation de certains quotas de pouvoir ? »
D’autres intervenantes se sont exprimées dans le même sens, comme Catia Faria, militante des droits des animaux : « Le féminisme essentialiste le plus lié au pouvoir dit que la théorie queer “efface les femmes”, mais ce qu’il dit en réalité, c’est qu’elle efface un certain type de femmes qui sont parvenues au pouvoir ou peuvent y arriver. »
Et immanquablement, bien que sa participation soit virtuelle (par internet), la prêtresse de l’idéologie queer et de l’effacement des femmes, Judith Butler « […] nous demande de reconsidérer la catégorie de “femme” pour y inclure ces nouvelles possibilités. Par conséquent, nous ne devrions pas être surpris, ou inquiets, lorsque la catégorie de femme s’élargit pour inclure les femmes transgenres. »
Les seules membres du gouvernement espagnol qui participent à la rencontre occupent des postes publics dans les ministères de Podemos : Ione Belarra, Ángela Rodríguez, Rita Bosaho, Boti G. Rodrigo ou Lilith Vestringe. Les anciennes ministres socialistes Leire Pajín et Bibiana Aído ont été invitées à participer. Cette dernière en appelle à un féminisme uni, dialoguant et intersectionnel qui se concentre « sur les femmes indigènes, les femmes afro, les femmes handicapées, les femmes trans, celles qui ont été les plus punies et les plus discriminées ».
Après avoir analysé le programme et les intervenants de la rencontre, il convient de rappeler les mots de Victoria Sendón :
« [L’] entrisme [est] une tactique qui empêche le développement des différents mouvements de masse en les réorientant dans une autre direction. Eh bien, l’un des mouvements de masse choisis a été le féminisme, sans aucun doute. Du moins dans notre pays. Et à mesure qu’il grandit et se renforce, la praxis de l’entrisme est utilisée avec de plus en plus de zèle, de plus en plus de précision, au point que des mots comme femme et féminisme perdent leur sens au sein même du mouvement. »
Qualifier de féministes les discours qui vont être entendus durant la Rencontre organisée par le ministère d’Irene Montero, pour la plus grande gloire de ses politiques antiféministes, c’est de l’entrisme.
N’oublions pas que lorsque le ministère de l’Égalité, dans l’une de ses campagnes extravagantes, affirme qu’« il y a 47 millions de façons de concevoir le féminisme », il montre son intention de dénaturer les valeurs féministes en considérant qu’il y a autant de façons de comprendre le féminisme qu’il y a de femmes et d’hommes, y compris, donc, les violeurs, les féminicideurs, les proxénètes, les putassiers et les abuseurs.
Cette rencontre promue par Irene Montero témoigne du mépris du féminisme historique de toutes celles qui ont lutté pour nos droits, et n’encourage comme prétendu féminisme que ce qui est qualifié de transactivisme, le soutien à l’exploitation sexuelle et reproductive et, en général, l’agenda anti-féministe du néolibéralisme le plus atroce.
Lola Venegas
Traduction collective
Source: Lire l'article complet de Le Partage