Ne pas prêter serment au roi: nationalisme de salon ?

Ne pas prêter serment au roi: nationalisme de salon ?

La détermination de Paul St-Pierre-Plamondon à ne pas prêter le traditionnel serment d’allégeance au Roi Charles III a, dans les dernières semaines, fait beaucoup jaser.

Enfantillages, quête d’attention médiatique pour les uns, élément déterminant d’affirmation nationale pour les autres, le zèle de Paul St-Pierre-Plamondon a fait des petits, si bien que le Parti québécois s’est adjoint Québec solidaire dans la lutte. Il demeure pourtant que cet enjeu est porteur d’implications plus larges qu’on ne pourrait le croire au premier abord.

Le chef du Parti Québécois a raison lorsqu’il soutient que cette question, en apparence cosmétique, n’a rien de banal ou d’insignifiant. Prêter serment, c’est du sérieux. À vouloir le ridiculiser ou mettre en cause ses intentions, ses critiques se trouvent à défendre une position intenable: jurer ne veut plus rien dire.

Comment s’attendre à la vérité de nos personnalités politiques après ça?

On sait les Québécois moins sensibles aujourd’hui à la question nationale et aux enjeux constitutionnels qu’ils ne l’ont déjà été. Or, il semble qu’une majorité ferme de nos concitoyens soit acquise à l’idée que le serment prêté au souverain du Canada constitue une aberration qu’il convient de corriger.

L’égalité civique et la séparation entre l’Église et l’État, caractéristiques propres à la démocratie libérale, apparaissent en effet incompatibles avec le caractère hiérarchique d’une monarchie dont la tête gouverne – certes symboliquement – à la fois la vie politique d’une vaste union personnelle, incluant le Canada, et la vie spirituelle de ceux qui, au Royaume-Uni, adhèrent à la communauté ecclésiale anglicane.

La question du régime

À ces arguments s’ajoutent le vif ressentiment d’une proportion significative de Québécois à l’égard d’institutions qui semblent pérenniser symboliquement l’expérience malheureuse de la société québécoise, doublement humiliée par la mémoire de la soumission coloniale, et le poids d’un régime politique jugé passéiste et rejeté ostentatoirement.

Pour nombre de nos concitoyens, il semble être devenu impensable de démêler la question du régime politique, qu’incarne par exemple la monarchie canadienne, de celle qui concerne la liberté collective de la société québécoise. Honnir le roi est ainsi devenu le succédané d’un acte libérateur.

Or, il n’est pas évident que les Québécois se soient posé sérieusement la question du régime politique, des bienfaits éventuels de la monarchie, lorsque comparée à la république – imaginaire – dans laquelle nous nous projetons sans véritablement l’expérimenter.

Rejetant le passé canadien-français, la société québécoise s’est éventuellement reconstituée autour de principes abstraits, comme l’égalité et la laïcité, dans une démarche qui relève essentiellement de la réaction.  

Et pourtant, notre société n’a jamais connu, depuis ses fondements et jusqu’à ce jour, que la monarchie. Elle a été française, britannique, puis canadienne. Elle a même expérimenté, pour l’essentiel de son histoire, une forme de gouvernement supposant l’intégration – plus ou moins partielle – des autorités civiles et religieuses. Il est intéressant que ce fait ne soit pas davantage contesté aujourd’hui, par-delà le signalement nationaliste qui s’est porté par défaut sur quelque chose comme un idéal républicain qui ne dit pas son nom.

Nationalisme de salon

Vraiment, ce qu’il y avait, pour nos devanciers, de plus choquant dans le serment d’allégeance au souverain, à travers ses diverses itérations historiques, c’était bel et bien le mélange théologicopolitique propre au régime britannique, d’ailleurs longtemps très hostile à l’égard de l’Église catholique et de ses fidèles. On peut aisément saisir le malaise.

Ce qu’il y a aujourd’hui de plus pénible pour les nationalistes québécois, c’est bien évidemment la relation de dépendance à la «métropole», londonienne puis ottavienne, que le serment suggère ou rend évidente. On ne saurait s’empêcher de constater que c’est pourtant à l’heure de son effondrement consommé que le mouvement indépendantiste québécois apparait s’être éveillé à la gravité de la question.

Après tout, il n’est pas faux de souligner que pour un nationaliste québécois sérieux – comme pour un catholique scrupuleux à une autre époque – l’exigence du serment pose la question du parjure, de sa gravité, de son éventuelle banalité.

Il y a quelque chose d’admirable dans les dispositions de Paul St-Pierre-Plamondon qui, à l’heure du péril, semble avoir retrouvé le zèle qui donne courage et résolution. Il est sans doute légitime de questionner l’ajustement d’une telle exigence aux caractéristiques de la société québécoise qui, du catholicisme officieux, est passée au nationalisme de salon sans apprendre à aimer Sa Majesté, pleine de sollicitude.

C’est pourtant dommage, à travers cette controverse, que la question du régime demeure en un sens invisible. Si la société québécoise désire vraiment, comme elle semble le prétendre, passer de la république rêvée à la république réelle, qu’on nous le dise autrement qu’en négociant un protocole aussi primordial qu’évanescent. Ou peut-être n’en a-t-elle pas l’envie, l’audace ou la folie.

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