Traduction d’un article de la philosophe britannique Kathleen Stock initialement paru, en anglais, le 21 mars 2022, à l’adresse suivante.
Que veulent dire ceux qui affirment des choses comme « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes » et « les personnes non-binaires ne sont ni des femmes ni des hommes » ? Dans mon livre Material Girls [« Filles matérielles », malheureusement pas encore traduit en français à ce jour (NdT)], je suggère que beaucoup d’entre eux sont plongés dans un univers fictionnel.
L’immersion dans un univers fictionnel, c’est quelque chose que nous connaissons tous. Nous immerger dans un univers fictionnel, nous le faisons presque tous, et certains d’entre nous plusieurs fois par jour. Lorsque vous vous plongez dans un roman, que vous enchaînez les épisodes d’une série télévisée ou que vous rêvez, éveillé, d’une potentielle histoire d’amour ou de triompher de vos ennemis, vous vous plongez dans un univers fictionnel. Les enfants s’immergent dans des fictions en inventant des histoires élaborées avec leurs jouets ou au travers des jeux vidéo. Les acteurs aussi lorsqu’ils se plongent dans de nouveaux rôles, tout comme les travailleurs qui s’adonnent à des jeux de rôle lors de jours de congé, à la manière de David Brent. Les groupes de reconstitution historique passent leurs week-ends à s’immerger dans des fictions collectives sur le passé.
Lorsque vous vous trouvez plongé dans une fiction, votre objectif immédiat ne consiste pas à percevoir le monde tel qu’il est réellement, présentement, afin d’agir de manière adéquate. Pour emprunter une expression à la philosophie, vos pensées et votre comportement ne sont pas directement « en quête de vérité ». Cela ne pose généralement pas problème, étant donné que les fictions sont censées être des amusements inoffensifs, des rencontres intéressantes avec des scénarios imaginables (mais irréels), ou des simulations d’expériences vécues par d’autres. Les fictions ne sont pas censées être des représentations fidèles de la réalité. Lorsque nous nous immergeons dans un univers fictionnel, c’est comme si une large partie de nos pensées se mettaient à flotter dans l’espace, loin de la terre ferme.
En ce qui les concerne, plusieurs raisons peuvent amener les personnes trans à se plonger dans des fictions de changement de sexe ou de fuite du corps. L’une d’entre elles, bien connue, est un fort sentiment de dysphorie. Si les aspects sexués de votre corps vous mettent très mal à l’aise — par exemple parce qu’ils ne correspondent pas aux normes corporelles en vigueur, ou du moins parce que vous avez cette impression — le fait de vous comporter comme si vous étiez du sexe opposé, ou d’aucun sexe, pourrait vous procurer quelque soulagement. Un nombre inquiétant de filles et de jeunes femmes se trouvent dans cette situation à l’heure actuelle. Cette augmentation s’explique en partie par différents facteurs tels que l’invasion du smartphone, l’essor connexe des réseaux sociaux et de la pornographie, ainsi que la sur-sexualisation et l’objectification des jeunes femmes dans notre culture en général.
Un motif d’immersion moins connu, spécifique à un certain segment de la démographie trans masculine et également susceptible d’être influencé par la pornographie, est un fétichisme connu sous le nom d’autogynéphilie (abrégé en « AGP »). Il s’agit d’hommes qui éprouvent une excitation sexuelle à s’imaginer qu’ils sont des femmes. Les transactivistes déploient d’importants efforts en vue de nier l’existence de ce phénomène. Et il semble particulièrement difficile pour les personnes peu au fait de la réalité actuelle de la sexualité des hommes — les jeunes idéalistes, par exemple, ou les professeurs d’université — d’admettre qu’une telle chose existe. Mais de nombreuses sources l’attestent, et il est important que nous la prenions clairement en compte dans nos discussions des empiètements sur les droits des femmes. Voir, par exemple, cet article de Vice datant de 2016, publié avant que les médias progressistes ne commencent à prétendre que l’autogynéphilie n’existe pas, et décrivant crument une soirée dans un club où les hommes se travestissent en femmes pour leur plaisir sexuel, parfois en prétendant qu’ils sont « forcés » à la « féminisation » par une dominatrice [voir aussi la description de la « femellisation forcée » dans cet article de Wikipédia, NdT]. Pour les derniers sceptiques, il est également possible de lire le livre que Deirdre McCloskey a consacré à sa transition, intitulé Crossing, dans lequel l’élément sexuel est allègrement discuté — ou simplement de regarder attentivement cette photo d’une « femme trans » s’adressant au parti démocrate de l’État de New York. [Ou de regarder le court métrage documentaire suivant, NdT].
Poursuivons. Les personnes qui ne sont pas trans, mais qui choisissent de s’immerger dans les fictions fondatrices du transactivisme semblent le faire pour quatre motifs principaux. Premièrement, il y a le désir d’être gentil avec les personnes trans, sans trop réfléchir à ce que cela implique. Deuxièmement, il y a le désir de paraître gentil en raison du capital social que cela procure de nos jours. Troisièmement, il y a le désir d’éviter l’ostracisme — tout le monde sait qu’il s’agit du sort réservé à celles et ceux qui refusent de s’immerger dans les fictions trans. Et quatrièmement, il y a le désir de défaire les catégories sexuées de l’humanité grâce au pouvoir des mots, que certains font leur après avoir entendu un universitaire farfelu affirmer qu’il s’agissait d’un objectif cohérent et politiquement souhaitable.
Si la plupart des fictions dans lesquelles nous nous plongeons sont inoffensives, ce n’est pas le cas des fictions trans, lorsqu’elles sont diffusées à l’échelle industrielle et imposées de manière coercitive par l’establishment progressiste. À l’autre bout de cet arc narratif singulier figurent de jeunes adultes malheureux et stériles, des femmes incarcérées obligées de partager des espaces avec des violeurs, des sportives professionnelles évincées de la compétition par des hommes qu’elles ne peuvent espérer battre, de jeunes lesbiennes forcées de sortir avec des hommes, des épouses contraintes de participer aux fantasmes de travestissement de leurs maris et des personnes transgenres bénéficiant de soins de santé totalement inadéquats.
Aussi horribles que soient ces faits, je souhaite, dans ce billet, jeter un regard plus oblique sur l’histoire qui les a engendrés. Il me semble en effet que le transactivisme constitue un cas d’étude fascinant de ce qui peut se produire lorsqu’un mouvement politique cesse de rechercher la vérité pour se consacrer à l’élaboration d’une fiction. Peut-être que tous les mouvements poursuivent une fiction de temps en temps, mais rares sont ceux dont les axiomes constituent un tel déni de réalité. Voici donc quatre éléments explicatifs.
1) Fournir une trame de fond convaincante
De quoi une fiction a‑t-elle besoin pour paraître vivante et réaliste — pour capter votre attention et vous embarquer émotionnellement ? Elle a entre autres choses besoin de détails d’arrière-plan qui paraissent convaincants, et suffisamment distrayants pour que la lectrice ou spectatrice moyenne ne s’interroge pas sur les failles de l’intrigue. Et quoi de plus convaincant que des idées soutenues par des personnes dont le travail quotidien est d’être intelligentes et de savoir des choses ? Sur cette base, certains secteurs du monde universitaire se sont fait [ou laissé] recruter — et de bon cœur — afin de fournir les éléments contextuels nécessaires aux fictions fondamentales de l’industrie transgenre.
Un article du philosophe Dan Williams, récemment publié, décrit un phénomène similaire. Selon lui, dans le monde d’aujourd’hui, « les experts et les producteurs d’opinions » fournissent des arguments apparemment approbateurs et d’autres justifications en faveur de conclusions auxquelles les gens étaient déjà incités à adhérer de toute façon — et ils le font « en échange d’argent et de récompenses sociales ». Selon lui, un marché de la rationalisation des croyances souhaitées s’est développé. Dans le domaine du transactivisme, je pense que les rationalisations proposées par les universitaires tendent à soutenir l’immersion dans la fiction plutôt que la croyance pure et simple — après tout, lorsqu’ils décident qui intimider en premier, les transactivistes semblent toujours savoir qui sont les femmes et qui sont les hommes — mais autrement, le processus est similaire à celui décrit par Williams. Le jeu, pour certains universitaires, consiste à fournir des éléments contextuels apparemment convaincants en faveur de conclusions fictionnelles prédéterminées telles que « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes » et « les personnes non binaires ne sont ni des femmes ni des hommes ». Étant donné que le système les récompense actuellement pour cela, je pense que leur motivation inconsciente est souvent l’avancement de leur carrière et la reconnaissance sociale de leurs pairs — même s’ils dissimulent toujours cette motivation en se drapant de morale.
Dans le domaine qui m’est le plus familier, la philosophie universitaire, un groupe de penseurs dévoués cherche à fournir des rationalisations post hoc complexes et techniques pour des mantras initialement formulés par des adolescents sur Tumblr en 2011. Le fait que la vérité dans son sens traditionnel ne constitue pas l’objet de leur investigation ne pourrait être plus clair. Voir, par exemple, la philosophe Katharine Jenkins, qui commence son article de 2016 sur la nature de l’être-femme (womanhood), publié dans la prestigieuse revue de philosophie Ethics, en déclarant : « La proposition selon laquelle les identités de genre trans sont entièrement valides — selon laquelle les femmes trans sont des femmes et les hommes trans sont des hommes — est une prémisse fondamentale de mon argument, que je ne discuterai pas davantage. » (Il est révélateur que le terme « valide » soit utilisé ici dans son sens Tumblrien selon lequel les identités sont validées comme les passeports ou les tickets de parking, et non dans le sens de la validité logique, plus courant dans la philosophie académique). La conclusion de l’article de Jenkins, peu surprenante dans de telles circonstances, est que nous devrions utiliser le terme « femme » pour désigner toutes les personnes qui possèdent une identité de genre dite femme, qu’elles soient réellement des femmes ou des hommes.
Autre exemple du même acabit. Dans un article paru en 2020, Elizabeth Barnes, comme Jenkins, note explicitement que son raisonnement était contraint a priori par le désir de s’accorder avec la conclusion selon laquelle toute personne souhaitant être considérée comme une femme devrait être considérée comme une femme, et selon laquelle toute personne ne souhaitant pas être considérée comme une femme ne devrait pas l’être. Une fois encore, la catégorisation basée sur la réalité, telle que nous la concevons habituellement, n’est jamais évoquée. Barnes avance ensuite une rationalisation drôlement capilotractée en faveur d’affirmations telles que « les femmes trans sont des femmes », arguant qu’il n’existe pas de « faits profonds, indépendants du langage, permettant de déterminer quelles personnes sont des femmes, quelles personnes sont genderqueer, etc. » Elle justifie cela en partie en établissant une analogie extrêmement complexe avec des discussions métaphysiques sur les tables. En bref, elle soutient qu’en termes métaphysiques, il n’existe pas de tables, à proprement parler, bien qu’il y ait peut-être des « formes simples dont la disposition évoque des tables ». Néanmoins, nous pouvons toujours prononcer la phrase vraie « il existe des tables ». De la même manière, bien que pour des raisons quelque peu différentes, les faits métaphysiques concernant l’être-femme (womanhood) et d’autres groupes « genrés » sont séparés des conditions de vérité des phrases impliquant … oh j’abandonne, je n’ai plus besoin de faire semblant de prendre ces choses au sérieux, allez voir vous-mêmes. (J’avoue, cependant, que suis déçue que Barnes n’ait pas essayé de prétendre que les femmes sont « formes simples dont la disposition évoque des femmes »).
Du côté des sciences sociales, les choses ne semblent pas aller beaucoup mieux. Ici, la recherche semble avoir pour objectif la rationalisation de certaines croyances de base, conçues pour faire en sorte que l’immersion dans les fictions d’origine semble bénéfique ou du moins inoffensive, ou encore pour faire en sorte que le refus paraisse coûteux sur les plans moraux et sociaux. (Le refus de l’immersion est souvent qualifié de « transphobie »). Par exemple : « chez les patients transgenres, la prévalence des regrets après une intervention chirurgicale est extrêmement faible » (c’est-à-dire que l’immersion médicalement assistée est inoffensive) ; « l’administration d’hormones du sexe opposé à des adolescents dysphoriques réduit les idées suicidaires » (c’est-à-dire que l’immersion médicalement assistée est bénéfique) ; « le fait de remettre en question la “réalité ontologique” des identités transgenres conduit à un harcèlement transphobe » (c’est-à-dire que le refus des personnes non trans de s’immerger dans les fictions des personnes trans entraîne le harcèlement des personnes trans) ; « l’automutilation non suicidaire est courante chez les jeunes trans et souligne la nécessité d’interventions qui réduisent la transphobie » (c’est-à-dire que le refus des personnes non trans de s’immerger dans les fictions des personnes trans entraîne l’automutilation des jeunes trans) ; et ainsi de suite.
L’objectif principal de ces articles semble être de culpabiliser la lectrice. Comme dans le cas des philosophes, il ne s’agit pas de rechercher la vérité d’une manière relativement neutre, mais plutôt de produire un simulacre de discours académique en vue d’amener la lectrice à accepter certaines conclusions prédéterminées. Cela s’explique en partie par le fait qu’un certain nombre de ceux qui produisent ce genre d’articles semblent avoir des intérêts, économiques ou personnels, à ce que toute cette fiction perdure ; et aussi par le fait que ce qu’ils produisent est souvent truffé d’erreurs grossières et de manquements aux normes méthodologiques les plus élémentaires. D’autres sont plus qualifiés que moi pour exposer ces défauts, mais, en ce qui concerne les articles de recherche vers lesquels je renvoie ci-avant, cet article, celui-ci, celui-là, cet autre et ce dernier semblent révélateurs [en anglais, toujours, sur l’idée selon laquelle les études scientifiques disent que les thérapies hormonales d’affirmation de genre sont bénéfiques, il y a ce très bon article d’investigation, sur le mythe du suicide chez les jeunes personnes qui se disent « trans », il y a celui-ci ; il est bien dommage que ces enquêtes ne soient pas traduites en français, mais ça viendra peut-être, NdT]. Ce niveau inhabituel d’incompétence suggère que leur objectif n’a jamais été la vérité en premier lieu. Si votre but consiste à inciter les autres à s’immerger dans des fictions, alors le recours réel à des méthodologies fiables et sérieuses en vue de parvenir à la vérité s’avèrera forcément moins utile qu’une illusion convaincante suggérant que c’est ce que vous avez fait.
2) L’exploration d’un univers parallèle
Une fiction convaincante peut nous donner un aperçu de ce que pourrait être la vie si certaines choses n’étaient pas ce qu’elles sont réellement ou ce qu’elles ont été dans la réalité dans laquelle nous vivons : que se passerait-il, par exemple, si les Britanniques vivaient sous une dictature totalitaire dotée de pouvoirs de surveillance de masse (1984) ; ou s’il existait une espèce d’êtres semblables aux humains, mais n’ayant pas de sexe fixe (La Main gauche de la nuit) ; ou si l’Allemagne et le Japon avaient gagné la Seconde Guerre mondiale (Le Maître du Haut Château), etc. Imaginer les conséquences fictives d’un scénario initial également fictif constitue une autre façon pour les auteurs de rendre certaines histoires vivantes et intéressantes. Les enfants plongés dans des histoires imaginaires font quelque chose de plus basique, mais tout de même similaire, en utilisant des jouets et d’autres accessoires qu’ils ont autour d’eux, ou d’elles. Une enfant pourrait par exemple imaginer la chose suivante : si cette poupée est une « exploratrice » et cette chaise un « éléphant », alors, si je pose la poupée sur la chaise, « une exploratrice chevauche un éléphant ».
De la même manière, le transactivisme, avec l’aide des médias et de l’université, s’efforce de concevoir les conséquences des fictions initiales selon lesquelles « les femmes trans sont des femmes », « les hommes trans sont des hommes » et les personnes non binaires « ne sont ni des hommes ni des femmes ». Il s’agit en partie de déterminer ce qui s’ensuit logiquement, compte tenu de la manière dont les concepts de « femme » et d’« homme » fonctionnent habituellement. Par exemple, si « les femmes trans sont des femmes », alors les « femmes trans » constituent un sous-ensemble des femmes en général, et nous avons donc besoin d’un mot pour désigner le sous-ensemble des femmes qui ne sont pas trans : « femmes cis ». Si « les femmes trans sont des femmes », alors, puisque les femmes avant l’âge de la maturité sexuelle sont des « filles », les « femmes trans » qui n’ont pas atteint la maturité sexuelle sont aussi des « filles ». Puisque les femmes qui ont des enfants sont des « mères », les femmes trans avec des enfants sont aussi des « mères ». Puisque les femmes exclusivement attirées, sur le plan sexuel, par d’autres femmes, sont des « lesbiennes », alors les femmes trans exclusivement attirées, sur le plan sexuel, par d’autres femmes sont aussi des « lesbiennes » (et ainsi de suite). Il existe également une fiction courante selon laquelle les femmes trans sont des « femelles » (puisque les femmes trans sont des femmes, et que les femmes sont des femelles).
Et puis il y a la pratique consistant à étendre les droits et les ressources des femmes aux « femmes trans », pour la raison que les « femmes trans sont des femmes », et sont donc censés jouir des droits des mêmes droits et avoir besoin des mêmes ressources que les femmes. Comme nous le savons maintenant, grâce au prix que paient les femmes, l’immersion dans la fiction selon laquelle « les femmes trans sont des femmes » conduit les gens à penser que les femmes trans devraient aller dans les vestiaires, les écoles, les dortoirs, les résidences, les prisons, les groupes sociaux, les équipes sportives, les centres d’aide aux victimes de viol, les bassins de natation, les refuges contre la violence domestique, les listes électorales, les réunions politiques, etc. (la liste continue), des femmes. Des ressources et des services dédiés à un seul sexe, péniblement obtenus et établis au fil des ans, sont donc effectivement démantelés, en grande partie afin de satisfaire la quête de vérisimilitude esthétique de certains hommes.
Par ailleurs, si « les femmes trans sont des femmes » et que certains événements et expériences sont propres aux femmes, alors la logique de la fiction veut que les femmes trans en fassent aussi l’expérience. Ainsi, les femmes trans sont censés souffrir de « misogynie », parce que les femmes souffrent de misogynie (une fiction renforcée par le fait que l’expérience de la misogynie ou même de la violence sexuelle constitue un fantasme sexuel courant chez les hommes autogynephiles). Les femmes trans connaissent des symptômes de la ménopause puisque les femmes ont des symptômes de la ménopause. Et ainsi de suite. Dans ces derniers cas, tout comme dans le cas d’une chaise qui passe pour « un éléphant » dans l’imagination d’un enfant, certains éléments du monde réel sont invoqués en tant qu’accessoires. Ainsi, toute discrimination réelle à laquelle sont confrontées les femmes trans est étiquetée « misogynie », et tout effet secondaire physique lié à la prise d’œstrogènes de synthèse est baptisé « symptôme des menstruations » ou « symptôme de la ménopause », afin d’alimenter la fiction.
Cette élaboration des conséquences des fictions trans fondamentales se fait aussi bien au niveau particulier qu’au niveau général. Martine Rothblatt est une femme trans, et les femmes trans sont des femmes ; Martine Rothblatt est payée plus que n’importe quelle femme PDG en Amérique ; cela fait donc de Rothblatt « la femme PDG la mieux payée en Amérique » selon le magazine New York. Lia Thomas est une femme trans, et les femmes trans sont des femmes ; Lia Thomas nage plus vite que n’importe quelle femme de l’université de Pennsylvanie ; cela signifie que Lia Thomas a battu des « records féminins » en natation. La romancière Torrey Peters est une femme trans, et les femmes trans sont des femmes : cela signifie que le roman de Peters, Detransition Baby, peut figurer sur la liste des candidats retenus pour le prix de la fiction littéraire féminine de 2022.
Dans ce monde imaginaire, les accomplissements des femmes sont progressivement réduits. Et dans le même temps, des informations sinistres sur des « femmes » se livrant à des crimes typiquement masculins, comme la pédophilie, les agressions violentes et l’attentat à la pudeur, font leur apparition. La semaine dernière, le Scottish Daily Record rapportait que Shay Sims, « une femme » qui avait « plaidé coupable pour trois charges d’agression physique, de dommages criminels et d’outrage à la décence publique », avait « relevé sa robe et baissé son pantalon pour exhiber son pénis et continué à marcher sur 15 mètres avec son pénis exposé ». Et mercredi dernier, le New York Times rapportait qu’une « femme de 83 ans », déjà coupable du meurtre de deux autres femmes, avait été découverte transportant le torse d’une femme démembrée hors d’un immeuble d’habitation.
Et quid des conséquences des fictions originelles selon lesquelles « les hommes trans sont des hommes », et les personnes non binaires « ne sont ni femmes ni hommes » ? En ce qui concerne cette dernière, les conteurs en herbe n’ont pas grand-chose à faire, étant donné que le terme « non-binaire » ne possède pas de définition très cohérente, et certainement pas aussi cohérente que la vieille définition du mot « femme ». Le mieux que les militants puissent faire, semble-t-il, lorsqu’ils tentent de combler les lacunes de la fiction non binaire, consiste à se référer à ce que les personnes non-binaires ne sont pas — elles ne sont ni des hommes ni des femmes, ni des mâles ni des femelles, et elles n’utilisent pas les pronoms « elle » ou « il » — mais cette maigre pitance ne permet pas d’élaborer un scénario immersif, et cela ne laisse pas aux militants beaucoup de choses positives à faire (à part continuer à dire que les personnes non-binaires sont « valides » au sens de Tumblr-Jenkins).
Dans le cas de la fiction selon laquelle « les hommes trans sont des hommes », étant donné la centralité du concept « homme » dans de nombreux discours, les militants devraient en théorie disposer de suffisamment de matériel pour élaborer. Et dans une certaine mesure, ils l’ont fait : par exemple avec la campagne en cours au Royaume-Uni visant à faire en sorte qu’un homme trans soit juridiquement considéré comme un « père » sur un certificat de naissance. Mais curieusement, dans la plupart des autres domaines, les espaces, les ressources, les droits et les accomplissements des hommes ne semblent pas impactés.
3) Rétrocontinuer le passé
Certains scénaristes pratiquent la « rétrocontinuation », c’est-à-dire qu’ils font en sorte que les nouvelles histoires soient en continuité avec les anciennes en modifiant rétrospectivement des éléments de ces dernières. Dans le feuilleton Dallas, le personnage de Bobby, qui avait été tué, a été ramené à la vie une saison plus tard. Apparemment, sa mort n’était qu’un rêve qu’il avait eu pendant qu’il était sous la douche.
Dans le transactivisme, on observe une sorte de rétrocontinuation permanente, comme un moyen supplémentaire de produire des toiles de fond convaincantes pour les fictions actuelles. Une grande partie de l’univers transactiviste repose sur l’idée selon laquelle les personnes trans auraient toujours existé à travers l’histoire humaine. C’est ainsi que l’on observe une tentative de « transitionner », de manière rétrospective et fictionnelle, des personnages non conformistes notables de l’histoire : par exemple, Marsha P. Johnson, Ewan Forbes, James Barry, Jeanne d’Arc, la reine Hatchepsout, Kurt Cobain. Nous avons également droit à la réinterprétation créative d’autres traditions culturelles, avec les Hijras, Fa’afafine, Fakaleitī, Kathoey, etc., qui se voient tous assimilés, à tort, au concept essentiellement occidental et relativement moderne de « trans ».
Et puis il y a aussi, bien entendu, la fiction de l’enfant « trans » — la rétrocontinuation la plus audacieuse de toutes. Les femmes trans, qui sont des « femmes », doivent donc avoir été des « filles », et les hommes trans, qui sont des « hommes », doivent donc avoir été des « garçons » — ce qui, par extrapolation, signifie qu’il doit y avoir, en ce moment même, des « filles » dans la population des enfants mâles, et des « garçons » dans la population des enfants femelles. Les enfants « trans » (si souvent de sexe féminin, mais quelle importance) « savent qui ils sont », et devraient avoir la « liberté d’être eux-mêmes », nous dit-on ; et peu importe que cette « liberté » puisse impliquer qu’une enfant prenne des médicaments qui la rendront stérile, ou lui infligeront une ostéoporose précoce, ou qu’elle subisse une ablation chirurgicale de ses seins, de ses ovaires et de son utérus avant qu’elle ait eu la moindre chance de réfléchir aux implications de tout ceci. Des milliers d’enfants et d’adolescents dans le monde ont été encouragés par des adultes à s’immerger complètement dans cette fiction — voire à commencer à y croire, pleinement, purement et simplement — au lieu de la considérer comme un jeu d’imagination parmi d’autres, dans le cadre d’un processus de développement sain. Les corps des enfants sont utilisés comme accessoires dans des drames d’adultes qu’ils n’ont aucun moyen de comprendre correctement avant qu’il ne soit trop tard pour eux.
4) Rappelez-vous d’éteindre votre téléphone
Lorsque vous allez au cinéma, on vous rappelle parfois d’éteindre votre téléphone. Des sonneries agaçantes pourraient perturber l’attention d’une personne immergée dans une fiction et la ramener désagréablement à la conscience du monde réel. De la même manière, le fait de réaliser soudainement que l’actrice que vous regardez jouer le rôle de Mary Boleyn est également un superhéros des Avengers peut vous faire sortir de la cour d’Henri VIII.
Des rappels de la réalité existent également ici et là, un peu partout, à même de perturber ceux qui sont actuellement immergés dans les fictions transactivistes. Il y a par exemple ce fait ennuyeux que le sexe biologique chez les êtres humains est immuable. Le réaliser peut être très dérangeant lorsque vous essayez de vous persuader que Lia Thomas est juste une femme ordinaire exceptionnellement douée pour la natation. Je pense qu’il s’agit de la raison pour laquelle les transactivistes s’opposent systématiquement aux déclarations selon lesquelles le sexe biologique chez les humains ne peut être transcendé. Récemment, plusieurs étudiants rédacteurs de la revue académique Law and Contemporary Problems ont publiquement démissionné après avoir appris que leur revue allait publier un de mes articles intitulé « The Importance of Referring to Human Sex in Language » (en français : « L’importance de mentionner le sexe humain dans le langage »). (N’hésitez pas à le lire pour les ennuyer). Il y a plusieurs précédents à cela, bien sûr — le plus évident étant le traitement anormalement sévère de l’article de Lisa Littman sur la dysphorie de genre à apparition rapide, il y a quelques années.
Il me semble que la peur de briser le quatrième mur explique aussi pourquoi les transactivistes paniquent à ce point face aux interventions franches de J.K. Rowling concernant les méfaits du transactivisme pour les femmes et les filles. Rowling a le courage de décrire la réalité des comportements masculins qui nuisent aux femmes et aux filles, quelle que soit l’identité des uns ou des autres. Peut-être est-ce précisément parce qu’elle comprend si bien la différence entre la fiction et la réalité que la célèbre créatrice de « Celui-qui-ne-doit-pas-être-nommé » est à la fois désireuse et capable de nommer des choses que d’autres n’osent pas nommer du tout. En outre, elle possède la capacité de communication et l’influence culturelle nécessaires pour que son message parvienne à des millions de personnes. Pour ceux qui sont émotionnellement ou financièrement investis dans les fictions trans, et qui souhaitent que d’autres demeurent tout aussi immergés qu’eux, cela doit être terrifiant.
Et puis il y a le Subreddit « Detrans » [Reddit est un réseau social et une plateforme de discussions très utilisée sur internet ; un subreddit (« sous-reddit » en français) est une sous-partie du site consacrée à un thème spécifique ; Kathleen Stock fait ici référence, donc, à une partie du forum Reddit consacrée à la détransition (NdT)]. Cette section de Reddit comprend actuellement 27 000 membres [42 100 au moment où je traduis ce texte (NdT)], jeunes pour la plupart, et beaucoup d’entre eux parlent franchement des dommages causés à leur corps et à leur esprit par une transition prématurée. Certains de ceux qui postent sur ce subreddit ont désespérément besoin d’aide. Leurs témoignages sont vraiment choquants. Vous vous demandez peut-être pourquoi les médias progressistes ne parlent pas de ce phénomène. Il s’agit après tout d’un scandale médical qui se déroule au vu et au su de tous.
La réponse est que l’existence des détransitionnistes rappelle aux gens que les identifications psychologiques peuvent être temporaires, surtout à l’adolescence, et qu’il n’existe pas de besoin fatal d’effectuer une transition sur la base d’un sentiment de dysphorie. L’idée selon laquelle une personne serait « née trans » ou n’aurait pas d’autre choix que de « transitionner », étant donné « qui elle est vraiment à l’intérieur », est un mythe. Les détransitionnistes le prouvent. Cela dit, toutes les personnes trans ne s’efforcent pas d’ignorer ce fait — loin de là. Mais beaucoup semblent s’y employer, tout comme un grand nombre d’alliés trans autoproclamés. Et collectivement, ils semblent déterminés à exercer une pression sur tous les autres afin qu’ils l’ignorent aussi, quel qu’en soit le coût public.
Plus douloureusement encore, peut-être, le phénomène des détransitionnistes rappelle aux parents d’enfants ayant transitionné qu’ils pourraient bien commettre une terrible erreur en autorisant la médication de leur enfant — une erreur qui pourrait plus tard causer des dommages graves et irrévocables pour le bien-être de leur enfant. J’ai entendu dire que certaines des personnalités publiquement engagées dans la tentative d’empêcher toute discussion raisonnée concernant le bien-être des enfants transgenres au Royaume-Uni sont dans cette situation en privé, et je me demande souvent comment il est possible que de tels intérêts particuliers ne soient pas déclarés. Ces personnes me font penser à Christof, le personnage du Créateur dans The Truman Show, qui cherche désespérément à empêcher son enfant d’atteindre l’horizon artificiel du petit monde qui, à son insu, a été façonné juste pour lui.
Kathleen Stock
Traduction : Nicolas Casaux
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