Le premier texte, « Que sont les sexes ? », a initialement été publié, en anglais, le 10 avril 2022 sur le site de l’auteur (Zachary Elliott), The Paradox Institute. Le second texte, « L’origine des sexes », a initialement été publié, en anglais, au même endroit, le 4 avril 2022.
Il règne aujourd’hui une terrible confusion autour de la définition du sexe. Lorsque les biologistes évoquent le nombre de sexes dans une espèce, ils ne parlent pas de chromosomes, de types de corps ou d’identité personnelle, mais plutôt du nombre de stratégies de reproduction distinctes dans cette espèce.
Une stratégie de reproduction est un système évolué de propagation des gènes et de formation d’un nouvel individu. Chez les espèces à la reproduction sexuée, la production d’un nouvel individu nécessite la combinaison d’au moins deux stratégies de reproduction distinctes et complémentaires. Ces stratégies se réalisent au travers de la transmission de matériel génétique par le biais de cellules sexuelles appelées gamètes, qui possèdent la moitié du matériel génétique du parent. Lorsque deux gamètes fusionnent, ils forment un individu génétiquement unique doté d’un jeu complet de chromosomes.
Certaines espèces se reproduisent à l’aide de gamètes de même taille (isogamie) et peuvent avoir de nombreuses stratégies de reproduction uniques appelées types sexuels, qui contrôlent quels gamètes peuvent fusionner entre eux, mais leurs différences ne dépassent pas le niveau moléculaire[1]. En revanche, la plupart des espèces des règnes végétal et animal se reproduisent à l’aide de gamètes de taille et de forme différentes (anisogamie), qui n’interagissent pas de la même manière, avec souvent des différences entre les organismes individuels eux-mêmes[2].
Lorsque la taille des gamètes est différenciée (anisogamie), il y a généralement deux sexes, exactement — ni plus ni moins[3]. Dans de tels systèmes, la stratégie de reproduction qui produit les gamètes les plus petits est désignée comme « mâle » et la stratégie de reproduction qui produit les gamètes les plus grands est désignée comme « femelle »[4]. Ce n’est pas la taille physique des gamètes eux-mêmes qui différencie les stratégies de reproduction mâle et femelle, mais plutôt ce que ces différences de taille représentent[5].
Définition biologique universelle
En biologie, les deux sexes sont définis de la façon suivante :
Biologiquement, le sexe féminin est défini comme le phénotype adulte qui produit les plus gros gamètes dans les systèmes anisogames.
Biologiquement, le sexe masculin est défini comme le phénotype adulte qui produit les plus petits gamètes dans les systèmes anisogames.
Lehtonen & Parker (2014). Gamete competition, gamete limitation, and the evolution of two sexes (Compétition des gamètes, limitation des gamètes, et l’évolution de deux sexes). Molecular Human Reproduction, 20(12).
La stratégie masculine consiste à produire de nombreux petits gamètes mobiles (spermatozoïdes) capables de trouver rapidement le plus grand gamète, mais n’ayant que peu ou pas de ressources pour le futur zygote, tandis que la stratégie féminine consiste à produire quelques grands gamètes sessiles (ovules) qui ne se déplacent pas rapidement, mais fournissent presque toutes les ressources pour le futur zygote et offrent une large cible pour les plus petits gamètes. Puisque les sexes sont finalement définis comme des stratégies de reproduction impliquant la production de deux types de gamètes différents, comprendre les origines des deux sexes signifie comprendre pourquoi les gamètes sont de deux tailles différentes.
Je l’explique brièvement dans un autre texte [ci-après, en deuxième partie de cet article].
La divergence des gamètes en deux tailles, formes et comportements extrêmes est presque mathématiquement inévitable, parce qu’elle maximise l’efficacité du système sexuel[6]. Lorsqu’une telle divergence se produit, deux stratégies de reproduction sont générées, ce qui forme les deux sexes — mâle et femelle — ainsi que les anatomies reproductives distinctes nécessaires pour soutenir ces deux stratégies[7]. L’anisogamie étant presque universelle chez les plantes et les animaux multicellulaires à reproduction sexuelle, il est parfaitement exact de dire qu’il n’existe que deux sexes chez la plupart des espèces complexes[8]. Voilà ce que sont les sexes en fin de compte : des stratégies de reproduction distinctes impliquant la production de deux gamètes différents.
Cependant, ce caractère quasi universel des deux sexes ne limite pas la diversité des types de corps des organismes, car les stratégies mâle et femelle peuvent se décliner de différentes manières[9]. Parfois, elles se retrouvent dans le même organisme individuel (un individu est à la fois mâle *et* femelle), et bien souvent, elles se retrouvent dans des individus différents (un individu est *soit* mâle, soit* femelle). Malgré la diversité des types de corps, ce qui définit systématiquement les systèmes comme mâles ou femelles est le type de stratégie de reproduction mis en œuvre dans l’organisme individuel, déterminé en dernier ressort par le type de gamète[10]. Ainsi, le terme « sexe » décrit la mise en œuvre de stratégies de reproduction distinctes dans l’espace et le temps, et pas simplement l’apparence des types de corps.
Définitions non universelles
Lorsque des biologistes ou d’autres individus affirment qu’il n’existe que deux sexes chez la plupart des espèces complexes, les théoriciens et les militants qui souhaitent redéfinir le sexe répliquent à l’aide de définitions non universelles, c’est-à-dire de définitions qui ne valent pas pour toutes les espèces anisogames ou qui valent étroitement ou incorrectement aux humains.
Certaines de ces définitions peuvent être utiles dans des contextes spécifiques, qu’il s’agisse de situations sociales ou médicales, mais elles ne constituent pas des définitions biologiques des « sexes », parce qu’elles diffèrent dans le temps et l’espace. En outre, en raison de leur caractère contradictoire, incohérent ou limité, ces définitions ne peuvent pas être utilisées pour comprendre l’évolution et le développement du mâle et de la femelle chez l’humain et différentes espèces, et améliorer nos connaissances.
Ces définitions non universelles des sexes peuvent être réparties en trois catégories : chromosomiques, phénotypiques et socioculturelles. Seulement, ces trois catégories échouent à décrire ce que sont les sexes et aboutissent à des conclusions absurdes. Voici pourquoi.
Définitions chromosomiques
Une hypothèse courante mais erronée prétend que les sexes sont définis par les chromosomes. Les militants affirment souvent qu’il existe plus de deux sexes et, lorsqu’on leur demande quels sont les sexes supplémentaires, ils énumèrent des combinaisons chromosomiques atypiques telles que XXY, XO, XXX, XYY, etc. Ils supposent que XX et XY signifient respectivement femme et homme, tandis que les combinaisons atypiques signifient d’autres choses. Mais il s’agit d’une erreur de catégorie, d’un amalgame entre les mécanismes de détermination du sexe et les sexes.
Les mécanismes de détermination du sexe sont les systèmes de régulation — génétiques et environnementaux — qui déterminent la voie que l’organise suivra pour sa stratégie de reproduction, et donc son sexe[11]. Confondre les combinaisons chromosomiques avec les sexes, c’est confondre les ingrédients d’un gâteau avec le gâteau lui-même. Les chromosomes sont les ingrédients ; les sexes sont le résultat.
Définir les sexes comme des chromosomes s’avère non universel et incohérent pour deux raisons : 1) cela ne permet pas de comprendre le développement des humains présentant des combinaisons de chromosomes atypiques, et 2) cela ne s’applique pas aux espèces dont les mécanismes de détermination du sexe sont différents de ceux du principe X‑Y ou n’ayant pas de chromosomes sexuels. Premièrement, les humains présentant des combinaisons de chromosomes atypiques ne sont pas des sexes supplémentaires : les êtres humains développent toujours la stratégie de reproduction mâle ou femelle. Ceux qui ont des chromosomes XY [SRY], XXY [SRY] et XYY [SRY] développent tous la stratégie de reproduction à petits gamètes (ils sont tous des hommes), et ceux qui ont des chromosomes XX, XO et XXX développent tous la stratégie de reproduction à gros gamètes (ce sont tous des femmes)[12].
Nous pouvons constater avec précision le sexe de ces individus en observant l’appareil reproducteur qu’ils développent et le rôle que joue l’appareil reproducteur dans l’une des deux stratégies de reproduction à base de gamètes. Par exemple, une personne qui se développe avec un système reproductif composé de testicules et d’un pénis peut être définie comme mâle, car ces structures jouent un rôle direct dans la stratégie de reproduction par petits gamètes. Ainsi, nous pouvons voir comment la définition biologique des sexes en tant que stratégies de reproduction (et non en tant que chromosomes) nous permet de comprendre le sexe d’une personne même en présence d’anomalies de développement telles que des combinaisons chromosomiques atypiques.
Deuxièmement, si les sexes sont des chromosomes, comme le prétendent les militants, alors comment déterminer le sexe chez les espèces qui n’utilisent pas les mêmes chromosomes sexuels que les humains ? Ou chez les espèces qui n’ont pas du tout de chromosomes sexuels ? Par exemple, pourquoi un oiseau avec des chromosomes ZZ est-il mâle tandis qu’un autre avec des chromosomes ZW est femelle ? Pourquoi un crocodile ayant incubé à 34 degrés Celsius est un mâle tandis qu’un autre s’étant développé à 30 degrés Celsius est une femelle ? S’agissait-il simplement de désignations arbitraires de scientifiques imposant leur propre vision étroite du monde à d’autres animaux ? Ou existe-t-il une logique globale permettant de les désigner comme mâle ou femelle ? D’où le deuxième problème de l’utilisation des chromosomes comme seule caractéristique définissant les sexes : cela ne nous permet pas de définir les mâles et les femelles chez d’autres espèces.
La réponse est bien sûr évidente pour ceux qui comprennent la définition biologique des sexes. L’oiseau avec des chromosomes ZZ est mâle parce qu’il développe la stratégie de reproduction à petits gamètes (un phénotype qui produit des spermatozoïdes), et celui avec des chromosomes ZW est femelle parce qu’il développe la stratégie de reproduction à grands gamètes (un phénotype qui produit des ovules). Le système Z‑W chez les oiseaux, comme le système X‑Y chez les humains, détermine la voie de développement que suivra le fœtus, et donc son sexe. Chez l’être humain, le mâle est généralement le sexe hétérogame (XY) tandis que chez les oiseaux, le mâle est généralement le sexe homogame (ZZ).
En ce qui concerne les crocodiles, la détermination du sexe est liée à la température. Dans un certain intervalle de températures, des mâles se développent, et dans un autre, des femelles se développent. Mais le résultat final est toujours un mâle ou une femelle. Le crocodile ayant incubé à 34 degrés C est un mâle parce qu’il développe la stratégie de reproduction à petits gamètes, et celui qui a incubé à 30 degrés C est une femelle parce qu’elle développe la stratégie de reproduction à gros gamètes[13]. Vous commencez à comprendre le schéma ?
Si nous pouvons désigner certains chromosomes (ou certaines valeurs de température d’incubation des œufs de crocodile) comme étant associés au mâle ou à la femelle, c’est uniquement parce que nous savons déjà, au préalable, ce que sont le mâle et la femelle. Ainsi, les chromosomes ne sont pas des sexes ; les chromosomes ne sont « sexués » qu’en raison du rôle qu’ils jouent dans la mise en œuvre des deux stratégies de reproduction (des sexes).
Définitions phénotypiques
Une autre erreur courante consiste à supposer que les sexes sont uniquement définis par l’ensemble des traits observables d’un organisme (phénotype) et que les biologistes n’ont désigné les plantes et les animaux comme mâles ou femelles qu’en raison de leurs propres notions préconçues de ce à quoi un mâle et une femelle sont « censés » ressembler. Les activistes prétendront qu’il y a plus de deux sexes en raison de la diversité des caractéristiques sexuelles chez les humains et les autres espèces, qui semble indiquer que le sexe est un spectre.
Par exemple, des militants peuvent souligner que le développement sexuel chez les humains produit un large éventail de types de corps, avec des organes génitaux et des caractéristiques sexuelles de tailles différentes. Les militants évoquent aussi parfois d’autres espèces chez lesquelles les femelles n’assurent pas toujours la gestation des petits. Chez les hippocampes, les mâles s’en chargent. Les hyènes femelles ont des organes génitaux qui ressemblent à un pénis et sont souvent plus grands que le pénis des hyènes mâles. Les poissons-clowns peuvent changer de sexe, passant de mâle à femelle, et les limaces possèdent à la fois des organes génitaux mâles et femelles. Par conséquent, concluent les militants, ce qui distingue le mâle de la femelle ne tient sans doute qu’à une décision arbitraire liée aux préjugés des biologistes.
Non seulement tous ces exemples ne contredisent pas la définition biologique des sexes, mais en outre ils confirment la stabilité scientifique du mâle et de la femelle. La variation dans le développement du sexe chez les humains ne prouve pas l’existence de sexes supplémentaires, étant donné que ceux dont la forme ou la taille des organes génitaux et des caractéristiques sexuelles varie développent des phénotypes qui jouent un rôle dans l’une des deux stratégies de reproduction, comme tout le monde. Ils ne constituent pas des exemples de stratégies reproductives supplémentaires, au-delà du mâle et de la femelle, mais témoignent plutôt la diversité des types de corps que comprennent ces deux stratégies. Variation de l’anatomie et de la physiologie, mais pas variation du sexe. Pour constituer des stratégies reproductives à part entière, autre que mâle ou femelle, ces individus devraient développer un type de gamète singulier, qui leur serait propre (or il n’existe pas de troisième type de gamète).
Et chez les autres espèces anisogames, la variation dans les types de corps illustre également la diversité au sein des deux sexes, et non quelque chose d’extérieur à eux. La femelle hyène est femelle non pas à cause des préjugés des biologistes, mais parce qu’elle développe la stratégie de reproduction à gros gamètes (un phénotype qui produit des œufs). Son « organe en forme de pénis » est en fait un clitoris géant par lequel elle urine, copule et donne naissance[14]. L’hippocampe mâle est défini comme mâle parce que, malgré sa capacité à assurer la gestation des petits, il développe la stratégie de reproduction à petits gamètes (un phénotype qui produit des spermatozoïdes)[15]. Le sexe d’un poisson-clown peut être déterminé, malgré sa capacité à passer d’un sexe à l’autre, par la stratégie de reproduction qu’il possède à un instant T (un phénotype produisant des spermatozoïdes ou des ovules)[16][17]. Et la limace illustre la manière dont les stratégies de reproduction mâle et femelle peuvent se retrouver chez un unique individu (elle possède un phénotype qui produit *à la fois* des spermatozoïdes et des ovules).
Si nous pouvons dire de caractéristiques physiques qu’elles correspondent à un mâle ou à une femelle, c’est uniquement en raison de ces deux stratégies de reproduction. Et ces deux stratégies reproductives, mâle et femelle, sont définies de la même manière pour toutes ces espèces malgré toutes leurs caractéristiques diverses. Ainsi, les phénotypes ne sont pas des sexes ; les phénotypes ne sont « sexués » qu’en raison du rôle qu’ils jouent dans la mise en œuvre des deux stratégies de reproduction (des sexes).
Définitions socioculturelles
La dernière catégorie de définitions non universelles des sexes se réfère aux contextes socioculturels humains. Il s’agit de définir les sexes non pas comme des stratégies reproductives distinctes impliquant des mécanismes biologiques, mais comme des formes d’expression et d’identité personnelles qui changent à travers le temps et la culture. Les militants évoquent une variété de cultures avec une grande diversité de rôles, d’expressions et d’attitudes correspondant aux mâles (hommes) et aux femelles (femmes), et en concluent que les catégories mâle (homme) et femelle (femme) sont des constructions sociales.
Ces catégories supplémentaires « au-delà », autres que mâle et femelle comprennent les Hijras en Inde, les Fa’afafines à Samoa, les Métis au Népal, les Bugis en Indonésie ou encore les Toms en Thaïlande[18]. L’ironie, bien sûr, c’est que ces gens sont tous des hommes ou des femmes (comme tout le monde) qui ont simplement des façons uniques de s’exprimer et de se percevoir. Certains sont relégués dans des catégories tierces, non pas en raison de leur liberté personnelle, mais à cause de préjugés sociaux et de l’imposition de stéréotypes et de rôles sexuels restrictifs.
Employer le terme « sexe » pour désigner des expressions personnelles ou comportementales atypiques, des centres d’intérêt et des identités constitue une erreur de catégorie, dans la mesure où cela confond la diversité des modes d’expression des hommes et des femmes (biopsychosociaux) avec les catégories mâle et femelle (biologiques). Ainsi, l’identité et l’expression personnelles ne constituent pas des sexes ; elles représentent plutôt la variation évolutive attendue au sein des deux stratégies de reproduction — mâle et femelle.
Pourquoi cela importe-t-il ?
Pourquoi est-il important de définir les sexes en fonction de la stratégie de reproduction ? Parce que le fait de définir les sexes uniquement en fonction des chromosomes, du type de corps (phénotype) ou des contextes socioculturels limite la capacité des biologistes et de toutes celles et ceux qui étudient les mâles et les femelles à explorer et à comprendre la biologie de l’évolution et du développement des sexes chez les humains et chez les autres espèces. Des définitions aussi étroites n’offrent pas de cadre général permettant d’unifier le vaste corpus de recherches sur l’évolution du sexe, l’anisogamie et les deux sexes dans la grande diversité de la vie.
Même si nous décidons de redéfinir les mots « mâle » et « femelle » selon nos propres vues idiosyncrasiques et anthropocentriques, nous aurions toujours besoin de mots pour décrire les deux stratégies de reproduction uniques qui caractérisent toutes les espèces anisogames. Il sera toujours nécessaire de décrire la stratégie de reproduction qui produit de nombreux petits gamètes mobiles (spermatozoïdes) et la stratégie de reproduction qui produit quelques gros gamètes sessiles (ovules).
Voilà ce que sont les sexes, et ce qu’ils continueront d’être malgré toutes les redéfinitions proposées par les militants.
*
L’être humain est une espèce qui compte précisément deux sexes, ni plus ni moins. Cela signifie qu’il existe exactement deux rôles reproductifs distincts — appelés mâle et femelle — centrés sur la production de deux gamètes de taille différente (une forme de reproduction sexuelle connue sous le nom d’anisogamie). Les deux rôles reproductifs du mâle et de la femelle sont des catégories biologiques, et sont définis de la même manière chez un grand nombre d’espèces :
Le sexe mâle est le phénotype qui produit de nombreux petits gamètes mobiles (spermatozoïdes), et le sexe femelle est le phénotype qui produit peu de gros gamètes sessiles (ovules).
Puisque le mâle et la femelle sont fondamentalement définis par les gamètes qu’ils produisent, comprendre l’origine des deux sexes signifie comprendre pourquoi les gamètes sont de deux tailles différentes — beaucoup de petits gamètes mobiles (spermatozoïdes) et peu de grands gamètes sessiles (ovules). Il faut donc remonter aux origines des gamètes, qui sont les principaux véhicules biologiques de la reproduction sexuée.
La reproduction sexuée est un processus de mélange des génomes et de fusion des gamètes, qui forme un nouvel individu génétiquement unique[19]. Elle est apparue il y a environ deux milliards d’années chez les organismes eucaryotes unicellulaires[20]. Malgré de lourds coûts évolutifs, les avantages évolutifs plus importants de la reproduction sexuée l’ont rendue presque universelle chez les eucaryotes, et aujourd’hui plus de 99,9 % des espèces animales nommées se reproduisent sexuellement[21].
Le sexe avant les deux sexes
Il y a deux milliards d’années, cependant, la reproduction sexuée se produisait en l’absence de mâles et de femelles. En fait, cela peut sembler paradoxal, mais la reproduction sexuée est tout à fait possible sans l’existence des sexes. Entre il y a un et deux milliards d’années, la reproduction sexuée s’est largement produite, non pas par la fusion de gamètes de taille et de forme différentes (spermatozoïdes et ovules), mais par la fusion de gamètes de taille égale. Cette forme de reproduction sexuelle est connue sous le nom d’isogamie (iso = égal ; gamos = mariage) ; elle était et est toujours la plus courante forme de reproduction sexuelle chez les organismes unicellulaires, certains types d’algues multicellulaires et les champignons[22].
L’isogamie se produit lorsque tous les gamètes sont morphologiquement similaires, notamment en ce qui concerne leur taille, et lorsque la contribution du matériel et des ressources génétiques au zygote est partagée de manière égale entre les deux parents[23]. Lors de la reproduction isogame chez des organismes tels que les algues, les gamètes sont libérés dans la mer, se rencontrent et fusionnent, subissant une fusion nucléaire pour former le nouveau zygote[24].
La compatibilité des gamètes (les cellules sexuelles qui peuvent fusionner entre elles) est déterminée par des mécanismes moléculaires qui agissent comme des systèmes de serrures et de clés connus sous le nom de types sexuels[25]. Les organismes isogames tels que les champignons peuvent parfois avoir des milliers de types sexuels (des milliers de paires de serrures et de clés), fournissant un grand ensemble de gamètes, tous de taille similaire, mais différents au niveau moléculaire.
Ce nombre considérable de types sexuels ne modifie toutefois pas la caractéristique fondamentale du sexe. Même dans les systèmes isogames, où les gamètes ont la même taille, l’accouplement est asymétrique : les fusions de gamètes se font toujours entre des types différents. Il n’y a jamais eu d’espèce documentée où n’importe quel gamète peut fusionner avec n’importe quel autre gamète[26].
Avec ces types sexuels, qui nécessitent des génotypes de gamètes différents pour pouvoir fusionner, le terrain était aménagé pour l’émergence des sexes mâle et femelle. Tout ce qu’il fallait, c’était que se produise une divergence à partir des gamètes de même taille vers des tailles et des formes différentes.
De l’isogamie à l’anisogamie
Au cours de centaines de millions d’années, les eucaryotes ont continué à évoluer et à se complexifier, et la taille adulte des organismes a augmenté en même temps que le nombre de cellules. Cette augmentation de la complexité multicellulaire a nécessité de fournir davantage de ressources à chaque zygote en développement[27], et cette demande accrue a nécessité l’augmentation de la taille des gamètes. Ainsi, plus les organismes grandissaient, plus leurs gamètes grandissaient[28].
À mesure que les gamètes devenaient plus gros, un problème majeur commença à se poser : même s’ils contribuaient fortement à la survie et à la croissance du zygote en fournissant de grandes quantités de matière, les gamètes eux-mêmes étaient plus lents, plus lourds et moins nombreux, devenant moins efficaces pour se trouver et fusionner les uns avec les autres.
Cependant, le zygote, dont la taille et la complexité multicellulaire continuaient de croître, avait encore besoin de nombreuses ressources pour survivre et se développer, ce qui signifiait que la taille des gamètes devait rester importante. Dans le même temps, l’efficacité du système sexuel (comme le nombre de fusions de gamètes) devait être maintenue pour perpétuer la lignée de l’espèce. Pour que le système soit efficace, il fallait à la fois que les gamètes soient grands et peu nombreux, qu’ils aient beaucoup de ressources (pour la survie du zygote), mais aussi qu’ils soient petits et très nombreux, avec beaucoup moins de ressources (pour un nombre maximal de fusions rapides de gamètes).
C’est ainsi qu’apparaît ce double problème : comment augmenter l’efficacité du système sexuel sans diminuer la capacité du zygote ? La réponse fut trouvée dans un processus nommé sélection disruptive (ou divergente), qui favorise la sélection des extrêmes[29].
Grâce à la sélection disruptive, certains gamètes sont devenus plus petits et ont augmenté en nombre, troquant une grande quantité de ressources contre l’avantage de la vitesse et de la quantité, tandis que d’autres gamètes sont devenus plus grands et ont diminué en nombre, troquant la vitesse et le nombre contre l’avantage de la taille et de la robustesse[30].
[Aparté de la traductrice : L’avantage de la robustesse et celui de la concentration de ressources. Les gamètes femelles ont gardé toutes les mitochondries dont les gamètes mâles ont été dépouillés (variante : dont ils se seraient chevaleresquement départis dans un sacrifice originel). Cet « avantage » à l’échelle cellulaire est devenu à notre échelle la base matérielle biologique de l’exploitation des femmes. Or, différence biologique/sexuée et inégalité de ressources biologiques n’impliquent pas forcément « inégalités » à l’échelle macro, et de nombreuses sociétés humaines — maintenant sporadiques et limitées à quelques groupes de chasseurs-cueilleurs et de sociétés horticulturales en voie de disparition — ont été et sont encore égalitaires entre les sexes et/ou strictement égalitaires tout court. Selon l’anthropologie évolutionniste, c’est d’ailleurs l’égalité des sexes qui nous a rendus hominidé·es, puis humain·es. Il n’y a qu’en civilisation agro-industrielle (patrilocale et patriarcale par nécessité) que la différence sexuée a entrainé l’exploitation et l’oppression systématique des femmes par les hommes. Gardez à l’esprit cette idée des « ressources » et des dépenses biologiques d’un seul sexe pour la reproduction, et réfléchissez‑y.].
Enfin, au cours de ce processus évolutionnaire, certains gamètes malchanceux se retrouvèrent coincés au milieu : ils ne possédaient ni une vitesse et un effectif suffisant, ni une taille et une robustesse suffisante. Ils furent ainsi supplantés par les nombreux gamètes mobiles rapides et les quelques gamètes sessiles de grande taille [Ce sont les « guerres mitochondriales » dont parle le généticien Brian Sykes dans La Malédiction d’Adam (NdT)]. Ainsi, les gamètes de taille intermédiaire s’éteignirent rapidement, laissant la place aux deux tailles les plus optimales.
Comme l’écrit la biologiste du développement Emma Hilton :
« Le système qui est rapidement apparu comme étant le plus efficace — celui qui maximise le nombre de collisions réussies tout en conservant la robustesse de la progéniture — comprend deux types de gamètes. Les deux types de gamètes qui permettent une efficacité maximale de la reproduction sont :
1) Une grande cible lente/stationnaire qui confère toute sa robustesse à la progéniture.
2) De multiples petits missiles rapides qui affluent en direction de la cible.
[Notons cela dit que l’ovule, qui « discrimine » parmi les spermatozoïdes, ne constitue pas une cible « passive ». (NdT)]
La possibilité d’avoir plusieurs tailles de gamètes et plusieurs façons de transmettre la robustesse est rapidement éliminée, étant donné que le système se ramasse en deux extrêmes qui représentent la fonction optimale. »
Ce système de deux gamètes de taille et de forme différentes, avec une contribution inégale des ressources des deux parents au zygote, est connu sous le nom d’anisogamie (aniso = inégal ; gamos = relations sexuelles ou mariage). Une fois que les gamètes ont divergé en deux tailles nettement différentes à la suite d’une sélection disruptive [évolutionnaire], il est pratiquement impossible de revenir en arrière. L’inversion de ce développement nécessiterait des circonstances exceptionnelles, comme un renversement de la complexité de l’organisme[31].
[Or, il est possible de développer des pathologies et de transmettre ces possibilités de développer des pathologies du développement sexuel (c’est l’héritabilité des DSD), mais cela ne constitue en aucun cas une « évolution » de la sexuation humaine, plutôt une dysévolution. (NdT)]
Ainsi, le développement des gamètes en deux tailles et deux formes différentes est principalement un chemin à sens unique, et en raison de l’optimalité reproductive — l’ équilibrage des inconvénients des deux types de gamètes par la divergence vers deux types extrêmes de gamètes —, l’anisogamie est devenue le système dominant de la reproduction sexuelle au sein des règnes végétal et animal[32].
L’émergence des deux sexes
Une fois les gamètes devenues stables, après avoir divergé en deux tailles différentes, deux sexes étaient formés — ni plus ni moins[33]. Avec deux gamètes différents (quelques gros sessiles et beaucoup de petits mobiles), deux rôles reproductifs différents sont générés, qui nécessitent deux types d’anatomie reproductive pour la production et la libération de chaque type de gamète.
Par conséquent, les différences entre mâles et femelles, en particulier les différences dans l’anatomie reproductive et les impacts ultérieurs de la sélection naturelle et sexuelle sur la morphologie et le comportement du corps, peuvent être retracées jusqu’à la divergence des gamètes vers ces deux tailles différentes. [Il s’agit du « comportement » biologique, c’est-à-dire, le coût biologique, le fait que le corps de la femelle nourrit la progéniture dans et hors de son corps, avec les ressources de son propre corps. (NdT)]
L’évolution des gamètes vers deux extrêmes, et l’émergence subséquente des deux sexes est si optimale pour la reproduction sexuée que la dichotomie mâle-femelle a « évolué indépendamment à travers presque toutes les lignées d’organismes multicellulaires[34] ». Les biologistes de l’évolution soulignent que la divergence en deux sexes est « une conséquence presque inévitable de la reproduction sexuée[35] ». [Autrement dit, il était impossible que le vivant évite le moment évolutionnaire des « guerres mitochondriales » dans la reproduction sexuée. (NdT)]
Zach Elliott
Traduction : Audrey A. et Nicolas Casaux
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