Dans son livre Penile Imperialism (Impérialisme pénien), paru cette année, en 2022, la politologue australienne Sheila Jeffreys évoque les stratégies politiques de l’activisme transidentitaire. Extrait.
Les ambitions législatives des militants transgenres vont au-delà de l’inscription de l’auto-identification dans la loi. Deux autres formes de législation font aujourd’hui l’objet de campagnes au niveau international : une législation sur les crimes de haine et une législation sur les thérapies de conversions [la seconde étant passée en France, NdlT]. Les lois sur les crimes de haine existent dans de nombreuses juridictions, généralement dans le but de protéger certaines catégories de personnes vulnérables en établissant des sanctions spécifiques et plus sévères pour les crimes commis contre ces catégories de personnes. Ces lois incluent rarement la catégorie du sexe, c’est-à-dire les femmes, qui constituent pourtant le groupe de personnes victimes de la majorité des formes de violence spécifiques. Cet état de fait laisse entendre que la violence à l’égard des femmes est considérée comme normale, ou que les femmes ne constituent pas un groupe de personnes digne de protections spécifiques pour la raison que ce groupe de personnes n’inclut pas les hommes et que la valeur des hommes, en tant que citoyens, est supérieure à celle des femmes.
Pour les militants des droits transgenres, l’ajout de « l’identité de genre » aux législations sur les crimes de haine présente l’avantage de réduire les féministes au silence en rendant illégales leurs critiques du projet transidentitaire. Les lois sur les thérapies de conversion pourraient également rendre illégales les critiques féministes et les critiques du milieu médical à l’encontre de la transgenrisation des enfants. Ces législations, dans leur ensemble, ont le potentiel de museler les analyses féministes, comme je vais maintenant le montrer.
Législation sur les crimes de haine
En 2020, le Scottish National Party a présenté au Parlement écossais un nouveau projet de loi sur les crimes de haine. Ce projet de loi excluait les femmes mais comprenait les hommes à la condition qu’ils soient habillés en femmes. Cette anomalie a été amplement critiquée. Le projet de loi permettait toutefois d’ajouter — à une date ultérieure — les femmes en tant que catégorie. La porte-parole du groupe féministe For Women Scotland, Susan Smith, a déclaré qu’elle était « préoccupée par le fait que la définition inclue les hommes travestis » et que « l’on se retrouve dans une étrange situation où quelque chose qui est entrepris pour un motif d’excitation se retrouve protégé par la législation sur les crimes de haine » (Davidson, 2020). Une autre inquiétude a été formulée au sujet du projet de loi écossais […] concernant le fait que cette loi pourrait être utilisée par les transactivistes dans le but de restreindre la parole des femmes qui souhaiteraient, par exemple, souligner qu’un homme ayant un penchant érotique pour le travestissement n’est en fait pas une femme. The Times présentait les choses ainsi : « Les militants qui défendent l’idée qu’une femme transgenre n’est pas une femme enfreindront la loi si un tribunal juge que leur campagne a pour but d’attiser la haine » (McLaughlin, 2020, 24 novembre).
De plus, selon ce projet de loi, l’incitation à la haine peut avoir lieu au sein du foyer : « Les conversations de table qui incitent à la haine doivent être poursuivies en vertu de la loi écossaise sur les crimes de haine, a déclaré le ministre de la Justice » (McLaughlin, 2020, 28 octobre). Actuellement, une législation similaire est en train d’être mise en place au niveau international. Elle suscite des inquiétudes considérables parmi les critiques féministes au Royaume-Uni, puisque plusieurs actions en justice ont été intentées contre des femmes et des hommes ayant publiquement critiqué l’idéologie transgenriste et déclaré qu’ils ou elles ne considéraient pas que les hommes pouvaient devenir des femmes ; dans certains cas, des femmes ont été victimes de discrimination sur leur lieu de travail ou licenciées de leur emploi pour avoir tenu ce type de discours. Le projet de loi crée un délit de comportement « menaçant, abusif ou insultant » ou un délit de communication envers « une autre personne » d’une manière qui « vise à susciter la haine contre un groupe de personnes » et recouvre « l’âge, le handicap, la religion, l’orientation sexuelle, l’identité transgenre et les variations des caractéristiques sexuelles » (Government of Scotland, 2020). Ce projet de loi crée également une infraction pour conception de « matériel incendiaire » [qui comprend des mèmes et tous types de création de contenus]. La loi a été adoptée en avril 2021.
L’étendue de l’ambition des militants pour les droits des personnes transgenres, en ce qui concerne le musellement de toute critique de leur idéologie, se manifeste tout particulièrement dans un document produit par un groupe de travail du Parti travailliste au Royaume-Uni, le Labour Trans Equality (LTE). Le LTE a fait campagne en 2021 pour que le parti adopte une définition de la transphobie qui rendrait illégale toute forme de critique féministe, juridique ou médicale. Le document est exhaustif et contient 14 éléments, dont les suivants : « se tromper délibérément sur le genre des personnes trans à tout moment en appelant les femmes trans “hommes” ou les hommes trans “femmes”, ou les personnes non binaires “hommes” ou “femmes” » ; « parler des personnes trans de manière négative à tout moment » ; « se moquer des personnes trans en raison de leur façon de s’habiller ou de parler » ; « prétendre qu’il existe un “conflit” entre les droits des personnes trans et les droits des femmes ou d’autres communautés » (Labour Trans Equality, 2021).
Législation sur la thérapie de conversion
Une autre forme de législation promue par les activistes des droits des transgenres relève des lois contre les « thérapies de conversion » sur la base de la sexualité ou du genre. Les thérapies de conversion consistent essentiellement à tenter d’empêcher les enfants et les jeunes d’être homosexuels en les convertissant à l’hétérosexualité, et peuvent avoir lieu dans des établissements religieux ou médicaux. En réalité, ce type de « conversions » est aujourd’hui extrêmement rare dans les juridictions où une telle législation a été introduite [En France y compris ; c’est-à-dire qu’il s’agit essentiellement d’enfoncer des portes ouvertes. De prime abord seulement, NdlT].
En sous-texte, ce type de législation vise à empêcher un autre type de [prétendue, NdlT] « conversion », qui pourrait par exemple prendre la forme de cliniciens ou d’autres personnes choisissant de ne pas immédiatement « affirmer » les déclarations des enfants qui se disent transgenres en ne leur prescrivant pas d’inhibiteurs de puberté, d’hormones ou d’intervention chirurgicale, comme l’expliquent les psychothérapeutes qui critiquent la trangenrisation des enfants (D’Angelo et al., 2020). En d’autres termes, tout usage de la liberté d’expression politique sous la forme d’une volonté de retarder ou d’empêcher les destructions physiques et psychologiques que subissent les enfants ayant été persuadés que leur corps sain ne correspond pas à leur sentiment d’identité* est spécifiquement interdit. [*Leur intime conviction d’être d’un sexe, leur identité de genre… L’idéologie transidentitaire est toujours confuse sur le sujet étant donné qu’il s’agit de convictions intimes, personnelles, propres à chacun·es, NdlT] Une fois de plus, les intérêts des militants des droits des transgenres sont venus se greffer de manière opportuniste sur les intérêts d’un groupe de citoyens plus établi, les lesbiennes et les homosexuels.
Des inquiétudes à ce sujet ont été soulevées dans l’État australien de Victoria en 2021, plus particulièrement à propos du projet de loi 2020 « sur l’interdiction des pratiques de changement ou de suppression (conversion) » (Marozzi, 2021). Ce projet de loi a été critiqué par des médecins et des psychiatres qui considèrent qu’il complique leur travail d’aide aux jeunes atteints de dysphorie de genre (Smethurst, 2021) et par des féministes. La Victorian Women’s Guild (Guilde des femmes de l’État de Victoria), par exemple, parmi quantité de critiques, déclare que « le projet de loi criminalise en effet toute thérapie qui permettrait à une personne d’explorer si elle est homosexuelle plutôt qu’hétérosexuelle ». En outre :
« Le changement d’identité de genre peut aussi désigner le fait d’aider une personne à “détransitionner”, par exemple aider une fille qui s’est identifiée comme un garçon transgenre et qui souhaite maintenant redevenir une fille (ou un garçon > fille > garçon). Cela sera-t-il criminalisé ? » (Victorian Women’s Guild, 2021).
Le projet de loi est entré en vigueur en février 2021.
Sheila Jeffreys
Traduction : Audrey A.
Afin d’illustrer ces remarques de Sheila Jeffreys, afin d’illustrer l’ampleur ainsi que le caractère totalitaire et autoritaire des changements législatifs que les militants en faveur des « droits des personnes trans » cherchent à imposer, voici une traduction d’un article paru le 10 octobre 2022 sur le site web du quotidien britannique The Telegraph.
Les enseignants qui discutent des droits des femmes basés sur le sexe avec leurs collègues transgenres pourraient bientôt être considérés comme « transphobes », selon un projet de loi proposé par les membres du plus grand syndicat d’enseignants de Grande-Bretagne.
Le « réseau trans et non-binaire » du syndicat national de l’éducation (SNE) propose que quiconque souhaitant que les personnes transgenres « participent aux discussions ou aux débats sur leurs droits et/ou leurs identités » soit considéré comme transphobe.
Ce projet de définition de la « transphobie », examiné par The Telegraph, cite notamment comme exemple de comportement transphobe « la diffusion d’idées, de concepts et de fausses informations préjudiciables aux personnes trans et qui effacent et ignorent l’histoire des trans, par exemple l’idée selon laquelle il existerait une idéologie trans ou selon laquelle les trans seraient le produit d’une contagion ».
Le projet de loi ne précise pas ce qui est entendu par « histoire trans », ni quelles « idées, concepts et informations erronées » seraient considérées comme préjudiciables aux personnes trans.
Il définit en outre la transphobie comme « le rejet de l’identité trans et le refus de reconnaître que ces identités sont réelles ou valides » ou « l’utilisation incorrecte des pronoms ».
Une personne proche du syndicat des enseignants, ayant lancé l’alerte sur le sujet, a déclaré au Telegraph : « Tout ça m’inquiète énormément. Je suis issu d’un milieu de gauche et je déteste ces absurdités. »
« Nous avons besoin de la liberté d’expression. Les femmes ont besoin d’espaces protégés. Si cette définition est acceptée, toute personne disant “vous ne pouvez logiquement pas vous identifier en tant que du sexe opposé”, sera considérée comme transphobe. »
La source a ajouté : « Je pense que les enseignants auront trop peur de s’exprimer dans les écoles et qu’ils se plieront à la politique du syndicat national de l’éducation. »
Cette définition de la transphobie a été rédigée après qu’une résolution visant à définir la transphobie ait été adoptée lors de la dernière conférence annuelle du syndicat au printemps.
La conférence avait établi que l’exécutif du SNE devait « travailler avec le réseau trans et non binaire pour développer une définition syndicale de la transphobie qui aille au-delà de la conformité légale, et qui soutienne et approuve les identités trans et non binaires sans avoir recours à l’effacement ou à la dévalorisation du “genre” ».
Toby Young, fondateur de la Free Speech Union (Syndicat de la liberté d’expression), a déclaré que le réseau trans du SNE prévoyait de redéfinir la transphobie « en des termes si larges que toute critique de l’idéologie de l’identité de genre — ou du programme des militants transactivistes — serait considérée comme “transphobe” ».
Dans une lettre adressée au Dr Mary Bousted et à Kevin Courtney, les co-secrétaires généraux du syndicat national de l’éducation, il précise : « S’il n’a jamais été question de soutenir un quelconque harcèlement en faisant appel au droit à la liberté d’expression, nous défendons le droit des individus à s’abstenir d’approuver l’idéologie du genre et à pouvoir contester le programme des militants des droits transgenres sans être pénalisés. »
Young explique que les écoles pourraient faire l’objet de plaintes pour discrimination de la part des enseignants si ces derniers étaient sanctionnés pour avoir refusé d’utiliser les pronoms de genre préférés d’un membre transgenre du personnel.
Young affirme : « De nombreuses personnes, et pas seulement les féministes critiques du genre, rejettent l’idée selon lequel le sexe serait une construction sociale et, selon les tribunaux, la croyance selon laquelle le sexe est binaire et immuable constitue une opinion légale et raisonnable, méritant d’être protégé par la loi sur l’égalité de 2010. »
L’année dernière, Maya Forstater, une experte fiscale du Hertfordshire qui avait perdu son emploi dans un groupe de réflexion après avoir affirmé que les gens ne pouvaient pas changer de sexe biologique, a gagné en appel contre les prud’hommes lorsqu’un juge de la Haute Cour a estimé que ses croyances critiques à l’égard du genre étaient protégées par l’Equality Act [une loi du Parlement du Royaume-Uni relative à la législation anti-discrimination, NdlT].
La définition de la transphobie proposée par le réseau trans et non-binaire du SNE a été soumise à l’examen du comité exécutif national du syndicat, a déclaré un porte-parole du SNE.
Cette proposition est intervenue alors que le ministère de l’éducation finalise les directives transgenres à destination des écoles, qui pourraient notamment inclure la recommandation aux écoles de fournir des toilettes de genre neutre en plus de celles destinées aux garçons et aux filles, ou de laisser les élèves transgenres utiliser les vestiaires avant leurs camarades de classe.
Les écoles seraient également encouragées à laisser les enfants transgenres porter l’uniforme de leur choix.
D’après The Times, le secrétaire d’État à l’éducation Kit Malthouse incitera les écoles à s’adapter aux élèves transgenres selon des directives « de bon sens », ce qui suscite des inquiétudes parmi les groupes de parents craignant que la protection des enfants ne soit reléguée au second plan dans le cadre des efforts déployés pour s’adapter aux élèves transgenres.
Un porte-parole du ministère de l’éducation a refusé de commenter le contenu de ces directives, dont la publication pour consultation aura lieu plus tard cette année.
Il a déclaré : « Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un sujet complexe et sensible pour les écoles, c’est pourquoi le ministère de l’éducation continue à travailler pour fournir des conseils aussi clairs que possible à tous. »
Louisa Clarence-Smith
Traduction : Audrey A.
Source: Lire l'article complet de Le Partage