Depuis déjà plusieurs années, des organisations de scientifiques ainsi que d’éminents scientifiques s’élèvent, un peu partout dans le monde, contre la médicalisation automatique et irréfléchie d’un nombre rapidement croissant d’enfants et de jeunes adultes se déclarant trans. En 2019, déjà, le psychiatre pour enfants et adolescents Christopher Gillberg, de renommée mondiale, affirmait à un journaliste du quotidien australien The Australian que cette médicalisation irréfléchie et expérimentale constituait « possiblement l’un des plus grands scandales de l’histoire de la médecine ». Gillberg estimait alors que la situation en Suède était « absolument terrible », avec des centaines d’enfants recevant chaque année des bloqueurs de puberté « expérimentaux » et des hormones du sexe opposé, au risque d’être stériles, et « malgré les doutes de leurs parents ».
Gillberg remarquait également que la grande majorité des nouveaux diagnostics de dysphorie de genre, en Suède, concernaient des adolescentes qui « n’avaient manifesté aucun signe d’être trans avant l’âge de 10 ans ». « Beaucoup des patients suédois (à déclenchement tardif) sont atteints d’autisme ou d’anorexie mentale », affirmait-il, ajoutant qu’il était très fréquent et normal que ces jeunes « aient davantage de problèmes d’identité à la puberté — qui suis-je ? Comment dois-je me comporter ? Que vais-je devenir ? Suis-je hétéro ? — que la moyenne », mais aussi que « cette crise d’identité se résout presque toujours en quelques années ». Pour lui, ces jeunes étaient « endoctrinés par des militants ».
Entre-temps, la Suède a commencé à freiner cette médicalisation. Mais elle continue malgré tout, en Suède et ailleurs, et dans de nombreux endroits, elle ne fait qu’augmenter. Si bien qu’en Espagne, divers représentants d’organisations scientifiques dédiées à la santé se sont publiquement exprimés afin de le dénoncer — malgré les risques que cela implique, étant donné qu’émettre la moindre critique des revendications des militants trans c’est immédiatement se voir accuser de « transphobie », trainer dans la fange des réseaux sociaux — dans un article paru le 17 octobre 2022 sur le site du quotidien espagnol El Mundo, dont voici une traduction.
Pour la première fois, les principales sociétés de santé mentale d’Espagne, ainsi que la Société d’endocrinologie (Sociedad Española de Endocrinología) et même l’Ordre des médecins de Madrid, critiquent publiquement la loi d’Irène Montero : « Il y a une avalanche de jeunes atteints de troubles qui cherchent une solution magique dans la transidentité. »
Le projet de la loi Trans discuté ces jours-ci au Congrès des députés, qui interdit aux professionnels de la santé mentale d’intervenir dans le processus d’« autodétermination de genre » des mineurs, laissant aux adolescents la capacité exclusive de choisir s’ils veulent commencer des traitements de changement de sexe, est à ce stade « un scandale » et « un excès » établi « selon des critères idéologiques et non scientifiques », et qui « risque de causer beaucoup de souffrances et de regrets à de nombreuses personnes ».
Voilà ce que les recteurs de la Société espagnole de psychiatrie et de santé mentale, du Collège des médecins de Madrid et — pratiquement sur le même ton — de l’Association espagnole de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Aepnya) ont déclaré à ce journal pour la première fois de manière publique.
Les principales autorités scientifiques du pays en matière de santé mentale vont même plus loin : elles dénoncent le fait que personne, au gouvernement, qui est pourtant à l’origine de cette loi, ne les a consultées ; elles soulignent leur « profonde préoccupation » pour « la souffrance que cela peut causer chez les mineurs atteints de troubles », et déplorent « l’idéologisation » qui entoure la question et « empêche un débat qui devrait inclure des critères scientifiques ».
Tous, sans exception, se félicitent de la « dépathologisation » de la transsexualité, un « succès pour la société » qui doit maintenant « être réglementé ». Mais ils soutiennent que cette « normalisation ne peut pas signifier » qu’il leur est interdit, selon Víctor Pérez, président de la Société espagnole de psychiatrie, d’aider « l’avalanche d’adolescents qui sont fortement pressurés, notamment par le biais des réseaux sociaux, à croire que la transsexualité constitue la solution instantanée à leurs problèmes, alors qu’en réalité ils souffrent de troubles qui, bien évidemment, nécessitent un diagnostic et un soutien que cette loi leur refuse et qu’il nous est interdit de fournir ».
Luisa González, vice-présidente de l’Association médicale de Madrid, affirme catégoriquement qu’« il n’y a pas de base scientifique qui justifie de légiférer de cette manière », qu’« il n’y a pas de consensus scientifique » sur les traitements que la loi « ordonne aveuglément », et que la loi, telle qu’elle a été promue par le gouvernement, « empêche les professionnels de travailler, viole les droits humains des mineurs en empêchant leur prise en charge, et usurpe même l’autorité parentale des parents ».
La présidente d’Aepnya, Luisa Lázaro, également cheffe du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au Clínic, l’un des principaux hôpitaux de Barcelone, admet, de manière plus mesurée, que l’augmentation du nombre d’adolescents se déclarant transgenres a été « exponentielle ces dernières années », et pointe du doigt un problème sous-jacent : « Nous sommes dans une société où les désirs deviennent des droits, mais les professionnels ont besoin de tranquillité d’esprit et nous ne pouvons pas immédiatement hormonaliser les adolescents. »
Ils ne sont pas les seuls à élever la voix. La Société espagnole d’endocrinologie, qui regroupe les professionnels qui administrent les traitements hormonaux, déplore également que la loi « n’offre que l’option de la médicalisation, alors que la transsexualité est un phénomène complexe nécessitant différentes solutions, et de la patience, or cette loi favorise le contraire », selon les mots de Marcelino Gómez, qui a également dirigé l’unité de genre de l’hôpital Doctor Peset de Valence pendant « plus de 20 ans ». Gomez critique également le fait que « personne en politique ne nous a demandé notre avis alors que c’est nous qui devrons appliquer cette loi ».
Le projet de loi, promu par le ministère de l’Égalité d’Irene Montero, et qui provoque des divisions au sein du PSOE, répond à un phénomène que Celso Arango, chef du service de psychiatrie infantile et juvénile de l’hôpital Gregorio Marañón de Madrid, a récemment dénoncé dans ce journal, dans un discours auquel souscrit Víctor Pérez : « Il y a une avalanche d’adolescents qui se croient trans et la grande majorité d’entre eux ne le sont pas. Ils nous sollicitent constamment. Il est très tendance chez eux de croire qu’ils peuvent décider de leur sexuation, mais la nature est ce qu’elle est. »
Selon eux, il s’agit d’un « phénomène global » émanant de la théorie queer sur le genre, qui a émergé principalement aux États-Unis, qui divise également le féminisme lui-même — il s’agit principalement de femmes qui veulent devenir hommes — et qui a été le grand tremplin de « l’autodétermination de genre ». Il s’agit d’une doctrine qui sacralise la liberté du choix du sexe sans autre critère que la volonté propre de l’adolescent, et qui exclut radicalement les médecins de la décision.
Ces professionnels ne s’étaient pas exprimés jusqu’à présent parce que le débat est si vif — et « vicié », selon plusieurs d’entre eux — qu’il y a eu des protestations, par exemple, contre la présentation du livre Nadie nace en el cuerpo equivocado (« Personne ne naît dans le mauvais corps »), du psychologue José Errasti, qui soutient, comme de nombreux professionnels, que le sexe n’est pas le genre, et que l’on peut vivre dans le genre que l’on estime être le sien tout en conservant les organes génitaux que l’on a de naissance.
« En réalité », explique Víctor Pérez, président des psychiatres, « les mineurs qui expriment ce malaise avec leur sexe le font généralement dès l’âge de quatre ou cinq ans, et non à l’adolescence. Il a été scientifiquement prouvé que le traitement hormonal leur est bénéfique, et que, dans certains cas, la chirurgie est nécessaire et bénéfique. Mais le faire chez des adolescents sans autre critère que leur volonté est barbare. Il y a une nette augmentation de la demande, nous recevons de plus en plus de filles, surtout des filles, qui sont convaincues de cela, et nous pensons que cela ne répond pas à un réel besoin. Beaucoup d’entre elles sont atteintes de troubles qui doivent être traités. »
Perez poursuit : « Nous sommes très inquiets et on ne nous a pas demandé notre avis, peut-être parce que ceux qui poussent cette loi ne s’intéressent pas à nos opinions. C’est une chose que le choix du genre soit un droit, et une autre que ces personnes n’aient pas à être évaluées. Lorsqu’on pratique une chirurgie de l’obésité, qui est aussi une chirurgie de satisfaction, on évalue si la personne est capable ou non de prendre cette décision. L’euthanasie, dont la loi est un succès national, nécessite une évaluation psychologique et psychiatrique. Tout ce qui a trait à la transsexualité devrait l’exiger également, et cela ne signifie pas que nous essayons de guérir qui que ce soit. La société a déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une pathologie, comme elle l’a fait auparavant avec l’homosexualité, et nous avec. Mais nous devons remplir notre fonction : éviter la souffrance, tant pour ceux qui la vivent en suivant ces traitements, que pour ceux qui y arrivent par erreur. »
La société espagnole de psychiatrie et de santé mentale estime que « beaucoup de ces adolescents souffrent en fait de troubles divers, parfois d’adaptation, parfois de troubles alimentaires, parfois de troubles de la personnalité. L’adolescence est une période de formation de la personnalité et nous devons être très prudents. De nombreux jeunes éprouvent un malaise intense à propos de choses qui n’ont rien à voir avec le genre et il ne faut pas les encourager à considérer la transsexualité comme une solution magique. À l’hôpital del Mar de Barcelone, où je travaille, j’ai personnellement vu des cas d’adolescents atteints de troubles dépressifs très graves y croire, et le regretter par la suite. Notre représentant, Celso Arango a approché les législateurs, les partis, à plusieurs reprises, mais ils ne veulent pas écouter. » Arango a d’ailleurs récemment déclaré à notre journal : « S’il y a quelques années encore, parmi les enfants et les adolescents que nous traitions au Marañón, il y avait deux ou trois cas de transsexualité par an, aujourd’hui, 15 à 20% de tous les cas que nous avons sont des adolescents qui se disent trans. C’est surréaliste. »
À propos du rôle des réseaux sociaux dans le développement de ce phénomène, le président de la Société souligne : « Ils ont une valeur très importante en matière de santé mentale, et il faut y être présent. Il y a cinq ans, vous cherchiez “suicide” et vous pouviez y trouver cinq façons de vous suicider. Aujourd’hui, vous pouvez trouver cinq façons de l’éviter. Cette impulsion sociale de dépathologisation de la transsexualité est bien vivante sur les réseaux et nous ne pouvons que nous en féliciter, le problème, c’est de la considérer comme une solution alors que dans de nombreux cas, elle n’en est peut-être pas une. »
Víctor Pérez conclut : « Les psychiatres ne veulent pas tout contrôler, mais nous voulons prévenir les maux et les souffrances. C’est notre obligation. »
Luisa González, vice-présidente de l’Ordre des médecins de Madrid, est plus véhémente encore. Elle a rencontré à la fois les responsables de l’unité de genre de l’hôpital Ramón y Cajal de Madrid et les parents de l’association Amanda, soit quelque 300 personnes qui ont souffert dans leur chair de situations de regret et de confusion de genre chez des adolescents, et qui « ont frappé à notre porte en désespoir de cause », dit-elle.
L’approche qu’impose la loi, affirme-t-elle, « ne repose pas sur assez de preuves scientifiques, il n’y a pas de preuves des bénéfices pour ces adolescents qui disent qu’ils veulent urgemment transitionner, il n’y a pas assez d’essais cliniques des bénéfices, c’est un premier problème ».
Deuxième problème : « Il y a un problème professionnel : les professionnels sont empêchés de travailler, la législation les empêche déjà de procéder à une évaluation psychologique approfondie, car dans de nombreuses communautés, cela a déjà été légiféré, mais cette loi l’empêchera encore plus. »
« Ensuite », poursuit-elle, « il y a un problème concernant les droits des mineurs, en particulier le droit humain de recevoir des soins médicaux, physiques et mentaux complets, qui est bafoué et même interdit par cette loi. De plus, je dois même dire qu’en tant que mère, les parents de ces mineurs sont spoliés de leur droit à une tutelle effective, cette loi sape l’autorité parentale. L’État veut usurper ce pouvoir, en procédant à des traitements qui ne sont même pas testés scientifiquement, et qui sont dans de nombreux cas irréversibles. C’est une chose très grave. »
« L’objectif est de maximiser le potentiel sexuel de la personne, mais même cela ne peut être garanti : les hormones ne produisent pas entièrement les résultats souhaités, les seins ne finissent jamais par ressembler à ceux d’une femme, les poils ne disparaissent jamais et les hormones ont des effets négatifs sur le système cardiovasculaire, provoquent des maladies thromboemboliques et le cancer du sein, elles ne sont pas inoffensives », poursuit la vice-présidente de l’Ordre des médecins.
« Les législateurs n’ont pas fait ce qui doit être fait : descendre dans l’arène et se mettre dans la peau d’un de ces enfants. Allez voir ce qui se passe dans la réalité. Ils se sont laissés embrigader par l’idéologie, alors que la plupart des pays qui ont légiféré en ce sens ont fait marche arrière, parce que de nombreux adolescents ont exprimé des regrets alors que c’était trop tard. Car, voyez-vous », souligne-t-elle, « que faites-vous avec une pénectomie, avec quelqu’un dont le pénis a été sectionné et qui veut le récupérer : la seule solution est prothétique, avec un coût psychologique énorme. »
González y voit, plus fondamentalement, « une crise du moi, mais c’est une opinion personnelle : sur les réseaux sociaux, on dit aux jeunes qu’ils peuvent être qui ils veulent, que maintenant je suis Sergio mais je peux être Lucía, et cela les conduit à ne pas savoir qui ils sont à un moment où leur identité est en formation. C’est dangereux et cette loi ne doit pas entériner ça. Il faut être beaucoup plus prudent. »
Luisa Lázaro, présidente de l’Association espagnole de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, est plus prudente. Elle admet qu’il y a une augmentation « très significative » du nombre d’adolescents qui se déclarent soudainement trans sans avoir jamais montré « aucune préoccupation antérieure » concernant leur genre, et affirme que, « en tant que professionnels, nous devons évaluer si cette non-conformité est associée à un trouble » — c’est-à-dire s’il existe une affection antérieure.
Elle estime également, d’après son travail à l’hôpital Clínic de Barcelone, que « le traitement de ces mineurs doit être différé, il ne peut être réalisé chaque fois qu’un mineur exprime ce désaccord [avec son sexe] ».
« Dans plusieurs communautés autonomes, des centres ont été créés qui mettent rapidement en place un traitement médical, mais on ne devrait pas aller aussi vite, car beaucoup de ces adolescents viennent ensuite consulter les services de santé mentale pour faire part de leurs craintes et de leurs doutes. » Lázaro convient que ce besoin de changement de sexe « se manifeste généralement dès les premiers stades du développement neurologique, à quatre ou cinq ans », mais même elle nuance : « Tous ces mineurs ne conservent pas ce malaise à long terme, il faut aussi le dire. » [D’après un certain nombre d’études, 80%, environ, des mineurs atteints de « dysphorie de genre » perdent ce sentiment de dysphorie avec le temps, en traversant simplement la puberté (NdT)]
Après plusieurs demandes d’entretien avec les législateurs, un député du PSOE l’a contactée lundi pour organiser une réunion, la seule à ce jour entre les acteurs concernés par cette affaire et les rédacteurs de la loi.
La Société espagnole d’endocrinologie a un regard critique similaire, avec des nuances. Marcelino Gomez observe la gestation de la loi avec un agacement non dissimulé : « Le fait est que nous avons beaucoup bataillé pour la normalisation du transgenrisme. Nous avons demandé des réunions avec les ministères de la santé et de l’égalité, mais nous n’avons reçu aucun retour. »
Son avis, en tant que porte-parole du groupe « Identité et différenciation sexuelles » de la société, et en tant qu’endocrinologue ayant « de nombreuses années d’expérience » dans l’unité de genre de l’hôpital universitaire Doctor Peset, à Valence : « La loi conduit à une médicalisation aveugle et irréfléchie d’un processus humain qui n’est rien d’autre que la diversité [la diversité naturelle des tempéraments, des personnalités, etc. (NdT)], aux hormones et à la chirurgie comme seul traitement, alors que ce n’est peut-être pas le meilleur. »
Gomez souligne que « penser que c’est la seule façon d’avancer est une stratégie erronée qui risque de causer des regrets à beaucoup de monde, alors qu’il existe d’autres options que la loi n’envisage même pas… Le fait est que la loi suggère même que si un professionnel met ces alternatives sur la table, il promeut des thérapies de conversion, alors que ce n’est pas le cas. Personne n’est sûr de rien à cet âge, c’est pourquoi il ne faut rien faire d’irréversible. »
Le projet de la « loi trans » est actuellement en cours de discussion, sous forme d’amendements, au sein de la commission de l’égalité du Congrès des députés, qui doit émettre un avis qui sera ensuite transmis au Sénat pour approbation définitive. La division au sein du PSOE, en tout cas, laisse présager des embûches sur son chemin.
Traduction : Nicolas Casaux
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