Matthieu Delaunay : Alors que les violences faites aux femmes sont enfin reconnues comme un fléau mondial, les influents promoteurs du marché de la reproduction humaine œuvrent sans relâche à valoriser et à faire légaliser la vente d’enfants par des mères porteuses : la GPA (gestation pour autrui), nouvelle illustration de l’artificialisation du vivant et de l’industrialisation croissante des rapports humains. Pour convaincre de son bien-fondé et son caractère « indispensable » et « solidaire », ses riches promoteurs maquillent leurs méthodes sous un ersatz de terminologie féministe. Entretien avec Marie-Josèphe Devillers, membre d’une organisation internationale, la CIAMS, qui lutte pied à pied contre ce triple sacrifice : celui de la mère, celui de l’enfant et celui de l’égale dignité des êtres humains.
Commençons par un peu de vocabulaire. Pouvez-vous donner une définition simple de la gestation pour autrui ?
Marie-Josèphe Devillers : La maternité de substitution est une pratique qui consiste à recruter une femme, contre rémunération ou non, afin de lui faire porter un ou plusieurs enfants, conçus ou non avec ses propres ovocytes, dans le but de le ou les lui faire remettre à une ou plusieurs personnes qui souhaitent être désignées comme parents de cet enfant. La grossesse de gestation pour autrui, la maternité de substitution, n’est pas une grossesse « comme les autres ».
Pourquoi ?
La technique utilisée pour la GPA est la fécondation in vitro (FIV). Au départ, on se procure des gamètes mâles et des gamètes femelles sur catalogue. Ces gamètes vont ensuite faire l’objet d’une fécondation in vitro, la FIV. Une fois la FIV effectuée, on obtient quelques embryons que l’on va implanter dans l’utérus de la mère porteuse. Cette opération est complexe. Comme la mère porteuse n’est pas dans un processus de grossesse, il faut que son corps soit à même d’accueillir cet embryon : on va donc lui administrer un traitement hormonal pour que son utérus puisse accueillir les embryons. Au moment du transfert, les cliniques redoutent une chose : le risque d’infection. Les mères porteuses sont donc surmédicalisées, en particulier avec des produits qui permettent d’éviter tout risque d’infection et totalement inutiles la plupart du temps ! Ce qui est important pour les cliniques, comme pour les agences qui commercialisent la GPA, c’est le taux de réussite qui va figurer sur leur site internet pour attirer les clients.
La GPA comporte donc des risques importants.
Oui, mais je rappelle qu’aujourd’hui encore, la maternité est une cause de risques pour soi-même et l’enfant qu’on va porter. Ça n’est pas anodin, encore moins pour la GPA ! Ces risques spécifiques proviennent en grande partie du recours à la FIV. Des études constantes montrent que la FIV par double don de gamètes (tout le matériel génétique est étranger à la mère porteuse, NDLR), cause des grossesses à risque. Après la vingt-cinquième semaine, il peut se produire une élévation de la tension artérielle qui nécessite une césarienne immédiate pour sauver, à la fois la mère, et éventuellement les fœtus s’ils sont en état de survie. Ce phénomène qu’on appelle prééclampsie, est aujourd’hui analysé par les scientifiques comme un mécanisme de rejet du matériel génétique de l’embryon parce que totalement étranger à la mère porteuse. Nous avons identifié des cas de mères porteuses qui ont traversé cette situation et parfois en sont mortes, même si c’est quelque chose qui est tenu secret. Personne n’a envie de faire savoir que ce type de grossesse peut entraîner le décès des mères porteuses. Une étude très récente menée aux États-Unis auprès de 96 femmes, qui compare leurs grossesses ordinaires avec celles qu’elles ont vécues comme mères porteuses, montre que celles-ci génèrent trois fois plus de risque de subir une césarienne, cinq fois plus de risque d’accoucher avant terme, et des risques significativement plus élevés de faire une dépression post-partum. D’ailleurs, certains contrats américains reconnaissent que ces risques existent et prévoient même un dédommagement en cas de perte d’utérus, de perte d’organe totale ou partielle, de recours à un dispositif de maintien en vie, de décès !
Revenons au vocabulaire. Il existe plusieurs façons de décrire élégamment la GPA. Pouvez-vous les détailler ?
Il y a d’abord la GPA dite « altruiste ». Pourquoi altruiste ? Parce que les premières critiques qui ont été formulées dès 1980 — lorsque la GPA a été mise en place — posaient la question de « Comment obtient-on l’enfant ? » La réponse était fort simple : avec de l’argent. C’était donc un achat d’enfants, un système commercial, porté par le marché. Comment remédier à cette accusation ? L’idée est venue de limiter ou d’encadrer la somme versée à la mère porteuse pour prétendre qu’elle ne le faisait pas pour de l’argent, mais par générosité, par altruisme. Le terme était né, la pratique ne changeait pas fondamentalement, mais sa dénomination oui. Ce qu’on cache sous le tapis, c’est qu’il n’est rien demandé aux différentes parties impliquées dans la GPA. La clinique, l’agence qui met en relation les parents et la mère porteuse, les avocats présents pour affiner le contrat que vont signer les parents commanditaires et la mère porteuse, personne n’exige d’altruisme de leur part et nul ne songerait à limiter leurs honoraires. La seule personne incriminée est la mère porteuse, suspectée de s’engager par intérêt financier dans la pratique et dont on va limiter la rémunération désormais qualifiée de dédommagement !
La soi-disant « GPA éthique « relève quant à elle de la démarche des politiques qui veulent établir un système équilibré entre toutes les parties. Évidemment, ce qu’ils oublient, c’est que dans cette démarche, ils réglementent une pratique qui, par essence, est inadmissible. Personne n’a jamais parlé de « peine de mort éthique ». Personne n’a jamais osé parler « d’esclavage éthique ». Jusqu’ici, on n’avait jamais tenté d’accoler un qualificatif de cette nature à quelque chose qui est déjà, en soi, répréhensible.
Dans l’approche féministe, la GPA relève donc de l’exploitation humaine ?
Absolument ! Celle des femmes et celle des enfants dont on dispose. Ils ne sont pas considérés comme des citoyens, mais comme un bien qu’on peut se procurer. Et puis citons aussi le terme de « GPA en solidarité ». Les Cubains viennent d’approuver la modification de leur code de la famille qui donne désormais accès à la « GPA solidaire ». Là aussi, les seules personnes dont on exige la solidarité sont les femmes ! Solidarité envers les personnes infertiles, envers les hommes célibataires, envers les gays. Et puis à qui demande-t-on d’être solidaire ? Encore une fois c’est à la mère porteuse. Une solidarité qui veut dire sacrifier sa vie, prendre des risques incommensurables pour le désir d’enfant de tierces personnes.
Cette expression figurait aussi dans le programme des écologistes lors des dernières élections présidentielles, dans le sens d’une GPA qui se déroule dans le cadre strictement familial : avec une sœur par exemple qui va porter un enfant pour sa belle-sœur infertile.
La Solidarité pour les écologistes revient donc à implanter dans l’utérus de la sœur du frère, l’ovocyte fécondé de la femme du frère par le spermatozoïde du frère ?
Ou dans l’utérus de la mère, voire de la grand-mère. Tous les cas de figure sont possibles. Légiférer pour ce type de cas particuliers n’est pas acceptable, car même sur un mode intrafamilial, la GPA porte atteinte à tous les droits humains.
Vous relevez aussi l’escroquerie du terme de « pratique médicale » accolé à la GPA. Pourquoi ?
Dans la GPA, on utilise une technique de reproduction médicalement assistée, la FIV, mais la GPA ne se réduit pas à cet acte, c’est beaucoup plus large que ça. La GPA, c’est un avocat, une agence, une clinique, un laboratoire. Ce sont aussi des psychologues qui interviennent pour faire en sorte que la mère porteuse arrive à se détacher de l’enfant qu’elle va mettre au monde. Il ne s’agit nullement d’une pratique médicale, simplement d’un dispositif marchand.
Dans Ventres à louer, on peut relever trois grandes figures, trois victimes de ce système : la mère porteuse, la donneuse de gamètes et l’enfant.
Faisons un pas en arrière. Dans les années 80, la technique utilisée était l’insémination : la mère porteuse était inséminée avec le sperme de l’un des demandeurs, des clients. L’enfant qu’elle mettait au monde lui était relié génétiquement. Soit dit en passant, qu’importe la technique, la mère porteuse est toujours mère biologique car c’est elle qui fournit le processus biologique permettant la croissance du fœtus. La pratique a suscité un tollé à l’époque, on considérait que les mères porteuses vendaient « leurs enfants » en raison de ce lien. Avec la FIV, le marché a trouvé la solution. Comme le matériel génétique lui sera totalement étranger, la mère porteuse ne sera plus reliée génétiquement à l’enfant qui va naître. Donc, plus d’abandons d’enfants.
Ce fut aussi un facteur de développement considérable du marché, car la FIV permettait de produire des enfants blancs avec des mères porteuses de couleur. En 2007, une émission télévisée américaine a fait de la propagande pour la GPA. En quelques semaines, les agences ‑saturées de demandes, n’ayant plus assez de mères porteuses aux États-Unis — ont commencé à rechercher ailleurs. C’est à partir de là que s’est développé le marché indien de la GPA. On retrouve la plasticité du marché qui trouve toujours de quoi alimenter cette pratique. Ce faisant, il optimise sa marge, puisque la somme destinée à la mère porteuse est bien moindre que ce qui est donné à une mère états-unienne. Pour résumer : optimiser les marges et trouver davantage de ressources de procréation.
Par ailleurs, dès qu’un pays tente de restreindre l’usage de la GPA (la Thaïlande, l’Inde, le Cambodge puis le Népal ont restreint la GPA uniquement à leurs nationaux, NDLR), le marché va immédiatement se déporter vers un autre pays. Quand le marché indien a été éclaboussé à la suite de nombreux scandales sur « les fermes à bébés », les agences se sont délocalisées. J’ai suivi le cas d’une agence indienne qui a s’est déplacée au Kenya puisque, je le rappelle, avec la FIV, on peut produire des bébés blancs avec des mères porteuses noires.
La façon dont les agences attirent le client ressemble à s’y méprendre à de la propagande. Du marketing pur et dur.
Les agences offrent plusieurs niveaux de prestation : la prestation de base, celle où le nombre d’essais est limité, la prestation VIP avec un succès garanti et puis la prestation supérieure qui inclut des prestations touristiques. Au Kenya, on offrira un safari aux clients, un moyen d’éviter le stress pendant que la mère porteuse est en train d’accoucher dans des cliniques qui ne sont « pas toujours au top ». Le marketing est là pour rendre la pratique attrayante. On vante une pratique sans danger, des mères porteuses consentantes, etc. On masque ce qu’est vraiment la GPA pour rassurer les candidats potentiels et ne pas éveiller leur mauvaise conscience. Les agences font miroiter un droit à l’enfant. Cette notion n’existe pas ! On a des devoirs envers des enfants, mais on n’a pas de droit à l’enfant.
Comment se passe le processus pour la « donneuse d’ovocytes » ?
Là encore, le langage est trompeur. Comment qualifier de « don » une pratique rémunérée qui consiste à extraire le maximum d’ovocytes d’une « donneuse » — nous dirions plutôt pourvoyeuse — qui seront vendus aux clients de GPA. Dans la plupart des cas, les ovocytes ne sont pas fournis par la femme du couple commanditaire, mais achetés. Des catalogues léchés fournissent les données de ces pourvoyeuses, taille, mensuration, couleur des yeux, cheveux, mais aussi des éléments très personnels : niveau d’étude, loisirs, etc. Les clients souhaitent se procurer le meilleur matériel génétique, bien souvent en fonction de stéréotypes : les pourvoyeuses blondes aux yeux bleus sont extrêmement recherchées. Les ovocytes coûteront bien plus cher que ceux d’une femme brune. Si vous voulez qu’elle sorte d’une Business School prestigieuse, ça coûtera encore plus cher, et si c’est une sportive de haut niveau, c’est le graal ! Stéréotypes, critères raciaux : on élimine toutes celles qui ont un teint foncé. On veut des enfants au teint clair ! On voit tout ce qui se joue dans ce choix.
En pratique, comme une femme produit un seul ovocyte par cycle. Pour en produire davantage, elle est soumise à des traitements hormonaux. Rassurez-vous, pour « lutter contre les abus », il a été recommandé de n’en extraite que cinq au maximum. Mais on a des cas de donneuses à qui on a extrait de 20 à 30 ovocytes ! Or le traitement hormonal préalable et l’intervention chirurgicale d’extraction ne sont pas bénins. Certaines ont perdu leurs ovaires, d’autres ont souffert du syndrome d’hyperstimulation ovarienne ou se sont retrouvées dans des situations médicales critiques. En Espagne, des affichettes, à la sortie des universités, invitent les étudiantes à faire prélever leurs ovocytes. Pour ces étudiantes dont les études sont parfois coûteuses, c’est une source d’argent pas négligeable. Elles reçoivent 1 000 Euros par extraction.
A‑t-on mesuré l’impact de la GPA sur les enfants ?
Malheureusement, on ne dispose d’aucune étude satisfaisante. Comme la pratique est assez récente, peu d’enfants arrivés à l’âge adulte sont en mesure de s’exprimer. Néanmoins, aux États-Unis, une jeune femme née de GPA a témoigné sur les réseaux sociaux pour dire à quel point elle était en désaccord avec cette pratique. Nous sommes en relation avec deux organisations d’enfants nés de dons de gamètes, l’une belge et l’autre allemande, qui s’élèvent contre le recours à la GPA. Des filles de mère porteuse en Inde ont reconnu que leur vie serait un échec si elles étaient amenées à devenir mères porteuses à leur tour. C’est un sujet qui dans les années à venir devrait être étudié. Catherine Lynch, grande spécialiste de l’adoption, estime que le trauma de la séparation d’avec la mère, bien connu en matière d’adoption est identique en cas de GPA et que la quête des origines est la même. Deux exemples : des enfants d’une mère porteuse, la voyant donner un enfant né de GPA, ont été terrorisés d’être donnés à leur tour. Ils ont témoigné vouloir devenir suffisamment riches plus tard pour pouvoir racheter cet enfant. Une autre enfant, à qui on a appris à 6–7 ans qu’elle était née d’une mère porteuse russe, n’avait de cesse que de se rendre à la gare pour prendre le train et la retrouver.
Des représentants de la GPA ont poussé le vice jusqu’à aller dans des camps de réfugiés en Syrie pour aller démarcher des mères porteuses. Pendant la guerre en Ukraine, les agences de GPA ont envoyé des mails rassurants aux parents d’intention en leur expliquant que les enfants et les mères porteuses étaient à l’abri et sous bonne escorte : des milices privées s’occupaient de la sécurité de ces femmes… La liste des scandales et encore longue concernant cette pratique, et on aurait pu penser qu’ils auraient pu y mettre un coup d’arrêt. En fait, pas du tout : Global Insider montre que le chiffre d’affaires des services liés à la maternité de substitution devrait augmenter de 24 %, pour atteindre 25 milliards de dollars US en 2025.
Nous avons été horrifiées d’apprendre ce qui se passait en Ukraine, à la fois pendant le COVID et pendant la guerre. En Ukraine, les mères porteuses sont recrutées chez les réfugiés du Donbass depuis 8 ans. Ces réfugiées tentent de survivre et ce sont de bonnes candidates mères porteuses parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. Dès qu’il y a de la pauvreté il y a des candidates potentielles. À la fin de la première épidémie de COVID, on a vu ces centaines de bébés maintenus dans des hôtels, des cliniques, gardés par du personnel recruté pour s’en occuper pendant que les déplacements étaient impossibles. Ces situations sont malheureusement propices au trafic d’enfants. En Ukraine, la moitié des enfants qui sont dans les orphelinats sont des enfants qui sont rejetés de la GPA. Les clients ont décidé qu’ils ne voulaient pas les prendre en charge, qu’ils avaient changé d’avis ou bien que l’enfant n’était pas conforme. Nous avons suivi le cas d’une petite fille, commandée en Ukraine, par un couple italien qui a décidé à sa naissance qu’ils n’en voulaient plus. Ils ont recruté, par internet, une nounou chargée de s’en occuper. Pendant un an, cette petite fille est restée, en Ukraine, à la charge de cette nounou. À la suite de cet énorme scandale, c’est finalement l’état italien qui est allé chercher cette enfant et l’a rapatriée pour la confier… à l’adoption en Italie ! Tant d’attentes pèsent sur ces enfants commandés, conçus avec des exigences physiques et un niveau intellectuel élevé. Que se passe-t-il s’ils ne correspondent jamais à ce qu’on attendait d’eux ?
Parlons argent. Je souhaite avoir recours à une mère porteuse. Sur les 100 000€ que ma démarche va coûter pour avoir une petite fille aux yeux bleus athlète et très intelligente, combien va toucher la mère porteuse ?
C’est variable selon les pays. Aux États-Unis, les mères porteuses ne sont pas si nombreuses, donc elles peuvent faire monter la somme qu’elles souhaitent obtenir, suivant la loi de l’offre et la demande. Cela étant, il arrive que les agences les mettent en concurrence. Aux États-Unis, une GPA coûte entre 100 et 200 000 $, la mère porteuse va recevoir entre 35 à 40 000 $. Le coût est moitié moindre en Ukraine, pourtant la mère porteuse ne touchera que 10 000 $. On voit bien où va l’argent. Au Mexique, des clients se vantent d’avoir pu obtenir une mère porteuse pour 2 000$. La mafia a aussi intégré cette nouvelle activité.
Le mouvement anti-GPA est souvent lié au mouvement anti-prostitution. De l’autre côté, les mouvements pro-GPA sont aussi pro-prostitution, considérant que le corps des femmes leur appartient, qu’elles sont en droit de faire ce qu’elle souhaite.
Mélissa Farley, qui a passé toute sa vie à lutter contre le système prostitueur et la traite des femmes, fait le parallèle entre ces deux systèmes. En effet, on a les mêmes acteurs, les mêmes pratiques : ce dont on fait commerce, c’est de l’intimité des femmes : vagin, anus, seins, bouche pour l’industrie du sexe, utérus, ovocytes, quelquefois lait maternel pour l’industrie de la GPA. Sur le marché mondial, les acteurs de la prostitution se transforment très facilement en acteurs de la GPA. Voilà pourquoi l’abolitionnisme aujourd’hui regroupe ces deux sujets. La partie néolibérale du mouvement des droits humains et du mouvement féministe, au prétexte du consentement et de l’autodétermination des personnes qui se livrent à ces activités, estime que ces femmes sont libres de se livrer à cette pratique puisque c’est une façon — le terme est très parlant – « de récupérer du pouvoir et de prendre la maîtrise de leur propre vie ». Cette façon de voir les choses est absolument individualiste. Personne dans les mouvements abolitionnistes n’a jamais condamné une femme qui est amenée à entrer en prostitution ou à devenir mère porteuse ! La condamnation ne porte pas sur les comportements individuels, mais sur des systèmes qui mettent en coupe réglée des femmes jugées comme subordonnées. Mélissa Farley met en évidence à quel point il faut déshumaniser les femmes pour les conduire en fait à la prostitution ou à la GPA.
Son article rebondit sur un autre qui porte sur le langage. Il y a une tendance qui consiste à ne plus parler de « mère porteuse » mais de « gestatrice », « de porteuse », en bref à supprimer les mots « mère », « femme ».
On a bien vu quels termes astucieux le marketing mais aussi une bonne partie du mouvement pro GPA utilisent pour « blanchir » la pratique : « altruisme », « éthique » ou « solidarité ». Les termes appliqués aux mères porteuses sont parfois violents, et systématiquement déshumanisants. Elles ne seraient pas des « mères porteuses », mais des « incubateurs », ou encore des voitures qui transportent des passagers et qu’on alimente en carburant ! On rencontre aussi le terme d’« Ange ». Je me répète : c’est bien la déshumanisation qui permet l’exploitation, qui la banalise. Elles ne sont plus des êtres humains, mais juste des moyens. C’est le triple sacrifice : la GPA fait le sacrifice de la mère porteuse — sa vie au profit d’autrui -, le sacrifice de l’enfant — parce que nul ne peut disposer d’un enfant –, et puis le sacrifice de notre propre humanité.
Allons du côté des parents d’intention. En France, quelques chantres de la GPA ont pignon sur rue et j’ai l’impression que c’est aussi la grande force marketing des pro-GPA que de parler de ces « expériences individuelles ». Expérience, un autre mot en vogue depuis quelques années.
Des politiques, des universitaires, des personnalités diverses, contactés pour discuter du sujet, ont parfois avoués être incapables de se prononcer, parce qu’ils connaissaient, dans leur entourage, des couples qui avaient eu recours à la GPA. C’est quelque chose qui est difficile à entendre. Le débat ne doit pas se situer au niveau individuel, mais sur des questions d’humanité. On met en cause l’eugénisme, les pratiques d’exploitation inhérentes à la GPA et on nous rétorque : « Regardez comme ils sont beaux, comme ils sont gentils, comme ils aiment leurs enfants ! » Mais heureusement que ces parents commanditaires, quand ils affichent leur bonheur dans les médias, aiment leurs enfants ! C’est la moindre des choses, et ça n’est certainement pas un exploit ! Il faut arrêter de les mettre sur un piédestal et mettre un terme à la glamourisation de cette pratique. Il faut comprendre que jamais une femme riche qui veut un enfant ne va demander à une femme plus riche qu’elle de le porter.
Une question qui arrive toujours par le biais des enfants, c’est celui de la règlementation. Une forme de prise d’otage émotionnelle.
Absolument. Aujourd’hui, la GPA est interdite en France, mais des enfants arrivent de tous les pays producteurs. Les pro-GPA arguent que, si c’était réglementé ou autorisé, on ne serait pas obligé d’aller chercher les enfants à l’étranger. Y avoir accès sur le territoire national serait beaucoup plus équitable pour tout le monde, prétendent-ils. Regardons les exemples du Royaume-Uni et de la Grèce qui ont réglementé la GPA. Dans ces pays on essaie de faire en sorte que les trois parties prenantes de la GPA — parents commanditaires, mère porteuse, et futurs enfants -, ne soient pas lésées. On va légiférer pour équilibrer tout ça. En vain, car, progressivement, sous la pression du marché, ces modèles évoluent vers des systèmes de GPA commerciale. En réglementant, on rend socialement acceptable quelque chose qui ne peut pas l’être, parce qu’on ne peut pas organiser l’accès au corps des femmes ni la mise à disposition d’enfants.
Et puis à qui donne-t-on cet accès ? Aux personnes qui en ont « les moyens ». Les femmes qui vont être impliquées dans cette pratique sont toujours des femmes dont le niveau économique social culturel est inférieur à celui des parents commanditaires. Enfin, les personnes qui pensent que la réglementation va résoudre tous les problèmes sont toujours dans le camp des clients potentiels. Toujours ! On ne regarde jamais la cause de cette situation c’est-à-dire le business de la GPA, mais toujours les conséquences en prenant les enfants en otage de cette situation. À aucun moment le sort des mères porteuses et des risques qu’elles prennent n’est évoqué. En revanche ce qui est mis en avant pour justifier la pratique, c’est la question la stérilité. Mais la GPA n’apporte aucune solution à la stérilité ! Elle ne soigne personne ! La stérilité est une question de santé publique qu’on demande au marché de résoudre.
Je vais être ironique. Il y a quand même une lueur d’espoir : la Science ! Des chercheurs chinois ont réussi une partie de gestation d’une brebis dans un utérus artificiel. Un jour un autre scientifique y arrivera sans doute avec un fœtus humain. La législation pourra s’atteler à ce nouveau défi.
Effectivement. Le fait est désormais sur la table et rejoint le grand sujet de l’artificialisation de l’humain et sa reproduction. La GPA est l’une des portes d’entrée vers l’eugénisme et le transhumanisme. Déjà, toutes les agences proposent le choix du sexe de l’enfant. Une nouvelle clientèle de la GPA se fait jour : des couples qui ne sont absolument pas infertiles ont recours à la GPA pour choisir, sur catalogue, tous les paramètres dans le but d’obtenir la meilleure production génétique. Ce qui les intéresse c’est d’obtenir le meilleur produit. On peut faire une analogie avec les OGM et parler d’enfants génétiquement modifiés.
A‑t-on quelques chiffres du nombre de parents d’intention, de mères porteuses, d’enfants nés sous GPA ? S’ils n’existent pas, pourquoi ce flou ? Un business de 25 milliards $ en 2025 devrait générer quelques chiffres ?
On les cherche désespérément. Mis à part deux pays au monde, on ne dénombre pas les cas de GPA. C’est une pratique considérée comme privée, donc elle ne fait pas l’objet de recensement. Néanmoins, des organisations féministes ont tenté de calculer le nombre d’enfants nés de GPA en Ukraine. Elles ont pris le nombre d’agences qui pratiquent et qui recommandent la GPA et se sont livrées à une évaluation qui les a conduites à un chiffre maintenant repris un peu partout : il y aurait entre 3 et 4 000 enfants qui naîtraient chaque année de GPA en Ukraine, dont 90% pour des clients étrangers. Au Royaume-Uni, la législation impose un jugement qui doit intervenir dans les 6 mois de la naissance de l’enfant. Il valide le transfert de filiation entre la mère porteuse et les commanditaires. Ce type de procédure juridique fait l’objet de statistiques et montre qu’il y aurait entre 5 et 600 GPA par an, dont 30 à 40% pour des parents commanditaires gays.
Dans ce livre, les articles traitant des fondements de la GPA dans le système patriarcal m’ont particulièrement intéressé. Pouvez-vous en dire un mot ?
C’est en effet passionnant. Une chercheuse japonaise montre que la GPA en Asie du Sud-Est, en Corée et au Japon a des fondements dans la tradition. Il existait une pratique ancestrale dans laquelle des femmes étaient consacrées à la reproduction pour le compte de personnalités, riches, évidemment. Le couple commanditaire pouvait avoir recours à ces femmes qui portaient un nom spécial. Si elles donnaient naissance à un garçon, cet enfant était accueilli par les commanditaires, si elles donnaient naissance à une fille, c’est la mère porteuse qui l’élevait afin qu’elle devienne à son tour une reproductrice.
Alexandra Clément Sabby fait aussi une analyse renversante dans ce livre, montrant que l’appropriation des capacités reproductives des femmes est inhérente au système patriarcal. Elle montre que l’ancienne croyance selon laquelle c’est la semence masculine qui apportait l’enfant et que la femme n’était qu’un réceptacle est revisitée avec la GPA, puisque les femmes sont considérées comme de simples conteneurs à bébés. La GPA accorde une primauté absolue à la filiation spermatique, puisque la reconnaissance du lien de la filiation juridique avec l’enfant repose sur ce seul lien. La filiation ovocytaire ne va jamais entrer en ligne de compte, elle est invisibilisée et ignorée. Cet état de fait, inhérent à la GPA, on en retrouve les traces dans tout système patriarcal.
Voir l’interview vidéo :
Pour en savoir plus, vous pouvez commander le livre Ventres à louer une critique féministe de la GPA, paru chez l’Échappée :
Source: Lire l'article complet de Le Partage