Une guerre hybride mondiale en mode ultramarathon

Une guerre hybride mondiale en mode ultramarathon

La fédération de Russie et l’Ukraine de 2022 paient le prix fort des pires  tares de la bureaucratie soviétique.

Reste la facteur temps. Les Russes tentent de l’utiliser à leur avantage pour attirer toutes les ressources adverses vers un point de fixation. De son côté, l’OTAN parie sur l’usure des capacités russes en prenant en compte les chiffres [erronés] des indicateurs macroéconomiques russes. Dans les deux cas, l’allongement de la durée du conflit semble désormais non seulement une constante acquise mais un facteur intégré dans la stratégie des deux belligérants.

Résultat: la guerre qui a commencé en Ukraine va durer jusqu’au redessinement des cartes géopolitiques eurasiatiques et dans ce conflit hybride mondial, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) joue sa propre survie en tant que bloc militaire obsolète mais fondateur de la force de frappe de l’Empire après la Seconde guerre mondiale.

Ce conflit rappelle par bien des aspects celui de la très tumultueuse et sanglante guerre civile russe (1917-1923) et donc un conflit très antérieur à la guerre froide 1.0 à laquelle se réfère une partie de l’establishment américain, dont beaucoup de membres sont encore conditionnés par des réflexes datant de cette période. Les conséquences de la guerre civile russe eurent un immense impact sur l’ensemble de la géopolitique de l’Eurasie avec l’établissement, suite à des guerres civiles et de guerres de sécession, de nouveaux États comme la Finlande, la Pologne et les pays Baltes.

La guerre en Ukraine peut être perçue comme une forme de guerre civile dans l’espace post-soviétique bien que l’Ukraine soit un État indépendant depuis le 24 août 1991. C’est une guerre d’autant plus meurtrière qu’elle reprend les mêmes schémas de la guerre civile ayant éclaté au lendemain de la Révolution bolchévique transposés dans un autre contexte temporel et conceptuel: depuis le coup du Maidan en 2014, l’imposition d’une nouvelle idéologie européiste à vocation atlantiste au sein de la jeunesse et de la société ukrainienne a accentué le schisme entre deux Ukraine diamétralement opposées sur tout. Ce clivage sert de base de travail au fondement d’une guerre hybride ciblant la réduction des capacités de projection et d’influence stratégique de la Russie puis son affaiblissement progressif et permanent en créant une entité Anti-Russe durable faisant office de base militaire avancée de l’OTAN sur les marches occidentale de la Russie. Les Russes n’ont pas saisi immédiatement la portée dangereuse de Maidan en 2014 où l’ont saisi mais tenté une approche fort insuffisante n’ayant pas protégé les populations pro-russes d’Ukraine orientale  et laissé apparaître que Moscou acceptait la politique du fait accompli en espérant que les choses allaient s’arranger avec le temps. Cependant, loin de s’arranger, les événements prirent une tournure nouvelle avec l’imposition d’une idéologie exclusive ayant pour objet un ultranationalisme ukrainien nouveau basé sur le rejet absolu de tout ce qui est russe.

Cet ultranationalisme s’est renforcé avec l’impression d’une guerre hybride de résistance avec la Russie depuis 2014 et les préparatifs d’une guerre inévitable avec ce pays avec l’appui des amis occidentaux. Cette évolution depuis les furieux combats d’artillerie en 2014 donnèrent même l’impetus pour une purge générale des officiers formés à l’école soviétique  au sein des forces armées ukrainiennes et leur remplacement par une nouvelle garde issue des groupes paramilitaires ayant connu le feu au Donbass qui allaient être entraînés et encadrés par des armées de l’OTAN.

L’extension de l’OTAN vers l’est est un tropisme qui est loin d’être récent. Il reprend à peu de choses près le concept  allemand du Lebansraum mais adapté à une stratégie visant à dominer l’Eurasie. L’Ukraine, pays non membre de l’Alliance militaire, est devenu donc le champ de bataille d’une guerre d’usure et d’attrition contre une Russie qui avait été attirée dans un piège à ours duquel elle ne pouvait pas ne pas s’y laisser prendre. C’est une stratégie assez classique qui rappelle dans un contexte totalement different comment le Japon avait été contraint d’attaquer Pearl Harbor en 1941 alors qu’il n’avait presque plus de réserves pétrolières. Moscou a donc décidé d’agir mais en se basant sur une perception erronée de la situation en Ukraine, une évaluation faible du renseignement militaire et l’absence de données fiables du renseignement extérieur (ces questions posent un débat sur les contingences limitant la perception de la menace et son blocage au niveau des rouages administratifs intermédiaires pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici) se sont rajouté à une surestimation des réformes adoptées au sein des forces armées russes à des fins de propagande extérieure, ce qui a eu pour effet d’induire en erreur le Kremlin et l’amener à décider d’une “operation militaire spéciale” qui va peu à peu se transformer en guerre dans un contexte de confrontation avec ce que Moscou qualifie d’Occident collectif.

Washington et son bras armé l’OTAN ont jeté tout ce qui était possible de jeter dans la balance en substituant à l’effondrement de facto des structures de l’État ukrainien, une ligne de fonds de dizaines de milliards de dollars et en fournissant une immense quantité d’armes et d’équipements à une armée ukrainienne minée par la gabegie, la corruption généralisée et la mauvaise gestion. Ce qui a conduit à suppléer aux lacunes avérées des forces armées ukrainiennes en créant des légions internationales accueillant volontaires et mercenaires en guise de couverture à une implication militaire indirecte de l’OTAN avec déploiement d’unités militaires dans mes pays Baltes, en Pologne et en Roumanie. 

Après une série de déconvenues et d’échecs opérationnels dus essentiellement à de nombreux problèmes structurels affectant depuis longtemps les forces armées, les Russes ont été contraint de revoir leur stratégie à plusieurs reprises avant de revenir à la guerre d’artillerie, domaine où ils excellent le plus tout en maintenant les éléments d’une guerre hybride de haute intensité avec l’apport de forces spécifiques d’assaut (groupe Wagner, forces spéciales tchétchènes, forces régulières des régions de Donetsk et de Lugansk). Cette tentative de stabilisation du front s’est accompagnée d’une mobilisation dite partielle et de frappes sporadiques visant les infrastructures énergétiques et ferroviaires de l’Ukraine- lesquelles auraient du être menée au début de l’opération militaire-, mais a permis à l’OTAN de mettre sur pied de nouvelles unités militaires formées en Grande-Bretagne et d’autres pays de l’Alliance et a envoyer plus d’armes et d’équipements. La réponse russe à cette évolution semble être l’abcès de fixation. Une observation attentive du processus de prise de décision semble valider la conjecture selon laquelle la Russie tente d’attirer toutes les ressources adverses vers des points de fixation précis afin de les réduire dans ce que les Russes appellent les “hachoirs à viande”. L’objectif dans ce cas étant d’infliger le maximum de pertes humaines et matérielles à l’ennemi dans l’attente de renforts assez suffisants pour changer le cours de la guerre. Dans les faits, les systèmes d’armes fournis à l’Ukraine par l’OTAN n’ont pas permis d’obtenir un quelconque avantage qualitatif décisif. La plupart de ces systèmes ont même démontré leur obsolescence et leur inadéquation avec une guerre de très haute intensité du 21e siècle. En plus des carcasses des systèmes d’armes russes, le théâtre ukrainien est non seulement en train de devenir un dépotoir des carcasses détruites de systèmes d’armes occidentaux de seconde ligne mais également un trou noir aspirant et épuisant rapidement les stocks de munitions de nombreuses forces armées de l’OTAN.  

   

Moscou pourrait donc également tabler sur l’usure des capacités de l’OTAN en Ukraine alors qu’initialement c’était l’un des objectifs de Washington et la raison principale de la nécessité de tout faire pour le prolongement du conflit jusqu’à effondrement de la machine économique ou militaire russe (ou même une révolution). Il semble donc que les deux belligérants poursuivent une même stratégie de l’usure en se fiant à leurs capacités de résilience. C’est donc un conflit hybride typique entre une puissance océanique et une puissance continentale, se traduisant par un conflit de haute intensité sur un point de fixation, en l’occurrence l’Ukraine où chaque stratège cherche à recréer l’effet Napoléon. Les effets corollaires de ce conflit en Ukraine sont en train d’aggraver un ressentiment historique tenace et lui donner des bases suffisantes pour durer au-delà d’un siècle. Cette guerre ne peut donc s’arrêter ni faire l’objet de négociations presque impossible en l’état actuel des choses. Un cessez-le-feu ne servira qu’à préparer le prochain round. En d’autres termes, l’issue de ce conflit est défavorable à moyen et long terme quelle qu’en soit l’issue (retour au statu quo ante 24 février 2022, retour au statu quo ante 2014, victoire russe et démantèlement de l’Ukraine, victoire russe et partition de l’Ukraine, engagement militaire direct de l’OTAN et escalade graduelle, etc.). L’enjeu de ce conflit est donc la survie de l’OTAN et de la Russie car désormais les deux belligérants ne peuvent plus décrocher sans que l’un d’eux soit détruit. Il n’y a plus d’autres options possibles à ce stade. Cela durera des années, voire des décennies (et bien au delà des années 2040) mais l’issue ne pourra être que l’effondrement d’un des deux belligérants.

Cette guerre est donc une course de longue haleine ressemblant à de l’ultra-marathon et non un sprint comme le laisse suggérer le traitement des médias. En attendant l’issue fatale de cette confrontation à niveau multiple, le monde est en train de changer de façon irréversible et d’autres acteurs entament une montée en puissance que cette guerre va accélérer jusqu’à l’avènement d’un autre ordre ou désordre international.         

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À propos de l'auteur Strategika 51

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