Je suis en train de lire le nouveau livre de la féministe et marxiste suédoise Kajsa Ekis Ekman intitulé On the Meaning of Sex : Thoughts about the New Definition of Woman (« Sur la signification du sexe : Réflexions sur la nouvelle définition du mot femme »). Son précédent, paru en français sous le titre L’Être et la marchandise (que je n’ai pas lu mais dont j’ai entendu beaucoup de bien), est une critique de la prostitution et de la GPA. Son dernier ouvrage traite lui des fondements idéologiques de la transidentité et des implications pour les femmes et les enfants (notamment) de l’essor du transgenrisme, et tout particulièrement des effets des changements juridiques et institutionnels qu’il produit. Jusqu’ici, il est excellent. Ekman écrit vraiment très bien, est très claire, érudite et incisive. J’ai traduit un petit morceau du livre, qui permet de comprendre en quoi le transgenrisme est une religion du genre, un culte voué au genre (le genre est une sorte de Dieu, au centre de tout, toujours présent, qui domine tout). Voici donc.
L’outil pédagogique appelé « Personne gingenre » (on en trouve un autre similaire appelé « licorne du genre » [voir ci-après]), utilisé dans les écoles américaines, explique ce que sont le sexe et le genre à travers une représentation d’un corps humain. Le sexe anatomique est ce qui se trouve entre vos jambes, tandis que l’identité de genre est située dans votre cerveau/esprit. La sexualité ou l’attirance, selon les termes du graphique, se trouve dans votre cœur, et l’expression de genre correspond à vos actions, vos vêtements et votre comportement. Sam Killermann, écrivain célèbre pour sa présentation Ted et activiste, se vante que son affiche ait été téléchargée des centaines de milliers de fois et que cela ait fait de lui une sorte d’autorité en matière de genre.
Killermann affirme que l’identité de genre est « la façon dont vous interprétez intérieurement la chimie qui vous compose ». Il n’explique pas comment il est possible d’interpréter sa chimie, mais affirme que cette interprétation est complète dès l’âge de trois ans. « Il est généralement admis que notre identité de genre est formée à l’âge de trois ans et qu’il est très difficile de la changer après cela. » Cependant, Killermann explique que l’identité de genre doit être considérée comme quelque chose de distinct de l’expression de genre :
« Vous vous réveillez en portant un pantalon de survêtement gris et ample et un T‑shirt. Lorsque vous entrez dans votre cuisine pour préparer le petit-déjeuner, vous exprimez un genre androgyne à légèrement masculin. Cependant, si vous voyez votre partenaire dans la cuisine et décidez de rôder comme Halle Berry dans Catwoman, vous exprimez alors un genre beaucoup plus féminin. Vous vous versez un bol de céréales, enroulez votre poing autour d’une cuillère comme un Viking et commencez à vous empiffrer de Corn Flakes, et tout d’un coup vous augmentez votre niveau de masculinité. Après le petit-déjeuner, vous vous précipitez dans votre chambre et vous vous amusez malicieusement à placer différentes tenues devant vous, en suppliant votre partenaire de vous aider à décider quoi porter. Votre genre redevient féminin. »
Selon Killermann, être masculin, c’est porter des T‑shirts et des pantalons larges, s’empiffrer de céréales et tenir sa cuillère « comme un Viking ». Être féminine, c’est rôder comme un chat, être dans la chambre à coucher en pensant à des vêtements et être tellement indécise que vous devez demander à votre partenaire de vous aider à accomplir une tâche aussi banale que vous habiller. Personnellement, je ne connais personne, quel que soit son sexe, qui fasse tout cela (qui place ses vêtements devant lui en « s’amusant malicieusement » ?), mais Killermann pense manifestement qu’avoir beaucoup de temps libre et errer sans but sont des caractéristiques féminines. Si vous pensiez que le petit-déjeuner était simplement un moment où l’on mange pour se nourrir, vous vous trompiez lourdement. Satisfaire ses besoins fondamentaux est en fait quelque chose de masculin, comme l’explique Killermann.
La petite conférence de Killermann est censée nous signaler qu’il est ouvert d’esprit. Il souligne à plusieurs reprises qu’il est erroné et démodé de penser qu’il n’y a que deux sexes. Il veut mettre en évidence la diversité et les multiples facettes des individus. Mais, selon lui, cette diversité ne se crée pas en s’affranchissant des catégories de genre. Au contraire, il enferme toute action humaine dans les catégories masculine ou féminine. On ne peut même pas sortir du lit sans être classé dans une catégorie de genre. Les êtres humains du futur devraient donc s’interpréter et se genrer en permanence, trouver leur identité de genre, puis genrer continuellement leurs moindres expressions. On attend de l’individu qu’il connaisse toutes ces expressions — mais les expressions elles-mêmes ne sont pas ouvertes à la discussion.
Mais attendez une minute. Le genre n’était-il pas censé être dissous ? Cette nouvelle idéologie n’était-elle pas censée remettre en question les vieux schémas et nous permettre d’« oser être nous-mêmes » ? Eh bien voilà, quand on gratte la surface, on s’aperçoit que la réalité n’a rien à voir. Le genre est au contraire très fixe et déterminé, non pas par le corps, mais par notre comportement. Nous nous retrouvons face à un déterminisme biologique sans la biologie, où le féminin et le masculin se voient attribuer certains comportements et caractéristiques. Ceux-ci semblent déconnectés du corps, exister dans leur propre monde, éthéré. S’il est désormais interdit de faire le lien vagin = femme, il est encouragé de faire le lien : futile, vulnérable, affecté = femme. Au départ, on nous présente une histoire d’« ouverture » et d’« acceptation » indépendamment du sexe, une chose qui ressemble tellement aux récits du mouvement pour les droits des homosexuels et du féminisme que nous ne faisons pas attention. Cependant, lorsque nous y regardons de plus près, nous constatons quelque chose de très différent.
Les rôles de genre font leur retour sans que nous l’ayons remarqué ! C’est simplement que sexe et genre ont été intervertis. Le genre est désormais considéré comme réel tandis que le sexe se voit considéré comme une construction sociale. Le sexe est dit « assigné » à la naissance, c’est-à-dire qu’il est considéré comme une construction sociale que la société applique de force à l’enfant. L’identité de genre, en revanche, est dite innée. Il s’agit d’essentialisme du genre : le genre comme une essence indépendante du corps.
Le genre n’est pas du tout dissous, contrairement à ce que nous pensions au départ. En fait, c’est exactement le contraire. Le genre règne en maître, ayant vaincu le sexe, et il repose toujours sur les mêmes vieux stéréotypes. On assiste à une sorte de refonte idéologique. La théorie de l’identité de genre emprunte des termes fondamentaux au féminisme, mais leur attribue des significations opposées. L’expression « construction sociale » est conservée, faisant ainsi allégeance à la théorie féministe, ainsi que l’expression sexe biologique, qui désignait ce qui est fixe, immuable — mais ces deux expressions ont été permutées. Désormais, les rôles de genre constituent le vrai sexe. Le fait d’être femme (womanhood) n’est plus synonyme d’utérus, mais de rubans roses et de poupées. Le fait d’être homme (manhood) n’est plus synonyme d’avoir un pénis mais de guerre et de machines. Et, ces rôles de genre, nous dit-on, sont innés.
Kajsa Ekis Ekman
Traduction : Nicolas Casaux
En supplément, un morceau traduit d’un texte de la spécialiste des religions Colette Colfer, initialement publié, en anglais, sur le site de Broadsheet le 26 avril 2022.
La théorie de l’identité de genre implique la croyance selon laquelle le genre est une identité ou un sentiment interne de soi indépendant du corps physique. Certains suggèrent que l’identité de genre plutôt que le sexe biologique devrait avoir la priorité en matière de droit, de société et de culture. Cette théorie est utilisée, par exemple, pour justifier l’argument selon lequel les hommes qui s’identifient comme des femmes devraient concourir dans la catégorie des femmes dans les sports.
J’étudie la religion à partir de ce que l’on appelle une perspective phénoménologique. Cela implique de mettre entre parenthèses mes propres croyances personnelles afin d’essayer de comprendre la religion du point de vue du croyant sans juger ses prétentions à la vérité. Cette approche peut être résumée par les mots de Ninian Smart, qui a écrit « Dieu est réel pour les chrétiens, qu’il existe ou non ».
Au cours des vingt dernières années, l’approche phénoménologique a bien fonctionné pour moi. J’ai voyagé au Pakistan où j’ai visité des madrassas islamiques. J’ai collé des morceaux de papier dans des fissures du mur occidental à Jérusalem, visité la Cisjordanie et Bethléem, participé à deux voyages d’étude sur l’Holocauste à Auschwitz. J’ai participé à des retraites bouddhistes zen et à des festivals hindous. J’ai assisté à des services pentecôtistes africains dans des entrepôts de zones industrielles, j’ai jeûné pendant le Ramadan et rompu le jeûne avec des musulmans dans des mosquées.
J’ai assisté aux offices du sabbat dans des synagogues de Dublin et j’ai médité à « Dzogchen Beara », le centre de retraite bouddhiste de l’ouest de Cork. J’ai séjourné chez les nonnes du monastère de Glencairn, dans le comté de Waterford, et j’ai participé à une célébration païenne du jour de mai sur la colline de Tara, au cours de laquelle des pétales de rose blanche ont été dispersés sur un pentagramme dont les lignes étaient tracées à la craie sur l’herbe. J’ai dansé avec des sorcières au château de Clonegal, dans le comté de Wexford, et j’ai jeté un coup d’œil dans le puits sacré du donjon du château qui, à l’époque, était un « temple d’Isis ». J’ai interviewé des membres d’Atheist Ireland et de l’Église de scientologie.
Des gens de toutes ces religions et de tous ces systèmes de croyance m’ont permis d’entrer dans leur monde sans que je sois obligé de participer ou de croire. Pourtant, aujourd’hui, en Irlande, vis-à-vis de la théorie de l’identité de genre, il devient difficile d’adopter une perspective phénoménologique. Il existe une pression croissante visant à faire accepter cette théorie et à interdire toute critique.
Bien qu’il n’y ait pas de concept de divin dans la théorie de l’identité de genre, il existe des éléments qui pourraient être considérés comme religieux. Il y a des symboles [le symbole trans, différents symboles d’« identités de genre »], des chants, des drapeaux [le drapeau trans, les innombrables drapeaux des toujours plus nombreuses identités de genre, ou genres tout court], des parades [les « trans march »] et des jours « saints » [comme le TDoR, la « journée du souvenir trans »]. Il existe une croyance dans ce que l’on pourrait appeler la transsubstantiation, c’est-à-dire une croyance dans l’idée que la substance du corps peut changer d’un sexe à l’autre. La croyance en l’identité de genre implique un certain niveau de foi, car il n’y a rien de tangible pour prouver son existence qui, en tant que chose séparée du corps physique, est similaire à l’idée d’une âme.
On y retrouve également un concept de l’hérétique ou de l’infidèle [« transphobe »]. Les personnes et les organisations qui ne souscrivent pas à la théorie de l’identité de genre, ou qui la critiquent publiquement, voire la remettent en question, sont dénoncées ou ostracisées, et leurs produits et publications boycottés. Les personnes qui n’adhèrent plus à la théorie sont assimilées à des apostats.
La théorie implique également un code moral et un credo centrés sur les concepts d’égalité, de diversité et d’inclusion. Il existe un clergé sous la forme de personnes issues d’organisations qui font la promotion de la théorie et qui donnent des « sermons » lors de formations et d’ateliers. Certaines personnes signalent leur adhésion à la théorie en utilisant certains mots ou expressions ou en incluant des pronoms (tels que « il »/« elle ») dans les signatures de courrier électronique ou sur leurs profils publics en ligne.
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