Traduction d’un article initialement paru, en anglais, sur le site Feminist Current le 6 décembre 2020 et écrit par L. Beatrice, une avocate féministe du sud de l’Inde spécialisée dans le droit international relatif aux droits humains, avec une expertise dans les lois et procédures contre les violences sexuelles.
Note de la traductrice : Le transactivisme fait souvent appel à une prétendue historicité et universalité de l’existence de personnes « transgenres » dans les cultures non occidentales passées et présentes. On le voit par exemple en France au travers du discours tenu par Agressively Trans (« agressivement trans »), qui s’identifie comme un anthropologue dans son livre Une histoire de genres. Or, s’il a existé et s’il existe une diversité sociosexuelle dans les cultures extraoccidentales, c’est-à-dire de la diversité dans les rôles sociaux attribués aux personnes en fonction de leur sexe, ainsi que la possibilité de rôles sociaux spécifiques pour celles et ceux qui ne peuvent (parfois parce qu’on le leur interdit) ou ne veulent pas se conformer rôles sociaux traditionnellement attribués selon les deux sexes, tous ces rôles sociaux, contrairement au concept d’identité de genre occidental, comprennent et reconnaissent l’existence du sexe (biologique). Aucun des concepts non occidentaux invoqués par le transactivisme ne prétend réellement transcender la binarité du sexe, aucun ne consiste à prétendre « réellement devenir le sexe opposé » ou être « littéralement du sexe opposé ».
En outre, plusieurs points fondamentaux à noter concernant l’organisation de ces sociétés, brièvement abordés dans ce texte, relève de leur aspect patriarcal. Premièrement, les cultures patriarcales non occidentales sont organisées de manière extrêmement rigide quant aux rôles sociaux attribués aux personnes en fonction de le leur sexe. Deuxièmement, ce sont des sociétés d’exploitation hiérarchiques viriarcales : la masculinité virile, qui trouve ses déclinaisons de manière universelle dans toutes les sociétés et groupes humains patriarcaux, constitue la valeur par excellence. Troisièmement, ces cultures reconnaissent l’existence du sexe biologique et du genre tout à la fois. Elles ne séparent pas le sexe et le rôle social imposé en fonction du sexe (le genre). Elles acceptent donc aussi le « genre » comme étant fondamental, et lié au sexe. Que se passe-t-il lorsque des garçons se montrent incapables ou refusent de se conformer aux valeurs de virilité de la masculinité patriarcale ? Certes, il existe des femmes qui échouent à se conformer au rôle social imposé aux femmes, ou refusent, mais cela revêt moins d’importance en société hyper-patriarcale, les femmes ne comptant pas autant que les hommes. Ce qui est perçu comme très grave, c’est d’entacher la masculinité. Aussi, les hommes qui sont incapables d’incarner les valeurs virilistes, qui ne peuvent assumer le rôle social des hommes (le genre masculin), sont relégués à la marge de la société ou y sont intégrés dans une troisième catégorie sociale spécifique, afin de ne pas faire honte à la masculinité. Ces catégories sociales spécifiques existent parce que les garçons et les hommes qui ne performent pas la masculinité ne peuvent pas être acceptés parmi les « hommes ».
L’on notera aussi que parmi les sociétés traditionnelles citées (les aborigènes d’Australie), qui ne sont ni tout à fait agricoles, ni tout à fait fourragères, il n’existe pas de troisième type de rôle social. Les personnes qui ne se conforment pas au genre (au rôle social imposé en fonction de leur sexe) adoptent simplement les rôles sociaux de l’autre sexe, comme c’est le cas dans les sociétés traditionnelles dites matriarcales (en fait, des sociétés horticultrices et agraires « égalitaires », avec une prééminence de l’autorité des mères). Ainsi, la nécessité d’une troisième catégorie (ou « troisième sexe » ou « troisième genre ») se rencontrera surtout dans les grandes sociétés agro-industrielles hyper-patriarcale, ou le fait d’échouer à incarner la masculinité (de même que l’homosexualité masculine) est considéré comme un crime. C’est seulement une fois sortis de la masculinité que ces hommes peuvent être tolérés et qu’ils trouvent une place dans la société. Ils ne peuvent en réalité pas être « eux-mêmes », être des hommes qui aiment les hommes, ou des hommes « efféminés ». Ils ne peuvent se comporter selon leurs inclinations qu’à la condition de ne plus être considérés comme des hommes. Les troisièmes classes de sexe/genre constituent en fait, dans ces sociétés, un expédient pour préserver les valeurs patriarcales, permettant à ces hommes non virils d’être autorisés à vivre dans leur société.
Au lieu de projeter des concepts occidentaux sur des sociétés et groupes humains non occidentaux, peut-être que les universitaires « queers » devraient examiner leur propre culture patriarcale et le traitement réservés aux garçons qui ne se conforment pas aux valeurs de la masculinité virile.
Parmi les nombreux arguments incohérents ou indéfendables avancés à l’appui du concept « d’identité de genre » et des revendications législatives et politiques qui lui sont associées, l’appropriation et les représentations fallacieuses des minorités sexuelles et des personnes non conformes au genre dans les cultures orientales ou plus largement du Sud économique est sans doute l’un des plus flagrants.
Les arguments en faveur de l’idéologie de l’identité de genre comprennent souvent l’affirmation selon laquelle la binarité des sexes serait une « construction colonialiste suprématiste blanche » et selon laquelle les sociétés ancestrales/indigènes/colonisées reconnaîtraient les « personnes transgenres ». Ces affirmations s’accompagnent généralement de la conclusion selon laquelle « les personnes transgenres existent depuis des milliers d’années », suivie d’une succession d’exemples tels que les Hijras du sous-continent indien, les personnes bi-spirituelles des cultures amérindiennes, les Fa’afafine de Samoa ou les « ladyboys » de Thaïlande. Selon les transactivistes, ces exemples démontrent que le sexe est une construction occidentale de la suprématie blanche, que les cultures plus anciennes reconnaissaient l’authenticité des « personnes transgenres » et qu’en conséquence, le fait de catégoriser les gens uniquement en tant que mâle ou femelle est une erreur devant être abandonnée (comme doivent aussi l’être les systèmes juridiques construits sur ces identités).
Malheureusement (mais sans surprise), les progressistes occidentaux prompts à affirmer des choses pareilles ne s’embarrassent pas de précisions et ne cherchent pas à comprendre réellement les personnes ou les cultures qu’ils utilisent dans leurs arguments. Ces identités et ces complexités culturelles ne sont pour eux que d’opportuns instruments au service de leur récit politique. Leurs tentatives de rassembler autant de cultures diverses, d’identités et de concepts en une même vision postmoderne — et de forcer les cultures non occidentales à s’inscrire dans un contexte occidental — aboutissent à l’effacement et à l’incompréhension de ces identités culturelles ; le tout, en accusant les autres de faire exactement ce qu’ils font eux-mêmes.
Les auteurs et autrices indigènes qui réalisent des analyses historiques et ethnographiques approfondies, comme Serena Nandy, autrice de Neither Man nor Women, the Hijras of India (« Ni homme [SIC] ni femmes, les Hijras d’Inde »), définissent les Hijras comme « une communauté religieuse d’hommes qui s’habillent et agissent comme des femmes et dont la culture est centrée sur le culte de Bahuchara Mata, l’une des nombreuses versions de la Déesse Mère adorée dans toute l’Inde ». Des universitaires tels Sandeep Bakshi, qui enseigne la littérature postcoloniale et la littérature queer, et Renate Syed, autrice de nombreux articles universitaires sur les Hijras, ont souligné que le terme « transgenre », tel que nous l’entendons en Occident, ne décrit pas correctement les Hijras.
Dans Gender and Violence in Historical and Contemporary Perspectives (« Violence et genre selon les perspectives historiques et contemporaines »), Syed écrit :
« L’article de Wikipédia sur les Hijras (Asie du Sud) en donne une définition erronée, affirmant dans sa phrase d’introduction : “Un Hijra est un individu transgenre ayant été assigné homme à la naissance”. Subsumer les Hijras sous le terme générique occidental et moderne de “transgenre” revient à nier leur spécificité culturelle et leur singularité historique, et est contraire à la législation indienne moderne […].
[…] Hijra est un terme utilisé dans les langues de l’Inde du Nord qui ne possède d’équivalent dans aucune autre langue, étant donné qu’il n’existe pas de traduction disponible. Hijra est un autonyme ou endonyme, tandis que les termes occidentaux décrivant les Hijras sont des xénonymes ou exonymes qui ne décrivent pas correctement le concept et passent complètement à côté. Le faux équivalent “transgenre” ne rend pas adéquatement le sens du mot Hijra, qui est ainsi perdu dans la traduction. »
Si « Hijra » est le terme le plus souvent invoqué par les Occidentaux dans leur tentative d’invoquer de fausses équivalences, les Hijras sont parfois appelés Kinnars ou Aravanis selon les régions. Il existe également des communautés similaires, comme les Kothis — un groupe hétérogène recouvrant des hommes biologiques qui expriment divers degrés de féminité dans des situations particulières, certains pouvant avoir un comportement bisexuel et épouser des femmes — et les Jogtas, un sous-ensemble d’hommes qui adoptent des rôles sociaux féminins et travaillent dans les temples.
Non seulement ces communautés très diverses sont regroupées sous l’appellation « Hijra », mais les auteurs les qualifient régulièrement de « trans », de « ladyboys de l’Inde », de « drag queens », de troisième genre, de « troisième sexe de l’Inde » et de toute une série d’autres termes ou expressions anglaises qui correspondent à des rôles sociosexuels de conception occidentale, au lieu d’employer des descriptions correctes. Les Hijras se considèrent comme « ni homme ni femme », mais ils ont été décrits ou classés de manières très différentes par ceux qui étudient la mythologie et l’histoire de la région, l’anthropologie, l’histoire de la religion et les études culturelles, et qui emploient le terme « Hijra » pour désigner quantité de groupes complexes, notamment des eunuques, des travestis, des personnes avec des troubles du développement sexuel (organes génitaux ambigus) ou des hommes sexuellement « ambivalents » qui s’habillent en femmes. Si certains Hijras peuvent être nés avec une condition intersexe (trouble du développement sexuel), cela reste rare. La plupart sont des hommes qui subissent une castration et une pénectomie volontaires et se considèrent comme sexuellement impuissants.
Le mot « Hijra » est dérivé d’un mot urdu qui, à l’époque coloniale, signifiait quelque chose se rapprochant de notre notion « d’eunuque » ou « d’hermaphrodite », même si cette traduction reste imparfaite. Par conséquent, ils étaient auparavant considérés comme une sorte de « troisième sexe » (lorsque les conditions d’intersexualité n’étaient pas bien comprises).
Mais comme les auteurs anglophones et les décideurs politiques occidentaux ont fait rentrer les Hijras dans un cadre (juridique) occidental postmoderne, leur réalité bien plus complexe a été pratiquement effacée.
Syed souligne que si les Hijras sont parfois décrits comme un « troisième genre », cela n’est pas équivalent au fait de transitionner vers le « sexe opposé ».
« […] Selon leur propre théorie sur le fait d’être Hijra, ils ne représentent pas un état intermédiaire entre l’homme et la femme ni l’état d’être les deux à la fois, ni une androgynie. Ils sont considérés comme “différents” des hommes et des femmes.
[…] Quand les universitaires et les activistes occidentaux définissent les Hijras en fonction du modèle occidental des deux sexes et comme étant des personnes transgenres, des travestis, des transsexuels, des eunuques, des homosexuels, etc., cela peut être considéré comme un exemple édifiant de discrimination, d’eurocentrisme, voire de néocolonialisme psychique et d’impérialisme culturel. »
Qualifier les Hijras des « transgenres » constitue un malentendu à la fois historique et culturel projetant des concepts occidentaux modernes sur une culture asiatique traditionnelle. Cette approche considère l’histoire et les concepts occidentaux comme étant absolus et ignore la façon dont les Hijras se définissent eux-mêmes. Ranger les Hijras sous le concept occidental moderne de « transgenre » nie l’histoire qui leur confère un statut semi-sacré (ils étaient appelés à bénir les nouveau-nés), le fait qu’ils vivent dans des communautés hiérarchiques avec leurs propres rituels d’intronisation par des gourous, leur statut partiellement vénéré en raison de leur invocation d’identification avec les déesses de la terre, et le fait qu’ils dansent durant certaines cérémonies.
Un article universitaire de 2019 explore le conflit généré par l’amalgame entre les « travestis » et les termes employés par le mouvement transgenre. Il note que le concept postmoderne d’identité de genre rencontre une forte opposition de la part de ceux qui se considèrent comme faisant partie de la communauté hijra. En fait, les personnes appartenant aux communautés hijra ont exprimé une crainte vis-à-vis du concept moderne « transgenre », soutenant que celui-ci ne décrit pas leur communauté ou leur identité.
Les écrivains américains font de la gymnastique intellectuelle en essayant de faire entrer ces identités dans le cadre anglophone, en utilisant un langage aussi inexact qu’absurde tel que l’idée du « genre assigné à la naissance », même lorsqu’ils sont obligés de reconnaître que les communautés Hijra, Kothis, Aravanis, etc. ne rentrent pas dans la catégorie « trans ». Tenter d’interpréter ces identités à travers le prisme occidental les conduit inévitablement à supposer à tort que ces groupes adoptent une sorte « d’identité de genre », quand il s’agit en réalité pour eux d’adopter des manières spécifiques de se présenter, des activités sexuelles et des modifications corporelles alternatives.
Bien plus qu’un simple affront culturel et un énième exemple de jeunes activistes progressistes s’emparant d’un concept qu’ils ne comprennent pas, le déformant à leurs propres fins, cette appropriation a de graves conséquences. Premièrement, les enfants indiens nés avec des problèmes d’intersexualité ou des organes génitaux ambigus dans les communautés qui comprennent moins bien les troubles du développement sexuel sont sans ménagement jetés et catalogués dans cette troisième catégorie polymorphe, séparés de leur famille et élevés comme un « troisième sexe », au grand dam des militants des droits des personnes intersexes et en violation des droits de l’enfant. Et ce, en dépit du fait que la science médicale actuelle est généralement en mesure de déterminer le sexe des bébés présentant des conditions intersexuées. Deuxièmement, ces communautés englobent des hommes qui se soumettent à une castration volontaire, des hommes qui se comportent et se présentent de manière stéréotypiquement féminine, et des hommes homosexuels. Dans les cultures où la masculinité agressive et machiste est valorisée par-dessus tout chez les hommes et les garçons, ces identités servent à absorber tous les hommes qui n’y « correspondent pas » — en particulier les hommes homosexuels efféminés. La distorsion et la romantisation ces identités installent un climat social dans lequel d’importantes nuances sont dissimulées ou passées sous silence au profit du mouvement transgenre.
Ces communautés rencontrent immanquablement des difficultés d’autodéfinition lorsqu’elles essaient de se conformer à des systèmes juridiques qui emploient des termes anglais ou romains, et dès lors qu’elles doivent traduire les mots qu’elles emploient pour le genre et le sexe (or, ces cultures ne reconnaissent pas le « genre » comme un concept séparé et distinct du « sexe »). Tenter de subsumer ces communautés sous le concept occidental « d’identité de genre » ou de « transgenre » ne fait qu’aggraver le problème. Si ces communautés méritent une protection juridique et sociale intégrale, en revanche, elles n’expriment ni ne démontrent la nécessité de rejeter le sexe en tant que catégorie juridique et les droits sexospécifiques qui y sont associés.
Les activistes des pays anglophones n’ont pas seulement déformé la réalité des Hijras. Ils invoquent aussi les « bi-spirituels (two-spirits) » des Amérindiens comme « exemples » pour étayer leurs propos, sans réaliser que le concept de « bi-spirituel » fait référence aux mouvements entre les rôles sociosexuels, et non pas à des identités. Comme d’habitude, les jeunes progressistes ont dénaturé un concept culturel unique, celui des personnes « bi-spirituelles », pour prouver que « les personnes trans existent », et donc que leurs arguments en faveur de la destruction du sexe en tant que catégorie politique sont valables.
Il en va de même pour le concept samoan systématiquement déformé de « troisième sexe ». Ironiquement, tandis que des légions de jeunes progressistes autoproclamés réduisent au silence et font déprogrammer les conférences et interventions des femmes qui soulignent que le sexe (biologique) est réel et crucial, les personnes issues des cultures qu’elles invoquent pour leur défense sont farouchement opposées aux excès des exigences transactivistes. Le Premier ministre samoan Tuilaepa Sailele Malielegaoi a critiqué la décision d’autoriser Laurel Hubbard, un homme transidentifié [de plus de 40 ans et déjà champion d’haltérophilie dans sa catégorie masculine (NdT)], à concourir dans la catégorie femme des haltérophiles de 87 kg et plus aux Jeux du Pacifique. Le Premier ministre reconnaît bien sûr l’existence des Fa’afafine à Samoa, mais il a déclaré au Samoa Observer qu’il avait été choqué d’apprendre la nouvelle, réagissant en ces termes : « Ce Fa’afafine — ou cet homme — n’aurait jamais dû être autorisé par le président du Conseil des Jeux du Pacifique à concourir avec les femmes. »
« Fa’afafine » se traduit par « à la manière d’une femme » [nous pourrions dire « efféminé »]. Les Fa’afafine sont des hommes samoans qui se comportent de diverses manières stéréotypiquement féminines et qui font partie intégrante des communautés samoanes depuis des siècles. Il existe peut-être des identités équivalentes pour les femmes qui adoptent des rôles sociaux masculins dans les cultures du Pacifique, mais les preuves sont rares. Les récits personnels montrent que « l’identité » des Fa’afafine consiste principalement à assumer les tâches des femmes [ils endossent les rôles sociosexuels assignés aux femmes] ou à « se comporter de manière féminine », mais pas nécessairement à modifier leur corps ou à se castrer, contrairement aux Hijras. Les termes occidentaux ne les décrivent pas de manière convenable et il existe un écart de traduction entre « female », en tant que terme sexué en anglais, et en tant que terme genré dans d’autres cultures et langues.
Ce même schéma regrettable se répète dans le discours anglophone en référence aux « ladyboys » de Thaïlande, notamment dans les écrits en ligne tels que les blogs de voyage, qui sont ensuite utilisés par les activistes et alliés trans occidentaux comme « preuves » que la catégorisation par sexe est un concept colonialiste occidental. En Thaïlande, où le terme transgenre est rarement utilisé, les « ladyboys » ont déjà un nom : « Kathoey », qui désignait à l’origine les hermaphrodites. Les articles de littérature universitaire évalués par les pairs, comme celui de Marie-Theres Claes intitulé « Kathoeys of Thailand : A Diversity Case in International Business » (« Les Kathoeys de Thaïlande : un cas de diversité dans les affaires internationales »), publié dans l’International Journal of Diversity in Organizations, Communities and Nations, ne soutiennent cependant pas les amalgames occidentaux et précisent que le terme « kathoey » est un terme qui « recouvre des transsexuels hommes et femmes, ainsi que des hommes efféminés ». Les auteurs de Ladyboys : The Secret World of Thailand’s Third Gender (« Ladyboy : le monde secret du troisième genre de Thaïlande ») expliquent : « Les Kathoeys sont des hommes biologiques qui sont nés avec un cœur et un esprit nettement féminins. Certains choisissent de faire “corriger” leur anatomie tandis que d’autres se contentent de s’habiller en femme ou de laisser libre cours à leurs maniérismes efféminés. » [Cela reste de l’essentialisme : « naître avec un cœur et un esprit féminin » ; cette catégorie sociale est basée sur les stéréotypes traditionnels patriarcaux et existe pour gérer les hommes qui ne se conforment pas à la virilité stéréotypique valorisée dans la société thaïlandaise (NdT)]. On trouve des Kathoeys dans toutes les strates de la société et dans toutes les professions du pays, mais ils sont fortement représentés dans l’industrie du sexe. Ils ont gagné en visibilité dans la société en raison de la popularité de la Thaïlande comme destination pour les opérations de changement de sexe [et plus encore le tourisme sexuel et pédocriminel (NdT)], où elles sont pratiquées depuis 1972. Les Kathoeys ne sont pas considérés littéralement comme des femmes, mais comme des « phet thi-sam » — un « troisième sexe ».
L’utilisation actuelle du terme « transgenre » est un phénomène purement anglophone, comme le montrent clairement les articles et les sources qui emploient ce terme. Tout en reconnaissant que le terme « Kathoey » est à la base employé pour définir les personnes avec des troubles du développement sexuel, et qu’il a ensuite été élargi pour inclure les « hommes efféminés » et les hommes transsexuels [qui se disent femmes], les écrivains occidentaux et anglophones feront référence aux Kathoeys comme étant « transgenre », même dans les publications thaïlandaises. Mais dans ces cultures asiatiques, il n’a jamais été question de « transgenre », tel que ce concept est compris en termes « d’identité de genre ». Un mélange complexe de personnes nées avec des conditions intersexes, d’hommes efféminés et de transsexuels à prédominance masculine est ainsi accaparé, leur histoire se retrouvant dévoyée au service d’un récit qui s’appuie sur des idées confuses concernant un ensemble de sentiments internes valant pour identité légale, sans aucun précédent dans ces cultures diverses en matière de genres et de sexualités.
Au-delà de l’appropriation et de la représentation erronée des communautés asiatiques et des cultures indigènes, les récits anglicisés distordent également les filles-sœurs et les garçons-frères des aborigènes d’Australie, la complexité de leur identité se perdant dans le cadre des concepts occidentaux. Les filles-sœurs se décrivent eux-mêmes comme étant nés de sexe masculin, mais comme ils ont manifestement un comportement « féminin » [dans les cultures qui infériorisent et soumettent les femmes, le comportement féminin est donc le comportement identifiable de l’opprimé et du soumis (NdT)], leur société considère qu’ils doivent remplir les rôles [sociaux] et les tâches des filles et des femmes, en exécutant les danses, les cérémonies et autres tâches assignées aux femmes. Leurs récits personnels révèlent qu’ils vivent dans le rôle des femmes, chassant, s’asseyant et discutant avec les femmes. Bien que leur identité soit plus proche du concept actuel de « transgenre » que celle des Hijras et des Kathoeys, ils ne remettent pas en cause l’existence de la binarité des sexes et des catégories sexuées. Au contraire, les filles-sœurs et les garçons-frères disent qu’ils et elles « vont dans les rôles » des femmes ou des hommes, ce qui montre leur reconnaissance de la binarité sexuelle niée par le transactivisme. [En fait, ils et elles reconnaissent l’existence du sexe biologique et acceptent aussi le genre, c’est-à-dire, les rôles sociaux attribués en fonction du sexe. Ils et elles n’expriment pas de transgression envers la division sexuée des rôles, un peu à la manière des conservateurs et des traditionalistes en Occident (NdT)].
De nombreuses communautés de personnes ne se conformant pas au genre [aux rôles sociaux attribués en fonction de leur sexe] ont certainement existé dans des cultures du passé. Mais ces identités sont complexes et changeantes. Certaines incluent les personnes intersexuées, les hommes très efféminés et les hommes qui ont subi des types de modifications corporelles pour devenir transsexuels (comme les Hijras et les Kathoeys), généralement traités comme un « troisième sexe » [ou plutôt troisième genre au sens de rôle sociosexuel, les Hijras ont par exemple des fonctions sacrées qui leur sont propres et vivent dans des communautés hermétiques à l’écart de la population générale (NdT)]. D’autres incluent les personnes nées de sexe masculin ou féminin, qui adoptent les rôles sociaux, les manières et les habitudes vestimentaires du sexe opposé (les filles-sœurs et garçons-frères, les Fa’fafine et les personnes bi-spirituelles), mais ces personnes ne prétendent pas être réellement du sexe opposé. Les descriptions écrites en anglais alternent entre des descripteurs de genre et de sexe en raison de lacunes dans la traduction, mais une étude approfondie révèle que ces groupes adoptent simplement les rôles, les vêtements ou les manières du sexe opposé et décrivent cela comme « vivre comme une femme ».
[Ce qui impliquerait par exemple chez nous que les hommes transidentifiés voient leur salaire baisser, n’aient pas accès à des postes à responsabilités, effectuent bien plus d’heures de tâches ménagères en moyenne que les hommes et qu’ils abandonnent la pornographie, etc. (NdT)]
Les transactivistes occidentaux et leurs alliés soi-disant anti-impérialistes utilisent ces communautés pour marquer des points politiques faciles, en affirmant que la « binarité des sexes » est une construction coloniale. Les communautés auxquelles ils font référence n’ont jamais eu l’intention de prétendre que les femmes n’existaient pas ou que les hommes pouvaient littéralement être des femmes. L’idéologie incohérente de « l’identité de genre » et ses implications juridiques et sociales ne devraient pas être imposées à d’autres cultures, et certainement pas dans le but de nuire aux femmes et aux filles.
S’il y a bien quelque chose de colonial, c’est le fait d’imposer des notions occidentales aux autres cultures. Les universitaires, les écrivains et les activistes du mouvement transgenre feraient mieux d’examiner leurs propres idéologies et de chercher à les rendre cohérentes plutôt que de travestir les cultures et les histoires non occidentales en fonction de leurs désirs et de leurs objectifs politiques.
L. Beatrice
Traduction : Audrey A.
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