Personne ne nait dans le mauvais corps : manifeste contre l’obsession « trans » (par José Errasti et Marino Pérez Álvarez)

Personne ne nait dans le mauvais corps : manifeste contre l’obsession « trans » (par José Errasti et Marino Pérez Álvarez)

Tra­duc­tion d’un article ini­tia­le­ment paru, en espa­gnol, le 1er février 2022 sur le site du quo­ti­dien his­pa­no­phone El Mun­do.


Face à l’es­sor des cas de dys­pho­rie de genre, l’un des livres les plus atten­dus de l’an­née vient d’être publié. Nadie nace en un cuer­po equi­vo­ca­do (« Per­sonne ne nait dans le mau­vais corps », Ed. Deus­to) dénonce com­ment les excès du « mili­tan­tisme trans » causent des dom­mages irré­ver­sibles à des mil­liers d’a­do­les­cents. Les deux auteurs de l’es­sai défendent leur thèse dans cet article.

Sur le site d’une cli­nique de chi­rur­gie esthé­tique de Madrid, on peut lire : « La trans­sexua­li­té est un trouble phy­sique, et non psy­cho­lo­gique, qui cor­res­pond à ce qu’une per­sonne de sexe mas­cu­lin naisse dans un corps fémi­nin et vice ver­sa […]. Jus­qu’à récem­ment, les per­sonnes qui en souffrent étaient condam­nées à vivre dans un corps qui ne leur cor­res­pon­dait pas ».

On pour­rait pen­ser qu’il s’a­git d’un fait objec­tif étayé par la méde­cine, mais nous sou­tien­drons ici que cette cita­tion est repré­sen­ta­tive d’un phé­no­mène idéo­lo­gique qui gagne du ter­rain dans de nom­breux pays, et qu’on appelle le gen­risme queer. Il s’agit d’une phi­lo­so­phie qui rejette la ratio­na­li­té, qui se base sur une bio­lo­gie pré-dar­wi­nienne et qui reven­dique une supé­rio­ri­té morale cen­sée l’exo­né­rer de tout débat avec celles et ceux qui s’y opposent.

Cepen­dant, les ori­gines de cette idéo­lo­gie sont autres : elle est le fruit de l’in­di­vi­dua­lisme et du sub­jec­ti­visme extrêmes (égo­cen­trisme) qu’encourage le néo­li­bé­ra­lisme. À l’a­vant-garde de ce mou­ve­ment se trouve un mili­tan­tisme né dans des cam­pus uni­ver­si­taires des États-Unis, qui s’est ensuite pro­pa­gé dans les médias et la poli­tique et qui pose de sérieux pro­blèmes. Par­mi ces pro­blèmes figurent notam­ment l’ef­fa­ce­ment des femmes en tant que sujet poli­tique du fémi­nisme ain­si qu’une inter­pré­ta­tion très contes­table des malaises qui peuvent sur­ve­nir autour du sexe et du genre durant l’en­fance et l’adolescence.

Le gen­risme queer se fonde sur un point de véri­té : de plus en plus de per­sonnes ne se sentent pas à l’aise avec leur sexe ou leur genre. Ou les deux. Cette gêne peut aller d’un léger incon­fort à une très forte répul­sion. Leur souf­france est réelle. Ces per­sonnes ne font pas sem­blant, et il ne s’a­git pas non plus d’une simple rumeur. Toute ten­ta­tive d’ai­der ces per­sonnes, qui méritent évi­dem­ment la même visi­bi­li­té, le même res­pect et les mêmes droits que tout le monde, est louable tant qu’elle se fonde sur des bases théo­riques et empi­riques. Seule­ment, à par­tir de cette situa­tion indis­cu­table, on tente de pré­sen­ter comme tout aus­si indis­cu­table une invrai­sem­blable expli­ca­tion méta­phy­sique, tota­le­ment idéo­lo­gique : ces per­sonnes pos­sè­de­raient une essence — « ce qu’elles sont vrai­ment », « leur iden­ti­té », « leur moi authen­tique » — qui ne cor­res­pon­drait pas au sexe qui leur aurait été « assi­gné à la nais­sance ». Tan­tôt, cette essence ren­voie à un déter­mi­nisme bio­lo­gique — « des cer­veaux roses et bleus » — et tan­tôt elle met l’ac­cent sur une libre auto­dé­ter­mi­na­tion qui rejette comme offen­sante tout ques­tion­ne­ment sur la cause d’une telle iden­ti­té. Dans une socié­té sen­ti­men­ta­li­sée, où le nar­cis­sisme de la flat­te­rie publi­ci­taire a tout enva­hi, toute expli­ca­tion évo­quant des indi­vi­dus auto-construits et des essences inté­rieures semble évidente.

C’est une erreur. Per­sonne ne nie la situa­tion, bien réelle. La ques­tion est de savoir com­ment nous en sommes arri­vés là. Le fouillis concep­tuel et le manque de rigueur qui entourent aujourd’hui cette ques­tion empêchent la for­mu­la­tion d’une réponse claire. Peut-être fau­drait-il com­men­cer par dénon­cer l’a­mal­game entre les concepts de sexe et de genre.

L’IDENTITE DE GENRE, JE VEUX DIRE, DE SEXE, JE VEUX DIRE, DE GENRE…

C’est à l’au­trice fémi­niste Gayle Rubin que l’on doit le déve­lop­pe­ment du concept de genre en tant qu’ou­til concep­tuel per­met­tant de mettre en évi­dence le carac­tère cultu­rel plu­tôt que natu­rel des construc­tions sociales qui per­pé­tuent les inéga­li­tés entre les hommes et les femmes. La fécon­da­tion mas­cu­line ou la ges­ta­tion, l’ac­cou­che­ment et l’al­lai­te­ment fémi­nins appar­tien­draient au domaine du sexe, tan­dis que la coquet­te­rie fémi­nine, le care fémi­nin ou le tra­vail mas­cu­lin en dehors du foyer appar­tien­draient au domaine du genre.

En ce sens, un apport désor­mais indis­pen­sable du fémi­nisme dis­tingue le sexe, réa­li­té phy­sio­lo­gique, du genre, réa­li­té poli­tique à la fois maté­rielle et sym­bo­lique, et qui se concré­tise à tra­vers des sté­réo­types sexuels. Le genre acquiert ain­si sa propre impor­tance au même niveau que le sexe, lui étant lié mais non subor­don­né. Depuis la fin du XXe siècle, on insiste sur la dis­tinc­tion entre le sexe et le genre afin de com­battre l’idée selon laquelle les sté­réo­types sexuels seraient naturels.

Le sexe est binaire. Mais le genre, désor­mais libé­ré de sa subor­di­na­tion au sexe, n’a plus à l’être. Per­sonne n’est com­plè­te­ment Bar­bie ou com­plè­te­ment Ken ; nous nous situons tous quelque part sur le spectre allant de Bar­bie à Ken. La théo­rie queer s’ap­puie sur l’en­thou­siasme sus­ci­té par le concept de genre mais, para­doxa­le­ment, cette théo­rie amorce un retour à une époque où le sexe et le genre étaient mélan­gés de manière confuse.

La nou­veau­té, c’est que, sous l’im­pul­sion de la consé­cra­tion gen­riste, c’est désor­mais le genre qui éclipse le sexe plu­tôt que l’in­verse. Le sexe est alors com­pris comme une réa­li­té subor­don­née aux sté­réo­types sexuels cultu­rels, façon­née selon leurs logiques. Le sexisme tra­di­tion­nel est inver­sé. Le genre est un conti­nuum. Le sexe, subor­don­né au genre, doit donc lui aus­si être un continuum.

Mais que signi­fie l’idée selon laquelle le sexe bio­lo­gique, la fécon­da­tion et la ges­ta­tion, serait un conti­nuum ? Cette idée d’un sexe non binaire repose sur une mau­vaise com­pré­hen­sion de l’in­ter­sexua­li­té. Dans un très petit nombre de cas, à l’instar des autres com­po­santes du corps humain, l’ap­pa­reil repro­duc­teur humain connaît des ano­ma­lies déve­lop­pe­men­tales, appe­lées « inter­sexua­tions ». Il s’a­git d’un terme qui prête à confu­sion, rap­pe­lant le terme tout aus­si confus d’« her­ma­phro­dite », parce que ces ano­ma­lies ne forment pas un conti­nuum et ne se situent pas « entre » les sexes mas­cu­lin et féminin.

Per­sonne ne nie­rait, par exemple, que l’être humain pos­sède 32 dents au motif que des per­sonnes sont atteintes d’a­gé­né­sie den­taire. Per­sonne ne pré­ten­drait que l’es­pèce humaine pos­sède en moyenne 31,8 dents. Seule­ment, ces très rares cas d’intersexuation — de l’ordre de 1 pour 5 000 nais­sances — consti­tuent l’ultime recours auquel s’ac­crochent ceux qui tiennent à nier le dimor­phisme sexuel et à pré­tendre que le sexe serait, à l’image du genre, un spectre.

Ain­si défendent-ils une bio­lo­gie pré-dar­wi­nienne, en occul­tant que le carac­tère binaire de l’ap­pa­reil repro­duc­teur est déter­mi­né par la fonc­tion évo­lu­tive de la phy­sio­lo­gie de la repro­duc­tion, et non par le décompte sta­tis­tique des organes géni­taux. Soit dit en pas­sant, Dar­win ne com­met­tait pas de crime de haine et ne fai­sait pas preuve de pho­bie en pro­po­sant la valeur adap­ta­tive comme cri­tère sépa­rant la norme de la variante (ou de l’anomalie) en biologie.

Ain­si, si, dans le sexisme tra­di­tion­nel, le genre n’est qu’un appen­dice du sexe, dans la pen­sée gen­riste queer le sexe n’est qu’un appen­dice du genre. Tan­dis que le sexisme tra­di­tion­nel pro­po­sait à un enfant de sexe mas­cu­lin adepte du ver­nis à ongles de confor­mer son sté­réo­type sexuel à son sexe, le gen­risme queer sug­gère au même enfant de confor­mer son sexe à son sté­réo­type sexuel. Du post­mo­der­nisme pur.

Le sexe devient un acci­dent bio­lo­gique subor­don­né au genre, une essence per­son­nelle à laquelle on par­vient par le che­min de l’i­den­ti­té. Tout rede­vient confus dans le cadre d’une rhé­to­rique obs­cure. Un exemple : le pro­jet de loi trans pré­sen­té par Uni­das Pode­mos défi­nit « l’identité de genre ou sexuelle » comme « l’ex­pé­rience interne et indi­vi­duelle du genre ». Comme vous l’avez pos­si­ble­ment remar­qué, au départ, le sexe est assi­mi­lé au genre, mais ensuite il dis­pa­raît, entiè­re­ment sup­plan­té par le genre. Autre exemple : le syn­tagme « per­sonnes trans » vise ini­tia­le­ment à inclure les per­sonnes trans­sexuelles et trans­genres, comme s’il n’y avait aucun inté­rêt à les dis­tin­guer, pour fina­le­ment se réfé­rer, dans la pra­tique, presque exclu­si­ve­ment aux per­sonnes transgenres.

EST-CE QU’UNE FILLE PEUT SE RÉJOUIR DE MARQUER UN BUT ? 

Jus­qu’i­ci, il a été ques­tion de ce qui est faux. A pré­sent com­mence la par­tie alar­mante. Sans ana­lyse cri­tique dénon­çant le rôle oppres­sif des sté­réo­types sexuels, le genre devient une mys­té­rieuse essence indi­vi­duelle et iden­ti­taire innée, mas­cu­line, fémi­nine ou entre les deux ; une expé­rience pri­vée dont tout le monde semble avoir oublié l’o­ri­gine sociale. De la lutte contre les sté­réo­types sexistes, nous sommes pas­sés à leur célé­bra­tion en tant que cri­tère de base de notre identité.

Tout ce qu’une per­sonne res­sent peut faire d’elle une femme ou un homme : il suf­fit que cette per­sonne éti­quette son expé­rience comme telle. Rien, aucune condi­tion, ni néces­saire ni suf­fi­sante, ne fait d’une per­sonne un homme ou une femme ou aucun des deux, hor­mis le fait de se décla­rer comme tel. En d’autres termes, contrai­re­ment à l’âge, à la taille ou au poids, le sexe — ou plu­tôt le genre, enfin, non, le sexe, quoi que, en fait, le genre… ah non, le sexe — ne peut être défi­ni. Une femme est une per­sonne qui se sent femme. Sou­te­nir que le terme défi­ni ne devrait pas figu­rer dans la défi­ni­tion est désor­mais consi­dé­ré comme un archaïsme aca­dé­mique. « Qu’est-ce qu’être un homme ou une femme ? » se deman­dait Irene Mon­te­ro en août 2020.

Mais que per­sonne ne s’y trompe : cette absence de signi­fi­ca­tion ouvre la voie au retour du sexisme le plus rétro­grade. « Dès le plus jeune âge, nous avons remar­qué que notre fils était trans, car il vou­lait se dégui­ser en fée », expliquent cer­tains parents. Les conte­nus trans dif­fu­sés dans les médias et sur les réseaux sociaux véhi­culent beau­coup de cli­chés sur ce que sont la fémi­ni­té et la mas­cu­li­ni­té. « Je ne suis pas une femme à cause de mes organes géni­taux, mais parce que je pense et me com­porte comme une femme », a twee­té Moni­ca Oltra. Mais bien enten­du, elle n’a pas expli­qué com­ment une femme pense et se comporte.

L’as­so­cia­tion de familles d’en­fants trans Chry­sal­lis pro­pose du maté­riel péda­go­gique selon lequel une fille « assi­gnée femme à la nais­sance » qui n’a pas peur de perdre ses boucles d’o­reilles, qui saute de joie lors­qu’elle marque un but ou qui se des­sine une mous­tache n’est sans doute pas une fille (ou une femme). Le mou­ve­ment sup­po­sé le plus pro­gres­siste, le plus trans­gres­sif, celui qui vient libé­rer les groupes les plus oppri­més et invi­si­bi­li­sés par­ti­cipe en réa­li­té à la pro­mo­tion des sté­réo­types les plus rances.

Dans la plu­part des Com­mu­nau­tés auto­nomes d’Espagne, des pro­to­coles à carac­tère obli­ga­toire ont été approu­vés pour les centres édu­ca­tifs qui consi­dèrent la théo­rie queer de l’i­den­ti­té de genre comme une véri­té évi­dente : « Lorsque le tuteur ou la tutrice d’un groupe, ou n’im­porte quel membre de l’é­quipe péda­go­gique, observe de manière répé­tée chez un ou une élève la pré­sence d’un com­por­te­ment qui pour­rait indi­quer une iden­ti­té sexuelle qui ne coïn­cide pas avec le sexe qui lui a été assi­gné à la nais­sance en fonc­tion de ses organes géni­taux, ou un com­por­te­ment de genre qui ne coïn­cide pas avec ce qui est socia­le­ment atten­du en fonc­tion de son sexe, il ou elle pro­cé­de­ra de la manière sui­vante. » S’ensuit une liste des réunions que l’é­quipe du centre orga­ni­se­ra avec la per­sonne concer­née et sa famille, afin d’é­va­luer le début de son éven­tuelle tran­si­tion. Bien enten­du, aucun exemple n’est don­né de ces com­por­te­ments sup­po­sé­ment non conformes. La Sec­ción Feme­ni­na[1] est de retour.

Les pro­blèmes de dys­pho­rie de genre connaissent une aug­men­ta­tion spec­ta­cu­laire, de l’ordre de plu­sieurs mil­liers de points de pour­cen­tage, dans les pays occi­den­taux. Sur­tout à l’a­do­les­cence et sur­tout chez les filles. Les cli­niques de chan­ge­ment de sexe se mul­ti­plient, et le tran­sac­ti­visme queer vise à sécu­ri­ser l’imposition juri­dique d’un trai­te­ment stan­dard, qui, à la demande de l’adolescent(e), peut impli­quer le recours aux blo­queurs de puber­té — puber­ty is optio­nal ! [NdT : « la puber­té est option­nelle !»], aux hor­mones de l’autre sexe (hor­mo­no­thé­ra­pie) et éven­tuel­le­ment une opé­ra­tion chi­rur­gi­cale. Sur les réseaux sociaux, beau­coup de filles exhibent fiè­re­ment les cica­trices de leur double mas­tec­to­mie comme la solu­tion aux pro­blèmes de leur adolescence.

Il est bien éta­bli que le malaise lié aux chan­ge­ments cor­po­rels sexuels s’at­té­nue dans l’immense majo­ri­té des cas à condi­tion qu’on laisse l’adolescent(e) pour­suivre son déve­lop­pe­ment et apprendre à sur­mon­ter les tem­pêtes qui accom­pagnent ces années. En revanche, une fois embar­qué dans le train de la tran­si­tion médi­cale, il n’est pas facile d’en des­cendre sans payer un prix éle­vé sur le plan per­son­nel et sani­taire. Au nom de chi­mères iden­ti­taires, on cherche à auto­ri­ser le recours à un trai­te­ment hor­mo­nal et chi­rur­gi­cal à des âges où il n’est pas per­mis de se faire tatouer. Big Phar­ma veille sur les droits des trans.

Et cette absur­di­té n’est contes­tée que par le fémi­nisme radi­cal, qui com­prend par­fai­te­ment que le gen­risme consti­tue un che­val de Troie voué à saper la lutte pour l’a­bo­li­tion du genre, la lutte contre la dis­cri­mi­na­tion des femmes. Ce sont les fémi­nistes radi­cales qui, chaque jour, doivent s’exposer et ris­quer leur peau pour défendre une ratio­na­li­té élé­men­taire, cepen­dant que trop de gens res­tent sur la touche. Outre des absur­di­tés telles que la par­ti­ci­pa­tion d’hommes (bio­lo­giques, mais ce serait pléo­nas­tique, NdE) à des sports fémi­nins ou l’ad­mis­sion d’agresseurs sexuels (indi­vi­dus de sexe mas­cu­lin) dans des pri­sons pour femmes, le gen­risme queer — der­rière son dégui­se­ment pop — implique la dis­si­mu­la­tion du noyau maté­riel sur lequel repose la dis­cri­mi­na­tion à l’é­gard des femmes. En effet, celle-ci ne relève pas d’une iden­ti­té de genre décla­ra­tive, mais du constat du sexe d’une per­sonne. De nom­breuses fémi­nistes subissent des licen­cie­ments ou des attaques dans leurs centres d’en­sei­gne­ment, de san­té ou de recherche, des cam­pagnes de dif­fa­ma­tion et des pour­suites judi­ciaires pour la rai­son qu’elles refusent de se plier à ce mirage néolibéral.

PERSONNE NE NAIT DANS LE MAUVAIS CORPS

Curieu­se­ment, des posi­tions poli­tiques aus­si éloi­gnées que celles repré­sen­tées par Uni­das Pode­mos et Ciu­da­da­nos[2] coïn­cident dans les pro­jets de loi trans pré­sen­tés par les deux for­ma­tions. Une par­tie de la gauche — plu­tôt que de s’in­té­res­ser aux condi­tions objec­tives et aux contra­dic­tions du capi­ta­lisme — se tourne vers la défense des iden­ti­tés res­sen­ties mino­ri­taires, fas­ci­née par leurs pré­ten­tions trans­gres­sives et avant-gar­distes, et s’ac­corde par­fai­te­ment avec un néo­li­bé­ra­lisme pas­sé maître dans la pro­duc­tion de sub­jec­ti­vi­tés, de dési­rs et d’identités.

L’exemple par­fait de cette alliance entre une rhé­to­rique révo­lu­tion­naire et la recherche de pro­fits finan­ciers est la solu­tion phar­ma­co-chi­rur­gi­cale au pro­blème de l’i­den­ti­té de genre. Au milieu, sans que les uns et les autres s’en sou­cient, se trouvent les per­sonnes trans, aspi­rant à être trai­tées avec res­pect, non selon des motifs fallacieux.

Et c’est pré­ci­sé­ment parce que nous res­pec­tons conscien­cieu­se­ment les per­sonnes qui souffrent de ces pro­blèmes que nous devons essayer de les aider en pen­sant à long terme, en uti­li­sant tout ce que nous savons de la psy­cho­lo­gie de l’ap­pren­tis­sage et de la dyna­mique des sen­ti­ments, et en reje­tant les slo­gans et les mots d’ordre qui semblent droits sor­tis d’une mau­vaise publi­ci­té. Per­sonne ne nie les expé­riences de ces indi­vi­dus, nous réfu­tons seule­ment leurs expli­ca­tions idéologiques.

Les per­sonnes trans ne devraient pas ser­vir de chair à canon pour des conflits poli­tiques déma­go­giques ou de clients pour des sec­teurs capi­ta­listes flo­ris­sant. Elles ne sont pas non plus des orne­ments exo­tiques à exhi­ber afin de pré­tendre que l’on est ouvert d’es­prit, d’étaler une mora­li­té sup­po­sé­ment supé­rieure. Pré­tendre que c’est la haine qui anime ceux qui refusent l’ex­pli­ca­tion méta­phy­sique queer est pas­sa­ble­ment gro­tesque. Mais, dans l’incapacité de réfu­ter leurs argu­ments, cela per­met, à peu de frais, d’évincer du débat les dis­si­dents de l’orthodoxie queer.

En tant que psy­cho­logues, nous ne confon­dons pas res­pect et appro­ba­tion (irré­flé­chie, NdE). Nous recon­nais­sons l’existence d’une souf­france, mais nous pro­po­sons éga­le­ment de nou­velles façons d’a­gir qui aident les indi­vi­dus à sor­tir de l’or­nière dans laquelle ils sont peut-être coin­cés. Un psy­cho­logue cli­ni­cien n’é­tu­die pas pen­dant six ans juste pour hocher la tête. Dans de nom­breux cas, le véri­table manque de res­pect consiste à rati­fier la rhé­to­rique sub­jec­ti­viste que les sujets ont enten­due sur les réseaux sociaux et à les trans­for­mer en patients pour le reste de leur vie.

Il est pos­sible de célé­brer la diver­si­té sans nier les fon­de­ments de la bio­lo­gie, sans détruire le sens de termes lin­guis­tiques fonc­tion­nels et néces­saires, sans négli­ger les prin­cipes juri­diques élé­men­taires et sans pro­mou­voir les inté­rêts du mar­ché en ce qui a trait au corps des enfants et des ado­les­cents [il faut même com­prendre que l’idéologie trans, ou gen­riste, ne mène pas à l’acception et à la célé­bra­tion de la dif­fé­rence mais en consti­tue une néga­tion ; en niant la réa­li­té du sexe, sa signi­fi­ca­tion, sa maté­ria­li­té, etc., en pré­ten­dant que tout est hybride, que nous sommes tous poten­tiel­le­ment n’importe quoi, tout ce que nous vou­lons, que tout existe sur un spectre le long duquel on peut se dépla­cer à volon­té, l’idéologie trans, ou gen­riste, sup­prime la dif­fé­rence réelle, signi­fi­ca­tive, et la rem­place par un simu­lacre de dif­fé­rence, voire une absence décla­rée de dif­fé­rence — comme le font ces idéo­logues trans qui pré­tendent qu’au bout du compte, nous serions « tous trans » ; plus d’hommes, de femmes, de filles et de gar­çons, seule­ment des per­sonnes trans, des hybrides (NdE)]. La visi­bi­li­té et l’ac­cep­ta­tion de toutes les per­sonnes n’exigent pas de défendre l’i­dée absurde selon laquelle il arri­ve­rait de naître dans le mau­vais corps, d’exalter la sub­jec­ti­vi­té et l’irrationalité. Le che­min vers l’é­ga­li­té cherche à construire des com­muns sur la base de caté­go­ries véri­fiables propres à la ratio­na­li­té qui nous unit tous.

José Erras­ti et Mari­no Pérez Álva­rez, de la facul­té de psy­cho­lo­gie de l’u­ni­ver­si­té d’O­vie­do, sont les auteurs de Nadie nace en un cuer­po equi­vo­ca­do (Per­sonne ne naît dans le mau­vais corps) (Edi­to­rial Deus­to, février 2022).

Tra­duc­tion : El Bichofue

Édi­tion : Nico­las Casaux


  1. NdT : La Sec­tion Fémi­nine, créée en 1934, était la branche fémi­nine du par­ti de la Pha­lange espa­gnole, qui serait, après la guerre, le par­ti unique de l’Espagne fran­quiste. « La Sec­ción Feme­ni­na défen­dait un modèle de femmes subor­don­nées à leur mari et vouées à don­ner des enfants à la patrie. Elles devaient éga­le­ment res­ter à l’é­cart de la vie poli­tique afin de se consa­crer à leur foyer. »
  2. NdT : Par­tis espa­gnols. Uni­das Pode­mos (« Unies, nous Pou­vons ») et Ciu­da­da­nos (« Citoyens »). Le pre­mier est une coa­li­tion de dif­fé­rents mou­ve­ments et par­tis de la gauche et du « pro­gres­sisme », crée en 2016 et renom­mé au fémi­nin en 2019 ; le deuxième est un par­ti poli­tique de centre droit, sem­blable aux par­tis macro­nistes en France.
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